3 000 familles de pêcheurs sont désormais des déplacés climatiques, livrées à un risque réel d’appauvrissement. Cependant, seules 1000 personnes vivent, depuis plus de 7 ans, dans des camps pour « refugiés climatiques », sans eau, ni électricité, à Diougop, quartier situé à 11km de Saint- Louis.
Un peu plus loin, à 9 km, vers la sortie de Saint-Louis, la vie reprend son cours normal. Rien ne laisse paraître le chaos que sème l’érosion côtière et fluviale. Ici, le soleil est d’aplomb, le vent sec et les ruelles sablonneuses sont presque vides. Loin du brouhaha de Guet Ndar avec ses 26 000 habitants, entassés sur 16 km carrés de terre avec leurs pirogues, des ouvriers s’attèlent à finir la route en pavés, qui mène vers le camp des sinistrés de Diougop.
Il est 13 heures, à l’entrée du camp. Les portes des premières rangées des unités mobiles d’habitation, constituées de matière en plastique, qui sert de maisons aux sinistrés, sont fermées. On avance difficilement sur cette terre sablonneuse. L’espace est animé par un silence assourdissant. Après quelques pas, un groupe d’enfants s’improvisent en guides. Au passage, ils nous montrent les abris qui leur servent de salles de classe sur le site, du CI au CM2. « J’aimais ma maison d’avant. Mes amis me manquent et je voudrais retrouver mon ancienne école », confie Abdou, assis sous la fenêtre de sa classe, loin du quartier populaire de Gokhou Mbathie, d’où il vient.
Une vie pénible à Diougop
«Désolée pour le désordre ! je m’apprêtais à sortir. Prenez cet éventail pour vous rafraâchir, il fait très chaud et on n’a pas l’électricité pour allumer des ventilateurs», tonne Khady Sène Bâ, vêtue d’un léger boubou en voile.
«C’était une nuit de 2016, les cris des enfants m’ont réveillée au beau milieu de la nuit. Les vagues avaient délogé le mur de clôture de la maison, envahi la cour, engloutissant la cuisine et tout ce qui s’y trouvait. On n’avait que le temps de sauver nos vies face au déchaînement de la mer. Cette nuit fut longue et pénible », se souvient Khady Bèye Sène, femme transformatrice de produits halieutiques. Et de poursuivre: «En une nuit, j’ai tout perdu, tout!».
Dans sa nouvelle demeure de 17m², faite en métal et en plastique, Khady s’est réinventée un environnement stable et accueillant. Sa demeure confortable, faite en dur, en face de la mer, est désormais un souvenir à la fois agréable et amer. Tout ce dont elle dispose, est un salon, une cour, qu’elle partage avec ses moutons et une chambre, pour survivre à Diougop.
Les changements climatiques ont chamboulé sa vie. Elle a perdu sa maison, son travail et sa quiétude. « Je suis transformatrice de produits halieutiques, comme le faisait ma mère. Je gagnais bien ma vie, sans aucun souci majeur. Je n’avais pas un salaire fixe, mais parfois, je me faisais 50 000 FCfa par semaine. Mais depuis qu’on nous a déplacés, les choses ont complètement changé. J’ai perdu mon travail et ma maison », se résigne-t-elle, submergée par les souvenirs.
Ce drame ne l’a pas laissé indemne. La vendeuse de produits halieutiques a subi un traumatisme psychologique. «J’étais dépressive, après avoir tout perdu quand la mer s’est attaquée à ma maison. Je n’arrivais plus à me concentrer, j’étais traumatisée. Et le pire, c’était qu’on vivait dans l’insécurité totale, au camp de Khar Yalla. Ici à Diougop, malgré les incertitudes, on s’est adapté à notre nouvelle vie.»
Le travail, un casse-tête pour les sinistrés
Habiter les pieds dans l’eaux, n’était pas seulement source de jouissance pour les sinistrés, ça facilitait aussi le travail des pêcheurs et des femmes vendeuses de poissons. Tout se trouvait à leur porté. Nul besoin de se déplacer pour gagner de l’argent. Aujourd’hui, vivant à 11 kilomètres des côtes de la Langue de Barbarie, « ces peuples de l’eau » peinent à joindre Guet Ndar. Désormais, travailler est devenu un fardeau pour eux. «Je quitte à 6 heures du matin pour aller à la plage d’Hydrobase, pour vaquer à mes occupations. Ce qui occasionne des dépenses supplémentaires. Et pour cela, je suis obligée de prendre le bus avec le risque d’arriver en retard ou de payer un taxi. Rien que pour ça, je débourse 500 à 1000 FCfa par jour. Alors que l’avancée de la mer continue de fragiliser l’économie maritime à Saint-Louis, certaines espèces de poisson sont devenues rares… Hélas, le travail a diminué et les revenus sont faibles par rapport au coût de la vie», souligne-t-elle avec désolation.
A cela s’ajoute les conditions de vie difficiles qui minent la vie des déplacés au camp. « Depuis un an, on n’a plus d’eau. Ce sont les citernes qui distribuent le liquide précieux aux habitants. Pis, on vit sans électricité. La température ambiante dans les unités d’habitation mobiles, est insupportable. Qu’il fasse chaud ou froid, la température est à son maximum, car la bâche est faite de plastique. On achète chaque jour 10 bouteilles de 20 litres d’eau. Alors que chez nous, la facture d’eau ne dépassait pas 2500 FCfa pour deux mois. Des dépenses auxquelles nous n’avons plus les moyens de subvenir. La vie est dure pour certaines familles. Ici, manger est devenu un luxe », confesse Khady Sène.
« Quand on habitait à Guet Ndar, je pouvais facilement me rendre à la plage, trouver du poisson et le revendre. J’avais des bénéfices qui me permettaient d’entretenir ma famille», avoue Nafi Gaye, vendeuse de poisson. Du haut de ses 60 ans, cette grand-mère, assise sur une bouteille d’eau pour faire ses ablutions, au milieu d’une bâche où il fait près de 32 degrés, explique comment sa vie est devenue difficile suite à la catastrophe qu’elle a vécue. «Je n’arrive plus à voir même du poisson pour le vendre, encore moins le transformer. Je suis âgée et le transport en commun ne me facilite pas la vie. Chaque matin, je quitte le camp de Diougop pour rallier Guet Ndar afin de me faire un peu d’argent, pour ensuite rentrer tard le soir». Elle ajoute : «je vis difficilement dans ces camps réservés aux sinistrés. On est mis à l’écart, dans des cases étroites et chaud, sans eau ni électricité. Et le pire, c’est qu’on ne peut pas pratiquer aucune activité économique sur le site, car les gens qui y vivent, ne mangent pas à leur faim».
Ces impacts économiques et sociaux touchent la majorité des familles victimes de l’érosion côtière. Soda Ndiaye, une sinistrée venant de Gokhou Mbathie, relogée à Khare Yalla depuis 2016? dans des logements sociaux dénommés Cité Bamba Dièye, s’est résignée à être femme au foyer. « La mer avait envahi nos maisons. Depuis 7 ans, on vit sans eau ni électricité. L’approvisionnement en électricité est effectif il y a juste 3 mois, après les élections locales. Pour ce qui est de l’eau, on attend toujours. Ces logements sont temporaires. On ne sait pas jusqu’à quand nous allons rester».
Pour Soda, ce changement d’environnement est très difficile. «Je le vis très difficilement, car j’ai perdu mon travail. Depuis que je suis ici, je ne travaille plus, alors qu’e j’étais vendeuse de poisson. Etant femme de pêcheur, ma principale source de revenus était liée à la mer, avec la vente de poisson. Aujourd’hui, je suis une femme au foyer, sans activité génératrice de revenus. Je n’ai pas les moyens pour vendre du poisson. Car, pour aller à Gokhou Mbathie, il me faudra débourser de l’argent pour le transport et je n’ai pas cette possibilité. Le transport est un frein. Et ici, aucune activité commerciale n’a de rendement. Tout ce que tu commences ou investis, fini par échouer. Nos enfants aussi ne connaissent que la pêche, c’est difficile de joindre les deux bouts, mais on s’en remet à Dieu ».
L’autre problème, c’est la scolarisation des enfants vivant dans les camps. La majeure partie d’entre eux a abandonné l’école, d’après Soda Ndiaye. «Il n’y a pas d’école et nous n’avons pas les moyens de payer le privé. Beaucoup d’entre eux ont abandonné à cause de la distance avec l’école, qui se trouve à quelques kilomètres. »
A Khar Yalla, les sinistrés ont fui l’eau pour venir dans l’eau. «Le pire, c’est qu’on a fui la mer, pour venir faire face aux problèmes d'inondation et d’érosion fluviale. Face aux vagues, on avait que nos cris pour extérioriser notre désarroi, mais ici pendant l’hivernage, la montée des eaux du lac a envahi nos maisons. On vit dans l’eau en permanence. Cette eau est sale, car on y déverse, pendant, la saison sèche nos eaux usées, qui refont surface avec la saison des pluies».
Un environnement «nuisible pour la santé des populations de l’eau»
« Le pire est que nos enfants ont commencé à tomber malades. Les unités mobiles (dont la durée de vie est de 36 mois) sont implantées au milieu de nulle part. Certains jeunes sont exposés aux «raabs» (forces mystiques dotées de pouvoirs surnaturels). Il y en a parmi eux qui sont devenus fous», conclut Khady.
D’après elle, la chaleur est insupportable pour les habitants de Guet-Ndar. «Quand on est habitué à humer l’air frais de la mer, il nous est impossible de nous adapter à ce climat chaud et sec des camps de Diougop. Certains, face au pic des températures dans les boes, ont préféré partir et se trouver d’autres logements. D’autres sont tombés malades plusieurs fois, à cause de la chaleur. Les plus âgés ont été les plus vulnérables. Beaucoup d’entre eux sont morts face au pic de chaleur et de froid.»
Aujourd’hui, Saint-Louis compte près de 3 000 déplacés climatiques, selon les données de la Banque Mondiale. Seules 1000 personnes sont encore dans le camp de Diougop. Et ce chiffre pourrait atteindre les 20 000 déplacés dans les années à venir. En effet, le réchauffement climatique et l’ouverture de la brèche, depuis 2003, ne cesse de grignoter des maisons entières, entre les quartiers Santhiaba, Guet Ndar et Gokhou Mbathie, allant même jusqu’à Tassinieré Gandiole. Mettant à mal l’économie de plus de 1000 familles de pêcheurs. Parce que ne pouvant plus avoir des revenus fixes. Certains risquent leurs vies, en allant pêcher vers les côtes mauritaniennes, avec l’ouverture de la brèche depuis 2003. D’autres ont été déplacés loin de leur zone d’activité économique (Langue de Barbarie).
En effet, le projet de relèvement et de résilience d’urgence pour la région de Saint-Louis (SERRP), lancé en 2018, vise entre autres, à dégager une bande de sécurité de 20 mètres de large sur 3,5 kilomètres de long, entre la mer et les quartiers de Guet Ndar, Gokhou Mbathie et Ndar-Toute, pour sécuriser les populations installées dans cette zone et réduire les dégâts causés par l’avancée de la mer. Au total, 432 concessions et 1 027 ménages, ainsi que des biens publics tels que des mosquées, des écoles, et autres infrastructures socio-économiques, qui sont au nombre de onze (11) et trente (30) places d’affaires, sont concernées par les démolitions, rapporte la SERRP. Ces opérations vont ainsi entraîner le déplacement de 11 808 personnes.
Des dérèglements écologiques qui ont eu un impact lourd sur les activités économiques des habitants, principalement la pêche, le maraîchage, le tourisme et le commerce de produits halieutiques. D’après l’étude faite par le professeur de géographie Djiby Sambou, en 2019, « les activités économiques les plus affectées sont, la pêche (91%) et le commerce de produits halieutiques (77%) pratiquées en majorité par les femmes transformatrices des produits halieutiques».
L’espoir d’une vie meilleure
Malgré tout, l’espoir est permis à Diougop. Mamadou Thiam, président de la cellule de gestion de Diougop, fait le point sur la situation du camp et le projet de construction de 350 maisons pour les sinistrés, juste derrière le site. « Actuellement, il y a près de 1000 personnes dans ce camp de réfugiés climatiques, réparties dans les 260 blocs que compte le site, dont 5 personnes dans chaque unité. La vie est difficile ici. Depuis 2 ans, on vit un calvaire. On est livré à nous-mêmes, mais on accepte, car on n’a pas le choix. On n’a nulle part où aller, car la mer nous a arraché nos maisons. Il n’y aucune activité économique ici», explique-t-il, dès l’entame de son propos.
Et de poursuivre : « La majorité des gens ont préféré partir pour louer, ce qui n’ont pas les moyens, font la navette entre Diougop et Guet Ndar pour pouvoir travailler. On n’a plus les mêmes revenus, car travailler à la plage est devenu coûteux et périlleux. Là-bas, on ne payait pas le transport, mais ici, tu payes pour pouvoir aller travailler».
Néanmoins, «la construction des logements devrait commencer en 2020, mais il n’y a toujours rien. Récemment, ils nous ont promis de livrer les maisons dans 7 mois. On a beaucoup d’espoir en tout cas. Et d’ici 7 mois, si rien n’est fait, ils vont nous entendre. Il nous avait donné un délai d’un an et demi pour nous livrer nos logements, on en est à notre 3e année, et ça suffit largement. La mairie de Saint-Louis nous a promis que d’ici 7 mois, elle va nous livrer nos maisons, car elle a engagé trois entrepreneurs pour finir au plus tôt la construction. Chaque entreprise va s’atteler à la réalisation de 100 maisons sur les 350 prévues. La mairie nous nourrit d’espoir depuis 6 ans, concernant un possible remboursement pour les pertes matérielles et financières enregistrées», raconte M. Thiam.
D’ailleurs, dans le cadre de la lutte contre l’érosion côtière, la Banque Mondiale avait financé dans un premier temps, en 2018, (15 millions de dollars) et en 2020 (50 millions de dollars), deux financements estimés à 85 millions de dollars pour le relogement de 10 000 personnes menacées par la montée du niveau de la mer, à Saint-Louis. A travers le projet de relèvement d’urgence et de résilience à Saint–Louis (SERRP), l’Etat du Sénégal s’est fixé comme objectif, de réduire la vulnérabilité aux risques côtiers des populations établies le long de la Langue de Barbarie et de renforcer la planification de la résilience urbaine et côtière de la ville de Saint-Louis. Entré en activité depuis septembre 2018, le SERRP est mis en œuvre à travers 5 composantes, dont 3 opérationnelles.
A ce jour, le coût global du projet est de 93,3 millions de dollars (dont 13,3 millions de contrepartie du gouvernement) et une extension de 2 ans de sa durée.
L’espoir d’une vie meilleure
Malgré tout, l’espoir est permis à Diougop. Mamadou Thiam, président de la cellule de gestion de Diougop, fait le point sur la situation du camp et le projet de construction de 350 maisons pour les sinistrés, juste derrière le site. « Actuellement, il y a près de 1000 personnes dans ce camp de réfugiés climatiques, réparties dans les 260 blocs que compte le site, dont 5 personnes dans chaque unité. La vie est difficile ici. Depuis 2 ans, on vit un calvaire. On est livré à nous-mêmes, mais on accepte, car on n’a pas le choix. On n’a nul part où aller, car la mer nous a arraché nos maisons. Il n’y aucune activité économique ici», explique-t-il, dès l’entame de son propos.
Et de poursuivre : « La majorité des gens ont préféré partir pour louer, ce qui n’ont pas les moyens font la navette entre Diougop et Guet Ndar pour pouvoir travailler. On n’a plus les mêmes revenus, car travailler à la plage est devenu coûteux et périlleux. Là-bas, on ne payait pas le transport, mais ici, tu payes pour pouvoir aller travailler».
Néanmoins, «la construction des logements devrait commencer en 2020, mais il n’y a toujours rien. Récemment, ils nous ont promis de livrer les maisons dans 7 mois. On a beaucoup d’espoir en tout cas. Et d’ici 7 mois, si rien n’est fait, ils vont nous entendre. Il nous avait donné un délai d’un an et demi pour nous livrer nos logements, on en est à notre 3e année, et ça suffit largement. La mairie de Saint-Louis nous a promis que d’ici 7 mois, elle va nous livrer nos maisons, car elle a engagé trois entrepreneurs pour finir au plus tôt la construction. Chaque entreprise va s’atteler à la réalisation de 100 maisons sur les 350 prévues. La mairie nous nourrit d’espoir depuis 6 ans, concernant un possible remboursement pour les pertes matérielles et financières enregistrées», raconte M. Thiam.
La mairie de Saint-Louis “manque de fonds”
Interrogée sur les difficultés auxquelles les sinistrés de Diougop font face, Aida Mbaye, adjointe au maire de Saint-Louis, se veut rassurante, tout en rappelant que les collectivités ne disposent pas d’assez de ressources financières. «D’abord, ce site n’est pas un site de logement provisoire, c’est viable avec toutes les commodités dont les populations ont besoin. Concernant le manque d’eau, c’est un problème qui sévit dans toute la ville de Saint-Louis», soutient-elle au téléphone. Et de rappeler que, la mairie, le SERRP et l’Agence de développement municipale (ADM), travaillent à veiller à l’épanouissement et l’intégration des sinistrés à Diougop. « Il y a des activités génératrices de revenus, le SERRP va finaliser un projet de bus qui quitte Diougop pour aller à Guet-Ndar. C’est presque prêt, d’autres sont partis construire leurs maisons. Ils étaient contents de venir ici. Je ne sais pas ce qui retarde les constructions des maisons. Et c’est difficile, les collectivités territoriales n’ont pas assez de fonds pour appuyer toutes ces femmes ».
Cheikh Wade, environnementaliste: « le problème se situe au niveau de la gouvernance »
Face à la détresse des sinistrés de Diougop, le manque d‘eau, l’insalubrité, l’insécurité, la non électrification et « l’isolement », Dr. Cheikh Wade estime qu’il y a de bonnes stratégies de résilience face à l’érosion côtière à Saint-Louis. Pour lui, le souci se situe au niveau de la gouvernance et de la conception des projets. A l’en croire, il faudra créer un marché central au poisson, des emplois, ouvrir des écoles, pour permettre aux sinistrés de s’adapter à la vie à Diougop. « Ce qui facilitera leur intégration socio-économique. Et de veiller à un accompagnement continu », préconise-t-il.
ThieyDakar
Un peu plus loin, à 9 km, vers la sortie de Saint-Louis, la vie reprend son cours normal. Rien ne laisse paraître le chaos que sème l’érosion côtière et fluviale. Ici, le soleil est d’aplomb, le vent sec et les ruelles sablonneuses sont presque vides. Loin du brouhaha de Guet Ndar avec ses 26 000 habitants, entassés sur 16 km carrés de terre avec leurs pirogues, des ouvriers s’attèlent à finir la route en pavés, qui mène vers le camp des sinistrés de Diougop.
Il est 13 heures, à l’entrée du camp. Les portes des premières rangées des unités mobiles d’habitation, constituées de matière en plastique, qui sert de maisons aux sinistrés, sont fermées. On avance difficilement sur cette terre sablonneuse. L’espace est animé par un silence assourdissant. Après quelques pas, un groupe d’enfants s’improvisent en guides. Au passage, ils nous montrent les abris qui leur servent de salles de classe sur le site, du CI au CM2. « J’aimais ma maison d’avant. Mes amis me manquent et je voudrais retrouver mon ancienne école », confie Abdou, assis sous la fenêtre de sa classe, loin du quartier populaire de Gokhou Mbathie, d’où il vient.
Une vie pénible à Diougop
«Désolée pour le désordre ! je m’apprêtais à sortir. Prenez cet éventail pour vous rafraâchir, il fait très chaud et on n’a pas l’électricité pour allumer des ventilateurs», tonne Khady Sène Bâ, vêtue d’un léger boubou en voile.
«C’était une nuit de 2016, les cris des enfants m’ont réveillée au beau milieu de la nuit. Les vagues avaient délogé le mur de clôture de la maison, envahi la cour, engloutissant la cuisine et tout ce qui s’y trouvait. On n’avait que le temps de sauver nos vies face au déchaînement de la mer. Cette nuit fut longue et pénible », se souvient Khady Bèye Sène, femme transformatrice de produits halieutiques. Et de poursuivre: «En une nuit, j’ai tout perdu, tout!».
Dans sa nouvelle demeure de 17m², faite en métal et en plastique, Khady s’est réinventée un environnement stable et accueillant. Sa demeure confortable, faite en dur, en face de la mer, est désormais un souvenir à la fois agréable et amer. Tout ce dont elle dispose, est un salon, une cour, qu’elle partage avec ses moutons et une chambre, pour survivre à Diougop.
Les changements climatiques ont chamboulé sa vie. Elle a perdu sa maison, son travail et sa quiétude. « Je suis transformatrice de produits halieutiques, comme le faisait ma mère. Je gagnais bien ma vie, sans aucun souci majeur. Je n’avais pas un salaire fixe, mais parfois, je me faisais 50 000 FCfa par semaine. Mais depuis qu’on nous a déplacés, les choses ont complètement changé. J’ai perdu mon travail et ma maison », se résigne-t-elle, submergée par les souvenirs.
Ce drame ne l’a pas laissé indemne. La vendeuse de produits halieutiques a subi un traumatisme psychologique. «J’étais dépressive, après avoir tout perdu quand la mer s’est attaquée à ma maison. Je n’arrivais plus à me concentrer, j’étais traumatisée. Et le pire, c’était qu’on vivait dans l’insécurité totale, au camp de Khar Yalla. Ici à Diougop, malgré les incertitudes, on s’est adapté à notre nouvelle vie.»
Le travail, un casse-tête pour les sinistrés
Habiter les pieds dans l’eaux, n’était pas seulement source de jouissance pour les sinistrés, ça facilitait aussi le travail des pêcheurs et des femmes vendeuses de poissons. Tout se trouvait à leur porté. Nul besoin de se déplacer pour gagner de l’argent. Aujourd’hui, vivant à 11 kilomètres des côtes de la Langue de Barbarie, « ces peuples de l’eau » peinent à joindre Guet Ndar. Désormais, travailler est devenu un fardeau pour eux. «Je quitte à 6 heures du matin pour aller à la plage d’Hydrobase, pour vaquer à mes occupations. Ce qui occasionne des dépenses supplémentaires. Et pour cela, je suis obligée de prendre le bus avec le risque d’arriver en retard ou de payer un taxi. Rien que pour ça, je débourse 500 à 1000 FCfa par jour. Alors que l’avancée de la mer continue de fragiliser l’économie maritime à Saint-Louis, certaines espèces de poisson sont devenues rares… Hélas, le travail a diminué et les revenus sont faibles par rapport au coût de la vie», souligne-t-elle avec désolation.
A cela s’ajoute les conditions de vie difficiles qui minent la vie des déplacés au camp. « Depuis un an, on n’a plus d’eau. Ce sont les citernes qui distribuent le liquide précieux aux habitants. Pis, on vit sans électricité. La température ambiante dans les unités d’habitation mobiles, est insupportable. Qu’il fasse chaud ou froid, la température est à son maximum, car la bâche est faite de plastique. On achète chaque jour 10 bouteilles de 20 litres d’eau. Alors que chez nous, la facture d’eau ne dépassait pas 2500 FCfa pour deux mois. Des dépenses auxquelles nous n’avons plus les moyens de subvenir. La vie est dure pour certaines familles. Ici, manger est devenu un luxe », confesse Khady Sène.
« Quand on habitait à Guet Ndar, je pouvais facilement me rendre à la plage, trouver du poisson et le revendre. J’avais des bénéfices qui me permettaient d’entretenir ma famille», avoue Nafi Gaye, vendeuse de poisson. Du haut de ses 60 ans, cette grand-mère, assise sur une bouteille d’eau pour faire ses ablutions, au milieu d’une bâche où il fait près de 32 degrés, explique comment sa vie est devenue difficile suite à la catastrophe qu’elle a vécue. «Je n’arrive plus à voir même du poisson pour le vendre, encore moins le transformer. Je suis âgée et le transport en commun ne me facilite pas la vie. Chaque matin, je quitte le camp de Diougop pour rallier Guet Ndar afin de me faire un peu d’argent, pour ensuite rentrer tard le soir». Elle ajoute : «je vis difficilement dans ces camps réservés aux sinistrés. On est mis à l’écart, dans des cases étroites et chaud, sans eau ni électricité. Et le pire, c’est qu’on ne peut pas pratiquer aucune activité économique sur le site, car les gens qui y vivent, ne mangent pas à leur faim».
Ces impacts économiques et sociaux touchent la majorité des familles victimes de l’érosion côtière. Soda Ndiaye, une sinistrée venant de Gokhou Mbathie, relogée à Khare Yalla depuis 2016? dans des logements sociaux dénommés Cité Bamba Dièye, s’est résignée à être femme au foyer. « La mer avait envahi nos maisons. Depuis 7 ans, on vit sans eau ni électricité. L’approvisionnement en électricité est effectif il y a juste 3 mois, après les élections locales. Pour ce qui est de l’eau, on attend toujours. Ces logements sont temporaires. On ne sait pas jusqu’à quand nous allons rester».
Pour Soda, ce changement d’environnement est très difficile. «Je le vis très difficilement, car j’ai perdu mon travail. Depuis que je suis ici, je ne travaille plus, alors qu’e j’étais vendeuse de poisson. Etant femme de pêcheur, ma principale source de revenus était liée à la mer, avec la vente de poisson. Aujourd’hui, je suis une femme au foyer, sans activité génératrice de revenus. Je n’ai pas les moyens pour vendre du poisson. Car, pour aller à Gokhou Mbathie, il me faudra débourser de l’argent pour le transport et je n’ai pas cette possibilité. Le transport est un frein. Et ici, aucune activité commerciale n’a de rendement. Tout ce que tu commences ou investis, fini par échouer. Nos enfants aussi ne connaissent que la pêche, c’est difficile de joindre les deux bouts, mais on s’en remet à Dieu ».
L’autre problème, c’est la scolarisation des enfants vivant dans les camps. La majeure partie d’entre eux a abandonné l’école, d’après Soda Ndiaye. «Il n’y a pas d’école et nous n’avons pas les moyens de payer le privé. Beaucoup d’entre eux ont abandonné à cause de la distance avec l’école, qui se trouve à quelques kilomètres. »
A Khar Yalla, les sinistrés ont fui l’eau pour venir dans l’eau. «Le pire, c’est qu’on a fui la mer, pour venir faire face aux problèmes d'inondation et d’érosion fluviale. Face aux vagues, on avait que nos cris pour extérioriser notre désarroi, mais ici pendant l’hivernage, la montée des eaux du lac a envahi nos maisons. On vit dans l’eau en permanence. Cette eau est sale, car on y déverse, pendant, la saison sèche nos eaux usées, qui refont surface avec la saison des pluies».
Un environnement «nuisible pour la santé des populations de l’eau»
« Le pire est que nos enfants ont commencé à tomber malades. Les unités mobiles (dont la durée de vie est de 36 mois) sont implantées au milieu de nulle part. Certains jeunes sont exposés aux «raabs» (forces mystiques dotées de pouvoirs surnaturels). Il y en a parmi eux qui sont devenus fous», conclut Khady.
D’après elle, la chaleur est insupportable pour les habitants de Guet-Ndar. «Quand on est habitué à humer l’air frais de la mer, il nous est impossible de nous adapter à ce climat chaud et sec des camps de Diougop. Certains, face au pic des températures dans les boes, ont préféré partir et se trouver d’autres logements. D’autres sont tombés malades plusieurs fois, à cause de la chaleur. Les plus âgés ont été les plus vulnérables. Beaucoup d’entre eux sont morts face au pic de chaleur et de froid.»
Aujourd’hui, Saint-Louis compte près de 3 000 déplacés climatiques, selon les données de la Banque Mondiale. Seules 1000 personnes sont encore dans le camp de Diougop. Et ce chiffre pourrait atteindre les 20 000 déplacés dans les années à venir. En effet, le réchauffement climatique et l’ouverture de la brèche, depuis 2003, ne cesse de grignoter des maisons entières, entre les quartiers Santhiaba, Guet Ndar et Gokhou Mbathie, allant même jusqu’à Tassinieré Gandiole. Mettant à mal l’économie de plus de 1000 familles de pêcheurs. Parce que ne pouvant plus avoir des revenus fixes. Certains risquent leurs vies, en allant pêcher vers les côtes mauritaniennes, avec l’ouverture de la brèche depuis 2003. D’autres ont été déplacés loin de leur zone d’activité économique (Langue de Barbarie).
En effet, le projet de relèvement et de résilience d’urgence pour la région de Saint-Louis (SERRP), lancé en 2018, vise entre autres, à dégager une bande de sécurité de 20 mètres de large sur 3,5 kilomètres de long, entre la mer et les quartiers de Guet Ndar, Gokhou Mbathie et Ndar-Toute, pour sécuriser les populations installées dans cette zone et réduire les dégâts causés par l’avancée de la mer. Au total, 432 concessions et 1 027 ménages, ainsi que des biens publics tels que des mosquées, des écoles, et autres infrastructures socio-économiques, qui sont au nombre de onze (11) et trente (30) places d’affaires, sont concernées par les démolitions, rapporte la SERRP. Ces opérations vont ainsi entraîner le déplacement de 11 808 personnes.
Des dérèglements écologiques qui ont eu un impact lourd sur les activités économiques des habitants, principalement la pêche, le maraîchage, le tourisme et le commerce de produits halieutiques. D’après l’étude faite par le professeur de géographie Djiby Sambou, en 2019, « les activités économiques les plus affectées sont, la pêche (91%) et le commerce de produits halieutiques (77%) pratiquées en majorité par les femmes transformatrices des produits halieutiques».
L’espoir d’une vie meilleure
Malgré tout, l’espoir est permis à Diougop. Mamadou Thiam, président de la cellule de gestion de Diougop, fait le point sur la situation du camp et le projet de construction de 350 maisons pour les sinistrés, juste derrière le site. « Actuellement, il y a près de 1000 personnes dans ce camp de réfugiés climatiques, réparties dans les 260 blocs que compte le site, dont 5 personnes dans chaque unité. La vie est difficile ici. Depuis 2 ans, on vit un calvaire. On est livré à nous-mêmes, mais on accepte, car on n’a pas le choix. On n’a nulle part où aller, car la mer nous a arraché nos maisons. Il n’y aucune activité économique ici», explique-t-il, dès l’entame de son propos.
Et de poursuivre : « La majorité des gens ont préféré partir pour louer, ce qui n’ont pas les moyens, font la navette entre Diougop et Guet Ndar pour pouvoir travailler. On n’a plus les mêmes revenus, car travailler à la plage est devenu coûteux et périlleux. Là-bas, on ne payait pas le transport, mais ici, tu payes pour pouvoir aller travailler».
Néanmoins, «la construction des logements devrait commencer en 2020, mais il n’y a toujours rien. Récemment, ils nous ont promis de livrer les maisons dans 7 mois. On a beaucoup d’espoir en tout cas. Et d’ici 7 mois, si rien n’est fait, ils vont nous entendre. Il nous avait donné un délai d’un an et demi pour nous livrer nos logements, on en est à notre 3e année, et ça suffit largement. La mairie de Saint-Louis nous a promis que d’ici 7 mois, elle va nous livrer nos maisons, car elle a engagé trois entrepreneurs pour finir au plus tôt la construction. Chaque entreprise va s’atteler à la réalisation de 100 maisons sur les 350 prévues. La mairie nous nourrit d’espoir depuis 6 ans, concernant un possible remboursement pour les pertes matérielles et financières enregistrées», raconte M. Thiam.
D’ailleurs, dans le cadre de la lutte contre l’érosion côtière, la Banque Mondiale avait financé dans un premier temps, en 2018, (15 millions de dollars) et en 2020 (50 millions de dollars), deux financements estimés à 85 millions de dollars pour le relogement de 10 000 personnes menacées par la montée du niveau de la mer, à Saint-Louis. A travers le projet de relèvement d’urgence et de résilience à Saint–Louis (SERRP), l’Etat du Sénégal s’est fixé comme objectif, de réduire la vulnérabilité aux risques côtiers des populations établies le long de la Langue de Barbarie et de renforcer la planification de la résilience urbaine et côtière de la ville de Saint-Louis. Entré en activité depuis septembre 2018, le SERRP est mis en œuvre à travers 5 composantes, dont 3 opérationnelles.
A ce jour, le coût global du projet est de 93,3 millions de dollars (dont 13,3 millions de contrepartie du gouvernement) et une extension de 2 ans de sa durée.
L’espoir d’une vie meilleure
Malgré tout, l’espoir est permis à Diougop. Mamadou Thiam, président de la cellule de gestion de Diougop, fait le point sur la situation du camp et le projet de construction de 350 maisons pour les sinistrés, juste derrière le site. « Actuellement, il y a près de 1000 personnes dans ce camp de réfugiés climatiques, réparties dans les 260 blocs que compte le site, dont 5 personnes dans chaque unité. La vie est difficile ici. Depuis 2 ans, on vit un calvaire. On est livré à nous-mêmes, mais on accepte, car on n’a pas le choix. On n’a nul part où aller, car la mer nous a arraché nos maisons. Il n’y aucune activité économique ici», explique-t-il, dès l’entame de son propos.
Et de poursuivre : « La majorité des gens ont préféré partir pour louer, ce qui n’ont pas les moyens font la navette entre Diougop et Guet Ndar pour pouvoir travailler. On n’a plus les mêmes revenus, car travailler à la plage est devenu coûteux et périlleux. Là-bas, on ne payait pas le transport, mais ici, tu payes pour pouvoir aller travailler».
Néanmoins, «la construction des logements devrait commencer en 2020, mais il n’y a toujours rien. Récemment, ils nous ont promis de livrer les maisons dans 7 mois. On a beaucoup d’espoir en tout cas. Et d’ici 7 mois, si rien n’est fait, ils vont nous entendre. Il nous avait donné un délai d’un an et demi pour nous livrer nos logements, on en est à notre 3e année, et ça suffit largement. La mairie de Saint-Louis nous a promis que d’ici 7 mois, elle va nous livrer nos maisons, car elle a engagé trois entrepreneurs pour finir au plus tôt la construction. Chaque entreprise va s’atteler à la réalisation de 100 maisons sur les 350 prévues. La mairie nous nourrit d’espoir depuis 6 ans, concernant un possible remboursement pour les pertes matérielles et financières enregistrées», raconte M. Thiam.
La mairie de Saint-Louis “manque de fonds”
Interrogée sur les difficultés auxquelles les sinistrés de Diougop font face, Aida Mbaye, adjointe au maire de Saint-Louis, se veut rassurante, tout en rappelant que les collectivités ne disposent pas d’assez de ressources financières. «D’abord, ce site n’est pas un site de logement provisoire, c’est viable avec toutes les commodités dont les populations ont besoin. Concernant le manque d’eau, c’est un problème qui sévit dans toute la ville de Saint-Louis», soutient-elle au téléphone. Et de rappeler que, la mairie, le SERRP et l’Agence de développement municipale (ADM), travaillent à veiller à l’épanouissement et l’intégration des sinistrés à Diougop. « Il y a des activités génératrices de revenus, le SERRP va finaliser un projet de bus qui quitte Diougop pour aller à Guet-Ndar. C’est presque prêt, d’autres sont partis construire leurs maisons. Ils étaient contents de venir ici. Je ne sais pas ce qui retarde les constructions des maisons. Et c’est difficile, les collectivités territoriales n’ont pas assez de fonds pour appuyer toutes ces femmes ».
Cheikh Wade, environnementaliste: « le problème se situe au niveau de la gouvernance »
Face à la détresse des sinistrés de Diougop, le manque d‘eau, l’insalubrité, l’insécurité, la non électrification et « l’isolement », Dr. Cheikh Wade estime qu’il y a de bonnes stratégies de résilience face à l’érosion côtière à Saint-Louis. Pour lui, le souci se situe au niveau de la gouvernance et de la conception des projets. A l’en croire, il faudra créer un marché central au poisson, des emplois, ouvrir des écoles, pour permettre aux sinistrés de s’adapter à la vie à Diougop. « Ce qui facilitera leur intégration socio-économique. Et de veiller à un accompagnement continu », préconise-t-il.
ThieyDakar