Mais ce n’est pas parce que notre pays va mal, qu’il doit en mourir. Il est de notre devoir et de notre responsabilité de veiller sur lui, de le soigner, de l’entourer de toute notre attention, même si attention ne rime pas avec privation et désespoir. Ces deux là tuent maintenant chez nous, presque à égale distance du sida. Le dénuement et la honte tuent aussi, car notre peuple profond se nourrit encore de valeurs qui lui interdisent d’accepter un tel sort. C’est une mort dans le silence, quand on vous ôte jusqu’à cette dignité qui servait de repas et de boubou. Depuis notre accession à la souveraineté nationale, les Sénégalais, d’ethnies différentes, ont donné le plus ardent des exemples de vie en commun. Cet héritage sans prix a fait du Sénégal un pays attachant. Pourquoi donc la politique et les politiciens voudraient-ils nous arracher ce si précieux legs ? Pourquoi donc se déchire-t-on autant, en brisant les amarres pour nous conduire vers des vents et un océan d’où personne ne reviendra indemne ? Il est temps de désarmer les cœurs de la haine. Nous savons combien un tel appel pourrait paraître surréaliste pour certains radicaux, quand on considère l’état social, économique, voire psychologique et psychiatrique même dans lequel se trouve notre pays. Mais c’est bien pourtant là, l’unique voie de salut. Si nous ne pouvons pas jeter les politiciens à la mer - ils ont de plus en plus des calculs et non des responsabilités - acculons les au consensus. Pour paraphraser l’universitaire néerlandais Ruut Veenhoven, nous ne demandons ni une société libérale, ni une société socialiste, ni une société social-démocrate, ni une société religieuse. Tout ce que notre peuple demande c’est à défaut de vivre heureux, de vivre tout court. Chez nous, ni la performance du discours politique, ni les sermons du vendredi n’ont créé un progrès social. En un mot, le Sénégal serait à sec. C’est la panne générale. Nous semblons ne plus rien attendre de la politique. Des compagnonnages idéologiques inattendus et contre-nature qui ont même tourné en complicités amoureuses, ont fini par virer au rapport de force, à la haine. Des blessures se sont ouvertes qui ne se refermeront pas de sitôt. Des vengeances mûrissent en silence. Notre pays mérite t-il cela ? Devons-nous préparer notre avenir avec tant de couteaux qui attendent. Levons-nous tous pour dire que cela suffit. Appelons à la mesure, à l’honneur retrouvé. L’acte citoyen n’est pas seulement de se révolter contre les injustices sans nom et il faut se révolter. L’acte citoyen consiste surtout à œuvrer pour la concorde. C’est à l’Etat, le premier, de trouver les solutions justes pour freiner la course vers le chaos. Nous devons tous tenter de choisir des voies moins tragiques. Notre pays a besoin d’un nouveau souffle politique, religieux, car mêmes ceux-là qui ont pris le parti d’être les compagnons de l’islam, ont déserté, parmi les plus nombreux, les vrais chemins de Dieu et dévoyé depuis bien longtemps Sa morale et Son éthique. L’impasse aujourd’hui est si cruelle, la rupture si totale, qu’il nous faut s’arrêter, faire le décompte de nous-mêmes. Nous sommes au cœur du vide éthique et philosophique au profit de la tyrannie du gain. Je ne veux pas croire que la modernité avec sa « décadence morale qui frappe l’humanité » ainsi que l’extrême acuité du poids du social, aient autant castré notre élan vers le Sacré. A penser désormais qu’il faut secourir Dieu et non Ses sujets ! Ce qui fait peur aujourd’hui, c’est bien le choc des ignorances. Il s’y ajoute que nombre de chefs religieux musulmans, ne paraîtraient plus, à l’image de ceux d’hier, constituer des régulateurs de tension sociale et politique. Il existe désormais trop de délestages entre eux et nous. Par ailleurs, les Sénégalais, parmi les plus nombreux, ne sauraient également être vierges de toute critique. Il nous faut en effet d’inoxydables valeurs civiques que nous ne possédons plus. La discipline est garante du développement, de la cohésion et de l’harmonie d’une société. Elle différencie le civilisé du sauvage. Elle est le premier respect de soi avant les autres. Faudrait-il un jour aller « de la morale au droit » si l’anarchie le justifiait ? La responsabilité, note Sartre, c’est la revendication des conséquences de la liberté. Bien sûr, le sismographe de la République est le premier magistrat de notre pays. Il lui faut plus que d’être un homme. Il doit être le repère et l’horloge de la nation. Au sommet de la montagne, il est le premier vigile sur qui pèsent notre sécurité et notre sérénité. Mais face à tous les maux, nous devons cultiver un esprit de grandeur et de dépassement. Préférons la révolution à l’émeute. Posons des actes fondateurs et historiques au seul profit de notre peuple. Pour cela, il nous faut un trésor de sérénité, une infaillible lucidité. Il s’agit surtout de donner aux populations, parmi les plus atteintes, les plus déshéritées, la dignité de vivre et de pouvoir chaque matin regarder leurs enfants sans baisser les yeux. Avant de penser aux fleurs, il faut penser au pain, disait Senghor. A la vérité, sans sourciller, nous reconnaîtrons tous que ce n’est pas le peuple sénégalais qui a failli dans ses choix, mais bien ceux à qui il a toujours confié son avenir. Mais notre destin n’est pas scellé. Il y a l’avenir. Et c’est cela qui forge l’espoir. Aucun homme politique ne peut s’enorgueillir aujourd’hui de venir nous dire que les politiques ont rempli leur mission. La politique a stocké trop de venin dans le corps des sénégalais. Il faut maintenant dépenser ce venin en repentance et bâtir autrement notre pays. Mon ami l’ambassadeur de Tombouctou disait paradoxalement que « nous avons besoin des hommes politiques, et les pires, car ce sont ceux-la qui nous tiennent éveillés et vigilants au sein d’Etats qu’ils rendent fragiles et désespérés ». Allez savoir ! Le peuple sénégalais a besoin, quant à lui, de respect. Le respect est le premier visage de la morale. Evitons de n’avoir demain que le remords comme compagnon de notre révolte. Nous devons être tous à la fois responsables de l’honneur de la République et pas chacun, isolément, de son propre honneur, même si certains ont courageusement choisi de n’être responsables ni de l’un ni de l’autre. C’est là le raffinement de l’immoralité. Cela s’appelle d’un mot : la fin de l’histoire. Notre pays a cette réputation d’être privé d’or mais pas de venin. Ce n’est pas toujours du chaos que renaît l’ordre. Force doit plutôt rester à la loi, même si il arrive qu’elle soit humiliée, déconsidérée ; à la justice même si la nôtre a été accusée, à tort ou à raison, d’être installée dans une longue sieste, sinon d’être « en guenilles ». Elle se réveillera si ce dont on l’affuble est vrai, car je garde d’elle l’image admirable et intraitable de hauts magistrats dont certains, parmi les plus nombreux, ont donné à notre pays son rang, défendu la démocratie au prix de leur vie, fait espérer à la force de croire au droit. La justice est notre ultime recours, car elle seule « peut montrer la limite de leur puissance aux détenteurs du pouvoir et donner sa dignité à l’organisation des sociétés humaines ». Hormis Dieu, seule la justice est au-dessus de tout. Toutefois, sachons tous, où que nous servions, qu’il est des péchés pour lesquels il n’existe de pardon ni sur terre ni aux cieux. Donnons-nous un temps dans ce pays pour ne jamais arriver à la guerre civile et appelons ce temps: l’éternité. Battons-nous pour ce que nous construirons ensemble de beau et de grand, pour ce que nos devanciers nous ont déjà laissés de solide et d’exemplaire, et non pour ce que nous allons détruire pour longtemps en mettant le Sénégal en péril. La démocratie n’est pas un confort, c’est un espace de désaccords et d’adversités, mais pas de haine, d’appel à la mort et au néant. Ne jamais oublier surtout que la plus grande humiliation que l’on peut infliger à son peuple, c’est de laisser l’impunité vivre et s’engraisser. Nous ne sommes pas encore un pays où on ouvre la bouche que chez le dentiste. Le voudrait-on, ne le pourrait-on jamais. Les forces vives de ce pays le démontrent chaque jour dans leur combat souffrant mais tenace pour la liberté.
C’est un poète, Paul Eluard, qui nous apprenait ceci : si je suis sur la terre / c’est que d’autres y sont aussi. Ce monde est petit / petit comme une journée. Pour dire que personne ne naît seul, que nous devons veiller à ceux qui souffrent prés de nous, sans micro; que la vie est un aéroport, un espace de transit; que nous devons privilégier l’éthique avant le travail, car elle est le préalable à une société saine, c’est elle qui récompense et arme une conscience reposée et propre, commande la pugnacité qui ouvre les portes du développement. Il reste bien sûr le plus inacceptable: l’inculture ! Le Sénégal est beaucoup trop petit, trop étroit, et l’Afrique trop inquiétante encore dans sa marche vers l’unité, pour que nous nous payions le luxe d’un déchirement sans nom. On aurait tourné le dos à tout ce qui avait jusqu’ici fondé notre nation et notre spécificité. On aurait fait offense à nos saints, à nos mères, à nos pères qui ont tant veillé et tant prié pour leur pays. Ma fierté c’est quand je suis à Lisbonne, Tokyo, Moscou, la Havane, Johannesburg, Paris, Hanoï ou Cayenne, et que l’on me demande toujours : Comment va donc ce pays où la gaieté est si contagieuse et où les femmes sentent si bon ? Faisons que nos amis du monde entier, du Sahara à l’Antarctique, gardent de nous et de notre peuple, pour longtemps, ce sourire sénégalais qui est le soleil du cœur.
Puisse Dieu précéder toujours les Sénégalais, qu’Il commande leur cœur et bénisse ce grand petit pays malgré les vents mauvais, le fouet des privations. Bonne année à tous !
poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
C’est un poète, Paul Eluard, qui nous apprenait ceci : si je suis sur la terre / c’est que d’autres y sont aussi. Ce monde est petit / petit comme une journée. Pour dire que personne ne naît seul, que nous devons veiller à ceux qui souffrent prés de nous, sans micro; que la vie est un aéroport, un espace de transit; que nous devons privilégier l’éthique avant le travail, car elle est le préalable à une société saine, c’est elle qui récompense et arme une conscience reposée et propre, commande la pugnacité qui ouvre les portes du développement. Il reste bien sûr le plus inacceptable: l’inculture ! Le Sénégal est beaucoup trop petit, trop étroit, et l’Afrique trop inquiétante encore dans sa marche vers l’unité, pour que nous nous payions le luxe d’un déchirement sans nom. On aurait tourné le dos à tout ce qui avait jusqu’ici fondé notre nation et notre spécificité. On aurait fait offense à nos saints, à nos mères, à nos pères qui ont tant veillé et tant prié pour leur pays. Ma fierté c’est quand je suis à Lisbonne, Tokyo, Moscou, la Havane, Johannesburg, Paris, Hanoï ou Cayenne, et que l’on me demande toujours : Comment va donc ce pays où la gaieté est si contagieuse et où les femmes sentent si bon ? Faisons que nos amis du monde entier, du Sahara à l’Antarctique, gardent de nous et de notre peuple, pour longtemps, ce sourire sénégalais qui est le soleil du cœur.
Puisse Dieu précéder toujours les Sénégalais, qu’Il commande leur cœur et bénisse ce grand petit pays malgré les vents mauvais, le fouet des privations. Bonne année à tous !
poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française