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« Emigration clandestine « TEKKI MBA DE », le Sénégal perd son espoir », Par Néné Jupiter Ndiaye, Journaliste-Sociologue


Rédigé par leral.net le Mercredi 11 Septembre 2024 à 22:39 | | 0 commentaire(s)|

Encore des morts en mer, plus de 35 personnes ont perdu la vie, suite au naufrage de Mbour. Un bilan lourd qui vient s’ajouter à la longue liste de jeunes, morts en tentant de trouver l’espoir d’une vie meilleure. Depuis un certain temps, la recrudescence de ce phénomène a fait l’objet de plusieurs débats. D’ailleurs, beaucoup d’études ont été effectuées, afin de comprendre le pourquoi de cette récurrence, pour sensibiliser davantage et aider à freiner ce phénomène causé par plusieurs facteurs.

« TEKKI MBA DE » un slogan, voire un sacerdoce pour tous ces jeunes désespérés, en manque de repères et en quête d’opportunités vers d’autres horizons ; bravant la mer inconsciemment, ignorant (pour certains) les réalités qui les attendent ou le risque qu’ils encourent. Pour beaucoup d’entre eux, ce rêve de l’Europe, cet espoir de réussir en faisant face á la mort, survient en un moment de désespoir face á un manque d’opportunités économiques dans notre pays : taux de chômage persistant, une pression sociale accrue, l’insuffisance des politiques migratoires légales, des mesures conjoncturelles presque inexistantes, etc.

Des statistiques assez révélatrices

Selon les recherches, en 2020 plus de 23 000 migrants ont pu atteindre les iles Canaris, soit une augmentation de plus de 750% par rapport à 2019 et avec une majorité composée de Sénégalais. Le rapport de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), révèle que plus de 500 personnes ont perdu la vie en mer en 2020.

Pourtant, de 2017 à 2019, des études ont noté une baisse du phénomène par la route de l’Atlantique . C’est à partir de 2020, qu’il a commencé à reprendre son envol. En 2022, sur les 22 000 migrants enregistrés, les Sénégalais étaient en nombre assez représentatif, avec un pourcentage de jeunes ( 18- 35 ans) assez important. Une situation qui peut être expliquée par un taux de chômage des jeunes élevé dans notre pays .
Au premier trimestre 2024, l’Agence nationale de la Statistique (ANSD) dans sa publication relative à l’Enquête nationale sur l’Emploi au Sénégal (ENES), rapporte que le taux de chômage dans notre pays est de 23.2%. Un pourcentage en hausse par rapport à 2023, où le taux était à 21,5%. Un taux plus élevé en milieu rural avec 31, 7% contre 17, 5% en milieu urbain. Un taux qui touche plus les femmes, avec 36,7% contre 13,3% pour les hommes. Pour les « jeunes NEET », ceux qui ont entre 15-24 ans et qui ne sont ni en emploi ni en éducation ni en formation, ils représentent 34,4% de cette tranche d’âge. Un taux plus élevé en milieu rural 43,8% contre 25,5% en milieu urbain. Une situation qui affecte beaucoup plus les jeunes femmes 43% contre 25,9 des jeunes hommes.

Le ministère de l’Intérieur rapporte qu’en 2020 , 7 000 personnes tentant de rejoindre les Iles Canaries, ont été interceptées. En 2022, une baisse des départs a été observée suite aux mesures renforcées de la police maritime et une importante campagne de sensibilisation à cet effet.

En 2023, selon African Center for Strategic Studies, près de 32 000 personnes ont tenté la traversée de l’Atlantique, toujours avec un nombre important de Sénégalais. En février 2024, à Saint Louis, une pirogue transportant environ 300 migrants, a chaviré au large de la ville tricentenaire. Le bilan provisoire faisait état de 45 victimes, dont 24 décès et 21 blessés, certains dans un état grave. Il est rapporté que plus de 500 arrestations ont été effectuées et la saisie de nombreuses embarcations. Cependant, il est opportun de soulever qu’il est difficile d’avoir des statistiques précises liées aux flux migratoires. Certains naufrages peuvent ne pas être enregistrés, ce qui signifie que le nombre de décès peut être supérieur aux taux rapportés ou communiqués.

Un phénomène, plusieurs facteurs

Mettre le focus sur les dynamiques sociales, culturelles et économiques de ce fait social, nous révèle des facteurs socio-économiques, notamment la pression sociale, le chômage, l'inégalité sociale etc. Ce n’est pas nouveau puisque beaucoup d’études sociologiques ont évoqué ces facteurs, qui sont les suivants : les disparités économiques, la pauvreté et le taux de chômage, surtout chez les jeunes qui, dans l'impossibilité d'accéder à des visas légaux ou à des programmes d'émigration régulière, sont à la recherche de la terre promise, au péril de leur vie.

Autres facteurs notés, la pression sociale avec le « TEKKI » (réussir), valeur culturelle intrinsèque, perçue comme un accomplissement personnel et familial ; le rêve de l’Europe avec le phénomène des réseaux sociaux, notamment « tik tok », « facebook », « instagram », « snapchat », où des migrants interpellent très souvent leurs compatriotes, en les invitant à venir pour une vie meilleure. Il y a lieu de noter également le réseau de passeurs qui sont bien organisés et opèrent en toute impunité, en raison de la faiblesse des contrôles. On peut parler d’une économie de l’émigration irrégulière ou une réalité de traite, quoique fondée sur des transactions irrégulières voire illicites.

Un traumatisme collectif


Aujourd’hui, les conséquences sont dramatiques. Beaucoup de familles souffrent de ce phénomène, des membres d’une même famille y ont perdu la vie, la disparition d’un migrant clandestin affecte profondément les familles restées, tant émotionnellement que financièrement, le deuil et l'incertitude quant au sort des disparus, créent également un traumatisme collectif. Même ceux qui parviennent à arriver dans les pays de destination, sont souvent confrontés à des réalités qu’ils ignoraient.

Malgré les efforts du gouvernement avec l'aide de la communauté internationale, avec des initiatives de développement et des mesures de contrôle renforcées aux frontières, la pression migratoire reste forte. L'absence d'opportunités économiques pousse encore des milliers de jeunes à prendre des risques considérables, pour tenter d'atteindre l'Europe.

Le gouvernement du Sénégal gagnerait à s’attaquer aux causes profondes de ce phénomène, en mettant en place une politique basée sur des mesures conjoncturelles. Des accords bilatéraux et des initiatives de développement, le renforcement des politiques économiques pour offrir plus d’opportunités aux jeunes et une campagne de sensibilisation en permanence, á travers une communication persuasive sur les facteurs de risque, autant de mesures qui peuvent contribuer à atténuer ce phénomène et dissuader les jeunes de prendre des risques qui peuvent leur coûter la vie.






Néné Jupiter Ndiaye,
Journaliste-Sociologue

Ousmane Wade