Le dominicain Philippe Verdin, qui a été aumônier d'étudiants à Dakar, lui consacre un livre aussi élogieux que documenté, allant jusqu'à écrire : "Alioune Diop fut l'inventeur de l'Afrique. Il révéla la civilisation africaine au monde, et d'abord aux Africains." Le parcours de ce Sénégalais est, en tout cas, exemplaire.
Né en 1910 à Saint-Louis, Alioune Diop commence sa formation dans une école coranique, dont il gardera un souvenir épouvantable. Le lycée français est pour lui une délivrance, et le début d'un brillant parcours : il décroche le bac, va passer une licence de lettres à Alger, y devient l'ami de Camus, avant de poursuivre ses études en France à partir de 1937. C'est là qu'il fait la connaissance de Césaire et de Senghor.
Pendant la guerre, Alioune Diop fréquente des figures intellectuelles comme Jean-Paul Sartre, Emmanuel Mounier, Michel Leiris, Georges Balandier... Les étudiants africains de Paris sont alors logés dans l'immeuble de la Société de géographie, au coeur du Quartier latin. Ils bénéficient de conditions de vie privilégiées que leur octroient, pour de vilaines raisons, le régime de Vichy et les Allemands : un ghetto doré, qui doit les empêcher de trop se mêler aux Blancs. Philippe Verdin reconstitue très bien cette période paradoxale.
La bande d'étudiants noirs, engagée dans d'interminables débats, sera une pépinière de futurs parlementaires ou ministres. Alioune Diop y joue un rôle central : "Il tient des propos de rebelle dans une langue parfaite, il brûle d'une passion explosive sous les allures d'un jeune homme bien élevé et pondéré."
Ce lecteur passionné de Kierkegaard a découvert l'Evangile de saint Matthieu dans une édition en grec ancien. Sa rencontre avec un dominicain, le Père Maydieu - un résistant, arrêté et torturé par les Allemands -, est déterminante. Diop sera l'un des rares intellectuels musulmans à se convertir au catholicisme... avant d'épouser une compatriote protestante. Il doit expliquer à sa famille qu'il ne renonce nullement à la culture africaine ; il la met sur le même plan que la culture européenne, et les estime complémentaires.
En 1946, après avoir été professeur de français au lycée Louis-le-Grand, à Paris, il retourne à Dakar pour occuper un poste de haut fonctionnaire : la direction du cabinet du gouverneur général de l'Afrique équatoriale française. La même année, il est élu sénateur sous les couleurs de la SFIO.
Mais la politique n'est pas son affaire. Il lui tourne définitivement le dos en 1948 pour se consacrer à la revue qu'il vient de créer, Présence africaine, avec un comité de patronage prestigieux. Sartre lui en a soufflé le titre et Gide inaugure le premier numéro. Une rubrique "Palabre" est inspirée du "Journal à plusieurs voix" de la revue Esprit, dirigée par Mounier, l'intellectuel dont il se sent le plus proche.
C'est en étant conscient de son originalité et de sa richesse, explique-t-il dans un éditorial, que l'Africain pourra s'engager sans complexe dans le monde moderne et lui apporter ce supplément d'âme dont il a besoin. Présence africaine, bientôt prolongée par une maison d'édition qui publiera des livres remarqués, va très vite devenir le principal organe d'expression des écrivains de la négritude et le fer de lance de la critique de l'impérialisme.
Alioune Diop reçoit chez lui tous les militants africains de passage à Paris, de Lumumba à Nkrumah. Il organise deux congrès internationaux des intellectuels et artistes noirs, en 1956 et 1959. Mais son plus grand succès est le premier Festival mondial des arts nègres, réuni en avril 1966 à Dakar, en présence de nombreux chefs d'Etat.
Par la suite, cet homme d'une grande élégance, toujours au service des autres, s'est heurté à l'opposition irréductible entre Afrique du Nord et Afrique noire. Il a connu pas mal de désillusions, jusqu'à sa mort, en 1980. Mais sans jamais renoncer à ses idées, ni céder aux pressions politiques, même quand elles venaient de son ami Senghor.
Né en 1910 à Saint-Louis, Alioune Diop commence sa formation dans une école coranique, dont il gardera un souvenir épouvantable. Le lycée français est pour lui une délivrance, et le début d'un brillant parcours : il décroche le bac, va passer une licence de lettres à Alger, y devient l'ami de Camus, avant de poursuivre ses études en France à partir de 1937. C'est là qu'il fait la connaissance de Césaire et de Senghor.
Pendant la guerre, Alioune Diop fréquente des figures intellectuelles comme Jean-Paul Sartre, Emmanuel Mounier, Michel Leiris, Georges Balandier... Les étudiants africains de Paris sont alors logés dans l'immeuble de la Société de géographie, au coeur du Quartier latin. Ils bénéficient de conditions de vie privilégiées que leur octroient, pour de vilaines raisons, le régime de Vichy et les Allemands : un ghetto doré, qui doit les empêcher de trop se mêler aux Blancs. Philippe Verdin reconstitue très bien cette période paradoxale.
La bande d'étudiants noirs, engagée dans d'interminables débats, sera une pépinière de futurs parlementaires ou ministres. Alioune Diop y joue un rôle central : "Il tient des propos de rebelle dans une langue parfaite, il brûle d'une passion explosive sous les allures d'un jeune homme bien élevé et pondéré."
Ce lecteur passionné de Kierkegaard a découvert l'Evangile de saint Matthieu dans une édition en grec ancien. Sa rencontre avec un dominicain, le Père Maydieu - un résistant, arrêté et torturé par les Allemands -, est déterminante. Diop sera l'un des rares intellectuels musulmans à se convertir au catholicisme... avant d'épouser une compatriote protestante. Il doit expliquer à sa famille qu'il ne renonce nullement à la culture africaine ; il la met sur le même plan que la culture européenne, et les estime complémentaires.
En 1946, après avoir été professeur de français au lycée Louis-le-Grand, à Paris, il retourne à Dakar pour occuper un poste de haut fonctionnaire : la direction du cabinet du gouverneur général de l'Afrique équatoriale française. La même année, il est élu sénateur sous les couleurs de la SFIO.
Mais la politique n'est pas son affaire. Il lui tourne définitivement le dos en 1948 pour se consacrer à la revue qu'il vient de créer, Présence africaine, avec un comité de patronage prestigieux. Sartre lui en a soufflé le titre et Gide inaugure le premier numéro. Une rubrique "Palabre" est inspirée du "Journal à plusieurs voix" de la revue Esprit, dirigée par Mounier, l'intellectuel dont il se sent le plus proche.
C'est en étant conscient de son originalité et de sa richesse, explique-t-il dans un éditorial, que l'Africain pourra s'engager sans complexe dans le monde moderne et lui apporter ce supplément d'âme dont il a besoin. Présence africaine, bientôt prolongée par une maison d'édition qui publiera des livres remarqués, va très vite devenir le principal organe d'expression des écrivains de la négritude et le fer de lance de la critique de l'impérialisme.
Alioune Diop reçoit chez lui tous les militants africains de passage à Paris, de Lumumba à Nkrumah. Il organise deux congrès internationaux des intellectuels et artistes noirs, en 1956 et 1959. Mais son plus grand succès est le premier Festival mondial des arts nègres, réuni en avril 1966 à Dakar, en présence de nombreux chefs d'Etat.
Par la suite, cet homme d'une grande élégance, toujours au service des autres, s'est heurté à l'opposition irréductible entre Afrique du Nord et Afrique noire. Il a connu pas mal de désillusions, jusqu'à sa mort, en 1980. Mais sans jamais renoncer à ses idées, ni céder aux pressions politiques, même quand elles venaient de son ami Senghor.