L’éclaircissement de la peau, une pratique encore bien ancrée dans les usages des populations afrodescendantes. État des lieux et des risques pour la santé.
La dépigmentation volontaire ou artificielle (DV/DA) touche une grande partie de la population d’Afrique subsaharienne, majoritairement les femmes, et la diaspora installée en Europe. Parmi les régions francophones qui seraient les plus touchées par le phénomène, on compte le Togo – 59% des femmes utilisent régulièrement des produits éclaircissants selon le dernier rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé -, le Sénégal (27%) et le Mali (environ 25% toujours selon l’OMS).
Le blanchiment de la peau : un tabou
Une pratique culturelle qui est la conséquence de plusieurs facteurs esthétiques et sociaux. A tel point qu’elle se voit attribuer une kyrielle de dénominations dans les pays où la pratique est la plus courante : « akonti » au Togo, « Khessal » au Sénégal, « tchatcho » au Mali, « kobwakana » ou « kopakola » dans les deux Congo, ou encore « ambi » au Gabon, et « bojou » au Bénin. Tandis qu’au Niger, on parle de « décapage » et au Cameroun « de maquillage ».
Autant de dissimulations linguistiques qui attestent aussi du caractère tabou de la pratique. « La personne qui se blanchit la peau ne le crie pas sur les toits. Elle va essayer de prétexter un métissage », confirme Catherine Tetteh, présidente de l’ONG Melanin Foundation, esthéticienne et chercheuse en santé publique. Un déni qui pousserait « certaines femmes à dépigmenter leurs enfants pour justifier leur teint clair, c’est alarmant », s’affole Catherine Tetteh.
Uniformisation du teint, traumatisme postcolonial, statut socio-économique, beauté et séduction, influence de l’entourage proche, de la mode, des modèles et de la pub, tels sont les principaux critères qui poussent les populations à se blanchir la peau selon Nathalie Migan, docteure en pharmacie, auteure de l’Etude des agents dépigmentants et de leur utilisation détournée dans la dépigmentation volontaire (décembre 2013), et co-fondatrice de l’association Ewa Ethnik qui lutte contre la DV.
Son homologue confirme que l’histoire des afrodescendants est en soubassement : « l’esclavage, le colonialisme, tout cela n’est pas réglé ». La question du colorisme, soit « la stratification des ″races″ en fonction de l’intensité de la couleur de peau héritée du Code Noir », associe la peau claire à la beauté et à « un signe extérieur de réussite », précise Catherine Tetteh. Et de compléter : « La polygamie qui met les femmes en concurrence les pousse à être les plus belles, les plus désirées pour avoir le plus de faveurs, donc à avoir la peau la plus claire ». Une pression sociale qui amènerait principalement les femmes jeunes, âgées de 20 à 40 ans, à avoir recours au blanchiment, d’après l’étude menée par Nathalie Migan.
Des pratiques à risques
Selon le rapport de l’afssaps « Évaluation des risques liés à la dépigmentation volontaire » (octobre 2011), « les femmes procèdent à une ou plusieurs applications journalières, souvent durant plusieurs années ». Une routine qui n’est évidemment pas sans conséquences sur la santé. Les produits éclaircissants sont généralement à base de cortisone, de dérivés mercuriels ou d’hydroquinone, des molécules nocives pour la santé quand elles sont consommées à trop fortes doses et quotidiennement.
« Il faut savoir que ce sont des médicaments qui sont détournés de leurs effets thérapeutiques. La cortisone va être appliquée en très grande quantité et mélangée à d’autres molécules sous forme de savon, de lait ou de crème dépigmentante prête à l’emploi. Les femmes laissent reposer et mélangent parfois ces trois substances. Les médecins sont catégoriques, au bout de quelques semaines, vous êtes dépendants », alerte Catherine Tetteh. Des usages qui font des ravages sur la peau mais aussi dans l’organisme.
Problème, la majorité des consommatrices ne connaissent pas les méfaits de ces produits, surtout dans les régions les plus reculées, souvent mal informées ou victimes de publicités mensongères, elles aggravent leur état de santé en ayant recours à des recettes DIY où les trois substances sont mélangées, et – pire encore – ajoutées à des substances comme de l’eau de javel. Mais « ce ne sont pas les consommatrices qui sont à pointer du doigt, mais les autorités qui ferment les yeux », conclut la fondatrice de l’ONG.
Considérés comme illicites, les produits éclaircissants sont pourtant commercialisés sous différentes formes, du savon au lait en passant par la crème, et ce en l’Europe comme en Afrique.
Les ravages de la dépigmentation volontaire sur la santé publique
Trois substances principales composent ces produits : la cortisone, le mercure et l’hydroquinone. Aujourd’hui « on retrouve même des injections à base de glutathion, c’est grave », s’insurge Catherine Tetteh, présidente de l’ONG Melanin Foundation, esthéticienne et chercheuse en santé publique.
Des molécules détournées de leurs usages thérapeutiques – seuls sont considérés comme médicaments les produits de santé ayant fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France – qui se retrouvent en vente libre sur Internet, dans les échoppes parisiennes et autres grandes villes. Mais aussi sur les marchés et dans les pharmacies dans certains pays d’Afrique, révèle l’Étude des agents dépigmentants et de leur utilisation détournée dans la dépigmentation volontaire (décembre 2013) menée par Nathalie Migan, docteure en pharmacie et co-fondatrice de l’association Ewa Ethnik qui lutte contre la dépigmentation volontaire (DV).
« Comme en France, ces pharmacies appartiennent à des pharmaciens diplômés. Sur 10 pharmacies visitées (à Cotonou et en Côte d’ivoire), 7 vendaient des produits éclaircissants disponibles aux rayons des produits dermo-cosmétiques », détaille l’étude.
Un libre accès, une transparence des étiquettes arbitraire et une rétention d’information qui ne sont pas sans conséquences sur les habitudes de consommation. Pourtant, les risques sont bien réels. Les conséquences sur la santé vont être doubles : à la fois cutanées et systémiques.
« Les complications cutanées les plus fréquentes et les plus sévères sont en rapport avec l’usage des produits à base de corticoïdes », indique le rapport l’afssaps « Évaluation des risques liés à la dépigmentation volontaire » (octobre 2011). Dermatites (eczéma, irritations, prurit…), gale, pyodermites superficielles (folliculites, impétigo, ecthyma, furoncles), acné, vergetures irréversibles etc. la liste est longue…
Les effets systémiques sont également considérables : complications rénales et obstétricales. « Dès l’instant où le produit pénètre dans le sang, celui-ci est empoisonné », prévient Catherine Tetteh. La fondatrice de Melanin Foundation est sans appel : « Quand les femmes tombent enceintes, elles contaminent leur enfant. A haute dose, ces produits entraînent une modification génétique et des problèmes de soudures osseuses chez l’enfant, des déformations ».
A noter que le pouvoir d’achat des consommatrices et leur profil socio-économique (selon qu’elles vivent en zone rurale ou zone urbaine), vont avoir un impact sur la « qualité » des produits. Plus la consommatrice est pauvre et sous-informée, et plus elle va se tourner vers des recettes DIY encore plus toxiques pour la santé comme des mélanges de produits dépigmentants avec de l’eau de javel.
Banalisation des produits éclaircissants : un marché trop lucratif
Absence de contrôle de publicité en Afrique, des gouvernements qui « ferment les yeux », et une OMS dépassée par les événements, qui peine à reconnaître la DV comme un problème de santé publique, considérant que « les consommatrices se mettent volontairement en danger »… autant de raisons qui justifient la vente libre des produits éclaircissants.
Si des actions ont été mises en place pour mettre fin à ce fléau, comme le décret interdisant la vente et l’utilisation de ces produits en Côte d’Ivoire datant de 2015, « cela n’a rien changé » !, s’insurge Catherine Tetteh. Et de poursuivre : « Le blanchiment de la peau rapporte des milliards et concurrence le marché de la drogue. Des usines entières au Togo, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, en Afrique du Sud fabriquent des produits blanchissants », dénonce-t-elle.
D’autres produits quittent l’Afrique pour l’Europe, débarquent à Château d’Eau (Paris) et sont disponibles à la vente librement », complète la chercheuse qui se bat pour faire reconnaître la DV comme un problème de santé publique depuis plusieurs années. Elle est parvenue à convaincre l’Organisation Mondiale de la Santé de réaliser une conférence en ligne pour alerter les médecins en Afrique des dangers de ces produits dits éclaircissants. Un premier pas.
La publicité omniprésente – jouant sur les termes « teint clair, éclatant » -, des panneaux d’affichage en Côte d’Ivoire ou encore au Bénin à la télévision, en passant par les magazines, participe à la banalisation de ces produits. « Les marques ont réussi à faire croire que ces pratiques n’étaient pas dangereuses, s’inquiète Catherine Tetteh. Et à convaincre les diffuseurs qui s’appuient sur ce marché pour faire vivre leur économie : « Amina est lu partout en Afrique, même dans le village le plus reculé, et le magazine continue à placer de la pub pour les produits blanchissants. C’est très grave ».
Mais c’est sans compter sur la « mondialisation du teint » et la publicité déguisée tendance whitewashing où les stars africaines-américaines sont passées au filtre éclaircissant de Photoshop : Beyoncé en tête, pour une célèbre marque de cosmétiques. Les stars ont souvent été les premières ambassadrices du blanchiment de la peau, de Michael Jackson à, plus récemment, Lil Kim. Aujourd’hui, certaines n’hésitent pas à devenir égéries de produits éclaircissants en enchaînant la promo sur les plateaux télé.
C’est le cas de la chanteuse camerounaise Dencia qui a lancé sa propre marque de produits blanchissants : Whitenicious. Cette dernière a trouvé le bon filon pour s’en mettre plein les poches, malgré de nombreux détracteurs principalement issus de la communauté africaine-américaine : « Plus on en parle, plus mes ventes explosent », avait-elle confié dans les colonnes du monde.fr en décembre 2015.
Une marque au discours ambigu et controversé qui promettrait de faire disparaître les taches pigmentaires dont sont sujettes les carnations foncées. Outil de communication ou pas, il est primordial pour Catherine Tetteh d’informer les populations sur le sujet et sur les risques de la dépigmentation volontaire. « La communication par les médias a augmenté la consommation des produits éclaircissants. Il faut inverser le processus », clame-t-elle.
Eva Sauphie