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Congo-Brazzaville: l'ancien président Pascal Lissouba est décédé

Rédigé par leral.net le Lundi 24 Août 2020 à 13:40 | | 0 commentaire(s)|

Pascal Lissouba, atteint de la maladie d’Alzheimer durant ses dernières années de vie, est décédé ce lundi 24 août à Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales. Le professeur Lissouba aimait cette région française, sa verdure et ses montagnes. Bien loin de Paris et de ses officines. Pascal Lissouba ou le destin d’un scientifique saisi par le politique, à la fois Premier ministre, président et… chef de guerre.


« Je partirai après Omar, Edith Lucie, Chirac et Sassou »… Pascal Lissouba est assis dans un fauteuil de confort, sur la terrasse de la belle villa de Perpignan. Son médecin personnel est à ses côtés. L’ancien directeur de campagne de Pascal Lissouba pour la présidentielle de 1992, Marc Mapingou, se souvient, lui aussi de cette phrase qui claque comme un rappel de l’Histoire du Congo-Brazzaville. « C’était avant qu’Edith Lucie, l’épouse d’Omar Bongo et fille aînée du chef d’État congolais Denis Sassou Nguesso, ne tombe malade et ne décède au Maroc, en mars 2009. Le président Lissouba me dit alors : je partirai après ces quatre-là… » S’agit-il des dernières paroles politiques de l’ancien président congolais ? Au fil des mois, à Perpignan, Pascal Lissouba plonge dans le silence et se coupe du monde, de sa famille et des visiteurs. La maladie envahit l’ancien chef d’État.

Omar m’a tué…

À Marc Mapingou, il confie un jour : « En 1977 Bongo m’a sauvé la vie et en 1997 le même Bongo m’a tué. » Le 18 mars 1977, quelques heures après l’assassinat du président Marien Ngouabi, Pascal Lissouba est mis aux arrêts sur ordre du ministre de la Défense… Denis Sassou-Nguesso. Le 25 mars, une cour martiale le condamne à mort pour complicité dans la conspiration qui conduit à la mort de Ngouabi. Des intellectuels, des hommes de sciences français et africains s’émeuvent. Mais c’est l’intervention d’Omar Bongo Ondimba auprès de Denis Sassou-Nguesso qui permet la libération de Pascal Lissouba. Il évite le peloton d’exécution. Bongo le sauve. Nous sommes en 1977. Vingt ans plus tard, en 1997, Lissouba perd le pouvoir après 5 mois et demi de combats acharnés dans Brazzaville contre le chef rebelle Denis Sassou-Nguesso. Le « professeur » est persuadé que les armes de Sassou transitent par le Gabon, qu’Omar l’a trahi. Avec la bénédiction de Jacques Chirac. Bongo et Chirac, deux « traîtres » à ses yeux.

Document : Pascal Lissouba est élu président du Congo en août 1992. Omar Bongo lui écrit une lettre dans laquelle le président gabonais multiplie les conseils : « Pour un gouvernement du départ, il faut contenter tous les alliés, quitte à réviser ta position par la suite. J’attends ta réaction si cela est possible. Bien fraternellement à toi. »

1992 marque un tournant dans la vie démocratique du Congo. L’élection présidentielle fait paraître 3 grands pôles régionaux : la Cuvette et les régions mbochi qui sont les fiefs de l'ex-parti unique et de son candidat l'ancien président Denis Sassou-Nguesso, le Pool, autour de Brazzaville, où le MCDDI de Bernard Kolélas obtient presque deux tiers des voix et enfin les régions du Niari, Bouenza et Lekoumou (surnommées pays NiBoLek), au sud-ouest, où Pascal Lissouba dépasse 80 % des suffrages. Mais Lissouba n'est pas l'élu de Brazzaville où il ne remporte que 17 % des suffrages. Pour le professeur, Brazza reste un abcès. Tous les observateurs de la vie politique congolaise l’affirment : le paysage du scrutin de 1992 est moins ethnique que régional. Pascal Lissouba veut incarner une modernité régionale, éloignée d’un ethnicisme archaïque. Le Professeur entend tirer l’Afrique par le haut. En février 92, lors d’un meeting, il prononce cette phrase qui marque tous les esprits : « Je suis venu pour vous servir, et non pas pour me servir. » L’homme est populaire dans le NiBoLek, mais pas seulement : il réussit à créer une dynamique de vote en sa faveur dans le Kouilou, les Plateaux et la Sangha. Ce travail de « labourage » électoral a été préparé de longue date : lorsqu’il fonde l’UPADS en juillet 1991, Pascal Lissouba sait s’entourer, notamment de jeunes politiciens, des lieutenants qui parcourent le pays et implantent le parti dans la population. Lissouba a marqué des points et réussit sa campagne électorale.

Mais 1992, c’est aussi cette alliance contre nature avec le PCT et Denis Sassou-Nguesso. Les promesses non tenues par Pascal Lissouba restent en travers de la gorge de Denis Sassou-Nguesso. La rancune est forte et la vengeance est un plat qui se mange froid… Lissouba le comprend cinq ans plus tard, en 1997.

Chirac n’a pas le nez creux
"Nous devons aider Jacques Chirac à transformer en profondeur les problèmes de coopération. Tels qu'ils se posent actuellement, je pense qu'il risque d'y avoir trop de lacunes si l'on poursuit dans ce sens..."

Nous sommes le 18 juillet 1996, à peine un an avant la terrible guerre civile de juin 1997, Jacques Chirac est tout sourire, heureux de fouler la terre de Brazzaville, l’ancienne capitale de la France libre. Le président français prononce un discours devant les deux chambres réunies du Parlement congolais. L’ombre du général de Gaulle plane. D’ailleurs Chirac l’Africain cite à plusieurs reprises l’homme de l’appel du 18 juin. Ses mots résonnent étrangement des années après : « Que ne dit-on sur l’Afrique ! s’exclame du haut du perchoir Jacques Chirac. Depuis quelques années, un pessimisme complaisant s’affiche (…) Finissons-en avec les descriptions apocalyptiques de l’Afrique ! (…) Je salue les Africains qui font mentir les vieux clichés : l’Afrique violente, l’Afrique des féodalités et des prébendes, l’Afrique des fractures ethniques. » Quelques mois plus tard, les rues de Brazzaville sont jonchées de cadavres et tapies de douilles. L’Avenue de la Paix, dans le centre-ville, est un champ de bataille. La Croix-Rouge congolaise, dépassée, profite de quelques accalmies pour ramasser les cadavres, entassés dans les bens de camion, jetés dans des fosses communes creusées à la va vite. Les chiens, ici et là, sont de la « fête » et éventrent des corps rendus flasques par un soleil de plomb. Pour Lissouba, son malheur, sa chute en octobre 1997, vient principalement de deux hommes qui l’ont lâché : Chirac et Bongo.

Perruques blondes, gris-gris et AK 47

Quartier Mpila. 5 heures 45, le 5 juin 1997, deux mois avant la présidentielle prévue du 27 juillet. Le commandant Jean Olessongo Ondaye réveille Denis Sassou-Nguesso. La vaste résidence est encerclée par des éléments de l’armée et des blindés. Sur ordre de Pascal Lissouba. Simple opération de police ? Déploiement pour tuer dans l’œuf un coup d’Etat qui se trame ? Denis Sassou-Nguesso quitte sa résidence et laisse ses miliciens cobras riposter. Brazzaville, cette nuit-là, s’enflamme. Les armes, lourdes et légères, en quelques heures, sortent de toutes parts. De juin à octobre, la guerre fait entre 4 000 et 15 000 victimes. Dans ce chaos installé, on ne compte plus et tout bilan précis est impossible. Les milices Ninjas de Bernard Kolélas et les Zoulous de Lissouba affrontent les Cobras de Sassou. La « mode » libérienne ou sierra-léonaise est arrivée jusqu’à Brazza : les miliciens arborent perruques blondes ou vertes, portent des gris-gris protecteurs autour du coup et des poignets. Les yeux sont vitreux, par manque de sommeil et sous l’effet de drogues.

« J’étais dans mon lit…. »

Cinq jours après le déclenchement de la guerre, Denis Sassou -Nguesso déclare dans le journal français Libération : « Il [Pascal Lissouba] m’a agressé, c’est un fait. Quand je regarde par la fenêtre, je vois encore, à 150 mètres, l’un des blindés qui m’a envoyé une roquette. Mais on ne va pas réduire le conflit à un problème personnel (…) En 5 ans, il a mené deux guerres, la première en 1993, contre Bernard Kolélas dans les quartiers sud et maintenant, la seconde contre moi, dans les quartiers nord de Brazzaville. »

Ailleurs, Sassou affirme : « On ne fait pas un coup d’État en dormant dans son lit. » Côté Lissouba, on est convaincu que Denis Sassou-Nguesso prépare un coup d’Etat. « Nguesso sait qu’il ne peut revenir au pouvoir par les urnes donc il utilise la force. » Pascal Lissouba, au cours de cette nuit du 5 juin, aurait donc voulu couper l’herbe sous le pied de Sassou. « Mais il s’y est pris trop tard, explique un de ses anciens proches. C’était un secret de polichinelle à Brazza que Nguesso s’était lourdement réarmé. C’est vrai par ailleurs que Pascal Lissouba était hanté par l’idée d’être obligé de faire une passation de pouvoir avec Denis Sassou-Nguesso. Je crois que chacun savait que les armes allaient parler, chacun s’y préparait. La guerre était-elle inéluctable ? Je le crois… ». Dans les jours qui suivent le 5 juin, Ouenzé, Poto-Poto, Moungali, Talangaï, Mpila, Mounkondo, les quartiers nord de la capitale se transforment en théâtre d’opérations militaires. Les BM-21, les orgues de Staline, les hélicoptères MI-24 achetés en Kirghizie entrent dans la danse macabre.

Dans la vie civile, il s’appelle Jean-Marie Tassoua et exerce la profession d’assureur-réassureur. Dès juin, il rejoint Denis Sassou-Nguesso. Son nom de guerre : général « Giap ». Métier : conseiller militaire de Sassou. Le général Giap fait un jour cet aveux : « Si nous avons gagné la guerre, c’est grâce aux amis personnels du président Denis Sassou-Nguesso. » Le 12 octobre, les troupes angolaises pénètrent dans le sud-ouest du Congo. Les 13 et 14, Sassou investit tout Brazzaville et Pointe-Noire. Les jeux sont faits. Le professeur Lissouba quitte le Congo le 19. Moins d’une semaine plus tard, Sassou s’installe dans le fauteuil présidentiel.