De notre envoyé spécial au Caire
À deux pas de la cohue, des embouteillages de touk-touks et des monceaux d'ordures qui jonchent les avenues défoncées d'Imbaba, un quartier populaire situé au nord-ouest du Caire, la file d'électrices ne cesse de s'allonger à l'entrée de l'école Chorouk. Certaines portent le niqab, beaucoup un simple voile, d'autres encore, coptes pour la plupart, vont tête nue. Avant de s'engager dans le bureau de vote, toutes doivent décliner leur identité devant deux policiers en uniforme et un militaire armé d'un fusil d'assaut. Puis vient l'heure de cocher le nom de leur favori parmi les douze candidats à l'élection présidentielle et de tremper le doigt, ultime formalité, dans un pot d'encre bleue.
«Appliquer la loi de Dieu»
«C'est une sensation formidable de pouvoir enfin exprimer notre avis sans être influencées par quiconque», explique Hoda Mohammed Fathi. Médecin, cette trentenaire qui porte le voile intégral vient de voter pour Mohammed Morsi, le candidat des Frères musulmans. «Je l'ai choisi car lui seul propose clairement d'établir la charia, dit-elle. Avec Morsi, il n'y aura plus de problèmes sociaux ni d'injustice, car la loi de Dieu sera appliquée. Je suis certaine qu'il saura ramener l'ordre et la propreté dans notre quartier, qui a trop longtemps été livré au chaos.»
Dans la petite salle qui abrite le bureau de vote, une représentante des Frères musulmans a pris place à proximité de l'urne afin de surveiller le bon déroulement du scrutin. «Je dois surtout m'assurer que le président et ses assesseurs ne cherchent pas à influencer les électeurs», explique Wafaa Ali. Sur chaque bulletin figure le nom des candidats ainsi qu'un symbole permettant aux illettrés de s'y retrouver. Mohammed Morsi, le frère musulman, a choisi la Balance. Amr Moussa, l'ex-secrétaire général de la Ligue arabe, le Soleil. Quant à l'ancien général Ahmed Chafiq, il a opté pour l'Échelle…
«L'expérience et l'autorité nécessaires»
Sans surprise, bon nombre des électeurs rencontrés dans cette école affirmaient mercredi avoir voté pour Mohammed Morsi. L'immense faubourg d'Imbaba, s'il héberge une importante population copte, est un bastion islamiste. Plus de 1 million d'habitants s'y entassent, le chômage y est endémique et les services publics ont souvent déserté, laissant le champ libre à la confrérie. En mai 2011, de violents affrontements entre chrétiens et musulmans ont fait ici 12 morts et 200 blessés.
Échaudés par ce drame et inquiets de la percée islamiste aux législatives, les Coptes d'Imbaba semblent résolus à soutenir Ahmed Chafiq, qui se présente comme le candidat du retour à l'ordre. «J'ai voté pour lui parce qu'il a l'expérience et l'autorité nécessaires pour redresser le pays à l'intérieur comme sur la scène internationale», estime Abdel Haziz, peintre en bâtiment. Feryel Fathi, qui porte une robe pimpante à fleurs, complète: «Notre Église nous encourage à voter Chafiq pour en finir avec les violences.»
D'autres électeurs encore, telle Racha Imam, ont choisi le candidat «nassérien» Hamdeen Sabahi. «J'ai été trop déçue par les Frères musulmans, pour qui j'avais voté en novembre dernier, justifie-t-elle. Je pensais qu'une fois au pouvoir ils allaient ramener dans le droit chemin tous les hors-la-loi et les drogués qui sèment l'insécurité à Imbaba.» «Ils essaient d'améliorer les choses, l'interrompt un barbu, partisan de Morsi. Mais, tant qu'ils ne contrôleront pas le pouvoir exécutif, ils ne pourront pas vraiment engager la renaissance du pays.»
«Guider l'Égypte sur les mers agitées»
Quelques kilomètres plus au sud, des dizaines d'électeurs endimanchés font la queue dans la cour ombragée d'une école de Zamalek, quartier huppé du centre-ville. L'audience des Frères musulmans y est à l'évidence plus confidentielle, éclipsée par celle d'Abdel Moneim Aboul Fotouh et des deux candidats issus de l'ancien régime. Ahmed Ozalp, jeune chef d'entreprise en costume griffé, s'apprête ainsi à voter pour Amr Moussa, convaincu qu'«il est le seul à même de guider l'Égypte sur les mers agitées qu'elle traverse actuellement». «Bien sûr, ajoute-t-il, il a servi sous Moubarak. Mais l'idée qu'on pourrait trouver un sauveur charismatique et vierge de toute compromission me paraît relever de l'utopie.»
Conseiller en communication, Hatem Helmy a, lui, opté pour Ahmed Chafiq. Impressionné par les états de service de l'ancien général, il ne craint guère la colère des islamistes en cas de victoire de son favori. «L'armée a déjà mis en garde tous ceux qui contesteraient le libre choix du peuple. Je suis certain que les Frères musulmans ne feront pas une pareille bêtise.»
Ce premier scrutin présidentiel libre de l'après-Moubarak se poursuit jeudi, mais les résultats ne devraient pas être connus avant dimanche. Un second tour est prévu les 16 et 17 juin si aucun des douze candidats, soumis au vote de plus de 50 millions d'électeurs ne remportait la majorité absolue au premier tour.
Par Cyrille Louis
À deux pas de la cohue, des embouteillages de touk-touks et des monceaux d'ordures qui jonchent les avenues défoncées d'Imbaba, un quartier populaire situé au nord-ouest du Caire, la file d'électrices ne cesse de s'allonger à l'entrée de l'école Chorouk. Certaines portent le niqab, beaucoup un simple voile, d'autres encore, coptes pour la plupart, vont tête nue. Avant de s'engager dans le bureau de vote, toutes doivent décliner leur identité devant deux policiers en uniforme et un militaire armé d'un fusil d'assaut. Puis vient l'heure de cocher le nom de leur favori parmi les douze candidats à l'élection présidentielle et de tremper le doigt, ultime formalité, dans un pot d'encre bleue.
«Appliquer la loi de Dieu»
«C'est une sensation formidable de pouvoir enfin exprimer notre avis sans être influencées par quiconque», explique Hoda Mohammed Fathi. Médecin, cette trentenaire qui porte le voile intégral vient de voter pour Mohammed Morsi, le candidat des Frères musulmans. «Je l'ai choisi car lui seul propose clairement d'établir la charia, dit-elle. Avec Morsi, il n'y aura plus de problèmes sociaux ni d'injustice, car la loi de Dieu sera appliquée. Je suis certaine qu'il saura ramener l'ordre et la propreté dans notre quartier, qui a trop longtemps été livré au chaos.»
Dans la petite salle qui abrite le bureau de vote, une représentante des Frères musulmans a pris place à proximité de l'urne afin de surveiller le bon déroulement du scrutin. «Je dois surtout m'assurer que le président et ses assesseurs ne cherchent pas à influencer les électeurs», explique Wafaa Ali. Sur chaque bulletin figure le nom des candidats ainsi qu'un symbole permettant aux illettrés de s'y retrouver. Mohammed Morsi, le frère musulman, a choisi la Balance. Amr Moussa, l'ex-secrétaire général de la Ligue arabe, le Soleil. Quant à l'ancien général Ahmed Chafiq, il a opté pour l'Échelle…
«L'expérience et l'autorité nécessaires»
Sans surprise, bon nombre des électeurs rencontrés dans cette école affirmaient mercredi avoir voté pour Mohammed Morsi. L'immense faubourg d'Imbaba, s'il héberge une importante population copte, est un bastion islamiste. Plus de 1 million d'habitants s'y entassent, le chômage y est endémique et les services publics ont souvent déserté, laissant le champ libre à la confrérie. En mai 2011, de violents affrontements entre chrétiens et musulmans ont fait ici 12 morts et 200 blessés.
Échaudés par ce drame et inquiets de la percée islamiste aux législatives, les Coptes d'Imbaba semblent résolus à soutenir Ahmed Chafiq, qui se présente comme le candidat du retour à l'ordre. «J'ai voté pour lui parce qu'il a l'expérience et l'autorité nécessaires pour redresser le pays à l'intérieur comme sur la scène internationale», estime Abdel Haziz, peintre en bâtiment. Feryel Fathi, qui porte une robe pimpante à fleurs, complète: «Notre Église nous encourage à voter Chafiq pour en finir avec les violences.»
D'autres électeurs encore, telle Racha Imam, ont choisi le candidat «nassérien» Hamdeen Sabahi. «J'ai été trop déçue par les Frères musulmans, pour qui j'avais voté en novembre dernier, justifie-t-elle. Je pensais qu'une fois au pouvoir ils allaient ramener dans le droit chemin tous les hors-la-loi et les drogués qui sèment l'insécurité à Imbaba.» «Ils essaient d'améliorer les choses, l'interrompt un barbu, partisan de Morsi. Mais, tant qu'ils ne contrôleront pas le pouvoir exécutif, ils ne pourront pas vraiment engager la renaissance du pays.»
«Guider l'Égypte sur les mers agitées»
Quelques kilomètres plus au sud, des dizaines d'électeurs endimanchés font la queue dans la cour ombragée d'une école de Zamalek, quartier huppé du centre-ville. L'audience des Frères musulmans y est à l'évidence plus confidentielle, éclipsée par celle d'Abdel Moneim Aboul Fotouh et des deux candidats issus de l'ancien régime. Ahmed Ozalp, jeune chef d'entreprise en costume griffé, s'apprête ainsi à voter pour Amr Moussa, convaincu qu'«il est le seul à même de guider l'Égypte sur les mers agitées qu'elle traverse actuellement». «Bien sûr, ajoute-t-il, il a servi sous Moubarak. Mais l'idée qu'on pourrait trouver un sauveur charismatique et vierge de toute compromission me paraît relever de l'utopie.»
Conseiller en communication, Hatem Helmy a, lui, opté pour Ahmed Chafiq. Impressionné par les états de service de l'ancien général, il ne craint guère la colère des islamistes en cas de victoire de son favori. «L'armée a déjà mis en garde tous ceux qui contesteraient le libre choix du peuple. Je suis certain que les Frères musulmans ne feront pas une pareille bêtise.»
Ce premier scrutin présidentiel libre de l'après-Moubarak se poursuit jeudi, mais les résultats ne devraient pas être connus avant dimanche. Un second tour est prévu les 16 et 17 juin si aucun des douze candidats, soumis au vote de plus de 50 millions d'électeurs ne remportait la majorité absolue au premier tour.
Par Cyrille Louis