Il est évident que réunir une telle somme dans le contexte économique africain et mondial actuel n’est pas une sinécure et vaut bien des ronds de jambes de la part des autorités sénégalaises. Seulement, le ministre de l’Economie et des Finances n’a pas tout dit. Amadou Kane a voulu s’appuyer sur le résultat de cet emprunt obligataire pour démonter les allégations selon lesquelles les investisseurs ont tourné le dos au Sénégal. A la vérité, il a simplement cherché à noyer le poisson. Peine perdue. L’embellie de l’emprunt obligataire ne saurait cacher la morosité ambiante, ressentie à tous les niveaux, de l’économie sénégalaise. « L’argent ne circule plus », disent trivialement les Sénégalais, pour exprimer la profondeur de leur désarroi face à la carence de liquidité. « C’est l’argent sale qui ne circule plus », rétorque le Président Macky Sall. Pas si sûr. Car avec le scandale du trafic de drogue qui secoue la Police en ce moment, suite aux révélations du commissaire Keïta contenues dans un rapport qu’il a remis au ministre de l’Intérieur, on ne peut plus de manière péremptoire dire que l’argent sale ne circule plus au Sénégal. Parce que non seulement il circule, mais le trafic de drogue qui est l’une des sources qui le génère semble être l’apanage de bandits au col blanc. En attendant que les résultats des enquêtes menées par la Direction de l’inspection des services de sécurité (Diss) ne soient officiellement rendus publics, on peut espérer que les investigations seront poussées très loin afin de savoir s’il y a des personnalités civiles, notamment au sommet de l’Etat (qu’elles soient de l’ancien régime de Me Wade ou de l’actuel sous le Président Macky Sall), qui seraient mouillées dans cette affaire. Par ailleurs, il y a les centaines de millions injectés dans l’arène sans que les promoteurs ne se sentent obligés de justifier l’origine de cette manne financière. S’agit-t-il d’argent sale ? Le débat a été soulevé un moment dans la presse à la faveur de l’incarcération du promoteur Luc Nicolaï cité dans une affaire de drogue saisie au Lamantin Beach de Saly. Mais il a vite été mis sous le boisseau. On voit donc clairement que l’argent que certains caciques de l’ancien régime de Me Wade auraient retiré du circuit bancaire pour le thésauriser dans des caves chez eux ou ailleurs, ainsi que le soutiennent les tenants actuels du pouvoir, ne saurait justifier totalement l’absence de liquidité constatée par tous les Sénégalais. Non plus, la faible émission de monnaie, invoquée par certains pour justifier la carence de liquidité, ne tient pas parce que celle-ci est tributaire de la richesse d’un pays. En clair, la masse monétaire d’un pays doit être équivalente à sa richesse. Il y a donc bien d’autres raisons moins allusives qui pourraient expliquer ce phénomène occurrent à l’accession du Président Macky Sall au pouvoir. Parmi celles-ci, il y a le fait indéniable, malgré les affirmations du ministre de l’Economie et des Finances, que les investisseurs étrangers comme locaux ne sont plus très enthousiastes à mettre leur argent au Sénégal. Ils ne se bousculent plus au portillon du guichet unique de l’Apix. Conséquence : le volume des investissements directs étrangers au Sénégal est de 338 millions de dollars en 2012 contre 478 milliards de dollars en Côte d’Ivoire pour la même année. La comparaison avec la Côte d’Ivoire est intéressante dans la mesure où ce pays sort à peine d’une guerre fratricide et demeure encore instable alors que le Sénégal est cité en modèle démocratique pour avoir réussi deux transitions (2000 et 2012) par les urnes. Alors, comment se fait-il que les investisseurs soient aujourd’hui plus attirés par la Cote d’Ivoire que par le Sénégal ? La réponse est simple et se trouve dans l’environnement juridique du Quadrilatère plus favorable qu’au Sénégal qui s’est lancé à toute bride dans la traque aux biens mal acquis. Pis, cette traque qui ciblait les responsables de l’ancien régime s’est muée en traque aux… investisseurs. En effet, pour des sommes modiques déposées dans une banque, ces derniers sont soumis au feu roulant des enquêteurs de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif). Une tracasserie inutile si les concernés ne sont poursuivis dans leur pays ni pour détournement ni pour blanchiment d’argent. A cela s’ajoute la baisse de la commande publique de 88 milliards F CFA entre 2012 et 2013. L’Etat ne fait presque plus travailler les entreprises privées, en plus du renchérissement de la fiscalité, qui mettent la clé sous le paillasson les uns après les autres. Du coup, les revenus des ménages baissent faute de travail. Des ménages qui ploient déjà sous le poids de la lancinante question du chômage des jeunes, une bombe non pas à retardement mais à déclenchement incontrôlé pour reprendre Jacques Chirac.
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