Ce gouvernement dévoilait plus son incurie et son incompétence qu’il ne parvenait à démontrer aux yeux des citoyens de ce pays, la nature perverse et le statut de délinquant de celui qui avait fait naître l’espoir chez les populations de Sabodala. Ce compatriote, quoiqu’en disaient ses détracteurs de l’époque, avait investi par ses moyens propres, sans jamais hypothéquer la mine de Sabodala, la somme de 20 milliards de FCFA, pour démarrer l’exploitation industrielle de ce patrimoine national. Spolié et humilié, l’homme fut réduit à néant, par la volonté de l’autorité politique qui pensait qu’un Sénégalais était indigne de disposer chez lui d’un permis d’exploitation d’une mine d’or, encore moins d’une concession minière.
En 2000, une nouvelle autorité s’installe, après avoir convaincu un peuple. Elle lui avait fait croire qu’elle serait le « sauveur » attendu. Elle incarnerait l’idée que les patriotes pouvaient, enfin, compter sur elle pour régler les injustices les plus criardes. Le pouvoir qui redonnerait aux nationaux, agents et opérateurs économiques, la place qui est normalement la leur dans l’ensemble du tissu économique national. Que nenni ! A l’arrivée, la désillusion est sans mesure. Le pouvoir se montre encore plus cynique et encore plus méprisant que jamais à l’égard de l’expertise nationale, des compétences locales et des moyens des citoyens désireux d’offrir leurs avoirs et leur savoir pour le développement de leur pays.
La volonté de s’enrichir et d’enrichir des copains et des proches, le désir de puissance et de possession, hier comme aujourd’hui, les facteurs ainsi déclinés, orientent et impulsent l’action politique. Ils conditionnent presque toujours les décisions, surtout celles ayant des influences majeures sur les orientations économiques de la Nation. Le cas le plus illustratif de ce mal qui met en évidence la façon la plus spectaculaire de faire est, sans aucun doute, l’attribution de la mine d’or de Sabodala à une entreprise australienne, avec une volonté, à priori affichée, de mettre en marge des règles élémentaires de bonne gouvernance et de transparence. Croyez-le ou non, les actionnaires privés sénégalais qui ont souscrit au départ 30 % des parts sociales de la société Sabodala Gold Project (SGP) étaient tous fictifs. En réalité, derrière eux, se cachaient des personnes nichées dans les plus hautes sphères de l’Etat. Et ce n’est pas étonnant que les porteurs de ces parts les aient immédiatement vendues, dès que la société a été effectivement créée. Ce n’est pas non plus surprenant qu’ils se soient empressés de vendre sur le marché boursier les neuf millions d’actions qui leur ont été gracieusement cédées par MDL, dès l’introduction du projet en bourse. Après avoir donné le prix de la cola, comme on dit pudiquement chez nous, les Australiens pouvaient alors disposer de toutes les cartes pour jouer comme ils l’entendaient avec notre patrimoine national. MDL n’hésitera pas, pour s’en donner à cœur joie.
La société a levé des fonds énormes en gageant la mine de Sabodala auprès de banques internationales qui aujourd’hui sont en droit de revendiquer jusqu’à 83 % de la valeur du projet introduit en bourse depuis quelques années. La Guinée de Lansana Konté a été pendant longtemps mise au banc des nations pour les contrats qui ont été signés par les gouvernements du défunt général. Les nouvelles autorités ont promis de réviser tous ces contrats miniers. Avant elles, le gouvernement installé à la suite des terribles événements de 2005, et dirigé par Lansana Kouyaté avait promis de le faire. Rien n’y fit. Il n’est pas exagéré de dire que notre pays, dans le cas des accords signés avec MDL ne s’en tire guère mieux que la Guinée. Celle-ci n’en finit pas encore de dénoncer le caractère scandaleux et léonin des contrats miniers qui la lient aux nombreuses compagnies présentes sur son sol et exploitant avec tous les avantages imaginables son sous-sol.
L’Afrique a de manière générale mal dans ses contrats miniers. La négociation et la signature de ces contrats est l’occasion rêvée pour de nombreux dirigeants de s’adonner à leur hobby favori : la corruption et la concussion. C’est d’ailleurs, consciente, de ces dérives qui hypothèquent dangereusement les chances de développement de la sous-région, que la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a émis une directive incitant les Etats membres à observer des règles et à avoir des comportements éthiques qui sauvegardent l’intérêt national et préservent l’intégrité du patrimoine national. Le gouvernement sénégalais, comme d’autres dans la communauté, n’en ont eu cure au moment de signer la concession minière établie en faveur de MDL et au moment d’établir le pacte d’actionnaires qui les unit. Quand on considère les recettes potentielles perdues comme conséquence des concessions fiscales, on constatera que les ressources financières qui seront empruntées par notre pays, au cours des cinq prochaines années, pour faire face à ces obligations, auraient pu être largement compensées par les recettes fiscales cédées au titre des exonérations exorbitantes.
Il est vrai que l’instauration des régimes de taxes d’exploitation minière, qui favorisent si fortement les compagnies multinationales, date du début des années 1990, lorsque la Banque mondiale a demandé à l’Afrique d’ouvrir son secteur de l’exploitation minière aux investisseurs étrangers privés. Des gouvernements confrontés à de lourdes charges d’endettement, et incapables d’accroître directement les capitaux pour l’investissement dans ce secteur, ont été persuadés d’offrir des termes favorables aux compagnies d’exploitation minière - entrant fréquemment dans des accords à long terme qui ont laissé les bénéfices élevés dans les poches de ces compagnies. Mais la corruption a rendu encore plus catastrophiques ces politiques d’exonération.
Ces mêmes compagnies volent autrement nos pays, en surévaluant les importations et en sous-évaluant les exportations puisque l’équipement et le minerai extrait sont transférés entre les filiales de la même société dans plusieurs pays, ou en exagérant les coûts d’exploitation. Le Sénégal ne fait pas exception. Ce n’est donc pas surprenant, ni étonnant, de lire dans le document liant notre pays à MDL que « la société d’exploitation peut librement exporter les substances minérales extraites, leurs concentrés et autres produits primaires ou dérivés sous réserve de respecter toutes les formalités pour l’exportation de ces substances. »
Abdou Latif COULIBALY