Envoyé spécial à Abou El-Matamir (delta du Nil)
Le cortège s'est formé quelques kilomètres avant l'entrée d'Abou el-Matamir. Surgies de nulle part parmi les champs de trèfles, plusieurs dizaines de voitures ont soudain pris d'assaut la mauvaise route de terre pour former un embouteillage insolite autour du bus de campagne d'Amr Moussa. Les supporteurs d'un jour, manifestement rameutés par les chefs de tribu de ce village pauvre du delta, saluent à grands coups de klaxon et tirs de kalachnikov l'ex-secrétaire général de la Ligue arabe. «Amr Moussa est notre soleil, celui qui a l'expérience du pouvoir», hurle une sono chargée sur un pick-up. «Depuis le début de la campagne présidentielle, il est le premier candidat à venir nous voir», remercie Mohamed Magdi, entrepreneur dans le secteur du bâtiment.
De la Haute-Égypte au delta du Nil en passant par le Sinaï, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Hosni Moubarak mène depuis plus d'un an une patiente et laborieuse campagne de terrain basée sur sa notoriété, sa connaissance supposée des rouages de l'État et ses promesses répétées de «restaurer la stabilité» en Égypte. «Dans chaque village, explique son conseiller Ahmed Kamel, nous nous efforçons d'entrer en contact avec des chefs de famille ou de tribu et de nous appuyer sur leur réseau relationnel.» Une stratégie payante si l'on en croit les sondages qui, depuis plusieurs semaines, placent Amr Moussa parmi les favoris de l'élection qui se déroulera mercredi et jeudi, la première présidentielle libre et ouverte de l'histoire égyptienne.
Âgé de 75 ans, cet avocat de formation est entré en diplomatie à la fin des années 1950. Nommé ambassadeur en Inde puis aux Nations unies, il a hérité en 1991 du ministère des Affaires étrangères et s'est attiré la sympathie de l'opinion égyptienne en critiquant Israël. «Moussa est le chef qu'il nous faut. C'est un homme honnête et respectable qu'on connaît depuis longtemps. Lui seul est capable de ramener la sécurité dans le pays après tous les troubles de la révolution»,plaide Mohamed Magdi, tandis que le candidat chemine à grand-peine parmi les milliers de villageois venus l'écouter à Abou el-Matamir.
Des critiques acerbes
Quelques mètres plus loin, Reda Faraj hausse les épaules. «Le problème de Moussa, c'est qu'il est vieux, grimace ce chômeur de 26 ans qui s'apprête à voter pour un autre favori, le candidat dissident des Frères musulmans, Abdel Moneim Aboul Fotouh. Alors, après toutes ces années passées dans la politique du temps de Hosni Moubarak, j'ai du mal à croire qu'il va prendre en compte les besoins de la jeunesse.»
Depuis qu'Amr Moussa s'élève dans les sondages, ses adversaires lui réservent leurs critiques les plus acerbes. «Quand vous êtes vous-mêmes une partie du problème, vous ne pouvez fournir une partie de la solution», lui a fait observer Aboul Fotouh lors d'un récent débat télévisé. Sur le terrain, il n'est pas rare qu'un comité d'accueil mis sur pied par les Frères musulmans lui réserve un accueil houleux. Quant aux jeunes révolutionnaires, ils ont pris l'habitude de le traiter de «feloul» - qualificatif réservé aux «résidus» de l'ancien régime…
Exaspéré par ce grief récurrent, l'entourage d'Amr Moussa rétorque qu'il sut en son temps se rendre populaire en marquant sa différence avec le président Moubarak, notamment critiqué pour sa politique jugée trop complaisante envers l'allié israélien. «La vérité, c'est qu'il y avait une divergence profonde et réelle entre les deux hommes, assure un diplomate égyptien réputé proche du candidat. C'est pourquoi Hosni Moubarak, qui craignait de voir son ministre lui faire de l'ombre, l'a propulsé en 2001 à la Ligue arabe.» Alexandre Stärker, conseiller auprès d'Amr Moussa, renchérit: «Ses adversaires lui font une réputation d'autant plus imméritée qu'il fait partie de ceux qui, à l'époque, avaient réellement essayé de changer le régime de l'intérieur.»
Un candidat réputé «sûr» et «raisonnable»
Samedi 19 mai, à Abou el-Matamir, c'est en réformateur soucieux d'instaurer «la IIe République égyptienne» que le candidat s'est présenté devant les villageois. «Je suis venu vous parler de vos problèmes, du chômage, de la pauvreté, de l'insécurité, a-t-il clamé de sa voix rocailleuse. Et je suis venu vous dire que vous avez maintenant une occasion unique de faire entrer l'Égypte dans une période de force et de stabilité.»
Misant sur la déception que les islamistes ont parfois suscitée depuis leur conquête du Parlement, en novembre 2011, Amr Moussa se présente aussi comme le seul rempart capable de barrer la route au candidat des Frères musulmans, Mohammed Morsi, comme au dissident Abdel Moneim Aboul Fotouh. «Nous ne voulons pas, explique-t-il, que l'Égypte fasse les frais d'une expérience hasardeuse avec l'arrivée d'un candidat inexpérimenté au sommet de l'État.» Dans la foule, Mohsen el-Samod, un comptable de 48 ans, acquiesce: «On ne peut pas accepter que les islamistes, déjà majoritaires à l'Assemblée, contrôlent tous les pouvoirs.»
Si le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) a maintes fois réaffirmé sa neutralité dans l'élection qui s'ouvre ce mercredi, certains hauts responsables égyptiens laissent entendre que l'armée ne verrait pas d'un mauvais œil l'élection de ce candidat réputé «sûr» et «raisonnable» — si toutefois il devance l'autre candidat issu de l'ancien régime, le général et ex-premier ministre Ahmed Chafiq. À toutes fins utiles, Moussa a fait savoir qu'il s'opposerait à ceux, révolutionnaires ou islamistes, qui réclament une discussion publique du budget de l'armée. Et conclut, chaque fois que l'occasion se présente: «Je suis le candidat qui veut protéger l'Égypte du chaos.»
Par Cyrille Louis
Le cortège s'est formé quelques kilomètres avant l'entrée d'Abou el-Matamir. Surgies de nulle part parmi les champs de trèfles, plusieurs dizaines de voitures ont soudain pris d'assaut la mauvaise route de terre pour former un embouteillage insolite autour du bus de campagne d'Amr Moussa. Les supporteurs d'un jour, manifestement rameutés par les chefs de tribu de ce village pauvre du delta, saluent à grands coups de klaxon et tirs de kalachnikov l'ex-secrétaire général de la Ligue arabe. «Amr Moussa est notre soleil, celui qui a l'expérience du pouvoir», hurle une sono chargée sur un pick-up. «Depuis le début de la campagne présidentielle, il est le premier candidat à venir nous voir», remercie Mohamed Magdi, entrepreneur dans le secteur du bâtiment.
De la Haute-Égypte au delta du Nil en passant par le Sinaï, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Hosni Moubarak mène depuis plus d'un an une patiente et laborieuse campagne de terrain basée sur sa notoriété, sa connaissance supposée des rouages de l'État et ses promesses répétées de «restaurer la stabilité» en Égypte. «Dans chaque village, explique son conseiller Ahmed Kamel, nous nous efforçons d'entrer en contact avec des chefs de famille ou de tribu et de nous appuyer sur leur réseau relationnel.» Une stratégie payante si l'on en croit les sondages qui, depuis plusieurs semaines, placent Amr Moussa parmi les favoris de l'élection qui se déroulera mercredi et jeudi, la première présidentielle libre et ouverte de l'histoire égyptienne.
Âgé de 75 ans, cet avocat de formation est entré en diplomatie à la fin des années 1950. Nommé ambassadeur en Inde puis aux Nations unies, il a hérité en 1991 du ministère des Affaires étrangères et s'est attiré la sympathie de l'opinion égyptienne en critiquant Israël. «Moussa est le chef qu'il nous faut. C'est un homme honnête et respectable qu'on connaît depuis longtemps. Lui seul est capable de ramener la sécurité dans le pays après tous les troubles de la révolution»,plaide Mohamed Magdi, tandis que le candidat chemine à grand-peine parmi les milliers de villageois venus l'écouter à Abou el-Matamir.
Des critiques acerbes
Quelques mètres plus loin, Reda Faraj hausse les épaules. «Le problème de Moussa, c'est qu'il est vieux, grimace ce chômeur de 26 ans qui s'apprête à voter pour un autre favori, le candidat dissident des Frères musulmans, Abdel Moneim Aboul Fotouh. Alors, après toutes ces années passées dans la politique du temps de Hosni Moubarak, j'ai du mal à croire qu'il va prendre en compte les besoins de la jeunesse.»
Depuis qu'Amr Moussa s'élève dans les sondages, ses adversaires lui réservent leurs critiques les plus acerbes. «Quand vous êtes vous-mêmes une partie du problème, vous ne pouvez fournir une partie de la solution», lui a fait observer Aboul Fotouh lors d'un récent débat télévisé. Sur le terrain, il n'est pas rare qu'un comité d'accueil mis sur pied par les Frères musulmans lui réserve un accueil houleux. Quant aux jeunes révolutionnaires, ils ont pris l'habitude de le traiter de «feloul» - qualificatif réservé aux «résidus» de l'ancien régime…
Exaspéré par ce grief récurrent, l'entourage d'Amr Moussa rétorque qu'il sut en son temps se rendre populaire en marquant sa différence avec le président Moubarak, notamment critiqué pour sa politique jugée trop complaisante envers l'allié israélien. «La vérité, c'est qu'il y avait une divergence profonde et réelle entre les deux hommes, assure un diplomate égyptien réputé proche du candidat. C'est pourquoi Hosni Moubarak, qui craignait de voir son ministre lui faire de l'ombre, l'a propulsé en 2001 à la Ligue arabe.» Alexandre Stärker, conseiller auprès d'Amr Moussa, renchérit: «Ses adversaires lui font une réputation d'autant plus imméritée qu'il fait partie de ceux qui, à l'époque, avaient réellement essayé de changer le régime de l'intérieur.»
Un candidat réputé «sûr» et «raisonnable»
Samedi 19 mai, à Abou el-Matamir, c'est en réformateur soucieux d'instaurer «la IIe République égyptienne» que le candidat s'est présenté devant les villageois. «Je suis venu vous parler de vos problèmes, du chômage, de la pauvreté, de l'insécurité, a-t-il clamé de sa voix rocailleuse. Et je suis venu vous dire que vous avez maintenant une occasion unique de faire entrer l'Égypte dans une période de force et de stabilité.»
Misant sur la déception que les islamistes ont parfois suscitée depuis leur conquête du Parlement, en novembre 2011, Amr Moussa se présente aussi comme le seul rempart capable de barrer la route au candidat des Frères musulmans, Mohammed Morsi, comme au dissident Abdel Moneim Aboul Fotouh. «Nous ne voulons pas, explique-t-il, que l'Égypte fasse les frais d'une expérience hasardeuse avec l'arrivée d'un candidat inexpérimenté au sommet de l'État.» Dans la foule, Mohsen el-Samod, un comptable de 48 ans, acquiesce: «On ne peut pas accepter que les islamistes, déjà majoritaires à l'Assemblée, contrôlent tous les pouvoirs.»
Si le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) a maintes fois réaffirmé sa neutralité dans l'élection qui s'ouvre ce mercredi, certains hauts responsables égyptiens laissent entendre que l'armée ne verrait pas d'un mauvais œil l'élection de ce candidat réputé «sûr» et «raisonnable» — si toutefois il devance l'autre candidat issu de l'ancien régime, le général et ex-premier ministre Ahmed Chafiq. À toutes fins utiles, Moussa a fait savoir qu'il s'opposerait à ceux, révolutionnaires ou islamistes, qui réclament une discussion publique du budget de l'armée. Et conclut, chaque fois que l'occasion se présente: «Je suis le candidat qui veut protéger l'Égypte du chaos.»
Par Cyrille Louis