L’alternance n’a-t-il pas affaibli la gauche ?
Non ! la preuve, nous sommes toujours là. Sans contester ce que les autres ont fait, il faut dire que nos sensibilités de gauche quelque soit nos différences et nos difficultés ont été décisives. Nous avons beaucoup travaillé à la conception et le déroulement des élections. Et nous avons travaillé nuit et jour pour la mise en place des Assises, au niveau des commissions comme dans le bureau dans un esprit d’ouverture. La gauche n’est pas une prison. C’est un commerce permanent avec tous les secteurs vivants de notre société pour délimiter des espaces de convergence, de coopération et de lutte. Et nous le faisons en tenant rigoureusement compte de l’évolution de la situation tant nationale qu’internationale.
L’alliance avec la droite ne démontre-t-elle pas une faiblesse de la gauche ?
On peut nous opposer cette question d’alliance contre nature avec la droite si notre objectif immédiat c’était le Socialisme. Est-ce qu’on me prendrait au sérieux si je disais que c’est notre objectif immédiat ? Ce n’est pas cela ! Avant qu’on arrive à cet idéal, il y a beaucoup de préalables à surmonter. Nous sommes dans des sociétés arriérées. Toutes les mentalités que l’humanité a connues sont là superposées. Nous sommes dans la modernité avec des gens qui y participent au niveau le plus élevé : nos savants, nos intellectuels, etc. Mais certains segments de notre société ou de nos mentalités ne sont même pas encore au moyen âge. Avec cette situation tu ne peux pas te lever et dire qu’on va directement au Socialisme. Il faut d’abord que nous réglions le problème de la cohésion nationale. Parceque nous avons des sociétés et des Etats artificiels. Ce n’est pas le cas de l’Europe ! Sur cette question de l’unité nationale, nous convergeons avec beaucoup de monde. Tous ceux qui peuvent travailler à cela doivent se mettre ensemble, sans préjudices. Il faut privilégier la conservation de nos Etats, car avec la crise financière mondiale en cours, qui sait ce qui va rester de nos sociétés. Les populations n’en peuvent plus. Mais il risque d’avoir des problèmes de gouvernabilité. Avec tout ce que nous pouvons dire sur la démocratie, quand les gens ont le ventre vide, ils risquent de ne pas l’entendre. Et la démocratie c’est la sagesse. Nous sommes pressés par les problèmes, mais pour les résoudre il faut des alliances et le sectarisme ne nous avance à rien. Etre révolutionnaire, c’est être conscient des tâches que dicte l’histoire à un moment.
Est-ce que le Pit a une relève ?
Oui ! Car, il y a un grand nombre de dirigeants qui sont là qui travaillent pour le parti et je suis convaincu que dans beaucoup de domaines, ils sont plus compétents que moi. Y compris en politique. Chez nous, on fait la politique avec la tête. (Il rit aux éclats).
Que reste-t-il du Pit originel après tous les départs enregistrés ces dernières années ?
On ne peut pas parler de Pit originel car le parti est là. Mais comme dans n’importe quel organisme vivant, il ya des choses qui se perdent, il ya des choses nouvelles qui viennent.
Et le parti est toujours attractif, en tout cas moi je n’ai de complexe vis-à-vis de personne. Ni en popularité ni en autre chose. Quand je parle tout le Sénégal écoute. Et les gens savent que je ne raconte pas n’importe quoi. Et s’ils le font de manière aussi répétée, c’est parcequ’ils pensent que la parole du Pit a une qualité que d’autres n’ont pas.
Est-ce que derrière vous il n’ya pas le désert ?
Non (il insiste). Il n’y a pas le désert. Le Pit c’est un style, c’est une vision et c’est une démarche et un tout organique. Notre style, c’est notre style. Par exemple quand il y a un problème, jamais on ne se réunit pour savoir quel sera le profit que tirera tel ou tel dirigeant. Toutes les décisions que nous prenons sont conformes à l’intérêt national et aux couches populaires. Ce sont nos deux axes de référence. Si nous nous réunissons, nous ne cherchons pas à savoir ce que nos partisans vont avoir là dans. Et c’est ça qui nous distingue totalement des autres partis du Sénégal.
Est-ce que ce moment de perte de valeurs ne vous a pas relégué au second plan ?
Ce sont des difficultés, mais elles sont passagères. Abdoulaye Wade tend à corrompre toute la société de manière démocratique. (Il s’esclaffe). Parce que sa corruption va jusqu’à la ménagère de Fongolembi à qui il fait savoir que si elle se tient tranquille, elle aura sa part. C’est comme cela qu’il tente d’anesthésier les populations mais cela n’a servi à rien. Maintenant les gens ont compris que l’argent qu’il (Wade) distribue, c’est au détriment des écoles, de la santé publique, que c’est avec l’argent du pays qu’il achète les gens. Le lendemain des élections, les prix augmentent. Regardez tous les prix ont augmenté.
Mais, Me Abdoulaye Wade dit qu’il restera au pouvoir pendant 50 ans. Sa conviction c’est que s’il n’est pas là, ses gènes seront quand même là. Et que ce sont ses gènes qui doivent gouverner le pays. C’est une conception génétique de l’exercice du pouvoir qu’il veut nous imposer. Mais il se fatigue, ça ne marchera pas.
Qu’est ce qui explique votre refus de parler de Karim Wade ?
Je n’aime pas. (Il hésite). Parce qu’au fond, le pauvre, il est en dehors de l’ambition qu’on lui a créée artificiellement. Il n’est pas responsable. Mais maintenant qu’il a tous les ministères, les gens vont le juger. Il parait qu’il gère la coopération avec l’Asie, tous les pays avec lesquels nous avons des coopérations juteuses. Abdoulaye Diop, quand il a tapé sur la table, on lui a dit : « bon tu gardes la coopération ». Maintenant on lui a tout enlevé. Est-ce que c’est raisonnable. Et même Cheikh Tidiane Gadio, le ministère des affaires étrangères a au moins un rôle de balise, mais tout cela on l’a enlevé. On lui a tout enlevé. (Il insiste). La coopération avec les pays arabes, avec l’Inde, avec les pays d’extrême orient, sont désormais de la compétence de Karim. Déjà avec l’Anoci, ils avaient dépouillé et carrément écarté le ministère des affaires étrangères. C’est en catimini qu’on l’a appelé pour sauver la conférence de l’Oci.
Le compagnonnage de Landing Savané avec Me Wade est-il une compromission ? Est-il toujours de la gauche ?
Je ne peux pas décider de qui est de la gauche et de qui ne l’est pas. Ce serait trop prétentieux. Je fais mon travail selon les critères que j’ai indiqués. Il a fait une expérience, il coopérait avec Wade. Je sais que Wade a toujours eu peur de Landing. (Il insiste). Landing n’a jamais été dans son camp. Mais avec la situation de rébellion en Casamance, Wade pensait qu’en s’associant avec Landing, il trouverait la solution. D’ailleurs il l’a dit à une conférence de presse à Paris quand nous étions là bas pour chahuter Abdou Diouf. Devant toute la presse française et étrangère, il a dit qu’avec Landing, l’histoire de la Casamance, c’est une histoire de quatre semaines. C’est cela l’intérêt de Landing pour lui. C’était la Casamance ! Mais il a toujours eu peur de lui, il s’en méfiait toujours.
Pourquoi l’a-t-il remercié alors ?
Il l’a viré parce qu’il le pense affaibli. Mais il ne l’a jamais porté dans son cœur. Il avait peur de lui à cause de la Casamance où il le soupçonnait d’ailleurs d’être avec le Mfdc. Je m’en souviens en conseil des ministres avec le président Diouf. Le Mfdc avait décidé de tenir un congrès. Il fallait l’autoriser ou non. Me Wade a dit au Président Diouf : « En tout cas moi, ce Landing là je me méfie de lui parce que sa position n’est pas claire ». C’est pourquoi il disait que Landing était un des chefs de la rébellion. (Il s’esclaffe de nouveau). Et en octobre 1999, Landing a dit comme Wade ne rentre pas de son séjour de Paris (qui a duré un an), « je reconsidère ma position de m’allier avec lui ». C’est moi qui ai écrit une correspondance à Wade pour lui demander de rentrer. La lettre, c’est un camarade de parti qui la lui a apportée jusqu’à Versailles. Je lui disais de rentrer immédiatement parce que la campagne électorale (présidentielle de 2000) allait commencer. Et le jour où il devait revenir, c’est moi qui ai appelé tout Dakar pour l’accueillir. Ce qu’aucun dirigeant du Pds n’a fait. C’est moi qui ai appelé à lui réserver un accueil sans précédent. Et c’était une grande réussite. D’ailleurs dès son retour Abdoulaye Faye le lui a rappelé au comité directeur. Il lui a dit que l’ampleur de cet accueil, Amath Dansokho seul l’avait prévue. Nous avons fait cinq heures entre l’aéroport et sa maison. Il y avait plus d’un million de personnes dans la rue. C’est ce jour là que Abdou Diouf a su que c’était fini.
Quel est votre sentiment en regardant Karim Wade se mêler des affaires nationales ?
J’ai des scrupules, car Karim s’asseyait là. (Il désigne un canapé de son salon). Pendant toute la campagne de 2000, il venait, il se mettait là. Et il avait toujours la même phrase : « Tonton je suis venu vous remercier pour tout ce que vous faites pour papa ». Il était dans la même classe que ma fille aînée aux cours Sainte Marie de Hann. Et quand je suis tombé malade, il est venu à l’improviste. Je m’attendais à voir tout le monde sauf lui. Il est venu l’autre jour pour me saluer. Cette maison, tout le monde vient ici. Tous les dirigeants du Pds viennent ici jusqu’à présent. Ils s’entretiennent aussi avec moi dans les avions.
Est-ce que vous avez cherché à vous entretenir avec Me Wade ?
Il m’appelle très tard dans la nuit. Il m’envoyait le colonel Cissé qui m’emmenait le voir en compagnie de Sémou Pathé Guéye. Nous allions plusieurs fois dans son salon en présence des gens comme Farba Senghor. Je n’ai jamais dit que Abdoulaye Wade n’est pas président de la République. J’ai dit qu’il a dévié. S’il m’appelle, j’irai le voir si mon parti est d’accord. Si j’ai besoin de lui, j’irai le voir. Je faisais cela avec Abdou Diouf. On n’était pas allié mais j’allais le voir.
Maintenant il a dit qu’il ne discute pas avec nous. N’est-ce pas Me Wade qui a dit par l’intermédiaire de Ousmane Ngom qu’il faut que l’opposition le reconnaisse comme Président avant tout dialogue ? Il a dit que nous n’existons pas. Sur le perron de l’Elysée, il a dit que « cette opposition ne représente rien, parce qu’elle est composée de quelques individus qui n’ont plus d’avenir en politique ». Il nous a mis hors jeu définitivement, a-t-il poursuivi. Pour la reconnaissance, c’est ridicule. Est-ce qu’il est dit dans la Constitution que les partis doivent reconnaître le président de la République ? Lui, il n’a jamais reconnu l’élection du Président Abdou Diouf.
De quoi parlez-vous d’habitude avec les gens du Pds qui viennent vous rendre visite ?
Nous parlons du pays. Mais ils connaissent mon opinion. Ils ont de l’affection pour moi. Moi je n’ai pas des problèmes personnels avec les gens. Tous ceux qui veulent discuter avec moi du Sénégal, je suis disponible. Et en privé, ils reconnaissent que le pays traverse des problèmes. C’est un régime d’hypocrisie. Ils savent mieux que moi que ce que Wade est entrain de faire est mauvais. C’est à cause de ces quelques millions de francs, des voitures dans lesquelles ils circulent qui font qu’ils approuvent encore la politique de Me Wade en public. Mais quand il quittera le pouvoir, ceux là seront les premiers à ameuter les Sénégalais pour parler de ses crimes.
Cheikh Fadel BARRO, Mamby DIOUF et Aliou NIANE lagazette.sn