Après avoir programmé la mort du Parti démocratique sénégalais (Pds), il y a un semestre, essayons aujourd’hui de poser la problématique du Pds-L face aux enjeux législatifs de 2012. Notre réflexion n’a pas la prétention de prévoir l’imprévisible. Ni prophétique, ni scientifique, nous nous proposons d’ouvrir dans l’espace public un débat sur une éventualité établie par le chef de l’Etat lui-même, dans les colonnes du quotidien « Le Soleil », en août 2003 : « je souhaite une alternance à l’alternance (...) Si nous décevons les Sénégalais et si nous allons aux élections, le Pds perdra », scénarisait-il. Avec cette déclaration, le chef de file des libéraux a mis sa formation politique dans une bouteille électorale. Il a ouvert l’outre aux vents.
En vérité, ce n’est pas assez de réélire Me Abdoulaye Wade, le principal est de lui donner une majorité. L’opposition a tout compris. En agitant son « impossible candidature unique », elle fait une fausse ouverture stratégique pour mieux endormir l’adversaire libéral. La Coalition Bennoo ne vise rien d’autre que de rafler la mise à l’Assemblée nationale. Dans le p’tit salon d’Amath Dansokho, lorsqu’elle délibère avec sa propre conscience électorale, elle se voit mieux unie pour les élections législatives que la présidentielle. « Me Wade a l’illusion du pouvoir, nous aurons la réalité du pouvoir ». Telle semble être la division de sa poire électorale en deux. Contrairement aux apparences, les leaders de l’opposition conçoivent des plans réalistes, nouent des alliances systématiques, se disputent, se divisent, se rapprochent, il n’y a presque rien à quoi ils se préparent, sinon à ce qui peut arriver : une cohabitation.
Depuis une décennie, le Sénégal est dans le schéma classique d’une « alternance parfaite ».
Dans le système politique actuel, le fond constitutionnel reste parlementaire, mais le mouvement institutionnel est présidentiel : le chef de l’État émane de la même légitimité populaire que l’Assemblée nationale et il est en même temps le (vrai) chef de la majorité parlementaire.
Sur le plan doctrinal, nous affirmons qu’il n’y a pas une, mais deux Constitutions dans la Charte fondamentale du 22 janvier 2001 : une parlementaire et une autre présidentielle. Il y a un dédoublement constitutionnel, les deux faces ne se superposent pas, elles se surpassent au gré des circonstances politiques. Tant qu’il y a harmonie entre les deux majorités [comme c’est le cas actuellement], on assiste à la transformation du régime parlementaire en régime présidentiel. C’est la pratique qui corrige la théorie.
Abdoulaye Wade étant le véritable chef de la majorité parlementaire, c’est le type présidentiel qui est applicable. L’unité du pouvoir s’opère à son profit. Dès lors, il peut le répartir selon son bon vouloir. Le pouvoir exécutif est partagé en deux parties inégales. D’un côté, le pouvoir monopolisé par le président et, de l’autre, l’Exécutif au sens littéral dévolu au gouvernement. Dit autrement, Wade gouverne, son Premier ministre administre. Au premier « la conception », au second « la mise en œuvre », selon l’heureuse formule de Pompidou. Il en a toujours été ainsi depuis notre Constitution de 1963. Senghor et Diouf ont toujours été bénéficiaires du fait majoritaire ou « l’enfant retrouvé », selon l’heureuse formule de Michel Debré. Wade, président de la République et chef de la majorité parlementaire, concentre entre ses mains l’essentiel du pouvoir. Il ne peut en être autrement avec son élection au suffrage universel direct et populaire. Cette élection est considérée comme l’acte par lequel le peuple a délégué son pouvoir souverain à celui qui a la responsabilité de l’exercer. Dans le fond, la Constitution de 2001 consacre la prééminence du Président du Conseil des ministres.
« Quand on sait tout, on ne prévoit rien ; et quand on ne sait rien, on prévoit tout ». Claude Allègre (Éditions Fayard 2004).
Depuis les locales du 22 mars 2009, la famille libérale ne privilégie rien tant que se trouver de vaines et piteuses querelles. Lorsqu’elle ne vote pas contre elle-même, ses fils se déchirent, se neutralisent et s’essoufflent ; ses responsables désinvestissent leur fief, ses cadres ne se soucient plus des micro préoccupations de leur base, accélérant ainsi la fin des années romantiques du Sopi. Que faire ? D’abord, refuser d’élever le Pds-L dans la certitude de sa supériorité électorale ; ensuite « que chaque baron libéral soit souverain en sa baronnie et que le chef soit souverain par-dessus tout ». Sinon on aura, en 2012, un chef sans troupe (parlementaire).
Ah, si les bilans étaient un gage de succès électoral ! Si la formation continue à encombrer ses énergies, il y a fort à parier qu’elle perdra la majorité des sièges. C’est là tout le sens de la mise en garde du « Maître ». Qu’arrivera-t-il ? On sera - à Dieu ne plaise - en présence de deux majorités : celle d’un président de la République élu au suffrage universel direct et une autre, parlementaire, issue à son tour du suffrage populaire. Dit autrement, on aura une formule institutionnelle où deux familles politiques opposées porteront deux projets différents tout en appartenant à un même exécutif. C’est la parfaite illustration d’une cohabitation ou encore d’une « alternance imparfaite ». Ce qui ne serait pas une première en Afrique, écrivions-nous, à Paris en septembre 2003, dans une tribune politique.
Le Niger a connu une cohabitation qui a été lamentablement tragique entre 1995 et 1996. La France a connu trois cohabitations aussi différentes les unes que les autres. La première de 1986-1988 (Mitterrand-Chirac) a été qualifiée de cohabitation conflictuelle par les uns et d’hyperconflictuelle par les autres. La seconde cohabitation 1993-1995 (Mitterrand-Balladur) a été consensuelle ou hyperconsensuelle, c’est selon. Après quatorze ans de pouvoir, le leader des Socialistes ne se souciait que de la trace profonde qu’il laisserait dans l’histoire politique française. Enfin, la troisième cohabitation 1997-2001 (Chirac-Jospin) a été qualifiée de « cohabitation-surprise ». Rien n’obligeait Chirac à dissoudre l’Assemblée nationale. En le faisant, ses compatriotes ont donné une majorité absolue à la gauche plurielle, assurant ainsi l’élection-nomination de Lionel Jospin comme chef de gouvernement.
Si la Coalition Sopi perd les élections législatives de 2012, Wade aura des pouvoirs, mais pas le pouvoir. Dans les autres Constitutions, il revient généralement au gouvernement la prérogative de « déterminer » et de « conduire » la politique de la Nation (article 20, Constitution française 1958). Dans notre texte fondamental, « le gouvernement conduit et coordonne la politique de la Nation sous la direction du Premier ministre » (article 53), tandis que « le président de la République détermine la politique de la Nation » (articles 42 de la Constitution). Comment alors demander à un Premier ministre élu sur la base de son programme politique de « conduire » et de « coordonner » une politique qu’il ne partage pas ? Voilà l’impasse de la Charte fondamentale ?
Supposons l’arrivée d’une nouvelle majorité hostile au chef de la magistrature suprême, le président de la République ne bénéficiant plus d’une majorité parlementaire, nous serions donc en présence d’un régime de type parlementaire. Ce qui amènera un désaccord inédit au sein de l’Exécutif. La direction imprimée par Wade ne sera sans doute pas mise en application par un Ousmane Tanor Dieng, un Moustapha Niasse ou un Macky Sall. Alors que toutes les forces devront se rassembler pour relever les grands défis, elles se défieront et se neutraliseront comme dans toute période de cohabitation. Dans ce cas de figure, l’harmonie entre la majorité et la « dyarchie tranquille » du pouvoir ne sera plus la norme. Il y aura une crise de légitimité : un conflit entre le Législatif et l’Exécutif, soit une coexistence de deux légitimités concurrentes. Entrera-t-on alors dans l’âge d’or de l’Assemblée nationale ? Sera-ce une belle démonstration de l’adaptabilité de la norme suprême du 22 janvier 2001 ? Après une éblouissante promenade, Schopenhauer avait rendu un verdict inattendu : « [m]a tâche n’est point de contempler ce que nul n’a encore contemplé, mais de méditer sur ce que tout le monde a devant les yeux ».
Cheikh DIALLO
Journaliste-Ecrivain
Chercheur en Science politique
Ucad
En vérité, ce n’est pas assez de réélire Me Abdoulaye Wade, le principal est de lui donner une majorité. L’opposition a tout compris. En agitant son « impossible candidature unique », elle fait une fausse ouverture stratégique pour mieux endormir l’adversaire libéral. La Coalition Bennoo ne vise rien d’autre que de rafler la mise à l’Assemblée nationale. Dans le p’tit salon d’Amath Dansokho, lorsqu’elle délibère avec sa propre conscience électorale, elle se voit mieux unie pour les élections législatives que la présidentielle. « Me Wade a l’illusion du pouvoir, nous aurons la réalité du pouvoir ». Telle semble être la division de sa poire électorale en deux. Contrairement aux apparences, les leaders de l’opposition conçoivent des plans réalistes, nouent des alliances systématiques, se disputent, se divisent, se rapprochent, il n’y a presque rien à quoi ils se préparent, sinon à ce qui peut arriver : une cohabitation.
Depuis une décennie, le Sénégal est dans le schéma classique d’une « alternance parfaite ».
Dans le système politique actuel, le fond constitutionnel reste parlementaire, mais le mouvement institutionnel est présidentiel : le chef de l’État émane de la même légitimité populaire que l’Assemblée nationale et il est en même temps le (vrai) chef de la majorité parlementaire.
Sur le plan doctrinal, nous affirmons qu’il n’y a pas une, mais deux Constitutions dans la Charte fondamentale du 22 janvier 2001 : une parlementaire et une autre présidentielle. Il y a un dédoublement constitutionnel, les deux faces ne se superposent pas, elles se surpassent au gré des circonstances politiques. Tant qu’il y a harmonie entre les deux majorités [comme c’est le cas actuellement], on assiste à la transformation du régime parlementaire en régime présidentiel. C’est la pratique qui corrige la théorie.
Abdoulaye Wade étant le véritable chef de la majorité parlementaire, c’est le type présidentiel qui est applicable. L’unité du pouvoir s’opère à son profit. Dès lors, il peut le répartir selon son bon vouloir. Le pouvoir exécutif est partagé en deux parties inégales. D’un côté, le pouvoir monopolisé par le président et, de l’autre, l’Exécutif au sens littéral dévolu au gouvernement. Dit autrement, Wade gouverne, son Premier ministre administre. Au premier « la conception », au second « la mise en œuvre », selon l’heureuse formule de Pompidou. Il en a toujours été ainsi depuis notre Constitution de 1963. Senghor et Diouf ont toujours été bénéficiaires du fait majoritaire ou « l’enfant retrouvé », selon l’heureuse formule de Michel Debré. Wade, président de la République et chef de la majorité parlementaire, concentre entre ses mains l’essentiel du pouvoir. Il ne peut en être autrement avec son élection au suffrage universel direct et populaire. Cette élection est considérée comme l’acte par lequel le peuple a délégué son pouvoir souverain à celui qui a la responsabilité de l’exercer. Dans le fond, la Constitution de 2001 consacre la prééminence du Président du Conseil des ministres.
« Quand on sait tout, on ne prévoit rien ; et quand on ne sait rien, on prévoit tout ». Claude Allègre (Éditions Fayard 2004).
Depuis les locales du 22 mars 2009, la famille libérale ne privilégie rien tant que se trouver de vaines et piteuses querelles. Lorsqu’elle ne vote pas contre elle-même, ses fils se déchirent, se neutralisent et s’essoufflent ; ses responsables désinvestissent leur fief, ses cadres ne se soucient plus des micro préoccupations de leur base, accélérant ainsi la fin des années romantiques du Sopi. Que faire ? D’abord, refuser d’élever le Pds-L dans la certitude de sa supériorité électorale ; ensuite « que chaque baron libéral soit souverain en sa baronnie et que le chef soit souverain par-dessus tout ». Sinon on aura, en 2012, un chef sans troupe (parlementaire).
Ah, si les bilans étaient un gage de succès électoral ! Si la formation continue à encombrer ses énergies, il y a fort à parier qu’elle perdra la majorité des sièges. C’est là tout le sens de la mise en garde du « Maître ». Qu’arrivera-t-il ? On sera - à Dieu ne plaise - en présence de deux majorités : celle d’un président de la République élu au suffrage universel direct et une autre, parlementaire, issue à son tour du suffrage populaire. Dit autrement, on aura une formule institutionnelle où deux familles politiques opposées porteront deux projets différents tout en appartenant à un même exécutif. C’est la parfaite illustration d’une cohabitation ou encore d’une « alternance imparfaite ». Ce qui ne serait pas une première en Afrique, écrivions-nous, à Paris en septembre 2003, dans une tribune politique.
Le Niger a connu une cohabitation qui a été lamentablement tragique entre 1995 et 1996. La France a connu trois cohabitations aussi différentes les unes que les autres. La première de 1986-1988 (Mitterrand-Chirac) a été qualifiée de cohabitation conflictuelle par les uns et d’hyperconflictuelle par les autres. La seconde cohabitation 1993-1995 (Mitterrand-Balladur) a été consensuelle ou hyperconsensuelle, c’est selon. Après quatorze ans de pouvoir, le leader des Socialistes ne se souciait que de la trace profonde qu’il laisserait dans l’histoire politique française. Enfin, la troisième cohabitation 1997-2001 (Chirac-Jospin) a été qualifiée de « cohabitation-surprise ». Rien n’obligeait Chirac à dissoudre l’Assemblée nationale. En le faisant, ses compatriotes ont donné une majorité absolue à la gauche plurielle, assurant ainsi l’élection-nomination de Lionel Jospin comme chef de gouvernement.
Si la Coalition Sopi perd les élections législatives de 2012, Wade aura des pouvoirs, mais pas le pouvoir. Dans les autres Constitutions, il revient généralement au gouvernement la prérogative de « déterminer » et de « conduire » la politique de la Nation (article 20, Constitution française 1958). Dans notre texte fondamental, « le gouvernement conduit et coordonne la politique de la Nation sous la direction du Premier ministre » (article 53), tandis que « le président de la République détermine la politique de la Nation » (articles 42 de la Constitution). Comment alors demander à un Premier ministre élu sur la base de son programme politique de « conduire » et de « coordonner » une politique qu’il ne partage pas ? Voilà l’impasse de la Charte fondamentale ?
Supposons l’arrivée d’une nouvelle majorité hostile au chef de la magistrature suprême, le président de la République ne bénéficiant plus d’une majorité parlementaire, nous serions donc en présence d’un régime de type parlementaire. Ce qui amènera un désaccord inédit au sein de l’Exécutif. La direction imprimée par Wade ne sera sans doute pas mise en application par un Ousmane Tanor Dieng, un Moustapha Niasse ou un Macky Sall. Alors que toutes les forces devront se rassembler pour relever les grands défis, elles se défieront et se neutraliseront comme dans toute période de cohabitation. Dans ce cas de figure, l’harmonie entre la majorité et la « dyarchie tranquille » du pouvoir ne sera plus la norme. Il y aura une crise de légitimité : un conflit entre le Législatif et l’Exécutif, soit une coexistence de deux légitimités concurrentes. Entrera-t-on alors dans l’âge d’or de l’Assemblée nationale ? Sera-ce une belle démonstration de l’adaptabilité de la norme suprême du 22 janvier 2001 ? Après une éblouissante promenade, Schopenhauer avait rendu un verdict inattendu : « [m]a tâche n’est point de contempler ce que nul n’a encore contemplé, mais de méditer sur ce que tout le monde a devant les yeux ».
Cheikh DIALLO
Journaliste-Ecrivain
Chercheur en Science politique
Ucad