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Controverse au sein de la gendarmerie : Quel contrôle du secteur de la sécurité au Sénégal ?

Le livre du colonel Ndaw et ses dégâts collatéraux imposent à l’esprit l’image de l’ouverture de la boite de Pandore. Par curiosité - on parlerait plutôt aujourd’hui d’une soif de transparence absolue - Pandore rompit sa promesse de discrétion et ouvrit la boite qu’elle avait reçue de Zeus en guise de cadeau de mariage. Elle ne savait pas qu’elle libérait ainsi tous les maux de l’humanité…


Rédigé par leral.net le Mercredi 23 Juillet 2014 à 10:11 | | 0 commentaire(s)|

Controverse au sein de la gendarmerie : Quel contrôle du secteur de la sécurité au Sénégal ?
Ce récit de la mythologie grecque serait étranger au surnom de « pandore » donné aux gendarmes. Mais aujourd’hui, dans notre pays, Pandore et pandore convergent dangereusement. Ceci nous interpelle en premier lieu sur la nécessité de redéfinir clairement - et en urgence ! - un cadre de contrôle démocratique des forces de sécurité. Le fonctionnement normal de la démocratie exige que ces forces ne vivent pas en vase clos et qu’elles soient rigoureusement soumises aux normes de bonne gestion et de respect des lois imposées à toutes les institutions de la République. L’Exécutif comme le Législatif doivent utiliser pleinement, dans le secteur de la sécurité, les moyens de contrôle dont ils disposent. La polémique actuelle prouve que l’effectivité de ce contrôle serait un facteur de cohésion et d’efficacité accrue des forces de sécurité.

Au cours de la 11ème Législature, des réflexions avaient été initiées dans ce sens, qu’il conviendrait de mener à leur terme le plus rapidement possible. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’impulsion devant mener à un contrôle davantage effectif ne peut provenir que de l’institution parlementaire soucieuse d’exercer la plénitude des prérogatives que lui confère la Constitution.
Préférons la discrétion à la curiosité

Il faut cependant avoir à l’esprit que la démocratie souffrirait d’un contrôle non adapté du secteur de la sécurité. Après tout, pour paraphraser le Pr Cheikh Anta Diop, « la sécurité précède le développement » … et la démocratie. La situation politique actuelle de la presque totalité des pays voisins confirme dramatiquement cette assertion de l’illustre penseur africain. C’est pourquoi le contrôle démocratique doit pouvoir s’adapter intelligemment aux spécificités du secteur, en vue précisément de s’exercer pleinement, en suscitant l’intérêt et l’adhésion des différentes parties prenantes.

Cette remarque nous ramène aux notions de curiosité et de discrétion issues du mythe de Pandore. Elle est humaine, cette curiosité (ou souci de transparence) qui nous conduit à vouloir connaître « le fin mot » des affaires soulevées par la Colonel Ndaw dans son livre. Mais qu’est ce qui est le plus important ? Savoir quel Général a, dans le passé, remis ou non de l’argent à quel rebelle ? Ou faire en sorte que ceci ne puisse plus jamais se (re)produire à l’avenir ? De toute façon, ce « fin mot » sera difficile à découvrir.

Dans le meilleur des cas, d’autres acteurs s’engouffreront dans la brèche ouverte par le colonel Ndaw pour présenter et interpréter des faits à leur convenance, au bénéfice exclusif de leurs intérêts particuliers. C’est déjà le cas, à lire les « unes » de certains quotidiens de la place, de personnages fort peu attachés à l’intégrité territoriale et à la sécurité humaine. D’un tel imbroglio ne pourraient surgir que confusion et dommages.

Choisissons donc en toute responsabilité de ne pas ouvrir la boite de Pandore mais plutôt de tirer les leçons véritablement utiles de la crise actuelle en engageant le Sénégal dans la voie d’une réforme concertée du secteur de la sécurité.
Avec le même degré d’urgence, l’actuel contexte sous-régional nous y invite et nous y oblige. Le Sénégal demeure, en grande partie grâce à l’engagement de ses forces de sécurité, un ilot de démocratie et de stabilité. C’est une raison de l’engager, à titre préventif, dans une réforme que d’autres n’ont envisagé que post-crise.

Il est urgent en particulier de refondre les textes épars qui définissent le cadre d’évolution des forces de sécurité, et qui pour la plupart datent de plusieurs décennies. Ce sera l’occasion d’actualiser, de moderniser et de partager une vision nationale de la vocation et des missions du secteur de la sécurité et de ses rapports avec les autres composantes de la nation. Cela ne saurait être réalisé de façon efficiente dans le secret d’un quelconque cabinet, mais dans un processus ouvert et inclusif.

Faut-il brûler le colonel Ndaw ?

Cette perspective, qui nous paraît incontournable, ne saurait cependant occulter l’actualité immédiate. La témérité de l’acte du colonel Ndaw déchaîne les passions. Les uns admirent son courage et le portent au pinacle, les autres réclament tout simplement sa tête. La témérité est pourtant une vertu militaire presque élémentaire. Il y a fort à parier que, placés dans les mêmes circonstances, de nombreux colonels auraient réagi comme Ndaw.

Ces hommes et femmes, la nation les a formés pour assurer sa protection face aux périls, par la ruse, la violence et l’esprit de sacrifice. Ce sont des chefs de guerre qui brillent de mille feux sur les théâtres d’opération extérieurs et auxquels nous souhaitons ne jamais offrir, chez nous, un conflit à la dimension de leurs talents. Nous leur devons respect et reconnaissance. C’est pourquoi si sanction il doit y avoir, elle devrait être juste et équilibrée.

Il faut saluer la demande d’enquête parlementaire formulée par des députés. Rien en effet n’interdit à l’Assemblée nationale de chercher à connaître, par ce moyen, les faits relatifs aux accusations contenues dans le livre du colonel Ndaw. Il lui suffirait d’exercer simplement et pleinement ses missions constitutionnelles. Il faudra cependant que les députés membres de la commission d’enquête soient dûment habilités au regard des dispositions légales régissant le secret-défense et que leur rapport soit adéquatement classifié.

Soulignons en conclusion que, pour l’instant, rien ne prouve que le gendarme Ndaw ne nous ait pas servi un roman …policier. Après tout, même des soldats lisent le Général De Gaulle qui a noté, dans ses Mémoires de guerre, que « tout peut, un jour, arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique ».

Mamadou Bamba NDIAYE
Consultant RSS
Ancien président de la Commission de la Défense et de la Sécurité de l’Assemblée Nationale