Certaines histoires ont le don de vous hanter, de vous coller à la peau ou de vous suivre à la trace, parfois entre une amertume plus ou moins subtile, et quelque chose de plus aigre que doux. Quand on fouille derrière un titre comme celui-là, «Trop noire pour être française ?» ou le tout récent documentaire de la scénariste et réalisatrice Isabelle Boni-Claverie (2015), jeune quadragénaire née en Côte d’Ivoire, on trouve tout un tas de vieux souvenirs enfouis dans de lointains récits de famille, et surtout mille et une questions plus universelles sur l’identité, sur les origines, sur l’appartenance et sur la couleur de peau.
La première fois qu’elle prend conscience que son épiderme est sans doute un peu plus foncé que celui des autres, dit-elle dans ce long métrage qui dure un peu moins d’une heure, c’est à l’école. La petite fille rêve d’interpréter le rôle de la vierge Marie, mais la maîtresse n’est pas vraiment de cet avis. Elle oppose son veto : non, parce que tout compte fait, le personnage de Balthazar, le plus noir des trois mages, lui conviendrait davantage. Isabelle Boni-Claverie n’en fait pourtant pas un drame, du moins pas tout de suite, avec cette façon qu’elle a de se sentir privilégiée pour ne pas dire protégée, entre son grand-père noir et sa grand-mère blanche, même si, dans le chic quartier parisien où sa famille s’est installée, les seuls noirs du coin sont balayeurs de rues.
A 19 ans, il y a ce séjour new-yorkais dont elle revient quelque peu métamorphosée. Entre l’esclavage et la colonisation, les fantasmes et les préjugés, l’image des Noirs, telle que «véhiculée par les médias», n’était peut-être pas si «innocente» que cela.
Sur fond d’injure raciale, l’affaire Guerlain, du nom de ce parfumeur français, Jean-Paul de son prénom, éclate en 2010. Voilà ce qu’il avait dit, entre deux éclats de rire : «Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin…». Isabelle Boni-Claverie fait partie de celles et ceux qui ont manifesté à ce moment-là, ce qui ne lui suffira visiblement pas. Une parole raciste tout à fait décomplexée, et pas grand-monde pour s’en émouvoir, cela vous hérisse les poils. L’incident «cristallise (sa) colère».
Le film naît de ce sursaut, mais suspendu à une question existentielle: «Qu’est-ce que d’être noir ?» La réponse, il y en a plusieurs, vient comme un refrain plutôt glauque qui commence par : «On sait qu’on est noir quand…» Au-delà, quelques malheureuses expériences : un Noir à l’entrée d’une boîte de nuit ce serait forcément un videur, un Noir se ferait davantage contrôler qu’un Blanc, sans parler de la discrimination à l’embauche et au logement.
Au-delà des images, Isabelle Boni-Claverie interroge la société française, dans ses contradictions et dans ses hypocrisies, quand elle ne se rend pas coupable d’une forme de racisme primaire. Il y a peu de Noirs parmi les cadres supérieurs dit-on dans le film, comme il n’y en a que très peu de Noirs à l’Assemblée nationale française. Parmi ceux que l’on pourrait appeler les visages de la diversité, il y a le journaliste Harry Roselmack et la femme politique Rama Yade.
Ce qui rend les choses un peu plus complexes, c’est que cela ne suffit pas toujours d’être « français », même naturalisé, quand on vous ramène sans cesse à votre couleur de peau et à vos éventuelles origines ethniques, de celles que trahirait un accent mal dissimulé par exemple. Même s’il ne faudrait pas non plus faire de cette question que l’on a tendance à diaboliser, un sens interdit, un tabou.
«Trop noire pour être française ?», c’est aussi le récit d’une femme à la recherche de ses origines, d’une branche à l’autre de son arbre généalogique. Sur les photos de famille qui défilent à l’écran, il souffle quelques silences, un peu comme si le temps s’était arrêté par endroits.
Sud Quotidien
La première fois qu’elle prend conscience que son épiderme est sans doute un peu plus foncé que celui des autres, dit-elle dans ce long métrage qui dure un peu moins d’une heure, c’est à l’école. La petite fille rêve d’interpréter le rôle de la vierge Marie, mais la maîtresse n’est pas vraiment de cet avis. Elle oppose son veto : non, parce que tout compte fait, le personnage de Balthazar, le plus noir des trois mages, lui conviendrait davantage. Isabelle Boni-Claverie n’en fait pourtant pas un drame, du moins pas tout de suite, avec cette façon qu’elle a de se sentir privilégiée pour ne pas dire protégée, entre son grand-père noir et sa grand-mère blanche, même si, dans le chic quartier parisien où sa famille s’est installée, les seuls noirs du coin sont balayeurs de rues.
A 19 ans, il y a ce séjour new-yorkais dont elle revient quelque peu métamorphosée. Entre l’esclavage et la colonisation, les fantasmes et les préjugés, l’image des Noirs, telle que «véhiculée par les médias», n’était peut-être pas si «innocente» que cela.
Sur fond d’injure raciale, l’affaire Guerlain, du nom de ce parfumeur français, Jean-Paul de son prénom, éclate en 2010. Voilà ce qu’il avait dit, entre deux éclats de rire : «Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin…». Isabelle Boni-Claverie fait partie de celles et ceux qui ont manifesté à ce moment-là, ce qui ne lui suffira visiblement pas. Une parole raciste tout à fait décomplexée, et pas grand-monde pour s’en émouvoir, cela vous hérisse les poils. L’incident «cristallise (sa) colère».
Le film naît de ce sursaut, mais suspendu à une question existentielle: «Qu’est-ce que d’être noir ?» La réponse, il y en a plusieurs, vient comme un refrain plutôt glauque qui commence par : «On sait qu’on est noir quand…» Au-delà, quelques malheureuses expériences : un Noir à l’entrée d’une boîte de nuit ce serait forcément un videur, un Noir se ferait davantage contrôler qu’un Blanc, sans parler de la discrimination à l’embauche et au logement.
Au-delà des images, Isabelle Boni-Claverie interroge la société française, dans ses contradictions et dans ses hypocrisies, quand elle ne se rend pas coupable d’une forme de racisme primaire. Il y a peu de Noirs parmi les cadres supérieurs dit-on dans le film, comme il n’y en a que très peu de Noirs à l’Assemblée nationale française. Parmi ceux que l’on pourrait appeler les visages de la diversité, il y a le journaliste Harry Roselmack et la femme politique Rama Yade.
Ce qui rend les choses un peu plus complexes, c’est que cela ne suffit pas toujours d’être « français », même naturalisé, quand on vous ramène sans cesse à votre couleur de peau et à vos éventuelles origines ethniques, de celles que trahirait un accent mal dissimulé par exemple. Même s’il ne faudrait pas non plus faire de cette question que l’on a tendance à diaboliser, un sens interdit, un tabou.
«Trop noire pour être française ?», c’est aussi le récit d’une femme à la recherche de ses origines, d’une branche à l’autre de son arbre généalogique. Sur les photos de famille qui défilent à l’écran, il souffle quelques silences, un peu comme si le temps s’était arrêté par endroits.
Sud Quotidien