Au lendemain de l’expulsion du polémiste anti franc CFA Kemi Seba vers la France, de nombreuses voix s’élèvent au Sénégal pour dénoncer une décision qui, selon eux, ferait du pays « la risée des pays africains ».
« Des Africains ont expulsé un Africain », résume à sa manière le rappeur Thiat, l’un des leaders du mouvement de la société civile Y en a marre. La veille, le jeune homme a suivi la voiture emmenant le polémiste Kemi Seba à l’aéroport de Dakar, après la notification de son avis d’expulsion signé par le ministre de l’Intérieur. Sur place, il est pris à partie par un policier, qui l’interpelle et l’emmène au commissariat. « J’ai été arrêté avec Simon (un autre leader de Y en a marre, ndlr) vers 17h [heure de Dakar, NDLR], avant d’être libéré à minuit », précise-t-il à Jeune Afrique. Entre-temps, Kemi Seba est expulsé à bord du vol Corsair 66979 en direction de l’aéroport d’Orly, en France.
« Bon débarras »
Fin de l’histoire ? « Cette expulsion ne change rien au débat sur notre souveraineté monétaire, affirme pour sa part le rappeur Didier Awadi, qui était présent au procès de Kemi Seba le 29 août. La question du franc CFA va continuer à se poser au sein de l’opinion publique. » Preuve de l’engouement des Sénégalais autour du sujet : l’avalanche de réactions sur les réseaux sociaux après l’expulsion de Kemi Seba. Si beaucoup d’internautes africains affichent leur soutien envers le polémiste franco-béninois, certains, à l’instar du philosophe Hady Ba, se montrent résolument critiques. « Bon débarras. Le Sénégal n’a pas vocation à recevoir toute la misère du monde », a-t-il ainsi déclaré sur son fil Twitter.
De leur côté, les leaders de Y en a marre ont tenu jeudi une conférence de presse, en présence de la compagne de Kemi Seba, pour dénoncer une décision qui fait du Sénégal « la risée de tous les pays africains ». « Nous allons continuer le combat, assure Thiat. D’abord, en maintenant la grande marche du 16 septembre à Dakar contre le franc CFA. Puis, en lançant une pétition pour le retour de Kemi Seba au Sénégal, que nous adresserons ensuite à l’ambassade de France. Une caravane sera également lancée de Dakar à Niamey, pour sensibiliser les populations à notre souveraineté monétaire. »
« Une procédure arbitraire »
Dans le flot des critiques, beaucoup s’interrogent également sur l’aspect juridique de l’expulsion de Kemi Seba. Dans un communiqué commun, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme, la Ligue sénégalaise des droits de l’homme et Amnesty International se sont indignés mercredi soir d’une « procédure tout à fait arbitraire, qui viole le droit au recours prévu pour les personnes visées par des arrêtés d’expulsion ». Une possibilité pourtant inscrite dans la loi du 17 janvier 2017, qui prévoit un recours suspensif d’une durée de deux mois en cas d’expulsion d’étranger.
Ses droits ont été violés d’une manière surréaliste. Il faut que les responsables soient traduits en justice
« Nous avons envoyé un huissier vers 18h déposer une injonction de libération de Kemi Seba, explique son avocat Me Koureich Ba. Alors qu’ils en avaient l’obligation, les policiers ont refusé de réceptionner le document, en prétextant l’absence du commandant dans son bureau. » La défense du polémiste, qui s’est retrouvé devant le fait accompli mercredi soir, entend d’ailleurs ne pas en rester là, en portant l’affaire devant le tribunal correctionnel dans les prochaines semaines. « Ses droits ont été violés d’une manière surréaliste, dénonce-t-il. Il faut que les responsables soient traduits en justice. »
Il a appelé à des manifestations susceptibles de troubler l’ordre public
Du côté du pouvoir, une source proche de la présidence invoque « les obligations sécuritaires de l’État sénégalais envers ses concitoyens ». « Je rappelle que Kemi Seba n’avait jamais été inquiété, lorsqu’il s’en prenait violemment aux institutions dans les médias, explique notre source. Cette fois, les choses sont différentes. Outre le fait d’avoir brûlé un billet de banque, un acte puni par la loi, il a appelé à des manifestations susceptibles de troubler l’ordre public. » « Cela n’a aucun sens, lui rétorque le rappeur Awadi. Il ne menaçait rien, ni personne. Pourquoi cet empressement du pouvoir à vouloir le faire taire ? »
Par Olivier Liffran (Jeuneafrique.com)