Réservoir d'eau douce, le lac de Guiers approvisionne en particulier la capitale sénégalaise. Il a fait l’objet de nombreux aménagements hydrauliques qui ont amélioré ses capacités de remplissage et de stockage. Un système de vannes permet de réguler les apports du fleuve Sénégal, en particulier pendant la crue (août - novembre). Il fournissait 30% de l'eau consommée dans l'agglomération dakaroise depuis 1972, grâce aux installations de la Sénégalaise des eaux (Sde). Aujourd’hui, avec les aménagements complémentaires de la Sde en 2004, il dessert la quasi totalité de Dakar en eau potable. L’eau est pompée et traitée sur place dans les usines de Ngnith (87 Km de Louga) et Keur Momar Sarr (52 Km de Louga). Elle est ensuite acheminée par une conduite souterraine de 300 Km de long. La construction du barrage de Diama en 1985, puis de celui de Manantali en 1987 ont amélioré les hauteurs d'eau et facilité l'irrigation.
En effet, bien que ses rives sont assez fertiles, le lac est implanté dans une zone semi- désertique qui appartient à la région écologique sahélienne caractérisée par une alternance de l’hivernage et de la saison sèche. La pluviométrie y est faible et irrégulière. Les températures moyennes annuelles sont très élevées. Le relief, quant à lui, est caractérisé par la présence de dunes, de vallées et de plateaux. La végétation est dominée par un tapis herbacé parsemé d’arbustes. Le lac de Guiers constitue ainsi la seule ressource en eau pérenne de cette zone. Ce qui a poussé les populations qui vivaient jadis de l’élevage à s’adonner à la culture irriguée. Des champs de canne à sucre (gérés principalement par la Compagnie sucrière sénégalaise), de riz et de patate douce y sont implantés.
L’amélioration des hauteurs du lac a aussi favorisé la pêche. Une activité qui fournit annuellement environ 2 000 tonnes de poisson.
Toutefois, la mise en service des barrages de Diama et de Manantali a eu des inconvénients sur le lac de Guiers. Il a profondément modifié le fonctionnement hydrologique du lac et la qualité de ses eaux. Ce qui a entraîné un fort développement de la végétation aquatique dans les zones peu profondes.
Heurts et convoitises
Réserve d’eau douce exceptionnelle dans le «désert» du Ferlo, en pleine zone sahélienne, le lac de Guiers apporte une solution au problème de la satisfaction des besoins en eau des populations humaines et animales. De ce fait, agriculteurs et pêcheurs wolofs et maures, mais aussi pasteurs peulhs se sont intégrés dans cet écosystème. Ainsi, aux conflits qu’engendre la coexistence parfois difficile entre ces groupes de personnes, sont venus se greffer, depuis plusieurs décennies, ceux découlant d’un développement de mise en valeur de cet espace.
En effet, depuis toujours, la gestion du lac de Guiers a été source de beaucoup de conflits entre les populations wolofs, peulhs et maures qui peuplent, en majorité, les rives du lac et qui s’adonnent à la pêche, à l’agriculture et à l’élevage.
Déjà, avant l’indépendance, le lac a fait partie des royaumes du Tékrour, du Walo et du Djolof. Sur sa rive occidentale, se trouvait la troisième et dernière capitale du royaume du Walo, une localité qui existe toujours sous le nom de Nder. De ce fait, des heurts y étaient monnaie courante pour le contrôle des terres fertiles (pour les agriculteurs essentiellement des wolofs) ou l’implantation du bétail (pour les éleveurs en majorité peulhs et maures). Conflits qui existent jusqu’à présent.
À ces problèmes «traditionnels», sont venus se greffer des conflits de compétences surtout pour la gestion des terres par les collectivités locales à qui la loi 96-07 du 22 mars 1996 a transféré certaines compétences dévolues jadis au pouvoir central. Avec la décentralisation, le législateur a voulu impliquer les acteurs locaux (sous la houlette des élus locaux) à tous les niveaux du processus de conception, de mise en application et de contrôle des politiques locales.
Litiges fonciers tous azimuts
Cependant, cette implication n’est pas si simplement réalisable que les déclarations peuvent le laisser croire. L’espace local est connu comme étant un lieu de rivalités, d’affrontements, de négociations et d’alliances entre des acteurs aux statuts socioprofessionnels divers, aux fonctions parfois incompatibles et aux stratégies multiples. Le lac de Guiers n’est pas épargné par ces rivalités du fait de ses enjeux socioéconomiques partagés par deux régions administratives (Saint-Louis au nord et Louga au sud) et plusieurs communautés rurales. Les communautés rurales de Ronkh, Ross Béthio, Mbane et Rosso Sénégal (région de Saint-Louis) et celles de Keur Momar Sarr et Syer (région de Louga) présentent des intérêts communs autour de la gestion des ressources et de l’espace du lac. Ainsi, la gestion collective de la ressource devient un enjeu de taille et une question sensible.
Aujourd’hui, les conflits sont plus nombreux et les litiges fonciers sont foison sur les rives du lac. Chaque collectivité locale distribuant à sa guise des terres.
Par exemple à Mbane, l’autorité locale a distribué à des responsables politiques, civiles et militaires plus de terres que sa propre collectivité locale n’en détient. En d’autres termes, elle a empiété sur les prérogatives d’une autre autorité locale. Un cas qui est loin d’être isolé. Toutes les rives du lac connaissent des problèmes fonciers qui minent la cohabitation entre les populations. Ces dernières se sentent, parfois, lésées au détriment de grosses pontes de la République ou d’investisseurs étrangers à qui l’on donne des terres moyennant une contrepartie financière au motif qu’ils peuvent mieux les gérer que les populations autochtones.
À Keur Momar Sarr (une communauté rurale de 17 086 habitants et 171 ménages, selon un recensement fait en 2002), on y trouve une ferme pilote d'irrigation et plusieurs champs agricoles éparpillés au bord du lac. Les champs sont privés pour la plupart et collectifs pour d’autres. La prolifération de ces champs a amené des querelles entre les bergers peulhs qui voient leurs chemins d'accès à l'eau fermés.
L’autre problème dénoncé par les populations de Keur Momar Sarr est que la localité possède une station de traitement d'eau potable et de pompage qui permet l'alimentation de l'agglomération dakaroise. Mais, elle n'emploie pas beaucoup d’habitants de la localité. Le personnel et les autres techniciens qui y travaillent viennent d'ailleurs.
Typha et maladies hydriques
En plus de ces problèmes fonciers, le lac de Guiers connaît également des problèmes environnementaux. Il est menacé par le typha, une plante aquatique qui pousse sous les eaux. Cette variété d’herbe haute s’est développée de manière tellement rapide qu’il a pris la moitié des eaux. Résultat : les populations et le bétail ont du mal à accéder aux eaux du lac. Les habitants de la communauté rurale de Keur Momar Sarr ne cessent de s’en plaindre. Mais, le problème avec le typha ce n’est pas seulement qu’il empêche les populations d’accéder à l’eau. C’est également un redoutable polluant. Et comme certaines populations n’ont pas d’autres choix que de s’approvisionner dans le lac pollué par le typha, elles ne cessent de contracter des maladies hydriques.
En effet, des maladies diarrhéiques comme le cholera et d’autres maladies hydriques comme la bilharziose font des ravages dans la communauté rurale de Keur Momar Sarr, surtout au niveau des villages implantés sur les rives du lac. Le problème du typha est tellement sérieux que des Ong comme Sos Sahel se sont engagés pour essayer d’y trouver une solution. Des recherches sont en cours pour tenter de trouver des solutions face à ce typha qui est une plante nuisible à l’environnement bien qu’il soit une source de revenue pour les populations qui confectionnent des nattes avec.
La «soif» à un Km de l’usine de la Sde
À un kilomètre de l’usine d’exploitation d’eau potable de la Société des eaux (Sde), implantée à Keur Momar Sarr, se trouve un village dénommé Diokoul Fall. Ici, les populations se désaltèrent, avec leur cheptel, avec les eaux du lac. Ils cuisinent avec l’eau du lac et font la vaisselle avec. L’eau potable, les habitants de ce village ne savent pas ce que c’est.
En face de l’usine d’exploitation de la Société des eaux (Sde), située à Keur Momar Sarr à 52 Km de Louga, se trouve une dame. Elle s’appelle Adama Fall. Noirceur d’ébène, le commerce facile, la taille moyenne, elle attend un moyen de transport pour rallier son village pourtant distant de seulement un kilomètre. Sur le bord de l’asphalte, elle a posé une grande glacière bleue et une bassine en plastique marron. «J’étais venue m’approvisionner en crèmes glacés et en glace que je revends au village», nous renseigne-t-elle. «Apparemment, vous n’habitez pas dans le coin. Vous cherchez quelqu’un ? Si vous voulez, je peux vous renseigner», ajoute-t-elle. «Je suis un journaliste. Je viens de Dakar pour faire un reportage sur le lac de Guiers. Je voulais savoir s’il y a des villages implantés près du lac et qui n’ont pas accès à l’eau potable», lui répondis-je. «Vous tombez bien. Vous devriez commencer alors par notre village. C’est à un kilomètre d’ici. Après les barbelés de la ferme agricole qui vient juste après le mur de la Sde, vous tournez à droite et vous continuez jusqu’au village. Le reste, je ne vous le dirais pas. Vous verrez par vous-mêmes», nous dit-elle.
Suivant les indications d’Adama Fall, nous arrivons à Diokoul Fall, après avoir suivi une piste sablonneuse. Il est 12h 20mn lorsque nous arrivons sur la place publique de Diokoul Fall. Un grand village où vit plus de 400 personnes. Il est doté d’une école primaire et d’une petite mosquée implantés au centre du village. Diokoul Fall est un mélange de cases et de constructions en dur. Créé en 1938 par un certain Moussa Fall, il tend vers la modernité. Les populations qui ont les moyens commencent à troquer leurs cases contre des bâtiments en dur. Le train de la modernité est passé par là. Les autres vivent encore dans des cases. Malgré ce simulacre de modernité, le village vit encore à l’état primitif. Il n’a ni eau, ni électricité. Les populations se servent des lampes tempêtes pour l’éclairage et utilisent moins les bougies pour éviter que les cases ne prennent feu durant leur sommeil. Elles vivent d’agriculture et de pêche… et se désaltèrent avec l’eau du lac.
Populations et bêtes se disputent le lac
À partir du village, deux ruelles sont aménagées vers le lac. L’une conduit au versant utilisé par les dames pour la vaisselle, la lessive et les autres travaux ménagers. C’est là également où les bêtes se désaltèrent.
Sur l’autre versant, les dames remplissent les canaris d’eau du lac pour la consommation familiale. «Nous nous levons à l’aube pour aller au lac remplir les canaris d’eau destinée à notre propre consommation, car nous supposons que tous les déchets de la journée sont parties la nuit avec le ruissellement des eaux. Après avoir puisé l’eau, nous y mettons quelques gouttes d’eau de javel pour tuer les microbes. Mais, nous nous rendons compte que toutes ces précautions ne servent pas toujours, car les maladies diarrhéiques et la bilharziose sont bien présentes ici», renseigne la femme du chef de village.
«Nous avons ici plusieurs cas de bilharziose du fait que nous n’avons pas d’eau potable. Comme nous n’avons pas de poste de santé, nous conduisons nos malades à Nguithie, situé à 35 km d’ici. Malgré tout, nous n’avons d’autres choix que de boire l’eau du lac pour ne pas mourir de soif», confirme le chef de village, Madiagne Fall, un vieux affaibli par des années de dur labeur. «Tu vois qu’on ne t’a même pas offert de l’eau à boire malgré la distance que tu as parcourue pour venir jusqu’ici. La raison est que nous ne voulons pas que tu contractes ces maladies en faisant ton travail. Nous, nous sommes condamnés à vivre cette situation», se désole-t-il.
Et pourtant, Diokoul Fall est situé à 1 Km de la station de pompage de la Sde de Keur Momar Sarr. À partir du village, on voit les tuyaux qui acheminent l’eau vers Dakar. «Ce qui est le plus écœurant, c’est que nous sommes les plus proches de la station de pompage et nous sommes presque les seuls à ne pas être servis. Les autorités locales avaient fait creuser deux puits ici. Mais il a fallu juste 3 mois pour qu’ils tarissent. Durant la campagne pour les Locales, des autorités politiques étaient venues nous voir et avaient promis qu’elles allaient procéder à des branchements pour que nous puissions accéder à l’eau potable. Depuis lors, on ne les a plus revus ni entendus. Nous avons tout fait. Nous avons même écrit au président de la République, en vain. Nous buvons l’eau et pansons nos malades en nous disant que Dieu est le meilleur des juges. Chaque chose à une fin», dit-il, fataliste.
Comme Madiagne Fall, les populations de Diokoul Fall ont tellement entendu des promesses d’hypothétiques branchements de la Sde qu’elles ne croient plus qu’un jour, elles auront la joie de boire et de se laver avec de l’eau potable. L’électricité, elles n’en parlent même pas. Pour eux, c’est utopique que de la demander. En attendant que Dieu exauce leurs prières, elles continuent à se contenter du lac de Guiers, en voyant, chaque jour, avec envie, des milliers de m3 d’eau potable quitter la station de pompage de Keur Momar Sarr pour alimenter Dakar. Qui disait que charité bien ordonnée commence par soi !
En effet, bien que ses rives sont assez fertiles, le lac est implanté dans une zone semi- désertique qui appartient à la région écologique sahélienne caractérisée par une alternance de l’hivernage et de la saison sèche. La pluviométrie y est faible et irrégulière. Les températures moyennes annuelles sont très élevées. Le relief, quant à lui, est caractérisé par la présence de dunes, de vallées et de plateaux. La végétation est dominée par un tapis herbacé parsemé d’arbustes. Le lac de Guiers constitue ainsi la seule ressource en eau pérenne de cette zone. Ce qui a poussé les populations qui vivaient jadis de l’élevage à s’adonner à la culture irriguée. Des champs de canne à sucre (gérés principalement par la Compagnie sucrière sénégalaise), de riz et de patate douce y sont implantés.
L’amélioration des hauteurs du lac a aussi favorisé la pêche. Une activité qui fournit annuellement environ 2 000 tonnes de poisson.
Toutefois, la mise en service des barrages de Diama et de Manantali a eu des inconvénients sur le lac de Guiers. Il a profondément modifié le fonctionnement hydrologique du lac et la qualité de ses eaux. Ce qui a entraîné un fort développement de la végétation aquatique dans les zones peu profondes.
Heurts et convoitises
Réserve d’eau douce exceptionnelle dans le «désert» du Ferlo, en pleine zone sahélienne, le lac de Guiers apporte une solution au problème de la satisfaction des besoins en eau des populations humaines et animales. De ce fait, agriculteurs et pêcheurs wolofs et maures, mais aussi pasteurs peulhs se sont intégrés dans cet écosystème. Ainsi, aux conflits qu’engendre la coexistence parfois difficile entre ces groupes de personnes, sont venus se greffer, depuis plusieurs décennies, ceux découlant d’un développement de mise en valeur de cet espace.
En effet, depuis toujours, la gestion du lac de Guiers a été source de beaucoup de conflits entre les populations wolofs, peulhs et maures qui peuplent, en majorité, les rives du lac et qui s’adonnent à la pêche, à l’agriculture et à l’élevage.
Déjà, avant l’indépendance, le lac a fait partie des royaumes du Tékrour, du Walo et du Djolof. Sur sa rive occidentale, se trouvait la troisième et dernière capitale du royaume du Walo, une localité qui existe toujours sous le nom de Nder. De ce fait, des heurts y étaient monnaie courante pour le contrôle des terres fertiles (pour les agriculteurs essentiellement des wolofs) ou l’implantation du bétail (pour les éleveurs en majorité peulhs et maures). Conflits qui existent jusqu’à présent.
À ces problèmes «traditionnels», sont venus se greffer des conflits de compétences surtout pour la gestion des terres par les collectivités locales à qui la loi 96-07 du 22 mars 1996 a transféré certaines compétences dévolues jadis au pouvoir central. Avec la décentralisation, le législateur a voulu impliquer les acteurs locaux (sous la houlette des élus locaux) à tous les niveaux du processus de conception, de mise en application et de contrôle des politiques locales.
Litiges fonciers tous azimuts
Cependant, cette implication n’est pas si simplement réalisable que les déclarations peuvent le laisser croire. L’espace local est connu comme étant un lieu de rivalités, d’affrontements, de négociations et d’alliances entre des acteurs aux statuts socioprofessionnels divers, aux fonctions parfois incompatibles et aux stratégies multiples. Le lac de Guiers n’est pas épargné par ces rivalités du fait de ses enjeux socioéconomiques partagés par deux régions administratives (Saint-Louis au nord et Louga au sud) et plusieurs communautés rurales. Les communautés rurales de Ronkh, Ross Béthio, Mbane et Rosso Sénégal (région de Saint-Louis) et celles de Keur Momar Sarr et Syer (région de Louga) présentent des intérêts communs autour de la gestion des ressources et de l’espace du lac. Ainsi, la gestion collective de la ressource devient un enjeu de taille et une question sensible.
Aujourd’hui, les conflits sont plus nombreux et les litiges fonciers sont foison sur les rives du lac. Chaque collectivité locale distribuant à sa guise des terres.
Par exemple à Mbane, l’autorité locale a distribué à des responsables politiques, civiles et militaires plus de terres que sa propre collectivité locale n’en détient. En d’autres termes, elle a empiété sur les prérogatives d’une autre autorité locale. Un cas qui est loin d’être isolé. Toutes les rives du lac connaissent des problèmes fonciers qui minent la cohabitation entre les populations. Ces dernières se sentent, parfois, lésées au détriment de grosses pontes de la République ou d’investisseurs étrangers à qui l’on donne des terres moyennant une contrepartie financière au motif qu’ils peuvent mieux les gérer que les populations autochtones.
À Keur Momar Sarr (une communauté rurale de 17 086 habitants et 171 ménages, selon un recensement fait en 2002), on y trouve une ferme pilote d'irrigation et plusieurs champs agricoles éparpillés au bord du lac. Les champs sont privés pour la plupart et collectifs pour d’autres. La prolifération de ces champs a amené des querelles entre les bergers peulhs qui voient leurs chemins d'accès à l'eau fermés.
L’autre problème dénoncé par les populations de Keur Momar Sarr est que la localité possède une station de traitement d'eau potable et de pompage qui permet l'alimentation de l'agglomération dakaroise. Mais, elle n'emploie pas beaucoup d’habitants de la localité. Le personnel et les autres techniciens qui y travaillent viennent d'ailleurs.
Typha et maladies hydriques
En plus de ces problèmes fonciers, le lac de Guiers connaît également des problèmes environnementaux. Il est menacé par le typha, une plante aquatique qui pousse sous les eaux. Cette variété d’herbe haute s’est développée de manière tellement rapide qu’il a pris la moitié des eaux. Résultat : les populations et le bétail ont du mal à accéder aux eaux du lac. Les habitants de la communauté rurale de Keur Momar Sarr ne cessent de s’en plaindre. Mais, le problème avec le typha ce n’est pas seulement qu’il empêche les populations d’accéder à l’eau. C’est également un redoutable polluant. Et comme certaines populations n’ont pas d’autres choix que de s’approvisionner dans le lac pollué par le typha, elles ne cessent de contracter des maladies hydriques.
En effet, des maladies diarrhéiques comme le cholera et d’autres maladies hydriques comme la bilharziose font des ravages dans la communauté rurale de Keur Momar Sarr, surtout au niveau des villages implantés sur les rives du lac. Le problème du typha est tellement sérieux que des Ong comme Sos Sahel se sont engagés pour essayer d’y trouver une solution. Des recherches sont en cours pour tenter de trouver des solutions face à ce typha qui est une plante nuisible à l’environnement bien qu’il soit une source de revenue pour les populations qui confectionnent des nattes avec.
La «soif» à un Km de l’usine de la Sde
À un kilomètre de l’usine d’exploitation d’eau potable de la Société des eaux (Sde), implantée à Keur Momar Sarr, se trouve un village dénommé Diokoul Fall. Ici, les populations se désaltèrent, avec leur cheptel, avec les eaux du lac. Ils cuisinent avec l’eau du lac et font la vaisselle avec. L’eau potable, les habitants de ce village ne savent pas ce que c’est.
En face de l’usine d’exploitation de la Société des eaux (Sde), située à Keur Momar Sarr à 52 Km de Louga, se trouve une dame. Elle s’appelle Adama Fall. Noirceur d’ébène, le commerce facile, la taille moyenne, elle attend un moyen de transport pour rallier son village pourtant distant de seulement un kilomètre. Sur le bord de l’asphalte, elle a posé une grande glacière bleue et une bassine en plastique marron. «J’étais venue m’approvisionner en crèmes glacés et en glace que je revends au village», nous renseigne-t-elle. «Apparemment, vous n’habitez pas dans le coin. Vous cherchez quelqu’un ? Si vous voulez, je peux vous renseigner», ajoute-t-elle. «Je suis un journaliste. Je viens de Dakar pour faire un reportage sur le lac de Guiers. Je voulais savoir s’il y a des villages implantés près du lac et qui n’ont pas accès à l’eau potable», lui répondis-je. «Vous tombez bien. Vous devriez commencer alors par notre village. C’est à un kilomètre d’ici. Après les barbelés de la ferme agricole qui vient juste après le mur de la Sde, vous tournez à droite et vous continuez jusqu’au village. Le reste, je ne vous le dirais pas. Vous verrez par vous-mêmes», nous dit-elle.
Suivant les indications d’Adama Fall, nous arrivons à Diokoul Fall, après avoir suivi une piste sablonneuse. Il est 12h 20mn lorsque nous arrivons sur la place publique de Diokoul Fall. Un grand village où vit plus de 400 personnes. Il est doté d’une école primaire et d’une petite mosquée implantés au centre du village. Diokoul Fall est un mélange de cases et de constructions en dur. Créé en 1938 par un certain Moussa Fall, il tend vers la modernité. Les populations qui ont les moyens commencent à troquer leurs cases contre des bâtiments en dur. Le train de la modernité est passé par là. Les autres vivent encore dans des cases. Malgré ce simulacre de modernité, le village vit encore à l’état primitif. Il n’a ni eau, ni électricité. Les populations se servent des lampes tempêtes pour l’éclairage et utilisent moins les bougies pour éviter que les cases ne prennent feu durant leur sommeil. Elles vivent d’agriculture et de pêche… et se désaltèrent avec l’eau du lac.
Populations et bêtes se disputent le lac
À partir du village, deux ruelles sont aménagées vers le lac. L’une conduit au versant utilisé par les dames pour la vaisselle, la lessive et les autres travaux ménagers. C’est là également où les bêtes se désaltèrent.
Sur l’autre versant, les dames remplissent les canaris d’eau du lac pour la consommation familiale. «Nous nous levons à l’aube pour aller au lac remplir les canaris d’eau destinée à notre propre consommation, car nous supposons que tous les déchets de la journée sont parties la nuit avec le ruissellement des eaux. Après avoir puisé l’eau, nous y mettons quelques gouttes d’eau de javel pour tuer les microbes. Mais, nous nous rendons compte que toutes ces précautions ne servent pas toujours, car les maladies diarrhéiques et la bilharziose sont bien présentes ici», renseigne la femme du chef de village.
«Nous avons ici plusieurs cas de bilharziose du fait que nous n’avons pas d’eau potable. Comme nous n’avons pas de poste de santé, nous conduisons nos malades à Nguithie, situé à 35 km d’ici. Malgré tout, nous n’avons d’autres choix que de boire l’eau du lac pour ne pas mourir de soif», confirme le chef de village, Madiagne Fall, un vieux affaibli par des années de dur labeur. «Tu vois qu’on ne t’a même pas offert de l’eau à boire malgré la distance que tu as parcourue pour venir jusqu’ici. La raison est que nous ne voulons pas que tu contractes ces maladies en faisant ton travail. Nous, nous sommes condamnés à vivre cette situation», se désole-t-il.
Et pourtant, Diokoul Fall est situé à 1 Km de la station de pompage de la Sde de Keur Momar Sarr. À partir du village, on voit les tuyaux qui acheminent l’eau vers Dakar. «Ce qui est le plus écœurant, c’est que nous sommes les plus proches de la station de pompage et nous sommes presque les seuls à ne pas être servis. Les autorités locales avaient fait creuser deux puits ici. Mais il a fallu juste 3 mois pour qu’ils tarissent. Durant la campagne pour les Locales, des autorités politiques étaient venues nous voir et avaient promis qu’elles allaient procéder à des branchements pour que nous puissions accéder à l’eau potable. Depuis lors, on ne les a plus revus ni entendus. Nous avons tout fait. Nous avons même écrit au président de la République, en vain. Nous buvons l’eau et pansons nos malades en nous disant que Dieu est le meilleur des juges. Chaque chose à une fin», dit-il, fataliste.
Comme Madiagne Fall, les populations de Diokoul Fall ont tellement entendu des promesses d’hypothétiques branchements de la Sde qu’elles ne croient plus qu’un jour, elles auront la joie de boire et de se laver avec de l’eau potable. L’électricité, elles n’en parlent même pas. Pour eux, c’est utopique que de la demander. En attendant que Dieu exauce leurs prières, elles continuent à se contenter du lac de Guiers, en voyant, chaque jour, avec envie, des milliers de m3 d’eau potable quitter la station de pompage de Keur Momar Sarr pour alimenter Dakar. Qui disait que charité bien ordonnée commence par soi !