Mercredi 20 juin, il est 17h. Nous sommes au croisement Tally Diallo à Thiaroye gare, banlieue dakaroise. Dans cette grande artère ralliant d’un côté Pikine et de l’autre, Yeumbeul-Bène baraque, le brouhaha est au rendez-vous. Entre les coups de klaxons des cars rapides, des Ndiaga Ndiaye pour annoncer leurs arrivées aux passants qui n’ont pas de trottoirs où marcher, les petits commerces ont confisqué cette zone, et les charrettes, on a d'yeux que pour ses activités.
Nous la nôtre, est notre rencontre avec Rokhaya Pouye au domicile de la présidente de l’Association des veuves et orphelins du Sénégal, Adama Sarr. Une descente dans une petite ruelle face au croisement, mène dans une demeure sobre. Dans cette maison, une femme typique de la Sénégalaise nous reçoit dans un salon. Alors, vous pouvez deviner que nous allons faire le récit d’une vie de veuve dans nos prochaines lignes.
Il s’agit de Rokhaya Pouye. Une dame qui a perdu son mari il y a de cela cinq (5) ans. Son défunt mari a eu un accident cardio-vasculaire (AVC) et, est resté au lit durant neuf (9) ans avant de quitter ce monde, il y a de cela cinq années.
Habillée d’un grand boubou rose avec de petites fleurs blanches, assortie d’un col blanc, lunettes bien posées sur le nez, Rokhaya Pouye, la soixantaine nous a accueillie chez la présidente de leur association. Devant notre micro, cette sexagénaire de teint noir est revenue sur ces cinq (5) années de souffrance. La mine triste, le regard lointain, elle partage avec nous le souvenir de ces années de précarité et de solitude sans son défunt mari.
Veuve ou compagne de la solitude…
« Ces cinq (5) ans passés, je les ai vécus avec une grande solitude », confie-t-elle, le regard hagard. Entre larmes et sanglots, Rokhaya prend une petite pause, à un moment où elle s’est replongée dans ces souvenirs de douleur pour mieux extérioriser sa peine. « Dans cette société sénégalaise, quand tu es veuve c’est comme si tu as une maladie contagieuse. Tout le monde te fuit, surtout la famille de ton défunt mari. Elle fuit même leur propre chair, c’est-à-dire les enfants de leur défunt fils », narre-t-elle la mine triste.
Avec une voix tremblotante, elle continue son récit pour nous parler des aléas de sa vie, quand son mari était en vie et s’occupait de sa famille et quand il est parti, la laissant seule avec la charge des enfants. Un fardeau loin d’être léger avec la petite aide qu’elle reçoit de l’IPRES, les 1/3 des allocations de retraite de son mari.
« De son vivant, mon mari s’occupait de tous les charges familiales. Je l’aidais et ensemble, on arrivait à subvenir aux besoins de nos enfants. Et du jour au lendemain, je me retrouve seule avec les 1/3 de sa solde pour gérer la famille. C’était très difficile », nous confie-t-elle.
Suite au décès de son époux, l’Institut de prévoyance retraite du sénégal (IPRES), ne lui donne qu’une petite somme tous les trois mois avant la législature de Macky Sall et 2 mois sous son règne. Et avec cet argent qui n’arrive même pas à couvrir les dépenses mensuelles, elle doit payer le logement, la nourriture, les frais médicaux, la scolarité des enfants… Mais heureusement pour cette mère de famille qui ne compte sur personne pour joindre les deux bouts, il y a l’association qui la finance et son commerce de friperie.
…Conséquence sur la famille…
Abandonnée par la belle-famille dans la précarité avec de jeunes enfants, la maman signale les conséquences qui peuvent découler de cette situation. Appelée à en lister certains effets, elle nous répond en balançant la tête, signe de désolation.
Selon elle, cette précarité peut être le soubassement du banditisme chez certains orphelins, qui n’ayant plus de figure paternelle ni une autorité, versent dans le banditisme. Face au manque de moyens financiers, certains vont devoir écourter leurs séjours à l’école, sur le plan médical aussi, ces orphelins ne sont pas pris en charge ni par un père ni par une famille. Ils sont laissés à eux-mêmes.
Les enfants ne sont pas les seuls à souffrir des conséquences de cette situation, la maman, veuve dans sa chair, en a eu plus que sa part. Loin de l'abattre, ces terribles vents contraires ont accouché aux forceps d'une seule constante, "l’invinciblilité". En effet, selon la dame qui vit dans un tel environnement, la veuve, l’unique support de la famille, doit être tout à la fois. « Tu ne dois pas tomber malade, tu ne dois pas avoir peur, tu ne dois pas montrer à tes enfants une quelconque faiblesse. Tu es le socle de la famille, tout repose sur toi, tu dois être à la fois la maman, le père, grands-parents… tu deviens l’essence de tes enfants. Alors là, tu vis pour eux avec cette peur d’échouer et cette force de vouloir toujours te dépasser pour qu’ils ne ressentent pas ce manque d’amour paternel, c’est très dur », atteste la maman, qui n’arrête pas de s’interroger sur les raisons qui poussent la société sénégalaise à délaisser ses veuves et ses orphelins.
…sa question…
« ‘’Kou sagnone do niak sa dieukeur wala nga niak sa wadiour’’ ( personne ne veut perdre son conjoint ni son père) », confie-t-elle, le cœur meurtrie. Après cette triste confidence, elle pose cette série de questions qui hantent son quotidien et au sujet desquelles la société sénégalaise se doit de longuement méditer pour y trouver solution, afin que veuves et orphelins ne sentent plus rejetés et condamnés à la précarité.
« Pourquoi la veuve, c’est cette femme qui vit dans la précarité, qui n’a plus personne, pas de belle-famille, pas d’amis ? Pourquoi si c’est la femme qui meurt, sa famille aide le veuf à prendre soin des enfants ou même prend en charge la progéniture. Alors que si c’est le cas contraire, la belle-famille dira que la veuve a la poisse, qu’elle a tué leur fils avant de l’abandonner ainsi que les orphelins ? Pourquoi l’homme a le droit de devenir veuf sans qu’on l’indexe alors que pour la femme, c'est tout le contraire ? »
Une interrogation qui semble traduire le cri de cœur d’une femme désemparée et qui voudrait tout voir changer.
Et une baguette magique pour changer…
Même après ces quelques minutes de discussion, on sent toujours que Rokhaya n’a pas quitté ses cinq (5) années passées dans la tristesse. Des années qu’elle changerait sûrement si elle avait une baguette magique. Mais au lieu de changer sa vie uniquement, elle veut avoir une baguette de fée pour changer la vie des veuves et orphelins qui souffrent ainsi que la vision des gens.
« Si j’avais une baguette magique, je ferai en sorte que les veuves deviennent autonomes pour subvenir tranquillement aux besoins de leurs enfants. Qu’elles ne vivent plus dans la solitude et la précarité. Je changerai aussi la vision de certains gens à l’endroit des veuves et orphelins. Je donnerai plus de foi en Dieu à ces gens. Pour qu’ils sachent que c’est lui (Dieu) qui a créé la vie et la mort et fait d’une mariée, une veuve en un clin d’œil et d’un enfant gâté par son papa, en un orphelin. »
Fanta DIALLO BA
Nous la nôtre, est notre rencontre avec Rokhaya Pouye au domicile de la présidente de l’Association des veuves et orphelins du Sénégal, Adama Sarr. Une descente dans une petite ruelle face au croisement, mène dans une demeure sobre. Dans cette maison, une femme typique de la Sénégalaise nous reçoit dans un salon. Alors, vous pouvez deviner que nous allons faire le récit d’une vie de veuve dans nos prochaines lignes.
Il s’agit de Rokhaya Pouye. Une dame qui a perdu son mari il y a de cela cinq (5) ans. Son défunt mari a eu un accident cardio-vasculaire (AVC) et, est resté au lit durant neuf (9) ans avant de quitter ce monde, il y a de cela cinq années.
Habillée d’un grand boubou rose avec de petites fleurs blanches, assortie d’un col blanc, lunettes bien posées sur le nez, Rokhaya Pouye, la soixantaine nous a accueillie chez la présidente de leur association. Devant notre micro, cette sexagénaire de teint noir est revenue sur ces cinq (5) années de souffrance. La mine triste, le regard lointain, elle partage avec nous le souvenir de ces années de précarité et de solitude sans son défunt mari.
Veuve ou compagne de la solitude…
« Ces cinq (5) ans passés, je les ai vécus avec une grande solitude », confie-t-elle, le regard hagard. Entre larmes et sanglots, Rokhaya prend une petite pause, à un moment où elle s’est replongée dans ces souvenirs de douleur pour mieux extérioriser sa peine. « Dans cette société sénégalaise, quand tu es veuve c’est comme si tu as une maladie contagieuse. Tout le monde te fuit, surtout la famille de ton défunt mari. Elle fuit même leur propre chair, c’est-à-dire les enfants de leur défunt fils », narre-t-elle la mine triste.
Avec une voix tremblotante, elle continue son récit pour nous parler des aléas de sa vie, quand son mari était en vie et s’occupait de sa famille et quand il est parti, la laissant seule avec la charge des enfants. Un fardeau loin d’être léger avec la petite aide qu’elle reçoit de l’IPRES, les 1/3 des allocations de retraite de son mari.
« De son vivant, mon mari s’occupait de tous les charges familiales. Je l’aidais et ensemble, on arrivait à subvenir aux besoins de nos enfants. Et du jour au lendemain, je me retrouve seule avec les 1/3 de sa solde pour gérer la famille. C’était très difficile », nous confie-t-elle.
Suite au décès de son époux, l’Institut de prévoyance retraite du sénégal (IPRES), ne lui donne qu’une petite somme tous les trois mois avant la législature de Macky Sall et 2 mois sous son règne. Et avec cet argent qui n’arrive même pas à couvrir les dépenses mensuelles, elle doit payer le logement, la nourriture, les frais médicaux, la scolarité des enfants… Mais heureusement pour cette mère de famille qui ne compte sur personne pour joindre les deux bouts, il y a l’association qui la finance et son commerce de friperie.
…Conséquence sur la famille…
Abandonnée par la belle-famille dans la précarité avec de jeunes enfants, la maman signale les conséquences qui peuvent découler de cette situation. Appelée à en lister certains effets, elle nous répond en balançant la tête, signe de désolation.
Selon elle, cette précarité peut être le soubassement du banditisme chez certains orphelins, qui n’ayant plus de figure paternelle ni une autorité, versent dans le banditisme. Face au manque de moyens financiers, certains vont devoir écourter leurs séjours à l’école, sur le plan médical aussi, ces orphelins ne sont pas pris en charge ni par un père ni par une famille. Ils sont laissés à eux-mêmes.
Les enfants ne sont pas les seuls à souffrir des conséquences de cette situation, la maman, veuve dans sa chair, en a eu plus que sa part. Loin de l'abattre, ces terribles vents contraires ont accouché aux forceps d'une seule constante, "l’invinciblilité". En effet, selon la dame qui vit dans un tel environnement, la veuve, l’unique support de la famille, doit être tout à la fois. « Tu ne dois pas tomber malade, tu ne dois pas avoir peur, tu ne dois pas montrer à tes enfants une quelconque faiblesse. Tu es le socle de la famille, tout repose sur toi, tu dois être à la fois la maman, le père, grands-parents… tu deviens l’essence de tes enfants. Alors là, tu vis pour eux avec cette peur d’échouer et cette force de vouloir toujours te dépasser pour qu’ils ne ressentent pas ce manque d’amour paternel, c’est très dur », atteste la maman, qui n’arrête pas de s’interroger sur les raisons qui poussent la société sénégalaise à délaisser ses veuves et ses orphelins.
…sa question…
« ‘’Kou sagnone do niak sa dieukeur wala nga niak sa wadiour’’ ( personne ne veut perdre son conjoint ni son père) », confie-t-elle, le cœur meurtrie. Après cette triste confidence, elle pose cette série de questions qui hantent son quotidien et au sujet desquelles la société sénégalaise se doit de longuement méditer pour y trouver solution, afin que veuves et orphelins ne sentent plus rejetés et condamnés à la précarité.
« Pourquoi la veuve, c’est cette femme qui vit dans la précarité, qui n’a plus personne, pas de belle-famille, pas d’amis ? Pourquoi si c’est la femme qui meurt, sa famille aide le veuf à prendre soin des enfants ou même prend en charge la progéniture. Alors que si c’est le cas contraire, la belle-famille dira que la veuve a la poisse, qu’elle a tué leur fils avant de l’abandonner ainsi que les orphelins ? Pourquoi l’homme a le droit de devenir veuf sans qu’on l’indexe alors que pour la femme, c'est tout le contraire ? »
Une interrogation qui semble traduire le cri de cœur d’une femme désemparée et qui voudrait tout voir changer.
Et une baguette magique pour changer…
Même après ces quelques minutes de discussion, on sent toujours que Rokhaya n’a pas quitté ses cinq (5) années passées dans la tristesse. Des années qu’elle changerait sûrement si elle avait une baguette magique. Mais au lieu de changer sa vie uniquement, elle veut avoir une baguette de fée pour changer la vie des veuves et orphelins qui souffrent ainsi que la vision des gens.
« Si j’avais une baguette magique, je ferai en sorte que les veuves deviennent autonomes pour subvenir tranquillement aux besoins de leurs enfants. Qu’elles ne vivent plus dans la solitude et la précarité. Je changerai aussi la vision de certains gens à l’endroit des veuves et orphelins. Je donnerai plus de foi en Dieu à ces gens. Pour qu’ils sachent que c’est lui (Dieu) qui a créé la vie et la mort et fait d’une mariée, une veuve en un clin d’œil et d’un enfant gâté par son papa, en un orphelin. »
Fanta DIALLO BA