Le café Bean est situé dans l’élégant quartier de Zamalek, sur une île au milieu du Nil, loin des impossibles embouteillages des grandes artères de la mégapole égyptienne. A Zamalek, les rues sont ombragées et les vieux palais ont conservé tout leur charme. « Nous sommes les révolutionnaires des quartiers bourgeois ! », plaisante Yéhia Gammal en sirotant son thé glacé. Agé de trente-neuf ans, titulaire d’un MBA, Yéhia est membre fondateur du groupe « Nouvelle république », qui tente de fédérer et d’organiser politiquement les jeunes qui ont investi la place Tahrir en janvier 2011, et auteur d’un blog http://egyptintransition.blogspot.com. C’est lui qui a fixé le café Bean comme lieu de rendez-vous pour évoquer avec deux autres jeunes Egyptiennes les acquis de la révolution, au lendemain de l’élection de Mohamed Morsi à la présidence.
« Bien sûr, l’élection de Mohamed Morsi et les nouveaux pouvoirs que s’est arrogée l’armée ne sont pas des bonnes nouvelles. Mais c’est une phase dans le processus révolutionnaire. Notre combat va continuer », assure-t-il avec confiance. Malak Labib, doctorante en histoire issue d’une famille copte, est elle aussi manifestante de la première heure sur la place Tahrir. Mais elle peine à partager l’optimisme affiché de son camarade. « La révolution s’essouffle, nous manquons d’organisation, d’imagination, estime-t-elle. Pour moi, le résultat de l’élection a été un véritable choc. Nous avons voté par défaut, même au premier tour. » Alya El Husseiny, 23 ans et étudiante en littérature ne cache pas non plus sa déception : « Le Parlement a été dissous, le pouvoir législatif est aux mains des forces armées, on ne peut plus parler de démocratie. Les forces armées sont maintenant le problème auquel la révolution doit faire face. » Mais Yéhia, lui, voit plus loin, et rappelle qu’aucune révolution n’a atteint ses objectifs en un an. « Nous nous organisons, nous ne lâcherons rien », assure-t-il.
« Des acquis indéniables »
Si les dix-huit jours de lutte place Tahrir qui ont abouti à la chute d’Hosni Moubarak restent un souvenir exceptionnel, les visages des martyrs continuent de hanter la mémoire des révolutionnaires. Mais les jeunes tombés sous les balles de la police égyptienne, et plus tard sous celles de la police militaire, ne sont pas morts pour rien. « Il y a des acquis indéniables », constatent en chœur Yéhia, Malak et Alya. Et de citer, pèle mêle, la levée de la censure, la capacité à exprimer franchement son opinion quand bien même elle s’oppose à celle de sa famille, et le formidable élan créatif qui s’est emparé de la société cairote. « Il faut voir la floraison de graffitis sur les murs de la ville ! », s’exclame Yéhia qui conserve pieusement les clichés de ces fresques depuis le début de la révolution.
De fait, le long de l’avenue Mohamed Mahmoud qui rejoint la place Tahrir, les murs de l’ancienne université américaine sont chaque jour couverts de nouvelles peintures ou inscriptions, devant lesquelles les Cairotes viennent se faire photographier. De véritables œuvres d’art côtoient les traditionnels portraits de martyrs et quelques talents aujourd’hui reconnus ont éclos sur ces murs.
« Les gens n’ont plus peur »
« Sous Moubarak, on ne parlait politique que sur le mode de la dérision distanciée. Aujourd’hui, tout le monde parle de politique, tout le monde débat. Pendant la campagne électorale, on ne pouvait plus prendre de taxi sans que le chauffeur nous demande pour qui on votait. Les gens n’ont plus peur, constate Malak, qui y voit un facteur d’espoir. Les gens sont prêts à changer d’opinion, ils sont curieux, ils ont soif de comprendre. Cela laisse une possibilité d’attirer des voix vers les nouvelles forces politiques ». Plusieurs initiatives originales ont été lancées, pour tenter de faire avancer le débat et ouvrir le champ politique des Egyptiens. Ainsi, le « Projet du chœur », chorale itinérante, ouverte à tous ceux qui veulent partager leurs espoirs et leurs déceptions. Au cours de stages de cinq jours, les chanteurs écrivent ensemble paroles et mélodies, avant de se produire dans les rues du Caire ou d’Alexandrie. La chorale s’est même rendue à Londres, à Paris et à Münich pour inviter les expatriés égyptiens à partager leurs sentiments.
Autre création post-révolutionnaire, le groupe « Kazeboon » (« Ils mentent ») qui projette des documentaires sur les violences policières avant d’organiser des débats, notamment en zone rurale. « Avant, tout le monde était d’accord pour détester Moubarak, conclue Alya, maintenant il y a une vraie pluralité. On ne pourra plus la faire taire. »
Les jeunes ont montré le chemin
Arwa Balbaa n’a pas attendu la révolution pour se mêler de politique. Membre d’un groupe fondé sous la présidence Moubarak « Femmes égyptiennes pour le changement » (affilié au mouvement de Mohamed el-Baradei), elle s’est rendue place Tahrir avec son fils. Assise dans un café du quartier Mohandessine, elle évoque avec fierté la génération des jeunes révolutionnaires : « Ils ont utilisé les nouvelles technologies d’une manière remarquable ! Ils se sont levés et ont réclamé avec force ce que nous espérions dans nos salons. »
La révolution a changé les rapports filiaux au Caire. « Quand je dormais place Tahrir, ma mère m’appelait tout le temps en pleurs pour que je rentre, se souvient Alya, mais je lui expliquais que la révolution était plus importante que ses angoisses ! » De nombreux jeunes avouent aujourd’hui avoir menti à leurs parents quand ils se rendaient aux manifestations. « Aujourd’hui, ma mère est fière de moi », assure Alya. Mais elle reconnaît : « Si cela devait recommencer, elle ferait néanmoins tout son possible pour m’empêcher de manifester. »
SOURCE:RFI
« Bien sûr, l’élection de Mohamed Morsi et les nouveaux pouvoirs que s’est arrogée l’armée ne sont pas des bonnes nouvelles. Mais c’est une phase dans le processus révolutionnaire. Notre combat va continuer », assure-t-il avec confiance. Malak Labib, doctorante en histoire issue d’une famille copte, est elle aussi manifestante de la première heure sur la place Tahrir. Mais elle peine à partager l’optimisme affiché de son camarade. « La révolution s’essouffle, nous manquons d’organisation, d’imagination, estime-t-elle. Pour moi, le résultat de l’élection a été un véritable choc. Nous avons voté par défaut, même au premier tour. » Alya El Husseiny, 23 ans et étudiante en littérature ne cache pas non plus sa déception : « Le Parlement a été dissous, le pouvoir législatif est aux mains des forces armées, on ne peut plus parler de démocratie. Les forces armées sont maintenant le problème auquel la révolution doit faire face. » Mais Yéhia, lui, voit plus loin, et rappelle qu’aucune révolution n’a atteint ses objectifs en un an. « Nous nous organisons, nous ne lâcherons rien », assure-t-il.
« Des acquis indéniables »
Si les dix-huit jours de lutte place Tahrir qui ont abouti à la chute d’Hosni Moubarak restent un souvenir exceptionnel, les visages des martyrs continuent de hanter la mémoire des révolutionnaires. Mais les jeunes tombés sous les balles de la police égyptienne, et plus tard sous celles de la police militaire, ne sont pas morts pour rien. « Il y a des acquis indéniables », constatent en chœur Yéhia, Malak et Alya. Et de citer, pèle mêle, la levée de la censure, la capacité à exprimer franchement son opinion quand bien même elle s’oppose à celle de sa famille, et le formidable élan créatif qui s’est emparé de la société cairote. « Il faut voir la floraison de graffitis sur les murs de la ville ! », s’exclame Yéhia qui conserve pieusement les clichés de ces fresques depuis le début de la révolution.
De fait, le long de l’avenue Mohamed Mahmoud qui rejoint la place Tahrir, les murs de l’ancienne université américaine sont chaque jour couverts de nouvelles peintures ou inscriptions, devant lesquelles les Cairotes viennent se faire photographier. De véritables œuvres d’art côtoient les traditionnels portraits de martyrs et quelques talents aujourd’hui reconnus ont éclos sur ces murs.
« Les gens n’ont plus peur »
« Sous Moubarak, on ne parlait politique que sur le mode de la dérision distanciée. Aujourd’hui, tout le monde parle de politique, tout le monde débat. Pendant la campagne électorale, on ne pouvait plus prendre de taxi sans que le chauffeur nous demande pour qui on votait. Les gens n’ont plus peur, constate Malak, qui y voit un facteur d’espoir. Les gens sont prêts à changer d’opinion, ils sont curieux, ils ont soif de comprendre. Cela laisse une possibilité d’attirer des voix vers les nouvelles forces politiques ». Plusieurs initiatives originales ont été lancées, pour tenter de faire avancer le débat et ouvrir le champ politique des Egyptiens. Ainsi, le « Projet du chœur », chorale itinérante, ouverte à tous ceux qui veulent partager leurs espoirs et leurs déceptions. Au cours de stages de cinq jours, les chanteurs écrivent ensemble paroles et mélodies, avant de se produire dans les rues du Caire ou d’Alexandrie. La chorale s’est même rendue à Londres, à Paris et à Münich pour inviter les expatriés égyptiens à partager leurs sentiments.
Autre création post-révolutionnaire, le groupe « Kazeboon » (« Ils mentent ») qui projette des documentaires sur les violences policières avant d’organiser des débats, notamment en zone rurale. « Avant, tout le monde était d’accord pour détester Moubarak, conclue Alya, maintenant il y a une vraie pluralité. On ne pourra plus la faire taire. »
Les jeunes ont montré le chemin
Arwa Balbaa n’a pas attendu la révolution pour se mêler de politique. Membre d’un groupe fondé sous la présidence Moubarak « Femmes égyptiennes pour le changement » (affilié au mouvement de Mohamed el-Baradei), elle s’est rendue place Tahrir avec son fils. Assise dans un café du quartier Mohandessine, elle évoque avec fierté la génération des jeunes révolutionnaires : « Ils ont utilisé les nouvelles technologies d’une manière remarquable ! Ils se sont levés et ont réclamé avec force ce que nous espérions dans nos salons. »
La révolution a changé les rapports filiaux au Caire. « Quand je dormais place Tahrir, ma mère m’appelait tout le temps en pleurs pour que je rentre, se souvient Alya, mais je lui expliquais que la révolution était plus importante que ses angoisses ! » De nombreux jeunes avouent aujourd’hui avoir menti à leurs parents quand ils se rendaient aux manifestations. « Aujourd’hui, ma mère est fière de moi », assure Alya. Mais elle reconnaît : « Si cela devait recommencer, elle ferait néanmoins tout son possible pour m’empêcher de manifester. »
SOURCE:RFI