L'ancien patron du FMI Dominique Strauss-Kahn se présentera lundi devant les juges du tribunal correctionnel de Lille pour répondre de proxénétisme aggravé, presque quatre ans après le scandale du Sofitel qui lui avait coûté sa carrière politique.
Accusé d'avoir été au coeur d'un réseau de prostitution mis en place par ses amis du nord, l'ancien favori des sondages de la présidentielle 2012 se retrouve sur le banc des prévenus aux côtés de treize autres personnes: hôtelier, policier, avocat, entrepreneurs, et même un souteneur surnommé "Dodo la Saumure".
Les juges ont estimé au terme de l'instruction d'une part que DSK ne pouvait ignorer que les femmes qu'on lui présentait lors de parties fines étaient des prostituées rémunérées et d'autres part que ces soirées étaient organisées spécialement pour lui, en faisant "le roi de la fête".
Lors de son renvoi devant le tribunal correctionnel, ses avocats avaient déclaré que DSK se rendrait "sereinement" devant le tribunal, fort des réquisitions de non-lieu prises par le parquet dans cette affaire. L'un de ses conseils Richard Malka avait parlé d'un "acharnement" des juges, où la morale s'oppose aux faits juridiques.
A l'approche du procès, la défense de Dominique Strauss-Kahn est restée silencieuse. Sa position est restée la même pendant l'instruction: il était adepte du libertinage, pas de prostituées, et ignorait la qualité des jeunes femmes participant aux soirées.
"C'est vraiment nous faire croire qu'il est naïf", répond sèchement "Jade", l'une des prostituées interrogées pendant l'enquête, particulièrement sévère contre DSK selon une source judiciaire.
A l'opposé du libertinage, pratique qui selon ses adeptes nécessite un certain raffinement, des participantes ont décrit des séances de "carnage".
"Jade" est l'une des deux seules prostituées à s'être portée partie civile dans un premier temps, mais deux autres souhaitent les rejoindre, selon l'association qui les soutient.
- Les avocats fourbissent leurs armes -
L'avocat de Jade, Me Gérald Laporte, a prévu de demander le huis-clos des audiences. Le tribunal donnera sa réponse immédiatement. Trois scénarios sont possibles: il peut accéder à la requête, la refuser, ou accorder un huis-clos partiel.
"On criminalise les clients, ce qui n'est pas dans l'esprit des législateurs", tonne de son côté Me Dupond-Moretti, avocat de David Roquet, ex-patron d'une filiale du groupe de BTP Eiffage qui sera sur le banc des prévenus.
Avant de débattre sur le fond, le tribunal devra répondre à certaines questions. L'avocat du policier Jean-Christophe Lagarde, également poursuivi dans cette affaire, a d'ores et déjà déposé une requête en nullité.
Se fondant sur les déclarations d'un ancien commissaire de la police judiciaire de Lille, Joël Specque, dans un livre autobiographique, Me Olivier Bluche estime qu'une enquête "officieuse" a été menée dès juin 2010, bien avant l'ouverture de l'enquête préliminaire en février 2011.
"Cela signifie qu'on a caché huit mois d'enquête à mon client qui a été mis en examen sur la base d'un dossier sciemment faussé, et qu'on demande au tribunal de juger d'une affaire en lui cachant huit mois d'investigation", avance-t-il.
Cette requête intervient alors même que Canal + diffuse lundi une enquête affirmant que l'affaire dite du Carlton a donné lieu durant neuf mois à des écoutes administratives autorisées par Matignon, entre juin 2010 et février 2011.
L'enquête préliminaire avait été ouverte par la police judiciaire de Lille, sur des renseignements anonymes. Les enquêteurs se penchent alors sur les fréquentations de l'hôtel Carlton et de l'hôtel des Tours, où René Kojfer, en charge des relations publiques, est soupçonné de faire venir des prostituées pour satisfaire quelques clients.
Il "n'a jamais touché un centime", observe son avocat Me Hubert Delarue.
La surveillance mise en place, notamment sur le téléphone portable de René Kojfer, fait sortir peu à peu des noms, dont celui de Dominique Strauss-Kahn, lâché fortuitement au détour d'une conversation.
Les enquêteurs remontent un réseau de notables qu'ils soupçonnent de profiter des filles mises à disposition par le chargé des relations publiques, dont David Roquet et Fabrice Paszkowski, un entrepreneur spécialisé dans le matériel médical.
Ces deux derniers font partie d'un cercle amical, libertin, parfois franc-maçon, auquel viennent s'ajouter le policier Jean-Christophe Lagarde, alors directeur de la sûreté départementale du Nord, et Dominique Strauss-Kahn.
Selon l'accusation, les quatre hommes se retrouvent à l'occasion de plusieurs soirées, dans le nord mais aussi à Paris ou encore à Washington, où trois voyages sont organisés alors que DSK est encore à la tête du FMI.
Dominique Strauss-Kahn est attendu lundi pour l'ouverture du procès, mais ne devrait pas témoigner avant le début de la semaine suivante.