Dix fois par jour, dans la clinique d’Umbumbulu, dans l’est de l’Afrique du Sud, le médecin répète une procédure devenue banale.
C’est une affaire entendue en Afrique au point que les hommes n’hésitent plus à modifier définitivement l’apparence de leur précieux organe afin de réduire le risque de contracter le VIH. Dans le Kwazulu-Natal, la province sud-africaine la plus touchée par l’épidémie, le cap du million de circoncisions masculines médicales volontaires (CMMV) a été franchi début décembre 2018.
Plus globalement, depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Onusida l’ont inscrit dans leurs recommandations pour prévenir la transmission du virus de la femme à l’homme en 2007, près de 19 millions d’hommes ont sauté le pas dans 14 pays d’Afrique australe et de l’Est.
« Membrane très vascularisée »
Le mécanisme est simple et, d’après les études, cette petite chirurgie réduit de 60 % la transmission du virus de la femme à l’homme. « L’acte consiste à retirer 80 % du prépuce, membrane particulièrement vascularisée qui recouvre le gland. Cette peau étant très fine, elle permet plus facilement au virus de passer. Après la circoncision, en revanche, elle épaissit et durcit en cicatrisant, réduisant le passage du virus », détaille le médecin, embauché par l’ONG américaine Populations Service International (PSI). Celle-ci fait escale dans toutes les cliniques de la province depuis 2012, dans le cadre d’un programme de circoncision d’ampleur, mené de front par le ministère sud-africain de la santé et un ensemble d’ONG.
A Umbumbulu, bourgade vallonnée proche de Durban, un « bloc opératoire » temporaire a même été installé au milieu du couloir de la clinique en préfabriqué. Dans cet espace sommaire, des rideaux amovibles séparent simplement les patients de la salle d’attente. Assis en silence, Mpendulo Mkizhe, 16 ans, et Enock Mkhize, 35 ans, viennent tout juste d’être opérés. « La seule chose qui fait mal, c’est la piqûre de l’anesthésie », explique le premier à voix basse.
Tous deux assurent ne pas avoir eu d’appréhensions avant de passer entre les mains du chirurgien « Dans ma famille, j’étais le seul à ne pas être circoncis », enchaîne le trentenaire. Célibataire, il compte jusqu’à cinq partenaires sexuelles régulières, et reconnaît utiliser rarement des préservatifs, comme beaucoup de ses congénères dans les zones rurales.
Si le geste chirurgical est rapide, les suites sont plus contraignantes. Le patient doit s’abstenir de toute relation sexuelle pendant six semaines et à tout prix éviter les érections. « On m’a même conseillé de poser un verre d’eau froide dessus lorsque ça arrive », explique Manelisi Mjoka, 20 ans, qui lui aussi vient de « passer à la découpe », comme le résument les soignants dans leur jargon habituel.
En face de lui, quelques élèves d’une dizaine d’années chahutent et gigotent sur leurs fauteuils en attendant leur tour. « Ils sont tout excités, confie Nomtokozo Ndlovu, la coordinatrice de l’équipe médicale. Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’atteindre les jeunes car la circoncision est devenue “tendance”. C’est curieux à dire, mais dans la cour d’école, on se moque désormais de ceux qui ne sont pas circoncis. »
« Solution quasi miraculeuse »
Au fil des ans, le sida fait beaucoup moins peur en Afrique du Sud. « Les gens parlent même assez facilement de leur statut sérologique, et tout le monde sait qu’avec le bon traitement, on survit désormais », ajoute-t-elle. Il est bien loin le temps où Thabo Mbeki, le successeur de Nelson Mandela, niait le lien entre le VIH et le Sida, et encourageait les séropositifs à manger des betteraves et du citron pour guérir, tandis que l’épidémie faisait des ravages. Le pays compte désormais 7,2 millions de personnes vivant avec le VIH, c’est un record mondial. Plus de 4 millions de personnes sont sous traitement antirétroviral, accessible gratuitement dans tous les centres de santé.
Le pays n’a pas perdu de temps. Dès 2010, il a lancé ses premiers programmes de circoncision avec l’objectif ambitieux de toucher 80 % des hommes âgés de 15 ans à 49 ans, la tranche d’âge la plus active sexuellement. « D’après les études, il faut convaincre beaucoup de monde en même temps et en peu de temps, pour avoir le maximum d’impact, explique Dayanund Loykissoonlal, chargé du programme de circoncision au ministère sud-africain de la santé. En huit ans, le nombre de nouvelles infections a chuté de 44 %, c’est bien la preuve de l’efficacité de cette mesure pour la prévention du Sida. »
Solution quasi miraculeuse en Afrique, la circoncision médicale reste controversée en Occident, notamment pour les nouveau-nés, parce qu’elle modifie leur intégrité physique sans leur consentement. Elle n’est pas non plus recommandée pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. « La circoncision n’est efficace que dans les pays où une grande part de la population est contaminée par le VIH et seulement pour les rapports de pénétration vaginale, donc, en général, pour les couples hétérosexuels », décrypte Karin Hatzold, référente technique pour PSI.
L’opération de circoncision médicale, indolore, dure moins de vingt-cinq minutes et permet de diminuer le risque de contamination de la femme vers l’homme de 60 %. Adrien Barbier
Cette médecin allemande, qui couvre toute l’Afrique australe, s’occupe notamment des cas où la chirurgie ne se passe pas comme prévu. « On n’a jamais eu de morts ou de cas de dysfonction sexuelle. Chez seulement 0,5 % des patients, on a des complications modérées ou graves. En général des infections que l’on peut éviter si les personnes sont bien informées », précise t-elle.
« Endurance sexuelle »
Pour cette authentique militante de la circoncision, le véritable défi a consisté à changer les perceptions des hommes pour créer la demande. De l’avis unanime, dans le Kwazulu-Natal, c’est l’implication personnelle du roi Goodwill Zwelithini qui a changé la donne.
En 2009, il a lancé un grand appel pour que les hommes se fassent circoncire. « Chez les Zoulou, la pratique avait été abandonnée au XIXe siècle par le grand roi Chaka Zoulou parce que cela empêchait les hommes d’aller se battre. Désormais, le combat, c’est le Sida », explique Karin Hatzold. Depuis, le roi organise tous les ans une cérémonie, l’Umkhosi Woselwa, un grand rituel sacré où seuls les hommes circoncis sont conviés.
Maintenant que la pratique est généralisée, il reste à convaincre les derniers récalcitrants. Pour cela, l’ONG emploie des « mobilisateurs communautaires » qui touchent un bonus en fonction du nombre d’hommes qu’ils arrivent à convaincre de passer par l’opération. « Pour les hommes plus âgés et mariés, on n’insiste pas tellement sur la partie VIH, car ils auraient du mal à justifier la circoncision auprès de leur femme », explique Phakamani Ndlovu, coordinateur des mobilisateurs.
Parmi les bénéfices mis en avant, il liste une meilleure hygiène, une diminution des risques de cancer du pénis ou, pour les femmes, du cancer cervical par la transmission sexuelle du papillomavirus. « On leur explique aussi qu’ils améliorent leur endurance sexuelle, ce que beaucoup de femmes ont remarqué. En général, ça suffit pour les convaincre ! »
C’est une affaire entendue en Afrique au point que les hommes n’hésitent plus à modifier définitivement l’apparence de leur précieux organe afin de réduire le risque de contracter le VIH. Dans le Kwazulu-Natal, la province sud-africaine la plus touchée par l’épidémie, le cap du million de circoncisions masculines médicales volontaires (CMMV) a été franchi début décembre 2018.
Plus globalement, depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Onusida l’ont inscrit dans leurs recommandations pour prévenir la transmission du virus de la femme à l’homme en 2007, près de 19 millions d’hommes ont sauté le pas dans 14 pays d’Afrique australe et de l’Est.
« Membrane très vascularisée »
Le mécanisme est simple et, d’après les études, cette petite chirurgie réduit de 60 % la transmission du virus de la femme à l’homme. « L’acte consiste à retirer 80 % du prépuce, membrane particulièrement vascularisée qui recouvre le gland. Cette peau étant très fine, elle permet plus facilement au virus de passer. Après la circoncision, en revanche, elle épaissit et durcit en cicatrisant, réduisant le passage du virus », détaille le médecin, embauché par l’ONG américaine Populations Service International (PSI). Celle-ci fait escale dans toutes les cliniques de la province depuis 2012, dans le cadre d’un programme de circoncision d’ampleur, mené de front par le ministère sud-africain de la santé et un ensemble d’ONG.
A Umbumbulu, bourgade vallonnée proche de Durban, un « bloc opératoire » temporaire a même été installé au milieu du couloir de la clinique en préfabriqué. Dans cet espace sommaire, des rideaux amovibles séparent simplement les patients de la salle d’attente. Assis en silence, Mpendulo Mkizhe, 16 ans, et Enock Mkhize, 35 ans, viennent tout juste d’être opérés. « La seule chose qui fait mal, c’est la piqûre de l’anesthésie », explique le premier à voix basse.
Tous deux assurent ne pas avoir eu d’appréhensions avant de passer entre les mains du chirurgien « Dans ma famille, j’étais le seul à ne pas être circoncis », enchaîne le trentenaire. Célibataire, il compte jusqu’à cinq partenaires sexuelles régulières, et reconnaît utiliser rarement des préservatifs, comme beaucoup de ses congénères dans les zones rurales.
Si le geste chirurgical est rapide, les suites sont plus contraignantes. Le patient doit s’abstenir de toute relation sexuelle pendant six semaines et à tout prix éviter les érections. « On m’a même conseillé de poser un verre d’eau froide dessus lorsque ça arrive », explique Manelisi Mjoka, 20 ans, qui lui aussi vient de « passer à la découpe », comme le résument les soignants dans leur jargon habituel.
En face de lui, quelques élèves d’une dizaine d’années chahutent et gigotent sur leurs fauteuils en attendant leur tour. « Ils sont tout excités, confie Nomtokozo Ndlovu, la coordinatrice de l’équipe médicale. Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’atteindre les jeunes car la circoncision est devenue “tendance”. C’est curieux à dire, mais dans la cour d’école, on se moque désormais de ceux qui ne sont pas circoncis. »
« Solution quasi miraculeuse »
Au fil des ans, le sida fait beaucoup moins peur en Afrique du Sud. « Les gens parlent même assez facilement de leur statut sérologique, et tout le monde sait qu’avec le bon traitement, on survit désormais », ajoute-t-elle. Il est bien loin le temps où Thabo Mbeki, le successeur de Nelson Mandela, niait le lien entre le VIH et le Sida, et encourageait les séropositifs à manger des betteraves et du citron pour guérir, tandis que l’épidémie faisait des ravages. Le pays compte désormais 7,2 millions de personnes vivant avec le VIH, c’est un record mondial. Plus de 4 millions de personnes sont sous traitement antirétroviral, accessible gratuitement dans tous les centres de santé.
Le pays n’a pas perdu de temps. Dès 2010, il a lancé ses premiers programmes de circoncision avec l’objectif ambitieux de toucher 80 % des hommes âgés de 15 ans à 49 ans, la tranche d’âge la plus active sexuellement. « D’après les études, il faut convaincre beaucoup de monde en même temps et en peu de temps, pour avoir le maximum d’impact, explique Dayanund Loykissoonlal, chargé du programme de circoncision au ministère sud-africain de la santé. En huit ans, le nombre de nouvelles infections a chuté de 44 %, c’est bien la preuve de l’efficacité de cette mesure pour la prévention du Sida. »
Solution quasi miraculeuse en Afrique, la circoncision médicale reste controversée en Occident, notamment pour les nouveau-nés, parce qu’elle modifie leur intégrité physique sans leur consentement. Elle n’est pas non plus recommandée pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. « La circoncision n’est efficace que dans les pays où une grande part de la population est contaminée par le VIH et seulement pour les rapports de pénétration vaginale, donc, en général, pour les couples hétérosexuels », décrypte Karin Hatzold, référente technique pour PSI.
L’opération de circoncision médicale, indolore, dure moins de vingt-cinq minutes et permet de diminuer le risque de contamination de la femme vers l’homme de 60 %. Adrien Barbier
Cette médecin allemande, qui couvre toute l’Afrique australe, s’occupe notamment des cas où la chirurgie ne se passe pas comme prévu. « On n’a jamais eu de morts ou de cas de dysfonction sexuelle. Chez seulement 0,5 % des patients, on a des complications modérées ou graves. En général des infections que l’on peut éviter si les personnes sont bien informées », précise t-elle.
« Endurance sexuelle »
Pour cette authentique militante de la circoncision, le véritable défi a consisté à changer les perceptions des hommes pour créer la demande. De l’avis unanime, dans le Kwazulu-Natal, c’est l’implication personnelle du roi Goodwill Zwelithini qui a changé la donne.
En 2009, il a lancé un grand appel pour que les hommes se fassent circoncire. « Chez les Zoulou, la pratique avait été abandonnée au XIXe siècle par le grand roi Chaka Zoulou parce que cela empêchait les hommes d’aller se battre. Désormais, le combat, c’est le Sida », explique Karin Hatzold. Depuis, le roi organise tous les ans une cérémonie, l’Umkhosi Woselwa, un grand rituel sacré où seuls les hommes circoncis sont conviés.
Maintenant que la pratique est généralisée, il reste à convaincre les derniers récalcitrants. Pour cela, l’ONG emploie des « mobilisateurs communautaires » qui touchent un bonus en fonction du nombre d’hommes qu’ils arrivent à convaincre de passer par l’opération. « Pour les hommes plus âgés et mariés, on n’insiste pas tellement sur la partie VIH, car ils auraient du mal à justifier la circoncision auprès de leur femme », explique Phakamani Ndlovu, coordinateur des mobilisateurs.
Parmi les bénéfices mis en avant, il liste une meilleure hygiène, une diminution des risques de cancer du pénis ou, pour les femmes, du cancer cervical par la transmission sexuelle du papillomavirus. « On leur explique aussi qu’ils améliorent leur endurance sexuelle, ce que beaucoup de femmes ont remarqué. En général, ça suffit pour les convaincre ! »