Le Président Dia, appellation familière –voire familiale- de l’ancien Président du Conseil de Gouvernement de la République du Sénégal et Vice- Président de l’éphémère Fédération du Mali, qui vient de s’éteindre à l’orée de ses cent ans, a été, à son tour, pour notre pays, pour notre continent et pour les pays et les peuples di Tiers-Monde, un don du ciel dont nous n‘avons ni su, ni pu profiter, à la mesure de ce qu’il représentait.
L’impérialisme qui revêt aujourd’hui les atours de la mondialisation ayant très tôt compris le danger immédiat que représentait le nouveau type de dirigeant, pour ne pas dire le dirigeant de type nouveau, personnifié et symbolisé par ce militant du Tiers-Monde, comme il se définissait lui-même, a vite fait de mettre un coup d’arrêt à une approche inédite d’une révolution en profondeur, attractive, intelligente et intelligible et d’une subversive candeur.
En effet, sans rien renier formellement de notre histoire commune et de la dialectique colonisateur-colonisé, il a su sacrifier aux inévitables compromis avec ses camarades, Senghor le premier, mais aussi avec les dirigeants de la France tutélaire, pour négocier finement, mais fermement, le virage de l’indépendance.
La rupture est amorcée dès l’aube de celle-ci tant sur le modèle de gouvernance, que sur les valeurs fondatrices de l’Afrique nouvelle en devenir. « Nous ne devons pas confondre la dignité de la fonction avec le luxe et le gaspillage inadmissible chez les représentants d’un peuple aussi démuni que le nôtre », prévenait-il dès sa prise de fonction.
Cette profession de foi garde aujourd’hui toute son actualité, toute son acuité. Préoccupé au plus haut point par la maîtrise, par les populations des instruments et moyens de production, comme du mode et des modalités de répartition des fruits du labeur du peuple travailleur, il professait la subordination de l’économie et du politique au social. Celle-ci devait concourir à ce qu’il appelait de tous ses vœux et selon ses propres termes à une « élévation de la santé morale et intellectuelle de la population, une amélioration du niveau de vie des travailleurs, en un mot, à l’enrichissement du patrimoine social ».
François Perroux, le Père Lebret, Roland Colin, Jean Baptiste Collin –avant la rupture- et bien d’autres militants de « l’autodéveloppement » de « l’économie humaine », furent mis à contribution aux côtés de frères d’armes historiques et compagnons d’infortune dont Valdiodio Ndiaye, Sarr Ibrahima, Joseph Mbaye et tous les autres diaïstes bannis et/ou incarcérés au bagne de Kédougou et dans d’autres « résidences » carcérales situées dans les endroits les plus hostiles du pays.
La rupture de décembre 1962 avec Senghor et le procès en sorcellerie de Mamadou Dia et de ses camarades qui lui étaient restés d’une fidélité à toute épreuve, accusés de tentative de coup d’Etat étaient passés par-là. Sauf qu’à l’échelle de l’Histoire et à l’épreuve des faits, il est aujourd’hui établi que le coup d’éclat du fameux débat de la primauté du Parti sur l’Etat, bien que de mise, ne pouvait en aucun cas déboucher sur un coup d’Etat. Par tempérament et par loyauté, l’homme de Foi et de haute moralité qu’était Mamadou Dia ne pouvait envisager un seul instant un tel moyen de parvenir à faire triompher des idées et des convictions, des orientations et des projets de société qui délimitaient la ligne de partage entre Mamadou Dia et Senghor.
Entre une certaine idée de l’Etat post-colonial et de ses rapports ave l’ancienne puissance, des choix économiques et politiques, donc sociaux, culturels, voire spirituels et civilisationnels. Deux acteurs majeurs de l’indépendance, deux visions différenciées par des soubassements idéologiques et culturels profondément contrastés, voire décalées, pour dire le moins. A l’intérieur, une lutte farouche oppose des couches et catégories sociales aux intérêts contradictoires, partagées entre tenants de la poursuite, sous d’autres formes, voire même d’autres modalités du pacte colonial et les partisans d’une transformation de l’ordre économique et social par une approche politique inductrice d’une redistribution des rôles et d’un renouvellement des forces sociales dirigeantes. En toile de fond, les luttes d’influence et les rivalités Est-Ouest, impactaient de manière importante sur le jeu des acteurs locaux, qui prolongeaient ainsi les luttes d’intérêts et les systèmes d’alliances gouvernant à l’époque et qui continuent encore de gouverner les relations internationales.
Dans un tel contexte, l’action de Mamadou Dia et de ses partisans frappée au coin, tour à tour, par des relents d’angélisme mais aussi par les élans d’autorité que certains ont vite assimilés à de l’autoritarisme, recelait les germes de sa vulnérabilité. Au jeu du cynisme et de l’hypocrisie, qui hier comme aujourd’hui demeurent les choses les mieux partagées sous nos latitudes, Mamadou Dia était donné perdant de prime abord. L’homme de tempérament, aux mouvements d’humeur parfois ombrageux et orageux, était un tendre d’une sollicitude infinie, à la sensibilité à fleur de peau, plein de compassion, brûlé par une passion débordante, voire dévorante, un sens du devoir fait de rigorisme et exemplaire. Il croyait à la mystique de l’effort collectif, soutenu et solidaire, à l’engagement sans arrière-pensées ni calculs, mais avec une planification pragmatique et participative-inclusive dirait-on aujourd’hui pour forger un nouveau destin aux peuples en souffrance, longtemps spoliés et exploités.
Les erreurs et les errements qu’il a pu commettre et reconnaître, procèdent sans doute de cette passion incandescente pour son peuple et l’humilité et la spiritualité qui ont fini de lui façonner un destin hors du commun, « toujours dans la mêlée » comme il le revendiquait lui-même mais au-dessus des contingences et des traîtrises, des adhérences des situations et du temps. Celui qui avait pour doctrine de faire passer les populations, du moins humain au plus humain, a su s’élever dans la dévotion et le pardon. Un cœur pur épargné par la rancune et la rancœur a su se hisser avec dignité et retenue au firmament des valeurs positives qui fondent notre humanité. « C’est le fétichisme de l’amitié qui me perdra » a-t-il commenté un jour, en évoquant ses relations avec Senghor.
Ce même Senghor qui a voulu l’empêcher de prendre pour résidence officielle, l’actuelle Maison de la Culture Douta Seck- autrefois Résidence de Médina-, en plein cœur de la tumultueuse Médina, quartier populaire et populeux par définition. Mamadou Dia a choisi de rester avec le peuple contre l’avis de Senghor aux yeux de qui il était dangereux de s’exposer « à la merci de mouvements populaires, dans un quartier difficile à contrôler ». Le peuple ployant sous le joug de l’exploitation et des difficultés du mal développement, balloté entre l’obscurantisme, la manipulation et la démagogie des rentiers des systèmes sociaux, politiques et maraboutiques anachroniques n’a pas répondu aux attentes et aux interpellations cathartiques de l’homme de foi, de bonne foi, qui lui a donné en offrande sa vie (et sa vue !) et qui, en dépit de son âge avancé, offrait régulièrement analyses et conseils, lueurs et lumières dans sa « corbeille du patriarche », paraissant régulièrement dans la presse. Instruit par son expérience du pouvoir, il déclarera plus tard qu’il ne voulait « plus appartenir à aucune structure de pouvoir ». Il était devenu ainsi un rempart, un contrepouvoir et une source inépuisable d’inspiration pour tous les hommes et les femmes de bonne volonté. D’ici et d’ailleurs.
Ignorant la haine et l’esprit revanchard, il avait récusé l’idée d’une réhabilitation « pour solde de tous comptes » de la part de l’un de ses anciens avocats, devenu Président de la République, auquel l’opposeront au fil du temps, des divergences d’une profondeur abyssale. Il avait également poussé l’élégance jusqu’à demander à ceux qui souhaitaient la réouverture de ce dossier du vrai faux coup d’Etat de décembre 1962, de mettre sous l’éteignoir, leurs velléités pour cause de maladie de celui qui était alors considéré, comme l’auteur d’un véritable coup de Jarnac, Léopold Sédar Senghor, soi-même, qui devait décéder deux semaines plus tard.
Il faut espérer que le peuple orphelin de son Maodo, mais surtout les élites, qui dans un bel ensemble, lui rendent un hommage plus que mérité, méditeront son exemple, en reprenant le flambeau et en faisant fructifier la « corbeille du patriarche » au bénéfice exclusif des populations. C’est là, un des meilleurs moyens de préserver son héritage et de perpétuer sa mémoire. Et de s’en montrer digne.
source sud quotidien
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L’impérialisme qui revêt aujourd’hui les atours de la mondialisation ayant très tôt compris le danger immédiat que représentait le nouveau type de dirigeant, pour ne pas dire le dirigeant de type nouveau, personnifié et symbolisé par ce militant du Tiers-Monde, comme il se définissait lui-même, a vite fait de mettre un coup d’arrêt à une approche inédite d’une révolution en profondeur, attractive, intelligente et intelligible et d’une subversive candeur.
En effet, sans rien renier formellement de notre histoire commune et de la dialectique colonisateur-colonisé, il a su sacrifier aux inévitables compromis avec ses camarades, Senghor le premier, mais aussi avec les dirigeants de la France tutélaire, pour négocier finement, mais fermement, le virage de l’indépendance.
La rupture est amorcée dès l’aube de celle-ci tant sur le modèle de gouvernance, que sur les valeurs fondatrices de l’Afrique nouvelle en devenir. « Nous ne devons pas confondre la dignité de la fonction avec le luxe et le gaspillage inadmissible chez les représentants d’un peuple aussi démuni que le nôtre », prévenait-il dès sa prise de fonction.
Cette profession de foi garde aujourd’hui toute son actualité, toute son acuité. Préoccupé au plus haut point par la maîtrise, par les populations des instruments et moyens de production, comme du mode et des modalités de répartition des fruits du labeur du peuple travailleur, il professait la subordination de l’économie et du politique au social. Celle-ci devait concourir à ce qu’il appelait de tous ses vœux et selon ses propres termes à une « élévation de la santé morale et intellectuelle de la population, une amélioration du niveau de vie des travailleurs, en un mot, à l’enrichissement du patrimoine social ».
François Perroux, le Père Lebret, Roland Colin, Jean Baptiste Collin –avant la rupture- et bien d’autres militants de « l’autodéveloppement » de « l’économie humaine », furent mis à contribution aux côtés de frères d’armes historiques et compagnons d’infortune dont Valdiodio Ndiaye, Sarr Ibrahima, Joseph Mbaye et tous les autres diaïstes bannis et/ou incarcérés au bagne de Kédougou et dans d’autres « résidences » carcérales situées dans les endroits les plus hostiles du pays.
La rupture de décembre 1962 avec Senghor et le procès en sorcellerie de Mamadou Dia et de ses camarades qui lui étaient restés d’une fidélité à toute épreuve, accusés de tentative de coup d’Etat étaient passés par-là. Sauf qu’à l’échelle de l’Histoire et à l’épreuve des faits, il est aujourd’hui établi que le coup d’éclat du fameux débat de la primauté du Parti sur l’Etat, bien que de mise, ne pouvait en aucun cas déboucher sur un coup d’Etat. Par tempérament et par loyauté, l’homme de Foi et de haute moralité qu’était Mamadou Dia ne pouvait envisager un seul instant un tel moyen de parvenir à faire triompher des idées et des convictions, des orientations et des projets de société qui délimitaient la ligne de partage entre Mamadou Dia et Senghor.
Entre une certaine idée de l’Etat post-colonial et de ses rapports ave l’ancienne puissance, des choix économiques et politiques, donc sociaux, culturels, voire spirituels et civilisationnels. Deux acteurs majeurs de l’indépendance, deux visions différenciées par des soubassements idéologiques et culturels profondément contrastés, voire décalées, pour dire le moins. A l’intérieur, une lutte farouche oppose des couches et catégories sociales aux intérêts contradictoires, partagées entre tenants de la poursuite, sous d’autres formes, voire même d’autres modalités du pacte colonial et les partisans d’une transformation de l’ordre économique et social par une approche politique inductrice d’une redistribution des rôles et d’un renouvellement des forces sociales dirigeantes. En toile de fond, les luttes d’influence et les rivalités Est-Ouest, impactaient de manière importante sur le jeu des acteurs locaux, qui prolongeaient ainsi les luttes d’intérêts et les systèmes d’alliances gouvernant à l’époque et qui continuent encore de gouverner les relations internationales.
Dans un tel contexte, l’action de Mamadou Dia et de ses partisans frappée au coin, tour à tour, par des relents d’angélisme mais aussi par les élans d’autorité que certains ont vite assimilés à de l’autoritarisme, recelait les germes de sa vulnérabilité. Au jeu du cynisme et de l’hypocrisie, qui hier comme aujourd’hui demeurent les choses les mieux partagées sous nos latitudes, Mamadou Dia était donné perdant de prime abord. L’homme de tempérament, aux mouvements d’humeur parfois ombrageux et orageux, était un tendre d’une sollicitude infinie, à la sensibilité à fleur de peau, plein de compassion, brûlé par une passion débordante, voire dévorante, un sens du devoir fait de rigorisme et exemplaire. Il croyait à la mystique de l’effort collectif, soutenu et solidaire, à l’engagement sans arrière-pensées ni calculs, mais avec une planification pragmatique et participative-inclusive dirait-on aujourd’hui pour forger un nouveau destin aux peuples en souffrance, longtemps spoliés et exploités.
Les erreurs et les errements qu’il a pu commettre et reconnaître, procèdent sans doute de cette passion incandescente pour son peuple et l’humilité et la spiritualité qui ont fini de lui façonner un destin hors du commun, « toujours dans la mêlée » comme il le revendiquait lui-même mais au-dessus des contingences et des traîtrises, des adhérences des situations et du temps. Celui qui avait pour doctrine de faire passer les populations, du moins humain au plus humain, a su s’élever dans la dévotion et le pardon. Un cœur pur épargné par la rancune et la rancœur a su se hisser avec dignité et retenue au firmament des valeurs positives qui fondent notre humanité. « C’est le fétichisme de l’amitié qui me perdra » a-t-il commenté un jour, en évoquant ses relations avec Senghor.
Ce même Senghor qui a voulu l’empêcher de prendre pour résidence officielle, l’actuelle Maison de la Culture Douta Seck- autrefois Résidence de Médina-, en plein cœur de la tumultueuse Médina, quartier populaire et populeux par définition. Mamadou Dia a choisi de rester avec le peuple contre l’avis de Senghor aux yeux de qui il était dangereux de s’exposer « à la merci de mouvements populaires, dans un quartier difficile à contrôler ». Le peuple ployant sous le joug de l’exploitation et des difficultés du mal développement, balloté entre l’obscurantisme, la manipulation et la démagogie des rentiers des systèmes sociaux, politiques et maraboutiques anachroniques n’a pas répondu aux attentes et aux interpellations cathartiques de l’homme de foi, de bonne foi, qui lui a donné en offrande sa vie (et sa vue !) et qui, en dépit de son âge avancé, offrait régulièrement analyses et conseils, lueurs et lumières dans sa « corbeille du patriarche », paraissant régulièrement dans la presse. Instruit par son expérience du pouvoir, il déclarera plus tard qu’il ne voulait « plus appartenir à aucune structure de pouvoir ». Il était devenu ainsi un rempart, un contrepouvoir et une source inépuisable d’inspiration pour tous les hommes et les femmes de bonne volonté. D’ici et d’ailleurs.
Ignorant la haine et l’esprit revanchard, il avait récusé l’idée d’une réhabilitation « pour solde de tous comptes » de la part de l’un de ses anciens avocats, devenu Président de la République, auquel l’opposeront au fil du temps, des divergences d’une profondeur abyssale. Il avait également poussé l’élégance jusqu’à demander à ceux qui souhaitaient la réouverture de ce dossier du vrai faux coup d’Etat de décembre 1962, de mettre sous l’éteignoir, leurs velléités pour cause de maladie de celui qui était alors considéré, comme l’auteur d’un véritable coup de Jarnac, Léopold Sédar Senghor, soi-même, qui devait décéder deux semaines plus tard.
Il faut espérer que le peuple orphelin de son Maodo, mais surtout les élites, qui dans un bel ensemble, lui rendent un hommage plus que mérité, méditeront son exemple, en reprenant le flambeau et en faisant fructifier la « corbeille du patriarche » au bénéfice exclusif des populations. C’est là, un des meilleurs moyens de préserver son héritage et de perpétuer sa mémoire. Et de s’en montrer digne.
source sud quotidien
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