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Disparition de l’écrivain Ibrahima Sall: la plume exquise d’un bohème

Rédigé par leral.net le Lundi 8 Juin 2020 à 14:38 | | 0 commentaire(s)|

Décédé vendredi 5 mai, le poète, romancier, nouvelliste et dramaturge sénégalais Ibrahima Sall s’en est allé pour toujours, mais il laisse derrière lui une œuvre impérissable qui lui survivra à coup sûr.


Ibrahima Sall est parti comme il a vécu. Dans la sobriété. Peu connu de la littérature sénégalaise, malgré l’immensité de son talent. Le poète, romancier, nouvelliste et dramaturge a nourri le verbe avec un style dépouillé. Une approche littéraire presque impossible à comparer aux œuvres de notre époque, bien que les nouvelles publications demeurent encore foisonnantes. De son langage intérieur jaillissait une plume magique qui fit très tôt l’unanimité auprès de ses pairs. Mais sur le chemin de l’excellence, la notoriété s’est égarée. Et la lumière s’est soudain voilée. L’écrivain peu connu du grand public a pourtant le mérite d’avoir été porté au panthéon des plus grands hommes de lettres du pays et de l’Afrique. Ce bohème « doré » avait choisi sa place dans le train de l’histoire, préférant s’extirper d’une certaine faune d’écrivains et des lumières laudatives des plateaux de télé. Ceci lui a permis, sans doute, de produire des œuvres qui survivront à son époque et bien au-delà, à la postérité. Parmi celles-ci figurent la publication, au mitan des années 70, aux Nouvelles éditions africaines du Sénégal (Neas), de son roman « La génération spontanée », « Les mauvaises odeurs » un peu plus tôt et « Les routiers de chimères » (roman, Neas, Dakar 1982). Ces productions littéraires constituent des chefs-d’œuvre inédits tant sur le plan de l’écriture que celui de la création. Inspiré comme tout grand homme par la sagesse, il avait choisi la discrétion et l’humilité pour envelopper l’immensité de son talent. « Écrivain génial, il aura vécu caché, quasi inconnu. Il sortait du lot par la qualité de sa plume profonde et raffinée », témoigne le poète Abdoulaye Racine Senghor, administrateur du Monument de la Renaissance africaine.

Folie dans l’imagination

Le chroniqueur littéraire Khalifa Touré va plus loin. Selon lui, les « écrivains sénégalais n’ont jamais véritablement excellé dans la grande création formelle. Ils sont d’une pruderie stylistique agaçante et répétitive. Excepté Ibrahima Sall qui arrive en tête. Il est à cent coudées au-dessus des autres, du moins en ce qui concerne la folie dans l’imagination ». Dans notre pays, poursuit-il, ce poète est littéralement vénéré par toute une génération de lecteurs minoritaires. « Je ne connais aucun écrivain sénégalais qui possède une telle poéticité. Ni Boubacar Boris Diop ni Ken Bugul encore moins Amadou Lamine Sall qui sont pourtant bons. Il paie aujourd’hui le prix fort d’une forme d’incubation littéraire qui confine à la « folie ». Son dernier roman, « Les mauvaises odeurs », aurait pu remporter le Prix des cinq continents, si le travail éditorial n’était pas de mauvaise qualité. Quant à « Antilepse », son dernier recueil de poèmes publié en 2012, il suffit de le parcourir pour être convaincu que ce « bouvier de l’au-delà » reste le grand pâtre assis sur le promontoire et que notre monde culturel est passé à côté de quelque chose de grand en ignorant toujours ce poète qui ne demande rien », écrit-il.

Amadou Lamine Sall, poète, lauréat des Grands Prix de l’Académie française, est aussi formel. « Ibrahima Sall était et reste le meilleur écrivain que notre cher pays ait connu. Il était le meilleur d’entre nous. Poète parmi les plus puissants, romancier hors pair, nouvelliste de génie, dramaturge inspiré, Ibrahima fut de ce combat qui, dans les années 8O, a vu quatre jeunes mousquetaires faire face à des aînés triomphants et peu accessibles. Je parle de l’inoubliable feu Mamadou Traoré Diop, Alioune Badara Bèye, Amadou Lamine Sall », souligne-t-il. En effet, ajoute le fondateur de la Maison africaine de poésie internationale (Mapi), l’ancien assistant du Conseil culturel français de Senghor fut un maître. « Sa plume est unique. Son style, surtout son style, est magique. Il avait devancé ses aînés. Il avait devancé ses compagnons que nous étions. Ibrahima était Ibrahima : dans l’écriture, la parole, les actes, le mode de vie », reconnaît-il. Mais l’employé de la Sotrac qu’il a été après l’armée, « vivotait dans le manque et le silence », informe Amadou Lamine Sall. Seulement, « Ibrahima était heureux, très heureux, même avec un téléphone longtemps démodé et défectueux. Il ne demandait rien. Il était digne. L’écriture, la lecture, la méditation étaient son refuge. Tout ce qu’il demandait, c’était de prendre soin de ses manuscrits et de les éditer. Il écrivait tout à la main. Ses manuscrits étaient écrits de sa main. »

Toujours dans le chapitre des hommages, le ministre de la Culture et de la Communication a salué la mémoire d’un « grand écrivain sénégalais ». D’après Abdoulaye Diop, le nouvelliste, poète, romancier, dramaturge, Ibrahima Sall, était un créateur fécond et polyvalent, naviguant avec une parfaite aisance entre le roman, le conte, la poésie et le théâtre. « Et de chacun de ces genres, il avait la maîtrise exquise de l’art, poussant sa réussite créative jusqu’à la confusion des esthétiques littéraires », ajoute le ministre.


Source : Le Soleil