Le cliquetis de ses talons la devance. D'un pas ferme, Manar el-Shorbagy franchit le seuil du salon cossu du «Majlis al-Choura» (la Chambre haute du Parlement) où, quelques mètres plus loin, se dessinent avec remous les contours de la future Constitution égyptienne. «Un travail délicat», murmure, essoufflée, cette politologue en s'enfonçant dans un des fauteuils réservés à l'heure de la pause. Au fond de la grande salle rectangulaire, une demi-douzaine de barbus profitent de l'intermède imparti pour réciter la prière du soir en direction de La Mecque: un échantillon de ses collègues salafistes avec qui cette femme ouvertement libérale planche douze heures par jour sur l'architecture de la nouvelle Égypte.
La tâche est ardue. Enclins à une coloration plus religieuse du pays, les partisans d'un islam radical, acteurs désormais incontournables de la nouvelle scène politique, veulent introduire trois articles particulièrement controversés: la pénalisation de toute offense à Dieu, la soumission des lois à l'approbation d'al-Azhar, la plus haute autorité de l'islam sunnite, et l'officialisation du zakat, l'aumône religieuse. Les salafistes demandent également une révision de l'article 2 de l'actuelle Constitution qui stipulerait que les «préceptes» de la charia (et non les «principes», comme c'est actuellement le cas) «constituent la source principale de la législation». Or un tel changement, auquel même les Frères musulmans ont renoncé, impliquerait une application stricte de la loi islamique, en éliminant sa marge d'interprétation.
De quoi faire bondir les esprits libres. «Il y a un vrai risque d'islamisation», s'alarme Mohammed Arafat, membre du bureau politique du parti social-démocrate égyptien. Pour lui, «l'Assemblée constituante n'est pas à l'image de la diversité de notre société». Début juin, son parti s'est sciemment retiré de ce conseil de cent personnes, désignées par le Parlement à majorité «frériste». Une première assemblée avait préalablement été dissoute en avril sur décision de justice. Parmi ses membres actuels se trouvent une bonne moitié d'islamistes, dont un représentant d'al-Azhar, l'autre moitié étant composée de représentants de l'Église copte, de juristes et de personnalités indépendantes comme Manar el-Shorbagy.
Ces derniers mois, les opposants à ce comité chargé de rédiger la loi fondamentale ont tablé sur les tensions entre l'armée et les Frères musulmans pour obtenir à nouveau sa recomposition. Mais depuis le décret constitutionnel du 12 août, par lequel Mohammed Morsi a arraché les rênes du pouvoir aux militaires, leurs espoirs semblent vains. Le président égyptien a même désormais le dernier mot sur la Constitution si sa rédaction échoue. «Que cela plaise ou non, cette Constituante est partie pour faire son travail jusqu'au bout», insiste Manar el-Shorbagy.
Cette fervente militante des droits des femmes, minoritaire dans une Constituante composée à plus de 90 % d'hommes, est parfaitement consciente des limites de sa mission. Ses récentes propositions d'articles relatifs à la protection de ses concitoyennes victimes de violence et à la pénalisation du harcèlement sexuel ont provoqué l'ire de ses collègues islamistes. Les salafistes sont particulièrement braqués contre un projet d'article visant à criminaliser «le travail forcé, l'esclavage, la traite de femmes et d'enfants, des organes humains et la commercialisation sexuelle», parce qu'il implique, de facto, l'interdiction du mariage des filles avant l'âge de 18 ans - ce qui est considéré comme non-conforme à la charia selon certains islamistes.
Vote par consensus
Pourtant, Manar el-Shorbagy est de celles qui préfèrent «se battre de l'intérieur plutôt que de l'extérieur». «Avec le temps, nous avons appris à mieux nous comprendre, malgré des points de vue divergents, ce qui favorise le dialogue et les compromis», dit-elle, en voulant rester optimiste. À ce jour, plus des trois quarts des textes de la loi fondamentale ont été rédigés. Cependant, il a été récemment décidé d'un commun accord que les articles les plus sensibles seraient ultérieurement soumis à un vote par consensus, dans l'espoir que les voix les plus radicales allègent leurs demandes. «C'est aussi un moyen d'éviter que ces questions épineuses ne retardent les discussions sur d'autres questions cruciales», précise l'enseignante.
Parmi elles: la nature du système politique ou encore le droit de regard sur le budget de l'armée. Une fois complet, le projet de Constitution sera ensuite soumis au référendum populaire. Ce dernier pourrait se tenir dès le mois d'octobre, selon le premier ministre. Une date que refuse de confirmer Manar el-Shorbagy, par souci d'indépendance. «Au nom de quoi un ministre peut-il ainsi s'avancer? Nous sommes une entité autonome. Bien sûr que nous voulons finir notre travail au plus vite. Mais il nous faut trouver le juste équilibre entre la contrainte du temps et le besoin d'achever notre tâche avec prudence», lance-t-elle.
Par Delphine Minoui
La tâche est ardue. Enclins à une coloration plus religieuse du pays, les partisans d'un islam radical, acteurs désormais incontournables de la nouvelle scène politique, veulent introduire trois articles particulièrement controversés: la pénalisation de toute offense à Dieu, la soumission des lois à l'approbation d'al-Azhar, la plus haute autorité de l'islam sunnite, et l'officialisation du zakat, l'aumône religieuse. Les salafistes demandent également une révision de l'article 2 de l'actuelle Constitution qui stipulerait que les «préceptes» de la charia (et non les «principes», comme c'est actuellement le cas) «constituent la source principale de la législation». Or un tel changement, auquel même les Frères musulmans ont renoncé, impliquerait une application stricte de la loi islamique, en éliminant sa marge d'interprétation.
De quoi faire bondir les esprits libres. «Il y a un vrai risque d'islamisation», s'alarme Mohammed Arafat, membre du bureau politique du parti social-démocrate égyptien. Pour lui, «l'Assemblée constituante n'est pas à l'image de la diversité de notre société». Début juin, son parti s'est sciemment retiré de ce conseil de cent personnes, désignées par le Parlement à majorité «frériste». Une première assemblée avait préalablement été dissoute en avril sur décision de justice. Parmi ses membres actuels se trouvent une bonne moitié d'islamistes, dont un représentant d'al-Azhar, l'autre moitié étant composée de représentants de l'Église copte, de juristes et de personnalités indépendantes comme Manar el-Shorbagy.
Ces derniers mois, les opposants à ce comité chargé de rédiger la loi fondamentale ont tablé sur les tensions entre l'armée et les Frères musulmans pour obtenir à nouveau sa recomposition. Mais depuis le décret constitutionnel du 12 août, par lequel Mohammed Morsi a arraché les rênes du pouvoir aux militaires, leurs espoirs semblent vains. Le président égyptien a même désormais le dernier mot sur la Constitution si sa rédaction échoue. «Que cela plaise ou non, cette Constituante est partie pour faire son travail jusqu'au bout», insiste Manar el-Shorbagy.
Cette fervente militante des droits des femmes, minoritaire dans une Constituante composée à plus de 90 % d'hommes, est parfaitement consciente des limites de sa mission. Ses récentes propositions d'articles relatifs à la protection de ses concitoyennes victimes de violence et à la pénalisation du harcèlement sexuel ont provoqué l'ire de ses collègues islamistes. Les salafistes sont particulièrement braqués contre un projet d'article visant à criminaliser «le travail forcé, l'esclavage, la traite de femmes et d'enfants, des organes humains et la commercialisation sexuelle», parce qu'il implique, de facto, l'interdiction du mariage des filles avant l'âge de 18 ans - ce qui est considéré comme non-conforme à la charia selon certains islamistes.
Vote par consensus
Pourtant, Manar el-Shorbagy est de celles qui préfèrent «se battre de l'intérieur plutôt que de l'extérieur». «Avec le temps, nous avons appris à mieux nous comprendre, malgré des points de vue divergents, ce qui favorise le dialogue et les compromis», dit-elle, en voulant rester optimiste. À ce jour, plus des trois quarts des textes de la loi fondamentale ont été rédigés. Cependant, il a été récemment décidé d'un commun accord que les articles les plus sensibles seraient ultérieurement soumis à un vote par consensus, dans l'espoir que les voix les plus radicales allègent leurs demandes. «C'est aussi un moyen d'éviter que ces questions épineuses ne retardent les discussions sur d'autres questions cruciales», précise l'enseignante.
Parmi elles: la nature du système politique ou encore le droit de regard sur le budget de l'armée. Une fois complet, le projet de Constitution sera ensuite soumis au référendum populaire. Ce dernier pourrait se tenir dès le mois d'octobre, selon le premier ministre. Une date que refuse de confirmer Manar el-Shorbagy, par souci d'indépendance. «Au nom de quoi un ministre peut-il ainsi s'avancer? Nous sommes une entité autonome. Bien sûr que nous voulons finir notre travail au plus vite. Mais il nous faut trouver le juste équilibre entre la contrainte du temps et le besoin d'achever notre tâche avec prudence», lance-t-elle.
Par Delphine Minoui