leral.net | S'informer en temps réel

Concession du terminal Vraquier du port à Necotrans: Le gouvernement choisit de lâcher la proie pour l’ombre

D’un côté, il fait la cour aux investisseurs étrangers, de l’autre il chasse ceux déjà établis !


Rédigé par leral.net le Dimanche 18 Mai 2014 à 12:23 | | 0 commentaire(s)|

Concession du terminal Vraquier du port à Necotrans: Le gouvernement choisit de lâcher la proie pour l’ombre
Faut-il parler de lâchage de la proie pour l’ombre ou d’addition à somme nulle ? C’est selon. En février dernier, le Gouvernement, bénéficiant du renfort inattendu du président de la République, en provenance de Chine, avait convié les investisseurs du monde entier au Groupe Consultatif de Paris.

Objectif : « vendre », à travers le Plan Sénégal Emergent (PSE), notre pays présenté comme un paradis du capitalisme avec un environnement des affaires de classe internationale. Et ce même si nous ne sommes pas très loin de la queue du classement Doing Business de la Banque mondiale ! Cherchez l’erreur…

Alors que le Gouvernement, donc, fait les yeux doux et la danse du ventre aux investisseurs internationaux priés de venir mettre leurs capitaux chez nous, peut-on comprendre que, dans le même temps, il fasse des misères à de grands groupes qui n’ont pas attendu cette grand-messe tenue sur les rives de la Seine pour investir des milliards de francs chez nous pour implanter des industries ou exploiter des richesses minières, exporter pour certaines et donc contribuer à améliorer la situation de notre balance des paiements chroniquement déficitaire. Et surtout, surtout, créer des emplois ? Encore une fois, comment voulez-vous attirer des investisseurs étrangers si vous maltraitez ceux d’entre eux qui ont déjà mis leurs billes dans ce pays ?

On pourrait parler de la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) du groupe Mimran, premier employeur privé du pays avec ses quelque 7.000 emplois directs et ses milliards de francs versés chaque année dans les caisses du Trésor public. Une société qui est allée très loin de Dakar, dans la vallée du fleuve Sénégal, dans ce qui était jadis un hameau perdu, Richard-Toll, pour y planter de la canne à sucre et y développer une industrie sucrière. Aujourd’hui, bien que tirant toute l’économie de la région Nord, la CSS est au bord de la cessation d’activités du fait des autorisations d’importation de sucre délivrées par le ministère du Commerce à des commerçants. Dans ses hangars, 55.000 tonnes de sucre sont en souffrance, le marché étant inondé par les exportations.

Comme si cela ne suffisait pas, au moment où ce très grand industriel s’interroge sur l’opportunité de la continuation de ses activités dans notre pays, un autre grand investisseur, le groupe espagnol « Tolsa », un des leaders mondiaux de l’attapulgite, n’est pas loin lui aussi de se poser la même question. Tout au moins, il s’inquiète à juste titre sur son avenir. Propriétaire depuis 1998 de la Compagnie sénégalaise des Phosphates de Thiès (CSPT) — qui a été le premier employeur de l’actuel président de la République lorsqu’il venait tout juste de sortir de l’Institut des sciences de la terre de l’Université de Dakar —, le Groupe Tolsa se fait un sang d’encre actuellement pour sa filiale sénégalaise.

A juste raison. Plutôt que d’être traitée avec des égards comme tout bon investisseur, en effet, la CSPT est poussée dans ses derniers retranchements par le Port autonome de Dakar (PAD) qui, sans concertation, a attribué le terminal vraquier à la société française Necotrans. Et donc toutes les activités de manutention du pondéreux (autre nom du vrac) non alimentaire. Le problème c’est que, sur ce même périmètre concédé à Nécotrans, la CSPT bénéficiait déjà d’une concession accordée depuis 2007 ! Une concession d’une durée de 25 ans donnée en compensation d’un premier immense préjudice causé la même année déjà par l’attribution du môle 7 du Port de Dakar à Dubaï Port World (DPW) pour la réalisation d’un terminal à conteneurs. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur devant la construction d’une infrastructure présentée alors comme étant d’intérêt général — ce que nul ne conteste du reste —, la filiale du groupe Tolsa avait démonté toutes ses installations d’une valeur de 3,5 à 4 milliards de francs.

Chassée comme un malpropre !

Munie d’un contrat de concession en bonne et due forme, elle avait fait appel à la société britannique Balton, spécialisée dans les installations portuaires, pour monter de nouveaux équipements flambant neufs et de dernière génération. Ce pour un investissementvde trois milliards de francs, le matériel et les travaux seulement ayant coûté 2, 427 milliards de francs, le reste représentant les prestations et l’ingénierie. Un chantier terminé en 2009. A peine cinq ans après l’achèvement des travaux dont le coût est loin d’être amorti, voilà que la CSPT est encore sommée comme un malpropre de débarrasser le plancher ! Et ce pour laisser la place à Necotrans, un opérateur qui, par la volonté du directeur général du Port de Dakar, est censé effectuer désormais toutes les opérations de manutention de la CSPT et de tous les autres manutentionnaires qui s’activaient jusque-là dans ce terminal.

Or, la CSPT, en plus d’avoir investi trois milliards dans les équipements de manutention avait déjà été contrainte de démonter et jeter à la poubelle, en 2007, du matériel d’une valeur de quatre milliards de francs. Soit sept milliards en sept ans. Surtout, présente dans notre pays depuis plus de 40 ans — avant son rachat en 1998 par Tolsa, elle appartenait au groupe français Rhône Poulenc —, la Compagnie sénégalaise des Phosphates de Thiès est elle-même un opérateur portuaire consignataire de navires et de marchandises depuis 1972, année à laquelle elle a obtenu un arrêté conjoint des ministères des Travaux publics et des Finances et des affaires économiques pour exercer cette activité.

En même temps, elle est agréée comme manutentionnaire depuis 2008. Elle exploite un ensemble d’équipements fixes destinés à la réception et au stockage de l’attapulgite, des transporteurs, un embranchement ferroviaire au réseau du môle 8 ainsi qu’un portique sur roues, entre autres équipements. Le PAD lui demande de faire table rase de tout cela et de mettre une croix sur son expertise pour confier la manutention de ses produits à Necotrans ! Or l’attapulgite, roche friable, demande justement une manipulation particulière faute de quoi elle s’effrite et devient inutilisable pour les clients qui sont des fabricants de litière pour chats, de compléments alimentaires pour les animaux mais aussi de peinture.

Il s’agit d’un produit d’entrée de gamme vendu à bas prix surtout sur un marché européen en crise — les principaux clients de la CSPT sont la France, les Pays Bas et la Grande-Bretagne. Face à la concurrence de pays plus proches de ces marchés comme le Maroc et la Turquie, il est donc très important de maîtriser les coûts. D’où l’importance d’avoir non seulement un accès direct à la mer, de faire soi-même ses opérations de manutention mais aussi de pouvoir négocier de bons tarifs de fret avec les armateurs. Autant d’atouts que va perdre la CSPT avec l’introduction de la donne Necotrans.

Car là où les frais de chargement sont aujourd’hui de 1.000 francs la tonne, le nouvel opérateur demande 3.800 francs (soit presque quatre fois le tarif actuel !) après avoir envisagé de fixer la barre à 7.000 ! Hors de question, bien sûr, de répercuter un tel surcoût sur le prix du produit face à des clients qui négocient au centime près. Pour les 200.000 tonnes annuelles d’exportation de son attapulgite, la facture du renchérissement du coût des opérations de manutention va se monter à 600.000.000 de francs, soit le résultat net de la CSPT en 2013 ! Laquelle a exporté depuis 2004, à partir du port de Dakar, un total de 2.100.000 tonnes. Voudrait-on donc la contraindre à mettre la clef sous le paillasson qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Le gouvernement balise la voie à… M. Idrissa Seck !

En jeu, 260 emplois permanents essentiellement dans une région de Thiès où, avec la crise de la Société nationale des Chemins de Fer (SNCS) et les soubresauts douloureux des Industries chimiques du Sénégal (ICS), le gouvernement pave décidément le chemin de la victoire aux élections locales du 29 juin prochain aux listes de Reewmi de M. Idrissa Seck — bénéficiant pour l’occasion d’un renfort du PDS — dans les deux départements névralgiques de Thiès et de Tivaouane…

Pour nous résumer : c’est bien beau de faire des clins d’œil aux investisseurs étrangers mais à quoi cela sert-il si, dans le même temps où de nouveaux débarquent dans notre pays, les anciens, c’est-à-dire les historiques qui ont contribué à bâtir l’économie nationale plient bagages ? Ou encore : imaginez que 1.000 milliards de francs d’investissements nouveaux entrent au Sénégal en provoquant la destruction de 1.000 milliards déjà investis, quel est le bénéfice pour le pays ?

Autrement dit : est-il sûr que le Sénégal gagne plus dans l’arrivée d’un nouvel investisseur comme Necotrans que dans la cessation d’activités d’une société comme la CSPT — sans parler du géant CSS ! — ? L’idéal, bien sûr, ce serait d’additionner, guère de substituer. Doit-on vendanger l’existant dans le secteur de la manutention portuaire des pondéreux contre un ticket d’entrée ridicule de deux milliards de francs et 55 emplois permanents (car c’est ce que va créer Necotrans) au risque de lâcher ainsi la proie pour l’ombre ? Au président de la République, par-delà ses ministres, de répondre à ces questions !

Mamadou Oumar Ndiaye

Le Témoin