Des cadres politiques, dans la double acception du terme, qui produisent des analyses sur les choix et les stratégies politiques, tous les partis politiques en ont besoin.
Mais des cadres qui brillent davantage par la violence que la production intellectuelle, c’est le pire service qu’on peut rendre à un parti et à la démocratie. Un cadre politique est soit un militant maîtrisant parfaitement les rouages de son parti et les ressorts idéologiques qui le sous-tendent, soit un intellectuel ayant fait ses preuves ailleurs et qui dispose d’une expertise scientifique avérée pouvant être utile à son parti et au pays.
Mais un cadre qui est incapable de défendre son parti et d’illustrer la vision de son leader, un cadre qui ne revendique ce titre que pour échapper à la rudesse de la compétition politique à laquelle sont assujettis les hommes politiques traditionnels, est plutôt un fainéant ou un comédien politique.
Les partis politiques recrutent des cadres pour faire ce que la masse n’est pas en mesure de faire ; en revanche, des cadres qui descendent aussi bas que n’importe quel saltimbanque dans le champ détestable de la violence verbale et physique ne méritent même plus cette appellation.
La violence politique est toujours une filiale de la médiocrité intellectuelle et politique : on n’y recourt que parce qu’on veut s’en servir comme cachette de son abaissement politique et intellectuel.
Ce n’est pas à la violence de ruser avec la raison, c’est au contraire à la raison de ruser avec la violence en la laissant montrer sa négativité et son impasse pour s’imposer à sa place comme la seule alternative.
Jean-Paul Sartre disait dans Situations que la violence, sous quelque forme qu'elle se manifeste, est un échec. La violence est un échec parce qu’on n’en use que lorsqu’on désespère non seulement de l’humanité de sa cible, mais aussi de sa propre humanité.
Notre humanité réside dans notre foi infaillible en la vertu du dialogue et dans notre résolution sans faille à renoncer ou à différer la mise en œuvre des moyens que nous partageons avec les animaux, or la violence en fait partie.
Dans la tempête générale de l’engagement politique habituellement fait de ferveur aveugle, la société politique a besoin de la calme attitude de tempérance que seule la réflexion procure.
Or la scène politique sénégalaise commence dangereusement à devenir le paradis de la violence, de l’insolence et de la débilité. On n’a généralement pas des théories divergentes, on n’a que des intérêts qui divergent et c’est ce qui donne à la scène politique sénégalaise cette allure d’être un lieu d’affrontement et jamais un lieu de débat civilisé.
On ne fait pas de la politique uniquement avec sa tête, Max Weber a raison d’insister là-dessus, il faut du cœur dans l’engagement politique, mais ce serait une grave illusion de croire qu’on peut faire de la politique uniquement avec le cœur, c’est-à-dire sans sa tête.
Vouloir faire de la politique en congédiant le respect de la différence et le discours rationnel comme ultime arbitre des antagonismes, c’est courir le risque du totalitarisme et de l’expression violente des passions.
Á moins de donner raison à Alfred de Vigny qui pense que « il n'y a point de bienfaits en politique ; il y a des intérêts », on doit s’employer à assainir la vie politique de toutes les sources de violence et, par conséquent, d’égoïsme.
On ne peut pas prétendre bâtir un pays avec des comportements inciviques donnés chaque jour en exemple. On a besoin d’anoblir la politique pour la réconcilier avec les citoyens qui l’ont désertée à juste raison.
Or pour ce faire, on a besoin de la force d’un verbe bien instruit de la situation plutôt que d’une force brutale ; on a besoin de la rigueur intellectuelle qui charrie un charisme irrésistible plutôt que de l’habilité en intrigues ; on a besoin d’envoyer aux jeunes un modèle de réussite sociale, professionnelle et intellectuelle qui s’engage en politique uniquement pour relever les défis et jamais pour se servir.
C’est au PDS seulement que l’on des gens qui revendiquent le statut de cadre et qui sont foncièrement incapables de produire une réflexion rigoureuse qui fait deux paragraphes.
C’est dans notre pays que l’on voit des cadres qui sont dans l’insoutenable incapacité de rendre compte de la doctrine économique et politique de leur parti.
Comment peut-on prétendre servir son parti et de surcroît son pays si on ne peut théoriser la ligne doctrinale de son parti ? Comment peut-on revendiquer le titre de cadre d’un parti et se payer le luxe de n’avoir à son actif le petit livre sur les orientations de son parti ou au moins sur son leader ?
Si l’intellectuel Me Abdoulaye Wade s’avisait à demander à sa structure de cadres la signification du libéralisme, il risquerait d’avoir la surprise de sa vie, malgré sa longue expérience politique.
La civilisation de l’oralité n’est pas la seule coupable de la stérilité de nos cadres politiques en matière de production d’articles de qualité et de réflexions générales sur la situation du monde et sur les éventuelles solutions qu’il est opportun d’apporter.
Ce qui est surtout en cause, c’est plutôt une fébrilité intellectuelle due à un défaut de niveau et de courage intellectuels. De toute façon, même dans les débats radio et télé on constate une surprenante indisponibilité des cadres libéraux : ils ne font preuve de présence et d’affirmation que lorsqu’ils sont en aparté.
Au lieu de faire du débat public leur mode d’existence politique, ils brillent plutôt dans un monologue qui se termine malheureusement par une dispute.
Au lieu de déverser leur fureur sur les adversaires politiques du Président et du parti, ils prennent pour cible leurs propres frères de parti et se délectent de sarcasmes.
Ils veulent tirer un profit politique de leur militantisme sans prendre le risque d’affronter les écueils du débat contradictoire qui reste pourtant la principale école qui forge le caractère et les qualités d’un cadre politique.
On ne peut pas accéder à la dignité de cadre politique si on refuse de descendre sur le terrain de la praxis intellectuelle que seule la confrontation des idées confère.
Mais pour affronter le monde périlleux de l’adversité extérieure, il faut s’aguerrir dans la culture de la délibération interne dans la structure des cadres. Mais l’histoire des cadres des libéraux trop ordinaire pour alimenter le jeu politique : ils tiennent le même discours que les pires activistes de la scène politique.
Ils ne savent jouir du plaisir qu’il y a dans le fait d’être différents dans l’unité, c’est-à-dire dans le respect de la différence. Le spectacle qu’ils ont offert aux Sénégalais la dernière fois n’est pas seulement indigne d’adultes, il montre clairement qu’ils ne peuvent être opposés sans en venir à la vulgarité et à la violence physique.
Il n’est pas raisonnable que le parti dirigé par l’intellectuel hors paire doublé de virtuose politique qu’est Me Wade soit aussi faible dans la production d’action politique de qualité et d’analyse intellectuelle méticuleuse.
Quand chaque fois qu’un évènement important se passe dans le pays, on est aux abonnés absents ou qu’on produit une analyse politique au rabais, on ne peut légitimement revendiquer le statut de cadre.
Il faut absolument aux cadres libéraux changer de posture pour gagner le respect et la considération qu’ils sont en droit d’attendre de leurs frères de parti. Or comme l’a dit Voltaire, « c'est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font les esclaves par la violence, que nous devons nos respects ».
La fédération Nationale des Cadres Libéraux a été instituée pour donner naissance à une synergie et non pour éliminer les différences. C’est dans sa diversité qu’elle est capable de produire une identité qui, au lieu d’être figée est dynamique, mais aussi relationnelle.
On ne bâtit jamais les grandes œuvres en sacrifiant la diversité, pas plus qu’on ne produit un beau poème avec les mêmes vers. L’une des caractéristiques de la rationalité moderne c’est une exigence tyrannique d’uniformité, or ce que l’intelligence politique exprime de façon claire est que l’uniformité est souvent handicapante.
La diversité et la différence ne sont pas forcément synonymes d’absence d’identité ou d’unité. Il faut savoir tirer profit de la diversité politique, car elle est soit enrichissante soit motrice de la concurrence qui stimule la représentativité politique.
Dans un parti libéral, on ne devrait pas redouter la diversité et son corollaire, la concurrence, car l’épaisseur du monde ne se laisse pas contenir dans les limites d’une seule vision.
En plus, c’est en percevant la différence des autres que l’on peut ajuster et affiner sa perception des choses. Les cadres sont d’ailleurs faits pour penser intellectuellement ou politiquement, or dans les deux cas l’uniformité tue la pensée.
Le PDS n’est pas orphelin de cadres capables de prendre à leur propre compte les intérêts du parti et de les porter au niveau d’une délibération nationale où l’échange de points de vue motivés est seule la règle.
Il y a suffisamment d’experts et de technocrates au PDS pour constituer le fer de lance du parti en matière d’idées politiques et de choix économiques. Le parcours politique du Président Wade est lui-même un vaste sujet de réflexion que l’on peut explorer sans tomber dans la déification et le piège de l’égotisme.
Un parcours comme celui de Wade est une source intarissable d’inspiration qui suffit à tout esprit alerte pour définir une stratégie politique ou un arsenal théorique susceptible de conduire une action politique viable.
La production intellectuelle de Wade est également d’une richesse telle qu’elle pourrait sans cesse alimenter une recherche scientifique féconde pour des gens qui ont la patience de la réflexion.
On proclame partout que le paysage politique sénégalais est caractérisé par une absence de valeurs et que les politiciens sont d’habiles kamikazes. Ce n’est pas faux et le constat empirique le montre tous les jours : à part la surenchère verbale et la défiance réciproque, on ne sait rien de vraiment notoire.
La raison de cette crise de valeur est double : d’abord on milite pour des hommes et non pour des idées ; ensuite l’engagement politique est fondamentalement motivé par la recherche de strapontins.
Il nous semble qu’il doit y avoir un minimum d’éthique en politique et cela passe par le fait de recruter des hommes de valeur (c’est-à-dire qui ont à la fois une exemplarité morale irréprochable et une certaine carrure intellectuelle).
La direction du PDS devrait par principe s’interdire d’accepter dans les rangs des structures de cadres des personnes qui ne peuvent se prévaloir d’aucune expertise ou expérience professionnelle quelconque.
Le Pape Jean Paul II disait avec beaucoup de lucidité intellectuelle qu’une « démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois comme le montre l'histoire ».
Il suffit d’écouter ceux qu’on prétend offrir à la nation et à la démocratie sénégalaise comme la relève pour désespérer de l’avenir politique de ce pays. Des hommes et des femmes qui s’imposent par l’activisme éhonté, l’invective, et l’insulte, ont usurpé des fonctions et des titres à travers des structures bidons tout juste montées pour nager dans le fleuve de l’impunité politique.
C’est cela un totalitarisme sournois qui, non seulement travestit la démocratie, mais porte atteinte au droit de ses concitoyens à la quiétude. On les entend à longueur de journée dans des médias inondés de journalistes à leur image proférer des menaces, des propos orduriers et dépourvus de toute profondeur d’esprit.
Face à une telle déréliction le devoir historique d’un parti dirigé par un homme de la trempe de Wade devrait plutôt résider dans le fait de s’employer à investir des voies de rupture.
On ne peut pas appartenir à la famille libérale et accepter de descendre à un niveau de langage et de comportement si ordinaire qu’on aurait dit qu’il provient du dernier clochard de la vie publique.
Un cadre libéral doit pouvoir justifier son statut non seulement par son comportement envers ses frères de parti, mais aussi par son attitude fière et complètement décomplexée envers ses adversaires politiques.
Wade avait dit en créant la CIS qu’il voulait d’un laboratoire d’idées : quelles sont les œuvres scientifiques ou les réflexions sérieuses qui ont été entreprises par les différentes structures des cadres depuis lors ? On entend souvent les cadres libéraux se plaindre du peu de considération dont ils font l’objet de la part de la direction du parti. Mais comment peut-on, surtout en politique, quémander du pouvoir ou de la considération ?
Ce que l’expérience la plus ancienne comme celle la plus récente montrent c’est qu’en politique on ne peut jamais occuper la plus petite parcelle sans l’avoir conquise d’une lutte de haute facture : la légitimité politique ne se donne pas elle se mérite ou s’usurpe par des rapports de forces infléchis en sa faveur.
Il faut savoir se monter indispensable ou au moins utile en politique : c’est la meilleure façon de se faire respecter.
Or il n’y a que deux façons d’être indispensable en politique : on l’est soit par une emprise politique qui procure une force que nul ne peut ignorer sans ses risques et périls, soit par une prestance intellectuelle dont le charme et la fonctionnalité politiques sont désirés de tous.
Pour la première façon d’être indispensable on n’a nullement besoin de se bousculer dans la porte étroite des structures de cadres, il suffit d’être populaire et charismatique pour être un leader ou au moins un homme convoité par tous les leaders.
Pour la deuxième façon d’être indispensable en politique, on ne peut vraiment compter que sur ses aptitudes intrinsèques réelles en produisant intellectuellement ou en s’imposant comme un redoutable débatteur.
L’histoire du PDS est pleine d’exemples de personnalités politiques dont la force intellectuelle et argumentative a toujours comblé le déficit de popularité. La force de l’argument fait partie de l’arsenal d’outils dont tout homme politique a fondamentalement besoin : on ne peut pas prétendre diriger ses concitoyens tout en étant incapable de leur tenir un discours qui les fascine ou qui focalise leur attention.
Quand l’admiration et le charisme font défaut à un homme politique, il faut le redouter : il est soit un entrepreneur politique qui ne compte que sur les complots et les coups bas, soit un tyran qui compte sur les différentes formes de violence pour s’imposer.
On ne peut pas avoir du charisme en s’exprimant de façon ordinaire et en répétant ce que la conscience la plus commune a fini d’intérioriser et d’intégrer dans son patrimoine politique.
Bref un homme trop ordinaire ne devrait pas s’aventurer en politique et ce, quelle que soit la structure dans laquelle il compte évoluer. Si les différentes structures de cadres qui se sont succédé avaient réussi leur mission, le parti ne serait pas aujourd’hui si orphelin de dignes représentants dans les studios de radio et télé où se tiennent l’essentiel du débat politique de notre pays.
Si la fédération des cadres libéraux doit déboucher sur une atrophie pareille, il vaut mieux y renoncer et retourner à la logique de l’atomisation qui stimule au moins la concurrence.
On sait que dans les structures de ce genre ceux qui font le plus de bruit noient généralement ceux qui sont les plus performants : il faut par conséquent travailler à les mettre à l’épreuve.
Le parti doit pouvoir tester ses ressources humaines en exigeant d’elles des prestations publiques organisées par le parti selon un planning défini. Il y a suffisamment de thèmes politiques ou de réflexion générale sur lesquels on devrait pouvoir expérimenter le savoir-faire de ceux qui se réclament de ces structures.
Pape Sadio THIAM
Journaliste
Chercheur en Sciences Politiques
thiampapesadio@yahoo.fr
77 242 50 18/76 587 01 63
Mais des cadres qui brillent davantage par la violence que la production intellectuelle, c’est le pire service qu’on peut rendre à un parti et à la démocratie. Un cadre politique est soit un militant maîtrisant parfaitement les rouages de son parti et les ressorts idéologiques qui le sous-tendent, soit un intellectuel ayant fait ses preuves ailleurs et qui dispose d’une expertise scientifique avérée pouvant être utile à son parti et au pays.
Mais un cadre qui est incapable de défendre son parti et d’illustrer la vision de son leader, un cadre qui ne revendique ce titre que pour échapper à la rudesse de la compétition politique à laquelle sont assujettis les hommes politiques traditionnels, est plutôt un fainéant ou un comédien politique.
Les partis politiques recrutent des cadres pour faire ce que la masse n’est pas en mesure de faire ; en revanche, des cadres qui descendent aussi bas que n’importe quel saltimbanque dans le champ détestable de la violence verbale et physique ne méritent même plus cette appellation.
La violence politique est toujours une filiale de la médiocrité intellectuelle et politique : on n’y recourt que parce qu’on veut s’en servir comme cachette de son abaissement politique et intellectuel.
Ce n’est pas à la violence de ruser avec la raison, c’est au contraire à la raison de ruser avec la violence en la laissant montrer sa négativité et son impasse pour s’imposer à sa place comme la seule alternative.
Jean-Paul Sartre disait dans Situations que la violence, sous quelque forme qu'elle se manifeste, est un échec. La violence est un échec parce qu’on n’en use que lorsqu’on désespère non seulement de l’humanité de sa cible, mais aussi de sa propre humanité.
Notre humanité réside dans notre foi infaillible en la vertu du dialogue et dans notre résolution sans faille à renoncer ou à différer la mise en œuvre des moyens que nous partageons avec les animaux, or la violence en fait partie.
Dans la tempête générale de l’engagement politique habituellement fait de ferveur aveugle, la société politique a besoin de la calme attitude de tempérance que seule la réflexion procure.
Or la scène politique sénégalaise commence dangereusement à devenir le paradis de la violence, de l’insolence et de la débilité. On n’a généralement pas des théories divergentes, on n’a que des intérêts qui divergent et c’est ce qui donne à la scène politique sénégalaise cette allure d’être un lieu d’affrontement et jamais un lieu de débat civilisé.
On ne fait pas de la politique uniquement avec sa tête, Max Weber a raison d’insister là-dessus, il faut du cœur dans l’engagement politique, mais ce serait une grave illusion de croire qu’on peut faire de la politique uniquement avec le cœur, c’est-à-dire sans sa tête.
Vouloir faire de la politique en congédiant le respect de la différence et le discours rationnel comme ultime arbitre des antagonismes, c’est courir le risque du totalitarisme et de l’expression violente des passions.
Á moins de donner raison à Alfred de Vigny qui pense que « il n'y a point de bienfaits en politique ; il y a des intérêts », on doit s’employer à assainir la vie politique de toutes les sources de violence et, par conséquent, d’égoïsme.
On ne peut pas prétendre bâtir un pays avec des comportements inciviques donnés chaque jour en exemple. On a besoin d’anoblir la politique pour la réconcilier avec les citoyens qui l’ont désertée à juste raison.
Or pour ce faire, on a besoin de la force d’un verbe bien instruit de la situation plutôt que d’une force brutale ; on a besoin de la rigueur intellectuelle qui charrie un charisme irrésistible plutôt que de l’habilité en intrigues ; on a besoin d’envoyer aux jeunes un modèle de réussite sociale, professionnelle et intellectuelle qui s’engage en politique uniquement pour relever les défis et jamais pour se servir.
C’est au PDS seulement que l’on des gens qui revendiquent le statut de cadre et qui sont foncièrement incapables de produire une réflexion rigoureuse qui fait deux paragraphes.
C’est dans notre pays que l’on voit des cadres qui sont dans l’insoutenable incapacité de rendre compte de la doctrine économique et politique de leur parti.
Comment peut-on prétendre servir son parti et de surcroît son pays si on ne peut théoriser la ligne doctrinale de son parti ? Comment peut-on revendiquer le titre de cadre d’un parti et se payer le luxe de n’avoir à son actif le petit livre sur les orientations de son parti ou au moins sur son leader ?
Si l’intellectuel Me Abdoulaye Wade s’avisait à demander à sa structure de cadres la signification du libéralisme, il risquerait d’avoir la surprise de sa vie, malgré sa longue expérience politique.
La civilisation de l’oralité n’est pas la seule coupable de la stérilité de nos cadres politiques en matière de production d’articles de qualité et de réflexions générales sur la situation du monde et sur les éventuelles solutions qu’il est opportun d’apporter.
Ce qui est surtout en cause, c’est plutôt une fébrilité intellectuelle due à un défaut de niveau et de courage intellectuels. De toute façon, même dans les débats radio et télé on constate une surprenante indisponibilité des cadres libéraux : ils ne font preuve de présence et d’affirmation que lorsqu’ils sont en aparté.
Au lieu de faire du débat public leur mode d’existence politique, ils brillent plutôt dans un monologue qui se termine malheureusement par une dispute.
Au lieu de déverser leur fureur sur les adversaires politiques du Président et du parti, ils prennent pour cible leurs propres frères de parti et se délectent de sarcasmes.
Ils veulent tirer un profit politique de leur militantisme sans prendre le risque d’affronter les écueils du débat contradictoire qui reste pourtant la principale école qui forge le caractère et les qualités d’un cadre politique.
On ne peut pas accéder à la dignité de cadre politique si on refuse de descendre sur le terrain de la praxis intellectuelle que seule la confrontation des idées confère.
Mais pour affronter le monde périlleux de l’adversité extérieure, il faut s’aguerrir dans la culture de la délibération interne dans la structure des cadres. Mais l’histoire des cadres des libéraux trop ordinaire pour alimenter le jeu politique : ils tiennent le même discours que les pires activistes de la scène politique.
Ils ne savent jouir du plaisir qu’il y a dans le fait d’être différents dans l’unité, c’est-à-dire dans le respect de la différence. Le spectacle qu’ils ont offert aux Sénégalais la dernière fois n’est pas seulement indigne d’adultes, il montre clairement qu’ils ne peuvent être opposés sans en venir à la vulgarité et à la violence physique.
Il n’est pas raisonnable que le parti dirigé par l’intellectuel hors paire doublé de virtuose politique qu’est Me Wade soit aussi faible dans la production d’action politique de qualité et d’analyse intellectuelle méticuleuse.
Quand chaque fois qu’un évènement important se passe dans le pays, on est aux abonnés absents ou qu’on produit une analyse politique au rabais, on ne peut légitimement revendiquer le statut de cadre.
Il faut absolument aux cadres libéraux changer de posture pour gagner le respect et la considération qu’ils sont en droit d’attendre de leurs frères de parti. Or comme l’a dit Voltaire, « c'est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font les esclaves par la violence, que nous devons nos respects ».
La fédération Nationale des Cadres Libéraux a été instituée pour donner naissance à une synergie et non pour éliminer les différences. C’est dans sa diversité qu’elle est capable de produire une identité qui, au lieu d’être figée est dynamique, mais aussi relationnelle.
On ne bâtit jamais les grandes œuvres en sacrifiant la diversité, pas plus qu’on ne produit un beau poème avec les mêmes vers. L’une des caractéristiques de la rationalité moderne c’est une exigence tyrannique d’uniformité, or ce que l’intelligence politique exprime de façon claire est que l’uniformité est souvent handicapante.
La diversité et la différence ne sont pas forcément synonymes d’absence d’identité ou d’unité. Il faut savoir tirer profit de la diversité politique, car elle est soit enrichissante soit motrice de la concurrence qui stimule la représentativité politique.
Dans un parti libéral, on ne devrait pas redouter la diversité et son corollaire, la concurrence, car l’épaisseur du monde ne se laisse pas contenir dans les limites d’une seule vision.
En plus, c’est en percevant la différence des autres que l’on peut ajuster et affiner sa perception des choses. Les cadres sont d’ailleurs faits pour penser intellectuellement ou politiquement, or dans les deux cas l’uniformité tue la pensée.
Le PDS n’est pas orphelin de cadres capables de prendre à leur propre compte les intérêts du parti et de les porter au niveau d’une délibération nationale où l’échange de points de vue motivés est seule la règle.
Il y a suffisamment d’experts et de technocrates au PDS pour constituer le fer de lance du parti en matière d’idées politiques et de choix économiques. Le parcours politique du Président Wade est lui-même un vaste sujet de réflexion que l’on peut explorer sans tomber dans la déification et le piège de l’égotisme.
Un parcours comme celui de Wade est une source intarissable d’inspiration qui suffit à tout esprit alerte pour définir une stratégie politique ou un arsenal théorique susceptible de conduire une action politique viable.
La production intellectuelle de Wade est également d’une richesse telle qu’elle pourrait sans cesse alimenter une recherche scientifique féconde pour des gens qui ont la patience de la réflexion.
On proclame partout que le paysage politique sénégalais est caractérisé par une absence de valeurs et que les politiciens sont d’habiles kamikazes. Ce n’est pas faux et le constat empirique le montre tous les jours : à part la surenchère verbale et la défiance réciproque, on ne sait rien de vraiment notoire.
La raison de cette crise de valeur est double : d’abord on milite pour des hommes et non pour des idées ; ensuite l’engagement politique est fondamentalement motivé par la recherche de strapontins.
Il nous semble qu’il doit y avoir un minimum d’éthique en politique et cela passe par le fait de recruter des hommes de valeur (c’est-à-dire qui ont à la fois une exemplarité morale irréprochable et une certaine carrure intellectuelle).
La direction du PDS devrait par principe s’interdire d’accepter dans les rangs des structures de cadres des personnes qui ne peuvent se prévaloir d’aucune expertise ou expérience professionnelle quelconque.
Le Pape Jean Paul II disait avec beaucoup de lucidité intellectuelle qu’une « démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois comme le montre l'histoire ».
Il suffit d’écouter ceux qu’on prétend offrir à la nation et à la démocratie sénégalaise comme la relève pour désespérer de l’avenir politique de ce pays. Des hommes et des femmes qui s’imposent par l’activisme éhonté, l’invective, et l’insulte, ont usurpé des fonctions et des titres à travers des structures bidons tout juste montées pour nager dans le fleuve de l’impunité politique.
C’est cela un totalitarisme sournois qui, non seulement travestit la démocratie, mais porte atteinte au droit de ses concitoyens à la quiétude. On les entend à longueur de journée dans des médias inondés de journalistes à leur image proférer des menaces, des propos orduriers et dépourvus de toute profondeur d’esprit.
Face à une telle déréliction le devoir historique d’un parti dirigé par un homme de la trempe de Wade devrait plutôt résider dans le fait de s’employer à investir des voies de rupture.
On ne peut pas appartenir à la famille libérale et accepter de descendre à un niveau de langage et de comportement si ordinaire qu’on aurait dit qu’il provient du dernier clochard de la vie publique.
Un cadre libéral doit pouvoir justifier son statut non seulement par son comportement envers ses frères de parti, mais aussi par son attitude fière et complètement décomplexée envers ses adversaires politiques.
Wade avait dit en créant la CIS qu’il voulait d’un laboratoire d’idées : quelles sont les œuvres scientifiques ou les réflexions sérieuses qui ont été entreprises par les différentes structures des cadres depuis lors ? On entend souvent les cadres libéraux se plaindre du peu de considération dont ils font l’objet de la part de la direction du parti. Mais comment peut-on, surtout en politique, quémander du pouvoir ou de la considération ?
Ce que l’expérience la plus ancienne comme celle la plus récente montrent c’est qu’en politique on ne peut jamais occuper la plus petite parcelle sans l’avoir conquise d’une lutte de haute facture : la légitimité politique ne se donne pas elle se mérite ou s’usurpe par des rapports de forces infléchis en sa faveur.
Il faut savoir se monter indispensable ou au moins utile en politique : c’est la meilleure façon de se faire respecter.
Or il n’y a que deux façons d’être indispensable en politique : on l’est soit par une emprise politique qui procure une force que nul ne peut ignorer sans ses risques et périls, soit par une prestance intellectuelle dont le charme et la fonctionnalité politiques sont désirés de tous.
Pour la première façon d’être indispensable on n’a nullement besoin de se bousculer dans la porte étroite des structures de cadres, il suffit d’être populaire et charismatique pour être un leader ou au moins un homme convoité par tous les leaders.
Pour la deuxième façon d’être indispensable en politique, on ne peut vraiment compter que sur ses aptitudes intrinsèques réelles en produisant intellectuellement ou en s’imposant comme un redoutable débatteur.
L’histoire du PDS est pleine d’exemples de personnalités politiques dont la force intellectuelle et argumentative a toujours comblé le déficit de popularité. La force de l’argument fait partie de l’arsenal d’outils dont tout homme politique a fondamentalement besoin : on ne peut pas prétendre diriger ses concitoyens tout en étant incapable de leur tenir un discours qui les fascine ou qui focalise leur attention.
Quand l’admiration et le charisme font défaut à un homme politique, il faut le redouter : il est soit un entrepreneur politique qui ne compte que sur les complots et les coups bas, soit un tyran qui compte sur les différentes formes de violence pour s’imposer.
On ne peut pas avoir du charisme en s’exprimant de façon ordinaire et en répétant ce que la conscience la plus commune a fini d’intérioriser et d’intégrer dans son patrimoine politique.
Bref un homme trop ordinaire ne devrait pas s’aventurer en politique et ce, quelle que soit la structure dans laquelle il compte évoluer. Si les différentes structures de cadres qui se sont succédé avaient réussi leur mission, le parti ne serait pas aujourd’hui si orphelin de dignes représentants dans les studios de radio et télé où se tiennent l’essentiel du débat politique de notre pays.
Si la fédération des cadres libéraux doit déboucher sur une atrophie pareille, il vaut mieux y renoncer et retourner à la logique de l’atomisation qui stimule au moins la concurrence.
On sait que dans les structures de ce genre ceux qui font le plus de bruit noient généralement ceux qui sont les plus performants : il faut par conséquent travailler à les mettre à l’épreuve.
Le parti doit pouvoir tester ses ressources humaines en exigeant d’elles des prestations publiques organisées par le parti selon un planning défini. Il y a suffisamment de thèmes politiques ou de réflexion générale sur lesquels on devrait pouvoir expérimenter le savoir-faire de ceux qui se réclament de ces structures.
Pape Sadio THIAM
Journaliste
Chercheur en Sciences Politiques
thiampapesadio@yahoo.fr
77 242 50 18/76 587 01 63