Je me permets de partager avec vous ce texte que j'ai produit à l'intention de la Commission Scientifique de Benno SIGGIL Senegal (BSS) qui projette d'organiser un Séminaire des Cadres sur l'Acte III de la Décentralisation. J'espère que ce texte aiderait à mieux comprendre le bien fondé du report des Locales, et la nécessité que ce report dure le temps nécessaire à la matérialisation des réformes sur les Institutions et sur la Décentralisation, pour réaliser les ruptures attendues de l'alternance du 25 mars.
Bonne réception, et surtout bons débats pour notre Democratie
Contribution au Séminaire de BSS sur l’Acte III
De la Décentralisation
Thème :
L’Acte III de la Décentralisation : Partie intégrante
De la Refondation de l’Etat du Sénégal
Au Sénégal, le processus de Décentralisation a obéi, tout le long de son histoire moderne, à des préoccupations des Gouvernants, de stabilité politique et sociale et de préservation de l'unité nationale, pour répondre aux aspirations des « Gouvernés » à plus de liberté publique et à plus de droits économiques et sociaux, pour prendre en main leur destin .
Ce processus, après l’accès du Sénégal à l’Indépendance nationale en 1960, a connu deux étapes historiques ; Chacune d’elle ayant été une tentative de réponse à une problématique concrète qui avait, soit, un rapport avec la stabilité du pays, soit, avec l'intégrité territoriale du Sénégal.
Ainsi la première, ou Loi 72-25 du 19 novembre 1972, était relative au malaise paysan lié à la gestion par l’Administration territoriale, des terres du Domaine National qui était institué par la Loi 64-46 du 17 juin 1964.
La seconde, ou Loi 96-à- du 2 mars 1996, portant « Régionalisation », était relative à l’intégrité territoriale fortement mise en cause plus d’une décennie durant par la rébellion en Casamance.
1) La première étape de la Décentralisation (Loi 72-25 du 19 Novembre1972)
Depuis 1964, quand la Loi 64-46 du 17 juillet 1964 instituait le « Domaine national », jusqu'en 1972, la gestion des terres agricoles était enlevée des mains des « Chefferies traditionnelles » (Lamans), pour être confiée aux Sous Préfets et Préfets.
Durant toute cette période de 1964 à 1972, il était quasi impossible, pour les petits et moyens agriculteurs, d’accéder à la terre, afin de réunir les conditions foncières nécessaires leur permettant d’entrer dans la nouvelle ère de la culture attelée, avec l'introduction du semoir, et de la houe, qui exigeait un minimum de 3hectares.
Ainsi, la gestion discrétionnaire des terres par les Préfets et sous Préfets excluaient de l’accès à la terre, plus de 51,5% des exploitations agricoles familiales disposant de moins de 3 hectares, qui étaient identifiés dans les Etudes « Cinna Ceresa » en 1960 qui ont servi à élaborer le Premier Plan de Développement économique et social du Sénégal sous le Président Mamadou Dia.
D'où un large mécontentement paysan qui commençait, après 1968, à menacer la stabilité du pouvoir en milieu rural, dans un contexte où le milieu urbain était en pleine crise politique et sociale.
Le Gouvernement d'alors prit la Loi 72-25 du 19 Novembre 1972 pour créer les Communautés rurales afin de transférer la gestion de la terre au Président du Conseil Rural, à la place de l'administration territoriale dans les 7 régions qui composaient le Sénégal.
Cependant, la vision Jacobine de l’Etat du Président de la République d’alors, Léopold S. Senghor, l’avait poussé à mettre sous tutelle directe ces nouvelles collectivités locales en conférant aux sous Préfets et Préfets, le pouvoir régalien d’approbation de leurs délibérations en matière budgétaire et foncière.
De cette manière, les Présidents de Conseil rural, sous l'influence de l'Administration territoriale, et des dignitaires religieux et politiques, continuaient une gestion discrétionnaire et discriminatoire de la terre.
Le malaise paysan s’amplifiait donc, et contribuait à vicier l’atmosphère politique déjà polluée en ville par une grave crise politique et sociale, notamment à partir de 1974, (création légale du PDS) qui résultait des obstacles posés par le pouvoir à l’avènement du multipartisme et du pluralisme syndical.
Dans cette situation, Senghor optait à être succédé au pouvoir par son Premier Ministre, natif de Louga, et lui créait artificiellement un fief politique local dans sa région natale, en scindant, à cet effet, en 1976, la Région de Diourbel en deux régions distinctes, celle de Louga et celle de Diourbel. Ce qui portait le nombre de Régions du Sénégal à 8.
Léopld S. Senghor introduisit ainsi une approche politicienne dans la création de circonscriptions administratives, qui jusque là obéissait à des considérations géo économiques naturelles telles déterminées dans les Etudes « Cinna Ceresa ».
Cette approche politicienne de l’Etat, qui confortait le pouvoir des dignitaires politiques et religieux dans les régions et leur contrôle des collectivités locales, avait tellement alourdie l'atmosphère dans le monde rural, que le Gouvernement dût prendre le Décret 80 -1051 du 14 Octobre 1980, pour conférer la gestion de la terre au Conseil rural, à la place du Président, à la veille de la Démission du Président Léopold S Senghor, dans un contexte de grave crise politique.
Désormais avec ce Décret, le pouvoir d’affectation et de désaffectation des terres revenait au Conseil rural, qui en décidait après délibération.
Cette première avancée démocratique dans la gestion des Communautés rurales à cette première phase de la Décentralisation, avait permis une large distribution des terres aux petits et moyens agriculteurs, qui s’était traduite par une forte réduction de la proportion des petits agriculteurs de moins de 3 hectares de 51,5% des exploitations agricoles à 23,1% lors du « Recensement Général de l’Agriculture » (RGA) en 1998/99. Les moyens agriculteurs voyaient aussi leurs proportions passer de 20,13% à 4,3%.
Ainsi, la première étape de la Décentralisation avait levé les obstacles fonciers de la mécanisation à traction animale, comme première phase de la modernisation de l’Agriculture Sénégalaise.
Cependant, cette première phase de la Décentralisation était handicapée par le maintien du contrôle à priori qu'exerce la tutelle (Préfet, Sous Préfet et Gouverneur) sur les délibérations du Conseil rural, avec un pouvoir d'approbation du Budget et des les décisions sur le foncier.
Cette situation qui mettait en conflit l’Administration territoriale avec les collectivités locales dans l’approbation de leur budget et de leurs délibérations dans la gestion du Domaine national, faisait naître le besoin d’une seconde génération de la Décentralisation qui remettait en cause les pouvoirs de celle-ci sur les compétences concédées au Conseil rural.
C’est ce besoin profond dont Abdou Diouf, le successeur de Léopold S. Senghor le 1er janvier 1981, n’avait pas pris la pleine mesure et fut surpris, dès Décembre 1982, par la Rébellion en Casamance, qui pose la problématique de l’Indépendance de cette région.
La réponse militaire de l’Etat sous Abdou Diouf, à cette rébellion, à la place d’une réponse politique, était complétée, en 1984, d’une approche politicienne de division de la région naturelle de Casamance en deux nouvelles régions distinctes, pour donner celle de Ziguinchor et celle de Kolda, dans l’espoir d’endiguer la rébellion au SUD, pour mieux la combattre.
Cependant, pour éviter que les raisons profondes de cette nouvelle réforme de l’Administration territoriale ne soient perçues par les populations comme un encouragement à la rébellion, le Gouvernement procédait aussi à la division de la région du Sine Saloum en deux régions distinctes, pour donner celle de Kaolack et celle de Fatick, portant ainsi le nombre Régions administratives du Sénégal à 10.
Mais très tôt, cette réponse militaire et administrative avait montré ses milites face à une rébellion ragaillardie par les tentatives de l’Etat de la circonscrire dans les limites d’un terroir ethniquement plus homogène et géographiquement avantagé par la densité de ses forêts et sa proximité avec la République de Gambie et de Guinée Bissau, que la rébellion sentait culturellement plus proches de leurs peuples que ceux du reste du Sénégal.
Les dangers de la partition du pays à son SUD étaient devenus de plus en plus pressants.
D’où le recours à une deuxième phase de la Décentralisation, qui devrait être un début de réponse politique à la crise en Casamance, qui remettait en cause l'intégrité du territoire national, qui n’exprimait rien d’autre, sous une autre forme certes, que la contradiction, venue à maturité, mais non résolue par le Président Diouf, entre l’Administration territoriale et les Conseils ruraux.
2) La deuxième étape de la Décentralisation (Loi 96-06 du 2 mars 1996).
La crise en Casamance était la conséquence d'un profond déséquilibre dans le processus de développement économique et social du Sénégal, qui rendait les régions périphériques de plus en remontées contre le reste du pays, notamment Dakar, qui est le centre politique, économique, financier et administratif du pays, où l'essentiel de l'emploi du secteur formel est concentré.
La situation géographique de la Casamance qui est séparée du reste du Sénégal par la République de Gambie, accentuait ce déséquilibre, que l’arbitraire de l’Administration territoriale, notamment en matière de gestion des terres et de commandement sur les hommes, rendu possible par l’enclavement de la région et son éloignement de la Capitale, était devenue de plus en plus insupportable pour les ressortissants de cette région.
Le Gouvernement d'alors avait pensé, qu'en transférant certaines compétences aux régions, le déséquilibre allait connaître un début de solution pouvant contribuer à ramener la paix en Casamance.
C'est la raison pour laquelle, la Loi 96-06 du 2 mars 1996 sur la Régionalisation a été adoptée, en instituant des Conseils régionaux élus au suffrage universel, pour prendre en main le destin de leur localité.
Et pour répondre, subsidiairement, à la contradiction entre l’Administration territoriale et les collectivités locales qui s’était exacerbée dans la région de Ziguinchor, le Gouvernement dut remplacer le contrôle à priori de l’Administration territoriale par un contrôle à postiori, tout en maintenant le pouvoir d’approbation des Sous Préfets, Préfets et Gouverneurs !
Ces préoccupations politiciennes ont ainsi empêché que la Régionalisation ne soit une véritable réponse à la crise Casamançaise.
Au contraire, avec un Conseil régional qui n'a aucun moyen pour assumer les compétences que la loi lui a conférées, et le maintien des pouvoirs de l’Administration territoriale sur les collectivités locales, les Casamançais ont compris, que ce n'était pas encore pour demain la veille, la fin de la marginalisation économique de leur région.
D'autant plus que le Gouverneur détenait le pouvoir d'approbation des délibérations du Conseil régional, au même titre que les Préfets et sous Préfets sur celles des autres collectivités locales.
L’inutilité du Conseil régional de Ziguinchor aux yeux des populations et de la rébellion était surtout illustrée par l’absence totale de son autorité sur les programmes de développement destinés à la Région de Ziguinchor, et sur ceux des Acteurs non étatiques, qui y évoluent dans tous les domaines, y compris dans la « recherche de la paix » dans la région.
Même les Programmes de l’ « Agence Nationale de Reconstruction de la Casamance », (ANRAC) échappaient à son Autorité, et était piloté à partir de Dakar.
Tout cela accentuait les frustrations des populations et des élus locaux qui avaient favorisé l’éclatement de la rébellion, même si le Gouvernement voulait faire croire, avec la suppression du contrôle à priori, que de nouveaux rapports de confiance allaient voir le jour entre l’Administration territoriale et les Conseils ruraux et régionaux.
3) Evaluation des deux premières phases de la Décentralisation.
Ces deux premières étapes de la Décentralisation sous Léopold S. Senghor et Abdou Diouf, ont montré leurs limites sociales dans le processus historique de faire des collectivités locales, un mécanisme de redistribution du pouvoir économique et de réduction des distorsions entre les territoires, engendrées par le développement économique et social inégal des différentes régions du Sénégal, en vue d’une plus grande intégration de nos peuples, dans le processus de construction d’une Nation moderne, dans une République démocratique.
Les pouvoirs locaux, qui ont le droit constitutionnel de s’auto administrer, sont en fait, sous la coupe des Gouverneurs, Préfets et sous Préfets, qui disposent d’un pouvoir d’approbation de leur budget et de certaines de leurs délibérations, notamment sur le foncier, pourtant librement adoptés par l’organe habilité à cet effet, qui est le Conseil formé de membres élus au suffrage universel direct.
Les pouvoirs locaux sont ainsi transformés par les dignitaires politiques et religieux, en « fiefs de potentats locaux », plus soucieux de jouir des privilèges que confère le statut de Président de Collectivité locale, que du souci de développement local qui est la raison d’être des Conseils locaux qu’ils dirigent.
Cette dualité de leur fonction de Président les mettent souvent en contradiction, d’une part, avec les populations de leurs localités et leurs élus locaux dont ils sont incapables de traduire en actes leurs délibérations, et d’autre part, avec l’Administration territoriale qui symbolise leur impotence.
La Décentralisation a été ainsi vidée de ses objectifs de transfert d’une partie des pouvoirs exécutifs centraux aux collectivités locales, et a laissé la place à un pouvoir exécutif central exorbitant aux mains l’Administration territoriale qui représente le Chef de l’Etat.
Ces freins à la redistribution du pouvoir économique ont été accentués par les Programmes d’Ajustement Structurel qui ont aggravé le développement inégalitaire du pays, tandis que la réduction des distorsions inter- régionales se heurtait aux des préoccupations politiciennes des Gouvernants.
L’exigence se faisait de plus en plus pressante, de lever ces deux obstacles que sont les pouvoirs exorbitants de l’Administration territoriale sur les Collectivités locales, et les Programmes d’Ajustement Structurel, qui empêchent les fleurs de la Décentralisation d’éclore, pour donner les fruits que le peuple attendait d’elle.
D’où, le besoin d’une troisième génération de la Décentralisation se faisait sentir à cet effet.
C’est dans le contexte de cette exigence, que l’Alternance Démocratique était intervenue au Sénégal en 2000.
4) L’Alternance et la troisième génération de la Décentralisation.
.Avec le Président Wade, l’on a connu une concentration exorbitante des pouvoirs publics entre les mains du Chef de l’Etat, qui rendait de plus en plus insoutenables les rapports que l’Etat et ses démembrements territoriaux entretenaient avec les élus des collectivités locaux, dans un contexte de crise économique et sociale aggravée.
Ce mécontentement populaire était consécutif à la mise en œuvre intégrale des exigences du Programme d’Ajustement Structurel de libéralisation du « marché des produits agricoles », notamment de l’arachide, et du « marché des facteurs de production et de l’équipement », destinés à l’Agriculture, et l’institution de leur vente au comptant à des prix subventionnés.
Cette politique a porté un coup fatal au processus de modernisation de l’agriculture par la mécanisation à traction animale, à cause de la ruine des petits et moyens agriculteurs dans le cadre de la politique de liquidation de la filière arachidière de Wade, qui est pourtant leur principale culture de revenue monétaire.
C’est ainsi qu’en 2004/05, selon les données de l’ « Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal »(ESPS I), la proportion des exploitations agricoles de moins de 3 hectares a atteint 56,7% contre 23,1% en 1998/99, et 51,5% en 1960.
En outre, la pauvreté monétaire, en milieu rural, en 2004/05 a été évaluée à 55,6% des exploitations agricoles familiales par le « Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté » (DSRP II), publié par le Ministère de l’Economie et des Finances du Sénégal.
De sorte que la pauvreté rurale, sous Wade, avait un visage, celui des exploitations agricoles de moins de 3hectares, constitués de petits et moyens agriculteurs ruinés par la politique arachidière de Wade et de la libéralisation des marchés des produits et des facteurs agricoles.
Wade crut, comme ses prédécesseurs, que c’est dans le morcellement politicien accru des collectivités locales qu’il pouvait juguler cette crise.
Ainsi, il espérait faire croire aux populations, qu’en érigeant leur terroir en Collectivité locale, celles-ci allaient pouvoir résoudre leur problème d’existence.
Et pour mieux conforter cette croyance, il a octroyé des salaires mirifiques aux Présidents de Collectivité locale, pour augmenter leur train de vie, et obtenir leur allégeance politique.
Il a donc, avec ces mesures, accentué la transformation des Collectivités Locales en « Fiefs de potentats locaux », et la fonction de « Président de Collectivité locale » en « sinécure ».
Ce train de vie des Présidents des Collectivités locales rentrait en contraste flagrant , avec des budgets des Collectivités locales recevant une portion congrue des ressources de l’Etat que les Présidents ont même de la peine à exécuter, à cause du poids de l’Administration territoriale et des Services déconcentrés de l’Etat, qui leur a ôté tout moyen de prendre en charge efficacement les compétences qui leur ont été transférées.
D’où la surenchère dans laquelle Wade installait dangereusement le Sénégal, où dans chaque coin du pays, des gens avides de privilèges indus, et/ou attirés par la fonction de « sinécure » qu’est devenue celle de Président de Collectivité locale, ameutaient les siens pour exiger l’érection de leur terroir en collectivité locale.
C’est ainsi qu’entre 2008 et 2011, il avait créé 14 régions, à la place des 10 anciennes, 385 Communautés rurales, 121 Communes, 5 Villes, et 46 Communes d’Arrondissent au sein de ces 5 villes du Pays, soit 571 collectivités locales.
C’est fut la manifestation concrète de la continuation des préoccupations politiciennes en matière de Décentralisation, pour tenter de juguler un profond mécontentement populaire, tant en ville que dans le monde rural.
Pendant ce temps, la crise en Casamance prenait des proportions et des envergures de plus inquiétantes pour la stabilité et l’intégrité territoriale de notre pays.
Cette perversion de la Décentralisation, avait non seulement vidé notre Etat de son essence républicaine et démocratique, pour faire place à l’ « Etat Despotique et patrimonial », que Wade édifiait dans notre Pays, mais aussi, avait placé la rébellion en Casamance dans un « état de ni paix ni guerre » ponctué d’exactions récurrentes et meurtrières sur les personnes et leurs biens, et même de « prise d’otages » de nos soldats.
C’est contre un tel état des faits, que des Assises nationales, ont été organisées en 2008 par un large rassemblement de forces vives de la Nation, provenant de partis politiques de l’opposition de la société civile, et des forces de Sécurité du pays.
4) Les Assises nationales et les enjeux de la troisième génération de la Décentralisation.
Les Assises nationales, dans ses Conclusions, recommandaient une troisième génération de la Décentralisation dans le cadre de la Refondation de notre Etat sur des bases républicaines, démocratiques et citoyennes, qui devait restituer aux collectivités locales restructurées, tous les attributs de pouvoirs et de moyens devant leur permettre de prendre en charge les préoccupations de leurs ressortissants, tant dans leurs plans de développement local, et dans leurs budgets, que par leur contrôle citoyen des politiques et programmes des pouvoirs centraux.
Pour ce faire, cette Refondation devrait partir d’une Réforme Constitutionnelle qui réduit de manière significative les pouvoirs du Président de la République au profit du Pouvoir Législatif et des Pouvoirs locaux, et qui restitue au Pouvoir Judiciaire toute sa souveraineté.
C’est cette Réforme constitutionnelle qui devait ainsi jeter les bases pour une Réforme de la Décentralisation et une Réforme foncière qui, ensemble, allaient constituer les éléments de la Refondation de l’Etat, recommandée par les Conclusions des Assises nationales.
Les porteurs des Conclusions des Assises nationales, regroupés dans une vaste alliance composée de partis politiques, d’organisations et de personnalités de la société civile, avaient mis sur pied un large front national, « Benno Siggil Senegaal » (BSS), pour lutter contre le régime de Wade pour, une fois au pouvoir, mettre en œuvre cette Refondation de l’Etat dont notre Nation est grosse.
C’est pour cela que BSS, prenant en compte l’état de l’économie et des finances publiques qui serait hérité de Wade, et de la nécessité d’organiser de vastes et larges concertations sur les projets de Réforme qui instituent la Refondation de l’Etat, avait prévu une « période de transition de 3 ans » pour remettre le Sénégal en l’état, dans une République démocratique citoyenne, comme fondement à son nouvel Etat de Droit, laïc et de justice sociale.
BSS avait la conviction, que le Sénégal ne pouvait pas, en cas de victoire, rater l’opportunité de restructurer le Sénégal en des entités éco-géographiques viables, et de responsabiliser les acteurs locaux autour d’une gouvernance socio-économique territorialisée.
Cela aboutirait à des regroupements de circonscriptions électorales pour faire renaître nos véritables territoires, et concentrer nos maigres budgets sur des actions structurantes.
Au final, le Sénégal aurait moins de régions et moins de Communes d’Arrondissement, mais au moins, cette fois ci, il y aurait de vraies régions et Communes d’Arrondissement, éco-géographiques, capables de faire face aux enjeux du développement durable, notamment dans le milieu rural, aujourd’hui totalement déstructuré et abandonné.
À l’échelle communale, la réforme était une occasion de restructurer les Communes d’Arrondissement en Entités économiquement viables, pour concentrer l’action communale sur le service public aux citoyens, notamment sur l’appui au développement de l’activité économique des hommes et femmes qui composent l’économie locale.
Au niveau des libertés publiques, ce projet de Refondation de l’Etat « reconnaît au peuple le Droit d’initier un référendum sur des questions d’intérêt national », « réaffirme le Droit d’adresser des pétitions aux Autorités de l’Etat en vu de défendre leurs droits, ou de dénoncer, s’il y a lieu, l’iniquité d’une décision de justice, les actes illégaux ou les abus de pouvoir », et dispose que « l’initiative d’une proposition de loi appartient également à un nombre donné de citoyens inscrits sur les listes électorales ».
Cette Refondation de l’Etat, issue des Conclusions des Assises nationales, est donc un véritable projet d’une « Nouvelle République Démocratique et Citoyenne » que devaient porter sur les fonds batissimaux, un Projet de Réforme constitutionnelle, une Réforme foncière, et une troisième génération de la Décentralisation.
5) L’Alternance du 25 mars 2012, et les perspectives de la troisième
Génération de la Décentralisation
Le 25 mars 2012, le peuple Sénégalais a mis un terme, par l’expression de son suffrage, au régime de Wade, caractérisé par une concentration exorbitante des pouvoirs publics accompagnée d’une politique de dé-crédibilisation de la Décentralisation par l’érection d’une multitude de mini – collectivités locales sur des bases politiciennes.
C’est pour cette raison, que BSS avait chaleureusement applaudi à la création, par le Président Macky Sall, de trois Commissions chargées de conduire les concertations citoyennes nécessaires, pour mettre en œuvre ces attentes des Sénégalais en la matière.
Il s’agit de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) dirigée par le Président des Assises nationales, le Pr MBOW, de la Commission Nationale de Réforme Foncière (CNRF), dirigée par Me Doudou NDOYE, et de la Commission de l’Acte III de la Décentralisation, dirigée par le Pr Ismaïla Madoir Fall.
Avec la création de ces trois Commissions, le Président Macky Sall prouvait sa volonté politique de mettre en œuvre des Réformes qui vont structurer les politiques de rupture que les Sénégalais attendent de lui.
Mais, c’est dans le pilotage de ces différentes Commissions et dans la résurgence des préoccupations électoralistes, que les réformes tant attendues sont entrain de prendre du plomb dans les ailes.
En effet, il n’y a eu aucune concertation préalable entre les trois Commissions pour harmoniser leurs démarches de concertations citoyennes, pour élaborer un calendrier optimal devant permettre au Président de la République de planifier leur mise en œuvre compte tenu des contraintes politiques et budgétaires que traverse le pays.
La CNRI ayant été créée la première, les deux autres Commissions auraient dû s’en rapprocher, d’autant plus que des conclusions de celle-ci, devrait dépendre de beaucoup, l’orientation du travail des autres Commissions.
Mais, malheureusement, le Président de la Commission de l’Acte III, s’est mis en rivalité avec la CNRI dont il a attaqué publiquement la méthode et le coût, jusqu’à mettre même en doute les compétences des membres de celle-ci, en matière de Droit Constitutionnel.
Au résultat, les travaux de la Commission de l’Acte III se sont fortement heurtés à des résistances des représentants des populations lors de leur validation, au point que le gouvernement dût différer certains aspects de cette réforme, prétextant de la nécessité de respecter le calendrier républicain.
En fait, les populations ont refusé que leurs localités soient restructurées dans des entités plus vastes, puisqu'elles se sont aperçues que les collectivités locales ne se sont que des « sinécures », destinées à enrichir des individus. Donc pourquoi pas elles?
Cependant, lors des Assises nationales, c’était à une véritable adhésion populaire et citoyenne qui était partout rencontrée, pour faire des collectivités locales un véritable instrument de développement entre leurs mains.
C'est la raison pour laquelle, elles continueront de s'opposer à leur regroupement, tant qu'elles seront convaincues que l'on cherche à déshabiller Paul pour habiller Jean.
D'où la nécessité de se concerter largement sur la problématique avec les populations avant d'arrêter un schéma. Et c'est ce que le Président de la Commission de l'Acte III n'a pas fait. Il a cru, qu'il suffisait de réunir un "Comité restreint de sommités" pour élaborer des propositions savantes, qui devraient passer comme lettre à la Poste! Il a eu le revers de la médaille.
Cet échec de la Commission n’est rien d’autre que l’échec d’une approche bureaucratique et académicienne qui a compromis cette phase importante de la Refondation de l’Etat.
Cet échec est d’autant plus cuisant, s’il est comparé au succès rencontré par la CNRI dans ces concertations citoyennes.
Cette approche de la Commission de l’Acte III de la Décentralisation fut délibérée, parce qu’elle devait masquer, dans un jargon académique, une véritable régression de la Décentralisation sous couvert de « communalisation intégrale », et l’aggravation du nombre déjà jugé pléthorique de collectivités locales qui va passer de 571 à 616 comme réponse aux réticences des populations !
Ainsi les considérations politiciennes ont repris le dessus sur les considérations géo économiques sur lesquelles devait reposer l’approche de la Commission de l’Acte III conformément à sa mission.
En effet, avec la suppression envisagée des Sous Préfectures pour laisser la place au « Département » érigé en collectivité locale, l’érection de « territoires » gérés par des techno-bureaucrates sous la tutelle directe des pouvoirs centraux, l’on a affaire à une véritable tentative de « re- centralisation des pouvoirs locaux », tandis que les Communautés rurales, transformées en « Communes », vont perdre les pouvoirs fonciers quelles ont historiquement conquis dans le cadre de la Loi sur le Domaine National de 1972.
Ainsi, l’on assiste à une véritable transformation, en « coquille vide », des Conseils régionaux, que l’on avait planifiés de supprimer, et qui voient leur « inutilité » aggravée par l’existence d'une « Techno Bureaucratie » qui va gérer les « Pôles de développement intégré » proposés, pour y mettre en œuvre la "territorialisation de des politiques et programmes de Développement". Ce projet est déjà en cours d’exécution dans la région de Ziguinchor retenue pour abriter la « phase test ».
Là où les populations de Ziguinchor attendaient de cette troisième génération de la Décentralisation, le renforcement des pouvoirs locaux, avec notamment le transfert de l’ANRAC sous l’autorité du Conseil régional comme un signal fort de cette volonté des nouvelles Autorités, elles assistent, au contraire, au démarrage, dans leur région, de la « phase test » de la politique de « Pôles régionaux de Développement » sous l’Autorité d’une « techno bureaucratie » qui renforce les frustrations des élus locaux, et éloigne les perspectives des populations de prendre en charge leur propre destin.
Si l’approche de cette Commission avait été moins académique et bureaucratique, mais plus démocratique et citoyenne, à l'image de celle de la CNRI, cette réforme allait prendre les évaluations faites lors des Assises nationales, comme axe stratégique de son travail, en synergie avec les autres Commissions de réforme.
Ces évaluations lui auraient permis d’axer le processus de mise en œuvre de la troisième génération de la Décentralisation vers une restructuration des 14 Régions en 6 ou 7 grandes régions géo socio et économiques cohérentes et viables, transformées en « Pôle de Développement intégré durable », la restructuration des Communes d'Arrondissement dans le même sens, et le maintien des prérogatives du Conseil rural en matière foncière.
Cette restructuration, accompagnée de la suppression du pouvoir d'approbation du Gouverneur, Préfet et Sous Préfet qui deviendraient alors des « Commissaires du Gouvernement » au près des collectivités locales, allait constituer les bases du consensus national auquel les populations aspirent pour reprendre leur destin en main.
En effet, dans le cadre de la Démocratie citoyenne issue de cette Refondation de l’Etat, le maintien du « pouvoir d’approbation » des Autorités administratives territoriales, serait anachronique, et continuerait à être au centre des contradictions en ville comme dans le monde rural.
Au niveau national, il serait institué « Haut Conseil des Collectivités locales » au près de l’Exécutif et du Législatif, pour veiller au respect des prérogatives et missions que la nouvelle Loi sur la Décentralisation leur aurait dévolues.
Mais, ce sont les proposions de « re – centralisation » pour renforcer le pouvoir central de l’Etat, de la Commission de l’Acte III, et qui sont en porte à faux avec les attentes des populations auxquelles la CNRI et la CNRF devraient pouvoir répondre sur la base d’un large consensus national, que l’on a voulu faire passer par la bande, pour rendre leurs missions incongrues, et remettre en cause leur raison d’être.
Cet objectif recherché par la Commission de l’Acte III, devient encore plus crédible, si l’on prend en compte les entraves, rendues récemment publiques, au travail de la CNRF, au point d’obliger son Président d’annoncer, en conférence de presse, sa décision de suspendre ses activités pour protester contre la confiscation de ses moyens de travail pourtant votés par l’Assemblée nationale. Il vient d’ailleurs de démissionner !
Tout se passe donc comme si, au sein de la Présidence de la République et du Gouvernement, des forces politiques sont organisées pour torpiller, à travers la Commission de l’acte III, la volonté du Chef de l’Etat, publiquement annoncée, de rompre avec le régime hérité de Wade.
Leur manœuvre est, malheureusement, entrain de prospérer à cause de la démission des forces républicaines démocratiques et citoyennes dans les partis politiques, face aux forces rétrogrades en leur sein, qui ne rêvent que de conserver le statut quo institutionnel pour espérer pouvoir accéder à des positions de sinécure. Et, dans la société civile, dont une bonne partie estime que ces réformes sont du domaine des forces politiques, alors qu’il s’agit de refonder notre Etat pour le restituer aux citoyens, afin de mettre fin au monopole exclusif dont jouissent les forces politiques dans ce domaine.
C’est de ce monopole dont il s’agit de mettre fin, pour ouvrir la gestion de la Citée aux forces de la société civile, et non de transfert de ce monopole à la société civile, comme le préconisent les adeptes de la « théorie de l’échec des politiques » qui militent pour que les « politiques » laissent le « terrain » à la société civile.
Ce qui est surtout immédiatement en jeu, c’est, sous prétexte de respecter le calendrier électoral pour les locales de mars 2014, ces forces rétrogrades font courir le risque de créer des conditions qui mettent le Chef de l’Etat devant la nécessité de renoncer à sa volonté politique de rompre avec le régime de Wade pour garder ses fondamentaux contre lesquels les Sénégalais se sont soulevés le 25 mars 2012.
6 ) la problématique des Locales de mars 2014
Comme l’a si bien soutenu, Ousmane Badiane, ancien Président du Conseil Régional de Dakar, dans une brillante contribution qu’il vient de publier ce 6 Octobre 2013, « aujourd’hui, force est de reconnaître que l’enthousiasme que cette réforme avait suscité chez beaucoup d’acteurs de la décentralisation, commence à s’estomper, pour donner place au scepticisme, quant à la volonté réelle de poursuivre le processus, jusqu'à son terme ; d’où l’importance du travail d’information, de sensibilisation et de communication afin que les populations acceptent la réforme et se l’approprient.
Ce qui ne semble pas être le cas actuellement, car le management du processus de réforme manque de visibilité et de lisibilité. »
Devant l’enjeu et l’importance de ces réformes dans le processus de démocratisation de notre système politique et du mode de gestion des intérêts des populations, il ne serait pas avisé de se laisser emprisonner dans une capsule temporelle imposée par un soi-disant calendrier républicain, qu’invoquent, pour défendre leur aspiration à devenir des potentats locaux mus par des intérêts inavoués, tous les adeptes du Parti Etat, qui militent pour le maintien du statut quo institutionnel, et des rapports actuels avec les Collectivités locales tels que hérités de Wade.
Ces forces rétrogrades font légion dans les partis au pouvoir, comme dans l’opposition et dans la société civile, et ont une caractéristique commune, qui est leur empressement de conquérir le pouvoir local pour les sinécures qu’il y entrevoit.
Donc, en quoi les valeurs républicaines pourraient-elles souffrir d’un décalage des élections locales pour permettre, au préalable, la mise en œuvre des réformes confiées à la CNRI, à la CNRF et à la Commission de l’Acte III de la Décentralisation ?
Il est clair, que si l'on maintenait les élections locales à date échue, nous perdrions l'opportunité de réformer les Institutions, les rapports entre le pouvoir central et le pouvoir local, et la dépossession des Conseils ruraux de leurs prérogatives de gestion de la terre du Domaine national que l'Etat peut aliéner au profit de l'Agrobusiness. Ce sont ces dispositions léguées par Wade qu'il faillait réformer dans le cadre de la refondation de notre Etat.
Le Sénégal aurait chassé Wade pour rien!
Et c’est aussi l’avis de Monsieur Badiane dans sa contribution citée plus haut, en ces termes :
« soit, le gouvernement considère qu’il faut organiser les élections locales conformément au calendrier électoral, c'est-à-dire, le 16 mars 2014, et dans ce cas, considérer que d’ici cette échéance, il est absolument impossible de conduire la réforme jusqu'à son terme ; auquel cas il faudrait surseoir à celle-ci purement et simplement. En conséquence, après les locales de 2014 qui seront organisées sur la base de l’architecture administrative actuelle, envisager le processus de réforme de l’Acte III en perspective des locales de 2019 ».
Alors, devrons- nous sacrifier ces réformes à la boulimie de pouvoir de ceux qui sont pressés de conquérir les collectivités locales pour continuer d'en faire des sinécures?
Pour une fois que le Sénégal a une bonne raison de repousser des élections locales qui ont toujours été repoussées dans l’histoire du Sénégal sans aucun fondement objectif, allons-nous vraiment nous défiler, et accepter de reporter ces Réformes qui risquent alors de ne pas voir le jour durant le mandat de l’actuel Président de la République ?
Et, cette perspective deviendrait réalité, si les élections locales se déroulaient avant la mise en œuvre de ces réformes, avec le maintien des 14 régions administratives et des institutions que Wade nous a léguées?
C’est en fait ce qu’a décidé la Commission de l’Acte III qui vient de proposer l’organisation des élections communales et départementales à date échue, et les régionales, plus tard après, sous prétexte de « respect du calendrier républicain » !
En fait, cette stratégie de saucissonnage des élections est une violation du « calendrier républicain », puisque les régionales vont se tenir hors date échue.
Cette contradiction flagrante ne les émeut pas, car l’essentiel pour eux, c’est de mette en œuvre leur projet initial contesté, de « communalisation » et de « départementalisation » pour mettre en œuvre leurs « Pôles régionaux de Développement » conçus au près des Départements, comme le prouve la « phase test » en Casamance.
Le report des élections locales s’imposent donc, et pas seulement des élections régionales, pour donner à notre pays toutes ses chances de réussir la troisième génération de la Décentralisation. Pour cela, il suffit de faire proroger, par l’Assemblée nationale, le mandat de tous les élus locaux, mais pas seulement des Conseillers régionaux que propose la Commission de l’Acte III.
Dans le cas contraire, le Sénégal aurait, après avoir raté la première Alternance sous Wade, gravement hypothéqué la seconde Alternance sous Macky Sall, et continuerait de réunir les conditions de son implosion par le SUD, et de sa déstabilisation dans le reste du pays, à cause des contradictions non résolues en ville comme en campagne, que la troisième génération de la Décentralisation devait prendre en charge.
Ibrahima Sène PIT/SENEGAL
Dakar le 8 0ctobre 2013
Bonne réception, et surtout bons débats pour notre Democratie
Contribution au Séminaire de BSS sur l’Acte III
De la Décentralisation
Thème :
L’Acte III de la Décentralisation : Partie intégrante
De la Refondation de l’Etat du Sénégal
Au Sénégal, le processus de Décentralisation a obéi, tout le long de son histoire moderne, à des préoccupations des Gouvernants, de stabilité politique et sociale et de préservation de l'unité nationale, pour répondre aux aspirations des « Gouvernés » à plus de liberté publique et à plus de droits économiques et sociaux, pour prendre en main leur destin .
Ce processus, après l’accès du Sénégal à l’Indépendance nationale en 1960, a connu deux étapes historiques ; Chacune d’elle ayant été une tentative de réponse à une problématique concrète qui avait, soit, un rapport avec la stabilité du pays, soit, avec l'intégrité territoriale du Sénégal.
Ainsi la première, ou Loi 72-25 du 19 novembre 1972, était relative au malaise paysan lié à la gestion par l’Administration territoriale, des terres du Domaine National qui était institué par la Loi 64-46 du 17 juin 1964.
La seconde, ou Loi 96-à- du 2 mars 1996, portant « Régionalisation », était relative à l’intégrité territoriale fortement mise en cause plus d’une décennie durant par la rébellion en Casamance.
1) La première étape de la Décentralisation (Loi 72-25 du 19 Novembre1972)
Depuis 1964, quand la Loi 64-46 du 17 juillet 1964 instituait le « Domaine national », jusqu'en 1972, la gestion des terres agricoles était enlevée des mains des « Chefferies traditionnelles » (Lamans), pour être confiée aux Sous Préfets et Préfets.
Durant toute cette période de 1964 à 1972, il était quasi impossible, pour les petits et moyens agriculteurs, d’accéder à la terre, afin de réunir les conditions foncières nécessaires leur permettant d’entrer dans la nouvelle ère de la culture attelée, avec l'introduction du semoir, et de la houe, qui exigeait un minimum de 3hectares.
Ainsi, la gestion discrétionnaire des terres par les Préfets et sous Préfets excluaient de l’accès à la terre, plus de 51,5% des exploitations agricoles familiales disposant de moins de 3 hectares, qui étaient identifiés dans les Etudes « Cinna Ceresa » en 1960 qui ont servi à élaborer le Premier Plan de Développement économique et social du Sénégal sous le Président Mamadou Dia.
D'où un large mécontentement paysan qui commençait, après 1968, à menacer la stabilité du pouvoir en milieu rural, dans un contexte où le milieu urbain était en pleine crise politique et sociale.
Le Gouvernement d'alors prit la Loi 72-25 du 19 Novembre 1972 pour créer les Communautés rurales afin de transférer la gestion de la terre au Président du Conseil Rural, à la place de l'administration territoriale dans les 7 régions qui composaient le Sénégal.
Cependant, la vision Jacobine de l’Etat du Président de la République d’alors, Léopold S. Senghor, l’avait poussé à mettre sous tutelle directe ces nouvelles collectivités locales en conférant aux sous Préfets et Préfets, le pouvoir régalien d’approbation de leurs délibérations en matière budgétaire et foncière.
De cette manière, les Présidents de Conseil rural, sous l'influence de l'Administration territoriale, et des dignitaires religieux et politiques, continuaient une gestion discrétionnaire et discriminatoire de la terre.
Le malaise paysan s’amplifiait donc, et contribuait à vicier l’atmosphère politique déjà polluée en ville par une grave crise politique et sociale, notamment à partir de 1974, (création légale du PDS) qui résultait des obstacles posés par le pouvoir à l’avènement du multipartisme et du pluralisme syndical.
Dans cette situation, Senghor optait à être succédé au pouvoir par son Premier Ministre, natif de Louga, et lui créait artificiellement un fief politique local dans sa région natale, en scindant, à cet effet, en 1976, la Région de Diourbel en deux régions distinctes, celle de Louga et celle de Diourbel. Ce qui portait le nombre de Régions du Sénégal à 8.
Léopld S. Senghor introduisit ainsi une approche politicienne dans la création de circonscriptions administratives, qui jusque là obéissait à des considérations géo économiques naturelles telles déterminées dans les Etudes « Cinna Ceresa ».
Cette approche politicienne de l’Etat, qui confortait le pouvoir des dignitaires politiques et religieux dans les régions et leur contrôle des collectivités locales, avait tellement alourdie l'atmosphère dans le monde rural, que le Gouvernement dût prendre le Décret 80 -1051 du 14 Octobre 1980, pour conférer la gestion de la terre au Conseil rural, à la place du Président, à la veille de la Démission du Président Léopold S Senghor, dans un contexte de grave crise politique.
Désormais avec ce Décret, le pouvoir d’affectation et de désaffectation des terres revenait au Conseil rural, qui en décidait après délibération.
Cette première avancée démocratique dans la gestion des Communautés rurales à cette première phase de la Décentralisation, avait permis une large distribution des terres aux petits et moyens agriculteurs, qui s’était traduite par une forte réduction de la proportion des petits agriculteurs de moins de 3 hectares de 51,5% des exploitations agricoles à 23,1% lors du « Recensement Général de l’Agriculture » (RGA) en 1998/99. Les moyens agriculteurs voyaient aussi leurs proportions passer de 20,13% à 4,3%.
Ainsi, la première étape de la Décentralisation avait levé les obstacles fonciers de la mécanisation à traction animale, comme première phase de la modernisation de l’Agriculture Sénégalaise.
Cependant, cette première phase de la Décentralisation était handicapée par le maintien du contrôle à priori qu'exerce la tutelle (Préfet, Sous Préfet et Gouverneur) sur les délibérations du Conseil rural, avec un pouvoir d'approbation du Budget et des les décisions sur le foncier.
Cette situation qui mettait en conflit l’Administration territoriale avec les collectivités locales dans l’approbation de leur budget et de leurs délibérations dans la gestion du Domaine national, faisait naître le besoin d’une seconde génération de la Décentralisation qui remettait en cause les pouvoirs de celle-ci sur les compétences concédées au Conseil rural.
C’est ce besoin profond dont Abdou Diouf, le successeur de Léopold S. Senghor le 1er janvier 1981, n’avait pas pris la pleine mesure et fut surpris, dès Décembre 1982, par la Rébellion en Casamance, qui pose la problématique de l’Indépendance de cette région.
La réponse militaire de l’Etat sous Abdou Diouf, à cette rébellion, à la place d’une réponse politique, était complétée, en 1984, d’une approche politicienne de division de la région naturelle de Casamance en deux nouvelles régions distinctes, pour donner celle de Ziguinchor et celle de Kolda, dans l’espoir d’endiguer la rébellion au SUD, pour mieux la combattre.
Cependant, pour éviter que les raisons profondes de cette nouvelle réforme de l’Administration territoriale ne soient perçues par les populations comme un encouragement à la rébellion, le Gouvernement procédait aussi à la division de la région du Sine Saloum en deux régions distinctes, pour donner celle de Kaolack et celle de Fatick, portant ainsi le nombre Régions administratives du Sénégal à 10.
Mais très tôt, cette réponse militaire et administrative avait montré ses milites face à une rébellion ragaillardie par les tentatives de l’Etat de la circonscrire dans les limites d’un terroir ethniquement plus homogène et géographiquement avantagé par la densité de ses forêts et sa proximité avec la République de Gambie et de Guinée Bissau, que la rébellion sentait culturellement plus proches de leurs peuples que ceux du reste du Sénégal.
Les dangers de la partition du pays à son SUD étaient devenus de plus en plus pressants.
D’où le recours à une deuxième phase de la Décentralisation, qui devrait être un début de réponse politique à la crise en Casamance, qui remettait en cause l'intégrité du territoire national, qui n’exprimait rien d’autre, sous une autre forme certes, que la contradiction, venue à maturité, mais non résolue par le Président Diouf, entre l’Administration territoriale et les Conseils ruraux.
2) La deuxième étape de la Décentralisation (Loi 96-06 du 2 mars 1996).
La crise en Casamance était la conséquence d'un profond déséquilibre dans le processus de développement économique et social du Sénégal, qui rendait les régions périphériques de plus en remontées contre le reste du pays, notamment Dakar, qui est le centre politique, économique, financier et administratif du pays, où l'essentiel de l'emploi du secteur formel est concentré.
La situation géographique de la Casamance qui est séparée du reste du Sénégal par la République de Gambie, accentuait ce déséquilibre, que l’arbitraire de l’Administration territoriale, notamment en matière de gestion des terres et de commandement sur les hommes, rendu possible par l’enclavement de la région et son éloignement de la Capitale, était devenue de plus en plus insupportable pour les ressortissants de cette région.
Le Gouvernement d'alors avait pensé, qu'en transférant certaines compétences aux régions, le déséquilibre allait connaître un début de solution pouvant contribuer à ramener la paix en Casamance.
C'est la raison pour laquelle, la Loi 96-06 du 2 mars 1996 sur la Régionalisation a été adoptée, en instituant des Conseils régionaux élus au suffrage universel, pour prendre en main le destin de leur localité.
Et pour répondre, subsidiairement, à la contradiction entre l’Administration territoriale et les collectivités locales qui s’était exacerbée dans la région de Ziguinchor, le Gouvernement dut remplacer le contrôle à priori de l’Administration territoriale par un contrôle à postiori, tout en maintenant le pouvoir d’approbation des Sous Préfets, Préfets et Gouverneurs !
Ces préoccupations politiciennes ont ainsi empêché que la Régionalisation ne soit une véritable réponse à la crise Casamançaise.
Au contraire, avec un Conseil régional qui n'a aucun moyen pour assumer les compétences que la loi lui a conférées, et le maintien des pouvoirs de l’Administration territoriale sur les collectivités locales, les Casamançais ont compris, que ce n'était pas encore pour demain la veille, la fin de la marginalisation économique de leur région.
D'autant plus que le Gouverneur détenait le pouvoir d'approbation des délibérations du Conseil régional, au même titre que les Préfets et sous Préfets sur celles des autres collectivités locales.
L’inutilité du Conseil régional de Ziguinchor aux yeux des populations et de la rébellion était surtout illustrée par l’absence totale de son autorité sur les programmes de développement destinés à la Région de Ziguinchor, et sur ceux des Acteurs non étatiques, qui y évoluent dans tous les domaines, y compris dans la « recherche de la paix » dans la région.
Même les Programmes de l’ « Agence Nationale de Reconstruction de la Casamance », (ANRAC) échappaient à son Autorité, et était piloté à partir de Dakar.
Tout cela accentuait les frustrations des populations et des élus locaux qui avaient favorisé l’éclatement de la rébellion, même si le Gouvernement voulait faire croire, avec la suppression du contrôle à priori, que de nouveaux rapports de confiance allaient voir le jour entre l’Administration territoriale et les Conseils ruraux et régionaux.
3) Evaluation des deux premières phases de la Décentralisation.
Ces deux premières étapes de la Décentralisation sous Léopold S. Senghor et Abdou Diouf, ont montré leurs limites sociales dans le processus historique de faire des collectivités locales, un mécanisme de redistribution du pouvoir économique et de réduction des distorsions entre les territoires, engendrées par le développement économique et social inégal des différentes régions du Sénégal, en vue d’une plus grande intégration de nos peuples, dans le processus de construction d’une Nation moderne, dans une République démocratique.
Les pouvoirs locaux, qui ont le droit constitutionnel de s’auto administrer, sont en fait, sous la coupe des Gouverneurs, Préfets et sous Préfets, qui disposent d’un pouvoir d’approbation de leur budget et de certaines de leurs délibérations, notamment sur le foncier, pourtant librement adoptés par l’organe habilité à cet effet, qui est le Conseil formé de membres élus au suffrage universel direct.
Les pouvoirs locaux sont ainsi transformés par les dignitaires politiques et religieux, en « fiefs de potentats locaux », plus soucieux de jouir des privilèges que confère le statut de Président de Collectivité locale, que du souci de développement local qui est la raison d’être des Conseils locaux qu’ils dirigent.
Cette dualité de leur fonction de Président les mettent souvent en contradiction, d’une part, avec les populations de leurs localités et leurs élus locaux dont ils sont incapables de traduire en actes leurs délibérations, et d’autre part, avec l’Administration territoriale qui symbolise leur impotence.
La Décentralisation a été ainsi vidée de ses objectifs de transfert d’une partie des pouvoirs exécutifs centraux aux collectivités locales, et a laissé la place à un pouvoir exécutif central exorbitant aux mains l’Administration territoriale qui représente le Chef de l’Etat.
Ces freins à la redistribution du pouvoir économique ont été accentués par les Programmes d’Ajustement Structurel qui ont aggravé le développement inégalitaire du pays, tandis que la réduction des distorsions inter- régionales se heurtait aux des préoccupations politiciennes des Gouvernants.
L’exigence se faisait de plus en plus pressante, de lever ces deux obstacles que sont les pouvoirs exorbitants de l’Administration territoriale sur les Collectivités locales, et les Programmes d’Ajustement Structurel, qui empêchent les fleurs de la Décentralisation d’éclore, pour donner les fruits que le peuple attendait d’elle.
D’où, le besoin d’une troisième génération de la Décentralisation se faisait sentir à cet effet.
C’est dans le contexte de cette exigence, que l’Alternance Démocratique était intervenue au Sénégal en 2000.
4) L’Alternance et la troisième génération de la Décentralisation.
.Avec le Président Wade, l’on a connu une concentration exorbitante des pouvoirs publics entre les mains du Chef de l’Etat, qui rendait de plus en plus insoutenables les rapports que l’Etat et ses démembrements territoriaux entretenaient avec les élus des collectivités locaux, dans un contexte de crise économique et sociale aggravée.
Ce mécontentement populaire était consécutif à la mise en œuvre intégrale des exigences du Programme d’Ajustement Structurel de libéralisation du « marché des produits agricoles », notamment de l’arachide, et du « marché des facteurs de production et de l’équipement », destinés à l’Agriculture, et l’institution de leur vente au comptant à des prix subventionnés.
Cette politique a porté un coup fatal au processus de modernisation de l’agriculture par la mécanisation à traction animale, à cause de la ruine des petits et moyens agriculteurs dans le cadre de la politique de liquidation de la filière arachidière de Wade, qui est pourtant leur principale culture de revenue monétaire.
C’est ainsi qu’en 2004/05, selon les données de l’ « Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal »(ESPS I), la proportion des exploitations agricoles de moins de 3 hectares a atteint 56,7% contre 23,1% en 1998/99, et 51,5% en 1960.
En outre, la pauvreté monétaire, en milieu rural, en 2004/05 a été évaluée à 55,6% des exploitations agricoles familiales par le « Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté » (DSRP II), publié par le Ministère de l’Economie et des Finances du Sénégal.
De sorte que la pauvreté rurale, sous Wade, avait un visage, celui des exploitations agricoles de moins de 3hectares, constitués de petits et moyens agriculteurs ruinés par la politique arachidière de Wade et de la libéralisation des marchés des produits et des facteurs agricoles.
Wade crut, comme ses prédécesseurs, que c’est dans le morcellement politicien accru des collectivités locales qu’il pouvait juguler cette crise.
Ainsi, il espérait faire croire aux populations, qu’en érigeant leur terroir en Collectivité locale, celles-ci allaient pouvoir résoudre leur problème d’existence.
Et pour mieux conforter cette croyance, il a octroyé des salaires mirifiques aux Présidents de Collectivité locale, pour augmenter leur train de vie, et obtenir leur allégeance politique.
Il a donc, avec ces mesures, accentué la transformation des Collectivités Locales en « Fiefs de potentats locaux », et la fonction de « Président de Collectivité locale » en « sinécure ».
Ce train de vie des Présidents des Collectivités locales rentrait en contraste flagrant , avec des budgets des Collectivités locales recevant une portion congrue des ressources de l’Etat que les Présidents ont même de la peine à exécuter, à cause du poids de l’Administration territoriale et des Services déconcentrés de l’Etat, qui leur a ôté tout moyen de prendre en charge efficacement les compétences qui leur ont été transférées.
D’où la surenchère dans laquelle Wade installait dangereusement le Sénégal, où dans chaque coin du pays, des gens avides de privilèges indus, et/ou attirés par la fonction de « sinécure » qu’est devenue celle de Président de Collectivité locale, ameutaient les siens pour exiger l’érection de leur terroir en collectivité locale.
C’est ainsi qu’entre 2008 et 2011, il avait créé 14 régions, à la place des 10 anciennes, 385 Communautés rurales, 121 Communes, 5 Villes, et 46 Communes d’Arrondissent au sein de ces 5 villes du Pays, soit 571 collectivités locales.
C’est fut la manifestation concrète de la continuation des préoccupations politiciennes en matière de Décentralisation, pour tenter de juguler un profond mécontentement populaire, tant en ville que dans le monde rural.
Pendant ce temps, la crise en Casamance prenait des proportions et des envergures de plus inquiétantes pour la stabilité et l’intégrité territoriale de notre pays.
Cette perversion de la Décentralisation, avait non seulement vidé notre Etat de son essence républicaine et démocratique, pour faire place à l’ « Etat Despotique et patrimonial », que Wade édifiait dans notre Pays, mais aussi, avait placé la rébellion en Casamance dans un « état de ni paix ni guerre » ponctué d’exactions récurrentes et meurtrières sur les personnes et leurs biens, et même de « prise d’otages » de nos soldats.
C’est contre un tel état des faits, que des Assises nationales, ont été organisées en 2008 par un large rassemblement de forces vives de la Nation, provenant de partis politiques de l’opposition de la société civile, et des forces de Sécurité du pays.
4) Les Assises nationales et les enjeux de la troisième génération de la Décentralisation.
Les Assises nationales, dans ses Conclusions, recommandaient une troisième génération de la Décentralisation dans le cadre de la Refondation de notre Etat sur des bases républicaines, démocratiques et citoyennes, qui devait restituer aux collectivités locales restructurées, tous les attributs de pouvoirs et de moyens devant leur permettre de prendre en charge les préoccupations de leurs ressortissants, tant dans leurs plans de développement local, et dans leurs budgets, que par leur contrôle citoyen des politiques et programmes des pouvoirs centraux.
Pour ce faire, cette Refondation devrait partir d’une Réforme Constitutionnelle qui réduit de manière significative les pouvoirs du Président de la République au profit du Pouvoir Législatif et des Pouvoirs locaux, et qui restitue au Pouvoir Judiciaire toute sa souveraineté.
C’est cette Réforme constitutionnelle qui devait ainsi jeter les bases pour une Réforme de la Décentralisation et une Réforme foncière qui, ensemble, allaient constituer les éléments de la Refondation de l’Etat, recommandée par les Conclusions des Assises nationales.
Les porteurs des Conclusions des Assises nationales, regroupés dans une vaste alliance composée de partis politiques, d’organisations et de personnalités de la société civile, avaient mis sur pied un large front national, « Benno Siggil Senegaal » (BSS), pour lutter contre le régime de Wade pour, une fois au pouvoir, mettre en œuvre cette Refondation de l’Etat dont notre Nation est grosse.
C’est pour cela que BSS, prenant en compte l’état de l’économie et des finances publiques qui serait hérité de Wade, et de la nécessité d’organiser de vastes et larges concertations sur les projets de Réforme qui instituent la Refondation de l’Etat, avait prévu une « période de transition de 3 ans » pour remettre le Sénégal en l’état, dans une République démocratique citoyenne, comme fondement à son nouvel Etat de Droit, laïc et de justice sociale.
BSS avait la conviction, que le Sénégal ne pouvait pas, en cas de victoire, rater l’opportunité de restructurer le Sénégal en des entités éco-géographiques viables, et de responsabiliser les acteurs locaux autour d’une gouvernance socio-économique territorialisée.
Cela aboutirait à des regroupements de circonscriptions électorales pour faire renaître nos véritables territoires, et concentrer nos maigres budgets sur des actions structurantes.
Au final, le Sénégal aurait moins de régions et moins de Communes d’Arrondissement, mais au moins, cette fois ci, il y aurait de vraies régions et Communes d’Arrondissement, éco-géographiques, capables de faire face aux enjeux du développement durable, notamment dans le milieu rural, aujourd’hui totalement déstructuré et abandonné.
À l’échelle communale, la réforme était une occasion de restructurer les Communes d’Arrondissement en Entités économiquement viables, pour concentrer l’action communale sur le service public aux citoyens, notamment sur l’appui au développement de l’activité économique des hommes et femmes qui composent l’économie locale.
Au niveau des libertés publiques, ce projet de Refondation de l’Etat « reconnaît au peuple le Droit d’initier un référendum sur des questions d’intérêt national », « réaffirme le Droit d’adresser des pétitions aux Autorités de l’Etat en vu de défendre leurs droits, ou de dénoncer, s’il y a lieu, l’iniquité d’une décision de justice, les actes illégaux ou les abus de pouvoir », et dispose que « l’initiative d’une proposition de loi appartient également à un nombre donné de citoyens inscrits sur les listes électorales ».
Cette Refondation de l’Etat, issue des Conclusions des Assises nationales, est donc un véritable projet d’une « Nouvelle République Démocratique et Citoyenne » que devaient porter sur les fonds batissimaux, un Projet de Réforme constitutionnelle, une Réforme foncière, et une troisième génération de la Décentralisation.
5) L’Alternance du 25 mars 2012, et les perspectives de la troisième
Génération de la Décentralisation
Le 25 mars 2012, le peuple Sénégalais a mis un terme, par l’expression de son suffrage, au régime de Wade, caractérisé par une concentration exorbitante des pouvoirs publics accompagnée d’une politique de dé-crédibilisation de la Décentralisation par l’érection d’une multitude de mini – collectivités locales sur des bases politiciennes.
C’est pour cette raison, que BSS avait chaleureusement applaudi à la création, par le Président Macky Sall, de trois Commissions chargées de conduire les concertations citoyennes nécessaires, pour mettre en œuvre ces attentes des Sénégalais en la matière.
Il s’agit de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) dirigée par le Président des Assises nationales, le Pr MBOW, de la Commission Nationale de Réforme Foncière (CNRF), dirigée par Me Doudou NDOYE, et de la Commission de l’Acte III de la Décentralisation, dirigée par le Pr Ismaïla Madoir Fall.
Avec la création de ces trois Commissions, le Président Macky Sall prouvait sa volonté politique de mettre en œuvre des Réformes qui vont structurer les politiques de rupture que les Sénégalais attendent de lui.
Mais, c’est dans le pilotage de ces différentes Commissions et dans la résurgence des préoccupations électoralistes, que les réformes tant attendues sont entrain de prendre du plomb dans les ailes.
En effet, il n’y a eu aucune concertation préalable entre les trois Commissions pour harmoniser leurs démarches de concertations citoyennes, pour élaborer un calendrier optimal devant permettre au Président de la République de planifier leur mise en œuvre compte tenu des contraintes politiques et budgétaires que traverse le pays.
La CNRI ayant été créée la première, les deux autres Commissions auraient dû s’en rapprocher, d’autant plus que des conclusions de celle-ci, devrait dépendre de beaucoup, l’orientation du travail des autres Commissions.
Mais, malheureusement, le Président de la Commission de l’Acte III, s’est mis en rivalité avec la CNRI dont il a attaqué publiquement la méthode et le coût, jusqu’à mettre même en doute les compétences des membres de celle-ci, en matière de Droit Constitutionnel.
Au résultat, les travaux de la Commission de l’Acte III se sont fortement heurtés à des résistances des représentants des populations lors de leur validation, au point que le gouvernement dût différer certains aspects de cette réforme, prétextant de la nécessité de respecter le calendrier républicain.
En fait, les populations ont refusé que leurs localités soient restructurées dans des entités plus vastes, puisqu'elles se sont aperçues que les collectivités locales ne se sont que des « sinécures », destinées à enrichir des individus. Donc pourquoi pas elles?
Cependant, lors des Assises nationales, c’était à une véritable adhésion populaire et citoyenne qui était partout rencontrée, pour faire des collectivités locales un véritable instrument de développement entre leurs mains.
C'est la raison pour laquelle, elles continueront de s'opposer à leur regroupement, tant qu'elles seront convaincues que l'on cherche à déshabiller Paul pour habiller Jean.
D'où la nécessité de se concerter largement sur la problématique avec les populations avant d'arrêter un schéma. Et c'est ce que le Président de la Commission de l'Acte III n'a pas fait. Il a cru, qu'il suffisait de réunir un "Comité restreint de sommités" pour élaborer des propositions savantes, qui devraient passer comme lettre à la Poste! Il a eu le revers de la médaille.
Cet échec de la Commission n’est rien d’autre que l’échec d’une approche bureaucratique et académicienne qui a compromis cette phase importante de la Refondation de l’Etat.
Cet échec est d’autant plus cuisant, s’il est comparé au succès rencontré par la CNRI dans ces concertations citoyennes.
Cette approche de la Commission de l’Acte III de la Décentralisation fut délibérée, parce qu’elle devait masquer, dans un jargon académique, une véritable régression de la Décentralisation sous couvert de « communalisation intégrale », et l’aggravation du nombre déjà jugé pléthorique de collectivités locales qui va passer de 571 à 616 comme réponse aux réticences des populations !
Ainsi les considérations politiciennes ont repris le dessus sur les considérations géo économiques sur lesquelles devait reposer l’approche de la Commission de l’Acte III conformément à sa mission.
En effet, avec la suppression envisagée des Sous Préfectures pour laisser la place au « Département » érigé en collectivité locale, l’érection de « territoires » gérés par des techno-bureaucrates sous la tutelle directe des pouvoirs centraux, l’on a affaire à une véritable tentative de « re- centralisation des pouvoirs locaux », tandis que les Communautés rurales, transformées en « Communes », vont perdre les pouvoirs fonciers quelles ont historiquement conquis dans le cadre de la Loi sur le Domaine National de 1972.
Ainsi, l’on assiste à une véritable transformation, en « coquille vide », des Conseils régionaux, que l’on avait planifiés de supprimer, et qui voient leur « inutilité » aggravée par l’existence d'une « Techno Bureaucratie » qui va gérer les « Pôles de développement intégré » proposés, pour y mettre en œuvre la "territorialisation de des politiques et programmes de Développement". Ce projet est déjà en cours d’exécution dans la région de Ziguinchor retenue pour abriter la « phase test ».
Là où les populations de Ziguinchor attendaient de cette troisième génération de la Décentralisation, le renforcement des pouvoirs locaux, avec notamment le transfert de l’ANRAC sous l’autorité du Conseil régional comme un signal fort de cette volonté des nouvelles Autorités, elles assistent, au contraire, au démarrage, dans leur région, de la « phase test » de la politique de « Pôles régionaux de Développement » sous l’Autorité d’une « techno bureaucratie » qui renforce les frustrations des élus locaux, et éloigne les perspectives des populations de prendre en charge leur propre destin.
Si l’approche de cette Commission avait été moins académique et bureaucratique, mais plus démocratique et citoyenne, à l'image de celle de la CNRI, cette réforme allait prendre les évaluations faites lors des Assises nationales, comme axe stratégique de son travail, en synergie avec les autres Commissions de réforme.
Ces évaluations lui auraient permis d’axer le processus de mise en œuvre de la troisième génération de la Décentralisation vers une restructuration des 14 Régions en 6 ou 7 grandes régions géo socio et économiques cohérentes et viables, transformées en « Pôle de Développement intégré durable », la restructuration des Communes d'Arrondissement dans le même sens, et le maintien des prérogatives du Conseil rural en matière foncière.
Cette restructuration, accompagnée de la suppression du pouvoir d'approbation du Gouverneur, Préfet et Sous Préfet qui deviendraient alors des « Commissaires du Gouvernement » au près des collectivités locales, allait constituer les bases du consensus national auquel les populations aspirent pour reprendre leur destin en main.
En effet, dans le cadre de la Démocratie citoyenne issue de cette Refondation de l’Etat, le maintien du « pouvoir d’approbation » des Autorités administratives territoriales, serait anachronique, et continuerait à être au centre des contradictions en ville comme dans le monde rural.
Au niveau national, il serait institué « Haut Conseil des Collectivités locales » au près de l’Exécutif et du Législatif, pour veiller au respect des prérogatives et missions que la nouvelle Loi sur la Décentralisation leur aurait dévolues.
Mais, ce sont les proposions de « re – centralisation » pour renforcer le pouvoir central de l’Etat, de la Commission de l’Acte III, et qui sont en porte à faux avec les attentes des populations auxquelles la CNRI et la CNRF devraient pouvoir répondre sur la base d’un large consensus national, que l’on a voulu faire passer par la bande, pour rendre leurs missions incongrues, et remettre en cause leur raison d’être.
Cet objectif recherché par la Commission de l’Acte III, devient encore plus crédible, si l’on prend en compte les entraves, rendues récemment publiques, au travail de la CNRF, au point d’obliger son Président d’annoncer, en conférence de presse, sa décision de suspendre ses activités pour protester contre la confiscation de ses moyens de travail pourtant votés par l’Assemblée nationale. Il vient d’ailleurs de démissionner !
Tout se passe donc comme si, au sein de la Présidence de la République et du Gouvernement, des forces politiques sont organisées pour torpiller, à travers la Commission de l’acte III, la volonté du Chef de l’Etat, publiquement annoncée, de rompre avec le régime hérité de Wade.
Leur manœuvre est, malheureusement, entrain de prospérer à cause de la démission des forces républicaines démocratiques et citoyennes dans les partis politiques, face aux forces rétrogrades en leur sein, qui ne rêvent que de conserver le statut quo institutionnel pour espérer pouvoir accéder à des positions de sinécure. Et, dans la société civile, dont une bonne partie estime que ces réformes sont du domaine des forces politiques, alors qu’il s’agit de refonder notre Etat pour le restituer aux citoyens, afin de mettre fin au monopole exclusif dont jouissent les forces politiques dans ce domaine.
C’est de ce monopole dont il s’agit de mettre fin, pour ouvrir la gestion de la Citée aux forces de la société civile, et non de transfert de ce monopole à la société civile, comme le préconisent les adeptes de la « théorie de l’échec des politiques » qui militent pour que les « politiques » laissent le « terrain » à la société civile.
Ce qui est surtout immédiatement en jeu, c’est, sous prétexte de respecter le calendrier électoral pour les locales de mars 2014, ces forces rétrogrades font courir le risque de créer des conditions qui mettent le Chef de l’Etat devant la nécessité de renoncer à sa volonté politique de rompre avec le régime de Wade pour garder ses fondamentaux contre lesquels les Sénégalais se sont soulevés le 25 mars 2012.
6 ) la problématique des Locales de mars 2014
Comme l’a si bien soutenu, Ousmane Badiane, ancien Président du Conseil Régional de Dakar, dans une brillante contribution qu’il vient de publier ce 6 Octobre 2013, « aujourd’hui, force est de reconnaître que l’enthousiasme que cette réforme avait suscité chez beaucoup d’acteurs de la décentralisation, commence à s’estomper, pour donner place au scepticisme, quant à la volonté réelle de poursuivre le processus, jusqu'à son terme ; d’où l’importance du travail d’information, de sensibilisation et de communication afin que les populations acceptent la réforme et se l’approprient.
Ce qui ne semble pas être le cas actuellement, car le management du processus de réforme manque de visibilité et de lisibilité. »
Devant l’enjeu et l’importance de ces réformes dans le processus de démocratisation de notre système politique et du mode de gestion des intérêts des populations, il ne serait pas avisé de se laisser emprisonner dans une capsule temporelle imposée par un soi-disant calendrier républicain, qu’invoquent, pour défendre leur aspiration à devenir des potentats locaux mus par des intérêts inavoués, tous les adeptes du Parti Etat, qui militent pour le maintien du statut quo institutionnel, et des rapports actuels avec les Collectivités locales tels que hérités de Wade.
Ces forces rétrogrades font légion dans les partis au pouvoir, comme dans l’opposition et dans la société civile, et ont une caractéristique commune, qui est leur empressement de conquérir le pouvoir local pour les sinécures qu’il y entrevoit.
Donc, en quoi les valeurs républicaines pourraient-elles souffrir d’un décalage des élections locales pour permettre, au préalable, la mise en œuvre des réformes confiées à la CNRI, à la CNRF et à la Commission de l’Acte III de la Décentralisation ?
Il est clair, que si l'on maintenait les élections locales à date échue, nous perdrions l'opportunité de réformer les Institutions, les rapports entre le pouvoir central et le pouvoir local, et la dépossession des Conseils ruraux de leurs prérogatives de gestion de la terre du Domaine national que l'Etat peut aliéner au profit de l'Agrobusiness. Ce sont ces dispositions léguées par Wade qu'il faillait réformer dans le cadre de la refondation de notre Etat.
Le Sénégal aurait chassé Wade pour rien!
Et c’est aussi l’avis de Monsieur Badiane dans sa contribution citée plus haut, en ces termes :
« soit, le gouvernement considère qu’il faut organiser les élections locales conformément au calendrier électoral, c'est-à-dire, le 16 mars 2014, et dans ce cas, considérer que d’ici cette échéance, il est absolument impossible de conduire la réforme jusqu'à son terme ; auquel cas il faudrait surseoir à celle-ci purement et simplement. En conséquence, après les locales de 2014 qui seront organisées sur la base de l’architecture administrative actuelle, envisager le processus de réforme de l’Acte III en perspective des locales de 2019 ».
Alors, devrons- nous sacrifier ces réformes à la boulimie de pouvoir de ceux qui sont pressés de conquérir les collectivités locales pour continuer d'en faire des sinécures?
Pour une fois que le Sénégal a une bonne raison de repousser des élections locales qui ont toujours été repoussées dans l’histoire du Sénégal sans aucun fondement objectif, allons-nous vraiment nous défiler, et accepter de reporter ces Réformes qui risquent alors de ne pas voir le jour durant le mandat de l’actuel Président de la République ?
Et, cette perspective deviendrait réalité, si les élections locales se déroulaient avant la mise en œuvre de ces réformes, avec le maintien des 14 régions administratives et des institutions que Wade nous a léguées?
C’est en fait ce qu’a décidé la Commission de l’Acte III qui vient de proposer l’organisation des élections communales et départementales à date échue, et les régionales, plus tard après, sous prétexte de « respect du calendrier républicain » !
En fait, cette stratégie de saucissonnage des élections est une violation du « calendrier républicain », puisque les régionales vont se tenir hors date échue.
Cette contradiction flagrante ne les émeut pas, car l’essentiel pour eux, c’est de mette en œuvre leur projet initial contesté, de « communalisation » et de « départementalisation » pour mettre en œuvre leurs « Pôles régionaux de Développement » conçus au près des Départements, comme le prouve la « phase test » en Casamance.
Le report des élections locales s’imposent donc, et pas seulement des élections régionales, pour donner à notre pays toutes ses chances de réussir la troisième génération de la Décentralisation. Pour cela, il suffit de faire proroger, par l’Assemblée nationale, le mandat de tous les élus locaux, mais pas seulement des Conseillers régionaux que propose la Commission de l’Acte III.
Dans le cas contraire, le Sénégal aurait, après avoir raté la première Alternance sous Wade, gravement hypothéqué la seconde Alternance sous Macky Sall, et continuerait de réunir les conditions de son implosion par le SUD, et de sa déstabilisation dans le reste du pays, à cause des contradictions non résolues en ville comme en campagne, que la troisième génération de la Décentralisation devait prendre en charge.
Ibrahima Sène PIT/SENEGAL
Dakar le 8 0ctobre 2013