C’est la thèse retentissante défendue dans deux notes rédigées respectivement par les services de renseignement américain (CIA) et français (DGSE), et que « Le Canard » a pu consulter.
Le document français évoque « de sérieux risques d’opérations en cours, tendant à déstabiliser l’État guinéen ». Et un « mode opératoire » consistant, lors de grandes manifestations, à « inciter la police et les forces armées à recourir à la force et ainsi créer des martyrs ».
Le texte américain, intitulé « Note sur les questions de sécurité en Guinée » et daté du 13 septembre, évoque le « financement de partis d’opposition » et le « recrutement de milices peules », ethnie supposée hostile au président, Alpha Condé. Le contexte des prochaines élections législatives (28 septembre), ajoute-t-il, sera propice à « de violentes manifestations de masse à Conakry et dans d’autres villes ». Ces mouvements pourraient « servir de couverture à des opérations ciblées, menées par les mercenaires ».
Culbute minière
Si ces écrits ont des relents de roman d’espionnage, ils s’appuient sur une réalité non moins romanesque, évoquée dans ces colonnes il y a quinze jours. Une affaire de corruption internationale autour d’une fabuleuse mine de fer.
L’histoire commence en 2008, alors que le vieux président guinéen Lan-sana Conté termine son cinquième quinquennat de dictature. Le milliardaire franco-israélien Beny Stein-metz, qui a fait fortune (la première d’Israël) dans le diamant, lorgne
cette fois le plus grand gisement ferreux non exploité de la planète, le site de Simandou, au sud-est de la Guinée. Le magnat courtise le chef de l’Etat, son épouse, ses ministres, et son groupe (BSG) récupère pour 165 millions de dollars une partie des droits d’extraction. Quelques semaines plus tard, il en revendra la moitié au groupe brésilien Vale au prix de 2,5 milliards !
A la mort de Conté (en décembre 2008), une junte militaire prend le pouvoir et Steinrnetz tente de « sécuriser » son bien. Un de ses agents, Victor Kenan, passe un contrat avec la société israélienne de ‘sécurité CS’l’ Global, qui se met au service de la junte. Cette boîte, raconte la note des Renseignements américains, formera et entraînera la garde présidentielle des « bérets rouges », responsable du massacre de 157 civils, le 28 septembre 2009, dans un stade de Conakry.
Mais, en décembre 2010, la première élection démocratique du pays, remportée par Alpha Condé, inquiète Steinmetz. Ce socialiste n’envisage-t-il pas de remettre à plat tous les contrats miniers ? Le Président lance une opération mains propres, aidé par diverses organisations internationales et par le financier George Soros. Résultat : l’enquête rebondit aux Etats-Unis, où la veuve de Lan-sana Conté possède un compte, nourri de plusieurs millions par le groupe de Steinmetz.
Pain Beny pour Sarko
Ce dernier exerçant aussi son ac-tivité,,en France et en Suisse, la justice de quatre Etats en veut désormais à ce paisible diamantaire. Et ses amis français ne lèvent pas le petit doigt. Pourtant, en mai dernier, Nicolas Sarkozy s’est fait offrir une
visite en Israël : c’est Beny qui a réglé tous les frais. D’autres huiles UMP proches de ce mécène, comme Jean-François Copé, Claude Goasguen ou Patrick Balkany, observent la même retenue.
Steinmetz a-t-il décidé de sauvegarder ses intérêts guinéens par des moyens musclés ? C’est la conviction des services français et US, qui. n’apportent pas de preuves mais font des rapprochements. Les Américains sou- lignent qu’un certain Victor Nassar, israélien et « consultant en. sécurité pour BSG depuis des années », s’est pointé, en juillet, à Johannesburg pour une « opération de recrutement de mercenaires », aidé par le Sud-Africain Willem Ratte, naguère « lié à l’extrême droite pro-apartheid ».
Le parti
des « affreux »
Officiellement, il s’agissait d’enré-ler des volontaires pour l’Otan en Afghanistan. Pourquoi, alors, les candidats étaient-ils interrogés sur « leurs compétences en français et leur connaissance de l’Ouest africain » ? Nassar s’est également attaché les services des Français Patrick Klein, alias « Lieutenant Chambert », un ex« affreux » de l’équipe de Bob Demiard, et de Steve Bokhobza, qui, avec Klein, a joué au petit putschiste aux Comores, en avril dernier. Sans succès.
Les trois hommes, explique la note américaine, ont contribué à la création d’un mouvement guinéen bidon, le Parti national pour le renouveau, « sans doute sponsorisé par BSG ». Ce parti a rédigé un « mémorandum, saisi par les enquêteurs guinéens », prévoyant que BSG conserverait ses droits d’extraction, « au cas où le Parti du renouveau participerait à un futur gouvernement ».
‘Un parti politique qui conditionne son destin à celui de l’industrie, les formations françaises devraient en prendre de la graine.
Jérôme Canard
Le Canard Enchaîné