J’étais convaincu qu’il restait encore des têtes à l’hydre bleue. Je restais également sceptique devant la promesse de Me Wade qu’il allait lire correctement le message envoyé par les électeurs le 22 mars 2009 et en tirerait les leçons. Je n’attends rien de bon de cet homme et j’exprimais ainsi mon pessimisme : « Quelles que soient les mesures que prendra Me Wade, elles ne me rassureront pas : elles auront toujours des soubassements politiciens. Ce n’est pas à 84 ans – d’autres disent infiniment plus – que cet homme va changer. Nous devons donc rester fermement sur nos gardes. »
Je suis donc le dernier à être surpris de la tragi-comédie que nous vivons avec ce politicien pur et dur, depuis le 1er mai 2009. Il est ce qu’il est et le restera pour la vie. Il n’y a plus de limites devant lui : il les a toutes allègrement franchies. Nous ne devrions plus nous étonner ou nous indigner de ses propos, gestes, choix, et quels qu’ils soient. Dof du jòmmi, dit un proverbe bien de chez nous. Dans mes contributions, j’attire souvent l’attention sur le syndrome Bourguiba qui rôde autour du palais de la République. Il y a carrément élu domicile maintenant. La page Me Wade va donc être tournée, d’une manière ou d’une autre. Pour autant cependant, nous ne serons pas forcément débarrassés de l’hydre bleue. Nous pourrions avoir à faire face un à un danger plus grand encore, incarné par l’un de ses fils. Tous les deux sont mis aujourd’hui en selle : le premier en héritant d’un hyper ministère dans le « nouveau » gouvernement, le second ayant bénéficié du non-lieu total dans ces rocambolesques « Chantiers de Thiès ». Dans ce texte, c’est le second qui retient mon attention.
« Idrissa Seck totalement blanchi », « Idrissa Seck blanc comme neige », « Idrissa Seck blanc comme une colombe ». Ce sont là quelques expressions qu’on lit à la « Une » de certains journaux depuis hier 5 mai 2009. Je suis tenté de me poser cette question à l’ivoirienne : « Blanchi, c’est quoi même ? » Idrissa Seck totalement blanchi ! Je serai le dernier à y croire. Même si cette rocambolesque affaire dite des « Chantiers de Thiès » a des soubassements manifestement politiques et politiciens, elle comporte des zones d’ombres qui sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. J’étais aussi sceptique devant le non-lieu accordé à de Salif Ba, ancien directeur du Pcrpe et ancien Ministre de la Construction, de l’Habitat et du Patrimoine bâti. Jusqu’à preuve du contraire, je ne croirai jamais à l’innocence des bénéficiaires des non-lieux de l’alternance. Qui n’est pas finalement blanc dans ce pays ? Salif Ba et Idrissa Seck le sont, après bien d’autres compatriotes lourdement épinglés par nos structures de contrôle, notamment la Cour des Comptes. Les anciens directeurs généraux Ibrahima Sarr, Assane Diagne, Adama Sall, Sada Ndiaye et de nombreux autres se sont trouvés comme par enchantement blanchis par les non-lieux de l’alternance. Et, à supposer qu’Idrissa Seck soit « blanc comme neige » dans cette affaire dite des « Chantiers de Thiès », son nom reste étroitement lié à de nombreuses autres louches affaires, pour quelqu’un qui aspire à devenir le quatrième président de la République du Sénégal.
Il est vrai qu’il peut compter sur le penchant des Sénégalais à vite oublier. Pour ce qui me concerne, je refuse de tomber dans ce travers et rappellerai toujours certaines affaires le concernant et certaines questions cruciales auxquelles il se garde jusqu’ici de répondre clairement, préférant s’abriter facilement derrière des versets du Coran et des hadiths. Il me revient en particulier les accusations publiques gravissimes de Me Ousmane Ngom, qui venait de retrouver la « maison du père » et avait besoin, partant, de se faire pardonner sa trahison d’avant le 19 mars 2000. C’était lors d’une longue interview accordée à L’Observateur du 26 avril 2004. Cinq jours plus tôt, M. Seck était limogé de ses fonctions de Premier ministre. Me Ngom n’avait pas alors raté son ennemi (le mot n’est pas trop fort).
Après avoir traité au passage M. Seck de Raspoutine africain et l’avoir accusé de félonie, de ruse, de boulimie de pouvoir, d’argent et de possession, de perfidie, de séduction (par le Coran) et de blasphème, Me Ngom évoque « le scandale de l’achat du nom de domaine de la Sonatel. Com sous le faux nom de Paul Stewart avec une fausse adresse aux Etats-Unis », ainsi que « le scandale des autorisations d’importer des véhicules avec un réseau national et un réseau international ». Me Ngom ne s’arrête pas en si bon chemin et va bien plus loin encore dans ses graves accusations. Ainsi, assène-t-il, « au Ministère du Commerce, Idrissa avait fixé des objectifs financiers (comprenez des valises ou grosses enveloppes qu’ils devaient lui remettre chaque semaine) et ceux qui faisaient de la résistance ont été limogés sans ménagement ». Mme Khady Diagne, son ancienne directrice de cabinet et ancienne Directrice générale de la Sodida, aurait payé sa résistance par un long séjour en prison (24 mois). C’était dans le cadre audits (politiciens) commandités par le premier gouvernement de l’alternance.
Me Ousmane Ngom se fait ensuite le malin plaisir de rappeler cette phrase qu’Abdourahim Agne aurait lancée un jour à la figure de M. Seck : « Tout le monde peut parler de corruption au Sénégal sauf toi, Idrissa. » L’avocat poursuit son sévère réquisitoire en ironisant à l’envi : « Je ne parle pas des scandales plus récents, depuis l’avènement de l’alternance, qui sont cent fois plus énormes, avec des transferts massifs de fonds en Europe, en Australie, aux Etats-Unis et j’en passe. Sans parler des acquisitions immobilières à Paris, à Lille, aux USA, à Dakar et surtout à Thiès où la moitié de la ville a été achetée par Idrissa Seck et son clan. » Comme pour lui donner le coup de grâce, Me Ngom assène : « C’est quand même scandaleux pour quelqu’un qui, à la veille de l’alternance, a laissé des arriérés de loyers à l’Agence immobilière, qui lui louait son cabinet. » Il persiste dans l’ironie en disant qu’il passe sous silence « les relations troubles et équivoques qu’Idrissa Seck a entretenues avec le Parti socialiste, depuis Jean Collin, avec la fameuse lettre destinée à compromettre Wade, son exfiltration par Ibrahima Niang ex-Dg des Chemins de fer vers les USA, alors que nous étions en prison Wade et moi. » L’interview comporte de nombreuses autres accusations aussi graves les unes que les autres. Pour toute réponse à ces graves accusations, Idrissa Seck s’était contenté de citer un verset du Coran. Nous ne nous suffisons pas de cette maigre réponse, de la part de quelqu’un qui aspire assumer un jour les charges de président de la République. C’est surtout suspect que M. Seck ne traduise pas en justice son ennemi, pour qu’il apporte les preuves de ses graves accusations.
Notre futur quatrième président de la République du Sénégal était aussi au cœur de la gestion particulièrement nébuleuse des fonds spécifiques (communément appelés fonds politiques) du président de la République. On se souvient que, suite à une résolution de mise en accusation devant la Haute Cour de Justice votée par l’Assemblée nationale, M. Seck fait des révélations fracassantes devant la Commission d’instruction de ladite Cour. Ces révélations, terrifiantes pour la République, la Démocratie et la bonne gouvernance, étaient largement relayées par les quotidiens de la place, notamment par Le Quotidien du 17 janvier 2 006 (p.5) et Walfadjri du 20 janvier 2 006 (p.3). Concernant ces fonds spécifiques, l’autorisation annuelle de l’Assemblée nationale n’a jamais dépassé 650 millions de francs Cfa. Or, dans ce cadre, le président Wade, le « fils d’emprunt » et le fils biologique ont eu à gérer des dizaines, voire des centaines de milliards, à travers des comptes ouverts notamment à la Cbao, à la Sgbs et en France. Les mouvements rocambolesques dans ces comptes révèlent que, au contact du pouvoir, la première préoccupation de nos trois acolytes était d’abord de mettre rapidement fin à leurs soucis financiers. Les révélations de l’ancien Premier ministre concernant ces fameux mouvements ont été chaque fois confirmées par les autorités des deux banques. C’est du moins ce qu’affirment les deux quotidiens.
Ce 23 décembre 2 005, Idrissa Seck révèle devant la Commission d’instruction qu’un certain Victor Kantoussan a touché, « en l’espace d’une semaine, cinq chèques d’un milliard chacun ». Interrogé par la Commission, ce M. Kantoussan répond tout naturellement : « Je suis un coursier et j’agis sur instruction de mon patron ». Son patron était justement l’omniprésent Karim Wade, dont il était le garde de corps. Le directeur général de la Cbao interrogé reconnaîtra également avoir consenti à la présidence de la République un prêt de 2 milliards, pour acheter des véhicules Peugeot 607, destinés à renouveler le parking de la présidence (ce parking devait être vraiment fourni). Le prêt sera soldé six mois après grâce à des fonds koweitiens (sic). La même banque consentira deux prêts d’un milliard chacun à un certain Ibrahima Abdoul Khalil dit Bibo, avec une caution et une garantie de Karim Wade (toujours lui) et de Papa Diop, alors président de l’Assemblée nationale. Les deux prêts seront, eux aussi, remboursés les 26 et 29 juin 2 001 par des fonds en provenance de l’étranger (encore !). De nombreux autres prêts complaisants contractés à titre personnel par des « personnalités » du régime libéral et des particuliers seront épongés dans le cadre des comptes de la Cbao et de la Sgbs. Donc, avec l’argent du contribuable.
Tous ces scandales sont déjà connus, mais il convient de les rappeler constamment, et de se poser des questions légitimes. Comment ces quatre compères (le père, les deux fils et l’ancien président de l’Assemblée nationale) osent-ils, après tous ces forfaits dans lesquels ils ont pataugé, nous regarder les yeux dans les yeux ? Comment mes compatriotes ont-ils pu fermer hermétiquement et trop facilement les yeux sur ces graves forfaits de Me Wade et de son régime nauséabond ? Comment se sont-ils surtout permis, le 25 février 2 007, d’accorder 70 % de leurs suffrages au « père » et au « fils d’emprunt », dont la place devrait être au meilleur des cas en prison, et au pire en enfer ?
Ce Idrissa Seck-là blanc ! Je ne le crois pas du tout et je ne le croirai jamais. C’est d’ailleurs lui-même qui, consciemment ou inconsciemment, me conforte dans ma conviction, verse beaucoup d’eau au moulin de Me Ngom, et alimente toutes les rumeurs qui font état de son immense fortune. N’est-ce pas lui qui, lors de la campagne pour l’élection présidentielle du 25 février 2 007, a fait étalage sans état d’âme d’énormes moyens ? Auparavant, il avait déclaré, depuis Ziguinchor et devant un parterre de partenaires au développement, qu’il est né pauvre, mais qu’il est devenu riche. Cette déclaration avait soulevé des vagues et les journalistes profitaient de toutes les opportunités pour lui demander l’origine de sa fortune subite. Acculé lors de l’émission « Grand Jury » de la radio privée Rfm du 29 octobre 2006 dont il était l’invité, il répondit ceci : « Je ne me suis pas enrichi à la faveur du pouvoir. Les seules ressources que mon passage au pouvoir a mises à ma disposition et qui renforcent mes moyens d’intervention politique et sociale, ce sont les fonds politiques que le Président de la République lui-même m’a discrètement alloués. » Voilà l’aveu, l’aveu de taille ! Il ne pouvait pas être plus clair. Ces fonds spécifiques devaient être vraiment consistants. Ils l’étaient effectivement et c’est lui-même qui l’a révélé devant la Commission d’instruction de la Haute Cour de Justice. A la question de savoir d’où provenaient les dizaines de milliards qu’il gérait dans ce cadre, il répondit sans fard : « Des fonds diplomatiques et autres aides budgétaires que Me Wade ramenait de ses nombreux voyage. » Il ajoutera que, sur instruction du Chef de l’Etat, il en a fait profiter à des chefs religieux, à de hauts magistrats, à des officiers supérieurs et généraux de l’Armée nationale, à des ministres de souveraineté, etc. Il avait d’ailleurs pris le soin de préciser, de façon cynique, que chacun des bénéficiaires émargeait pour 1500000 francs Cfa par mois et qu’il détenait par devers lui l’état des émargements.
En d’autres termes, les fonds spécifiques étaient alimentés par de l’argent détourné de sa destination normale : le trésor public. Des compatriotes bien choisis en profitaient largement, y compris, naturellement, lui-même. C’est donc à partir de ces fonds, de l’argent du contribuable, qu’il a constitué sa fortune. Il a donc menti et nous en administre lui-même la preuve. Ne proclamait-il pas, en effet, sous tous les toits, que jusqu’à l’extinction du soleil, un seul franc non licite ne pouvait lui être imputé ? Il reconnaît officiellement s’être enrichi à partir des fonds spécifiques que le président de la République lui a discrètement alloués ! A partir donc de milliards détournés, qui n’ont rien à voir avec les fonds légaux autorisés par l’Assemblée nationale, et qui ne dépassent pas 650 millions de francs Cfa. Nous n’avons donc pas attendu l’extinction du soleil, c’est-à-dire huit milliards d’années, pour découvrir qu’Idrissa Seck est un voleur et un sacré menteur.
Nous retrouvons notre futur quatrième président de la République au cœur d’une autre fétide affaire : le fameux « protocole de Rebeusse ». Avec comme autre acteur son acolyte de toujours : Me Abdoulaye Wade. Le quotidien Walf Grand-Place, dans son édition du lundi 6 février 2006, affirmait sans ambages être en mesure, de sources dignes de foi, de « révéler qu’Idrissa Seck est en train de verser une partie de l’argent, objet de son différend avec le président Wade ». « De l’argent, précisait le quotidien, qui n’a rien à voir avec l’affaire dite des chantiers de Thiès ». Cet argent qui opposait – et oppose encore probablement – le Président de la République à son ancien bras droit était estimé, selon Walf Grand-Place, à quelque 60 milliards de francs Cfa. Le même journal révélait qu’un « long et serré marchandage » a permis de convaincre Idrissa Seck de verser une partie de l’argent à son ex-père. C’est ainsi que, poursuivait le journal, le maire de Thiès a déjà versé 7 milliards, devrait encore verser 10 milliards à sa sortie de prison et 10 autres dans les six prochains mois. Ce qui ferait un total de 27 milliards sur les 60 qu’Idrissa aurait planqués quelque part dans le monde.
Tout cela était quand même grave, très grave et j’avais très peur, à l’époque, pour mon ami Jean Meïssa Diop. Je pensais qu’à tout moment la Dic allait venir le cueillir. Paradoxalement, les deux acteurs principaux gardaient le profil bas et se signalaient par un silence assourdissant. Je comprendrai plus tard le sens de ce silence : les deux acolytes n’avaient pas le choix, car le journal de Jean Meïssa avait parfaitement raison. C’est Me Wade lui-même qui nous en administrera la preuve irréfutable, piqué on ne sait par quelle mouche.
Nous nous souvenons encore de sa sortie malheureuse et inquiétante à la télévision « nationale », le jour même de la proclamation provisoire (par la Cour d’Appel) de sa réélection au scrutin présidentiel du 25 février 2007. Ce 1er mars 2007, il s’est découvert et a révélé, comme dans un ndëpp (exorcisme), des choses très graves, notamment sur son fameux différend avec son ex-fil putatif. Le peuple a été ahuri de le voir brandir un protocole d’accord au terme duquel l’ex-Premier ministre s’engageait à lui verser sept milliards de francs Cfa, à lui Abdoulaye Wade et sept autres milliards plus tard. De sa bouche, nous avons appris – beaucoup le savaient déjà d’ailleurs – que les fonds spéciaux qui sont une autorisation de l’Assemblée nationale, s’élèvent à environ 620 millions de francs Cfa et, qu’avec Idrissa Seck, qui « glanait des fonds à droite et à gauche », ils sont montés à 14 milliards. Me Wade, toujours lui, révélait également, sans que personne ne l’y obligeât vraiment, que le même Idrissa Seck a planqué des dizaines de milliards à l’étranger. Il fit même cette terrifiante révélation, comme s’il avait vraiment bu du yassi (breuvage qui brouille la raison) : « Nous étions dans une sorte de jeu d’échec à distance. Il m’a demandé à sortir de prison (sic). Je lui ai demandé de rapporter l’argent qu’il avait pris. Et il s’est engagé à rembourser l’argent qu’il avait pris. » Et pour se faire plus convaincant et nous étonner encore plus, le président nouvellement réélu brandit, le fameux « Protocole de Reubeuss ». Ce document en date du 29 décembre 2 005, qui confirme Walf Grand-Place du 6 février 2006, sera publié dans plusieurs journaux. Me Wade continue avec la même verve son ndëpp : « Nous pensons qu’il y a entre quarante milliards et plus déposés dans un compte trust à New York chez un avocat. La Justice a fait des commissions rogatoires dans le cadre des accords judiciaires (…). La France a donné un rapport (et, de ce pays), nous avons reçu pratiquement toutes les informations. Il reste le Luxembourg, la Suisse et surtout les Etats-Unis. » Me Wade ajoute que les tentatives de l’ancien Premier ministre de planquer des milliards au Luxembourg se sont soldées par un échec, les autorités de ce pays s’y étant opposées. Nous nous souvenons encore qu’il martelait, en se frappant la poitrine : « Je peux lui pardonner tous les torts qu’il m’a portés, mais l’argent du contribuable, jamais ! »
Voilà le « fils d’emprunt », l’acolyte, le compère de Me Wade qu’on nous présente aujourd’hui comme blanc, et qui se croit investi d’une mission presque divine. Voilà le menteur, le voleur, l’homme cynique et tortueux qui aspire à nous gouverner. Comme son « frère », le fils biologique. Nous laisserons-nous vraiment faire, après le martyre que nous avons déjà souffert, avec les meurtrissures de la déjà trop longue gouvernance de leur père dont ils sont, sur bien des points, le portrait tout craché ? Je ne crois quand même pas que nous soyons candidats au suicide collectif. Sept ou quatorze années avec l’un ou l’autre des deux fils, à la suite immédiate des douze années avec le père, c’est pire que le suicide collectif, c’est pire que tout ce l’on peut imaginer. Sommes-nous vraiment prêts à accepter ce scénario catastrophe pour notre pauvre pays?
MODY NIANG
Je suis donc le dernier à être surpris de la tragi-comédie que nous vivons avec ce politicien pur et dur, depuis le 1er mai 2009. Il est ce qu’il est et le restera pour la vie. Il n’y a plus de limites devant lui : il les a toutes allègrement franchies. Nous ne devrions plus nous étonner ou nous indigner de ses propos, gestes, choix, et quels qu’ils soient. Dof du jòmmi, dit un proverbe bien de chez nous. Dans mes contributions, j’attire souvent l’attention sur le syndrome Bourguiba qui rôde autour du palais de la République. Il y a carrément élu domicile maintenant. La page Me Wade va donc être tournée, d’une manière ou d’une autre. Pour autant cependant, nous ne serons pas forcément débarrassés de l’hydre bleue. Nous pourrions avoir à faire face un à un danger plus grand encore, incarné par l’un de ses fils. Tous les deux sont mis aujourd’hui en selle : le premier en héritant d’un hyper ministère dans le « nouveau » gouvernement, le second ayant bénéficié du non-lieu total dans ces rocambolesques « Chantiers de Thiès ». Dans ce texte, c’est le second qui retient mon attention.
« Idrissa Seck totalement blanchi », « Idrissa Seck blanc comme neige », « Idrissa Seck blanc comme une colombe ». Ce sont là quelques expressions qu’on lit à la « Une » de certains journaux depuis hier 5 mai 2009. Je suis tenté de me poser cette question à l’ivoirienne : « Blanchi, c’est quoi même ? » Idrissa Seck totalement blanchi ! Je serai le dernier à y croire. Même si cette rocambolesque affaire dite des « Chantiers de Thiès » a des soubassements manifestement politiques et politiciens, elle comporte des zones d’ombres qui sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. J’étais aussi sceptique devant le non-lieu accordé à de Salif Ba, ancien directeur du Pcrpe et ancien Ministre de la Construction, de l’Habitat et du Patrimoine bâti. Jusqu’à preuve du contraire, je ne croirai jamais à l’innocence des bénéficiaires des non-lieux de l’alternance. Qui n’est pas finalement blanc dans ce pays ? Salif Ba et Idrissa Seck le sont, après bien d’autres compatriotes lourdement épinglés par nos structures de contrôle, notamment la Cour des Comptes. Les anciens directeurs généraux Ibrahima Sarr, Assane Diagne, Adama Sall, Sada Ndiaye et de nombreux autres se sont trouvés comme par enchantement blanchis par les non-lieux de l’alternance. Et, à supposer qu’Idrissa Seck soit « blanc comme neige » dans cette affaire dite des « Chantiers de Thiès », son nom reste étroitement lié à de nombreuses autres louches affaires, pour quelqu’un qui aspire à devenir le quatrième président de la République du Sénégal.
Il est vrai qu’il peut compter sur le penchant des Sénégalais à vite oublier. Pour ce qui me concerne, je refuse de tomber dans ce travers et rappellerai toujours certaines affaires le concernant et certaines questions cruciales auxquelles il se garde jusqu’ici de répondre clairement, préférant s’abriter facilement derrière des versets du Coran et des hadiths. Il me revient en particulier les accusations publiques gravissimes de Me Ousmane Ngom, qui venait de retrouver la « maison du père » et avait besoin, partant, de se faire pardonner sa trahison d’avant le 19 mars 2000. C’était lors d’une longue interview accordée à L’Observateur du 26 avril 2004. Cinq jours plus tôt, M. Seck était limogé de ses fonctions de Premier ministre. Me Ngom n’avait pas alors raté son ennemi (le mot n’est pas trop fort).
Après avoir traité au passage M. Seck de Raspoutine africain et l’avoir accusé de félonie, de ruse, de boulimie de pouvoir, d’argent et de possession, de perfidie, de séduction (par le Coran) et de blasphème, Me Ngom évoque « le scandale de l’achat du nom de domaine de la Sonatel. Com sous le faux nom de Paul Stewart avec une fausse adresse aux Etats-Unis », ainsi que « le scandale des autorisations d’importer des véhicules avec un réseau national et un réseau international ». Me Ngom ne s’arrête pas en si bon chemin et va bien plus loin encore dans ses graves accusations. Ainsi, assène-t-il, « au Ministère du Commerce, Idrissa avait fixé des objectifs financiers (comprenez des valises ou grosses enveloppes qu’ils devaient lui remettre chaque semaine) et ceux qui faisaient de la résistance ont été limogés sans ménagement ». Mme Khady Diagne, son ancienne directrice de cabinet et ancienne Directrice générale de la Sodida, aurait payé sa résistance par un long séjour en prison (24 mois). C’était dans le cadre audits (politiciens) commandités par le premier gouvernement de l’alternance.
Me Ousmane Ngom se fait ensuite le malin plaisir de rappeler cette phrase qu’Abdourahim Agne aurait lancée un jour à la figure de M. Seck : « Tout le monde peut parler de corruption au Sénégal sauf toi, Idrissa. » L’avocat poursuit son sévère réquisitoire en ironisant à l’envi : « Je ne parle pas des scandales plus récents, depuis l’avènement de l’alternance, qui sont cent fois plus énormes, avec des transferts massifs de fonds en Europe, en Australie, aux Etats-Unis et j’en passe. Sans parler des acquisitions immobilières à Paris, à Lille, aux USA, à Dakar et surtout à Thiès où la moitié de la ville a été achetée par Idrissa Seck et son clan. » Comme pour lui donner le coup de grâce, Me Ngom assène : « C’est quand même scandaleux pour quelqu’un qui, à la veille de l’alternance, a laissé des arriérés de loyers à l’Agence immobilière, qui lui louait son cabinet. » Il persiste dans l’ironie en disant qu’il passe sous silence « les relations troubles et équivoques qu’Idrissa Seck a entretenues avec le Parti socialiste, depuis Jean Collin, avec la fameuse lettre destinée à compromettre Wade, son exfiltration par Ibrahima Niang ex-Dg des Chemins de fer vers les USA, alors que nous étions en prison Wade et moi. » L’interview comporte de nombreuses autres accusations aussi graves les unes que les autres. Pour toute réponse à ces graves accusations, Idrissa Seck s’était contenté de citer un verset du Coran. Nous ne nous suffisons pas de cette maigre réponse, de la part de quelqu’un qui aspire assumer un jour les charges de président de la République. C’est surtout suspect que M. Seck ne traduise pas en justice son ennemi, pour qu’il apporte les preuves de ses graves accusations.
Notre futur quatrième président de la République du Sénégal était aussi au cœur de la gestion particulièrement nébuleuse des fonds spécifiques (communément appelés fonds politiques) du président de la République. On se souvient que, suite à une résolution de mise en accusation devant la Haute Cour de Justice votée par l’Assemblée nationale, M. Seck fait des révélations fracassantes devant la Commission d’instruction de ladite Cour. Ces révélations, terrifiantes pour la République, la Démocratie et la bonne gouvernance, étaient largement relayées par les quotidiens de la place, notamment par Le Quotidien du 17 janvier 2 006 (p.5) et Walfadjri du 20 janvier 2 006 (p.3). Concernant ces fonds spécifiques, l’autorisation annuelle de l’Assemblée nationale n’a jamais dépassé 650 millions de francs Cfa. Or, dans ce cadre, le président Wade, le « fils d’emprunt » et le fils biologique ont eu à gérer des dizaines, voire des centaines de milliards, à travers des comptes ouverts notamment à la Cbao, à la Sgbs et en France. Les mouvements rocambolesques dans ces comptes révèlent que, au contact du pouvoir, la première préoccupation de nos trois acolytes était d’abord de mettre rapidement fin à leurs soucis financiers. Les révélations de l’ancien Premier ministre concernant ces fameux mouvements ont été chaque fois confirmées par les autorités des deux banques. C’est du moins ce qu’affirment les deux quotidiens.
Ce 23 décembre 2 005, Idrissa Seck révèle devant la Commission d’instruction qu’un certain Victor Kantoussan a touché, « en l’espace d’une semaine, cinq chèques d’un milliard chacun ». Interrogé par la Commission, ce M. Kantoussan répond tout naturellement : « Je suis un coursier et j’agis sur instruction de mon patron ». Son patron était justement l’omniprésent Karim Wade, dont il était le garde de corps. Le directeur général de la Cbao interrogé reconnaîtra également avoir consenti à la présidence de la République un prêt de 2 milliards, pour acheter des véhicules Peugeot 607, destinés à renouveler le parking de la présidence (ce parking devait être vraiment fourni). Le prêt sera soldé six mois après grâce à des fonds koweitiens (sic). La même banque consentira deux prêts d’un milliard chacun à un certain Ibrahima Abdoul Khalil dit Bibo, avec une caution et une garantie de Karim Wade (toujours lui) et de Papa Diop, alors président de l’Assemblée nationale. Les deux prêts seront, eux aussi, remboursés les 26 et 29 juin 2 001 par des fonds en provenance de l’étranger (encore !). De nombreux autres prêts complaisants contractés à titre personnel par des « personnalités » du régime libéral et des particuliers seront épongés dans le cadre des comptes de la Cbao et de la Sgbs. Donc, avec l’argent du contribuable.
Tous ces scandales sont déjà connus, mais il convient de les rappeler constamment, et de se poser des questions légitimes. Comment ces quatre compères (le père, les deux fils et l’ancien président de l’Assemblée nationale) osent-ils, après tous ces forfaits dans lesquels ils ont pataugé, nous regarder les yeux dans les yeux ? Comment mes compatriotes ont-ils pu fermer hermétiquement et trop facilement les yeux sur ces graves forfaits de Me Wade et de son régime nauséabond ? Comment se sont-ils surtout permis, le 25 février 2 007, d’accorder 70 % de leurs suffrages au « père » et au « fils d’emprunt », dont la place devrait être au meilleur des cas en prison, et au pire en enfer ?
Ce Idrissa Seck-là blanc ! Je ne le crois pas du tout et je ne le croirai jamais. C’est d’ailleurs lui-même qui, consciemment ou inconsciemment, me conforte dans ma conviction, verse beaucoup d’eau au moulin de Me Ngom, et alimente toutes les rumeurs qui font état de son immense fortune. N’est-ce pas lui qui, lors de la campagne pour l’élection présidentielle du 25 février 2 007, a fait étalage sans état d’âme d’énormes moyens ? Auparavant, il avait déclaré, depuis Ziguinchor et devant un parterre de partenaires au développement, qu’il est né pauvre, mais qu’il est devenu riche. Cette déclaration avait soulevé des vagues et les journalistes profitaient de toutes les opportunités pour lui demander l’origine de sa fortune subite. Acculé lors de l’émission « Grand Jury » de la radio privée Rfm du 29 octobre 2006 dont il était l’invité, il répondit ceci : « Je ne me suis pas enrichi à la faveur du pouvoir. Les seules ressources que mon passage au pouvoir a mises à ma disposition et qui renforcent mes moyens d’intervention politique et sociale, ce sont les fonds politiques que le Président de la République lui-même m’a discrètement alloués. » Voilà l’aveu, l’aveu de taille ! Il ne pouvait pas être plus clair. Ces fonds spécifiques devaient être vraiment consistants. Ils l’étaient effectivement et c’est lui-même qui l’a révélé devant la Commission d’instruction de la Haute Cour de Justice. A la question de savoir d’où provenaient les dizaines de milliards qu’il gérait dans ce cadre, il répondit sans fard : « Des fonds diplomatiques et autres aides budgétaires que Me Wade ramenait de ses nombreux voyage. » Il ajoutera que, sur instruction du Chef de l’Etat, il en a fait profiter à des chefs religieux, à de hauts magistrats, à des officiers supérieurs et généraux de l’Armée nationale, à des ministres de souveraineté, etc. Il avait d’ailleurs pris le soin de préciser, de façon cynique, que chacun des bénéficiaires émargeait pour 1500000 francs Cfa par mois et qu’il détenait par devers lui l’état des émargements.
En d’autres termes, les fonds spécifiques étaient alimentés par de l’argent détourné de sa destination normale : le trésor public. Des compatriotes bien choisis en profitaient largement, y compris, naturellement, lui-même. C’est donc à partir de ces fonds, de l’argent du contribuable, qu’il a constitué sa fortune. Il a donc menti et nous en administre lui-même la preuve. Ne proclamait-il pas, en effet, sous tous les toits, que jusqu’à l’extinction du soleil, un seul franc non licite ne pouvait lui être imputé ? Il reconnaît officiellement s’être enrichi à partir des fonds spécifiques que le président de la République lui a discrètement alloués ! A partir donc de milliards détournés, qui n’ont rien à voir avec les fonds légaux autorisés par l’Assemblée nationale, et qui ne dépassent pas 650 millions de francs Cfa. Nous n’avons donc pas attendu l’extinction du soleil, c’est-à-dire huit milliards d’années, pour découvrir qu’Idrissa Seck est un voleur et un sacré menteur.
Nous retrouvons notre futur quatrième président de la République au cœur d’une autre fétide affaire : le fameux « protocole de Rebeusse ». Avec comme autre acteur son acolyte de toujours : Me Abdoulaye Wade. Le quotidien Walf Grand-Place, dans son édition du lundi 6 février 2006, affirmait sans ambages être en mesure, de sources dignes de foi, de « révéler qu’Idrissa Seck est en train de verser une partie de l’argent, objet de son différend avec le président Wade ». « De l’argent, précisait le quotidien, qui n’a rien à voir avec l’affaire dite des chantiers de Thiès ». Cet argent qui opposait – et oppose encore probablement – le Président de la République à son ancien bras droit était estimé, selon Walf Grand-Place, à quelque 60 milliards de francs Cfa. Le même journal révélait qu’un « long et serré marchandage » a permis de convaincre Idrissa Seck de verser une partie de l’argent à son ex-père. C’est ainsi que, poursuivait le journal, le maire de Thiès a déjà versé 7 milliards, devrait encore verser 10 milliards à sa sortie de prison et 10 autres dans les six prochains mois. Ce qui ferait un total de 27 milliards sur les 60 qu’Idrissa aurait planqués quelque part dans le monde.
Tout cela était quand même grave, très grave et j’avais très peur, à l’époque, pour mon ami Jean Meïssa Diop. Je pensais qu’à tout moment la Dic allait venir le cueillir. Paradoxalement, les deux acteurs principaux gardaient le profil bas et se signalaient par un silence assourdissant. Je comprendrai plus tard le sens de ce silence : les deux acolytes n’avaient pas le choix, car le journal de Jean Meïssa avait parfaitement raison. C’est Me Wade lui-même qui nous en administrera la preuve irréfutable, piqué on ne sait par quelle mouche.
Nous nous souvenons encore de sa sortie malheureuse et inquiétante à la télévision « nationale », le jour même de la proclamation provisoire (par la Cour d’Appel) de sa réélection au scrutin présidentiel du 25 février 2007. Ce 1er mars 2007, il s’est découvert et a révélé, comme dans un ndëpp (exorcisme), des choses très graves, notamment sur son fameux différend avec son ex-fil putatif. Le peuple a été ahuri de le voir brandir un protocole d’accord au terme duquel l’ex-Premier ministre s’engageait à lui verser sept milliards de francs Cfa, à lui Abdoulaye Wade et sept autres milliards plus tard. De sa bouche, nous avons appris – beaucoup le savaient déjà d’ailleurs – que les fonds spéciaux qui sont une autorisation de l’Assemblée nationale, s’élèvent à environ 620 millions de francs Cfa et, qu’avec Idrissa Seck, qui « glanait des fonds à droite et à gauche », ils sont montés à 14 milliards. Me Wade, toujours lui, révélait également, sans que personne ne l’y obligeât vraiment, que le même Idrissa Seck a planqué des dizaines de milliards à l’étranger. Il fit même cette terrifiante révélation, comme s’il avait vraiment bu du yassi (breuvage qui brouille la raison) : « Nous étions dans une sorte de jeu d’échec à distance. Il m’a demandé à sortir de prison (sic). Je lui ai demandé de rapporter l’argent qu’il avait pris. Et il s’est engagé à rembourser l’argent qu’il avait pris. » Et pour se faire plus convaincant et nous étonner encore plus, le président nouvellement réélu brandit, le fameux « Protocole de Reubeuss ». Ce document en date du 29 décembre 2 005, qui confirme Walf Grand-Place du 6 février 2006, sera publié dans plusieurs journaux. Me Wade continue avec la même verve son ndëpp : « Nous pensons qu’il y a entre quarante milliards et plus déposés dans un compte trust à New York chez un avocat. La Justice a fait des commissions rogatoires dans le cadre des accords judiciaires (…). La France a donné un rapport (et, de ce pays), nous avons reçu pratiquement toutes les informations. Il reste le Luxembourg, la Suisse et surtout les Etats-Unis. » Me Wade ajoute que les tentatives de l’ancien Premier ministre de planquer des milliards au Luxembourg se sont soldées par un échec, les autorités de ce pays s’y étant opposées. Nous nous souvenons encore qu’il martelait, en se frappant la poitrine : « Je peux lui pardonner tous les torts qu’il m’a portés, mais l’argent du contribuable, jamais ! »
Voilà le « fils d’emprunt », l’acolyte, le compère de Me Wade qu’on nous présente aujourd’hui comme blanc, et qui se croit investi d’une mission presque divine. Voilà le menteur, le voleur, l’homme cynique et tortueux qui aspire à nous gouverner. Comme son « frère », le fils biologique. Nous laisserons-nous vraiment faire, après le martyre que nous avons déjà souffert, avec les meurtrissures de la déjà trop longue gouvernance de leur père dont ils sont, sur bien des points, le portrait tout craché ? Je ne crois quand même pas que nous soyons candidats au suicide collectif. Sept ou quatorze années avec l’un ou l’autre des deux fils, à la suite immédiate des douze années avec le père, c’est pire que le suicide collectif, c’est pire que tout ce l’on peut imaginer. Sommes-nous vraiment prêts à accepter ce scénario catastrophe pour notre pauvre pays?
MODY NIANG