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En Tunisie, bras de fer au sommet autour de la formation d’un gouvernement

Rédigé par leral.net le Vendredi 21 Février 2020 à 08:57 | | 0 commentaire(s)|

Les négociations sur la formation du gouvernement ont donné lieu à un bras de fer en Tunisie entre le président Kaïs Saïed et le parti d’inspiration islamiste Ennahda, qui ont finalement trouvé un accord mercredi 19 février, ce qui devrait écarter le spectre de nouvelles élections. Après l’échec en janvier d’un gouvernement constitué sous la houlette d’Ennahda, le premier ministre désigné par Kaïs Saïed, Elyes Fakhfakh, a présenté mercredi soir une nouvelle liste de ministres.


Le parti de Rached Ghannouchi, qui avait initialement désavoué la composition du gouvernement présenté samedi soir par M. Fakhfakh, s’est finalement engagé à soutenir ce cabinet. Ce soutien ouvre la voie à son approbation par le Parlement, où Ennahda dispose du principal contingent (54 députés sur 217). Des négociations intenses ont continué jusqu’à la dernière minute, appelant à la rescousse la puissante centrale syndicale UGTT – un médiateur historique depuis la révolution –, ainsi que l’organisation patronale Utica. « La période des concertations, malgré ses difficultés et sa complexité, s’est déroulée de façon tout à fait démocratique », a souligné M. Fakhfakh dans une déclaration télévisée tard mercredi.

Alors qu’Ennahda avait soutenu Kaïs Saïed au second tour de la présidentielle, ces négociations ont mis à jour de profondes divergences entre les deux principaux acteurs. « C’est un combat entre Saïed et Ghannouchi qui veulent imposer leurs orientations politiques », estimait mardi Abdellatif Hannachi, professeur d’histoire contemporaine. Néophyte en politique mais élu en octobre 2019 avec un très confortable score, M. Saïed est un spécialiste du droit constitutionnel très critique du système parlementaire partisan. Il défend avec constance des principes, dont une décentralisation radicale du pouvoir.

Mettre fin à quatre mois de crise politique

M. Ghannouchi, lui, est une figure de la classe politique aux commandes depuis la révolution de 2011, qui a vu son poids électoral s’éroder, même s’il demeure la principale force du pays. Très pragmatique, il a accédé à la présidence du Parlement à la faveur d’une alliance avec son principal adversaire électoral, Qalb Tounès, mené par le sulfureux magnat des médias Nabil Karoui. Dans leur bras de fer, MM. Saïed et Ghannouchi « arguent d’interprétations différentes de la Constitution. Mais, au fond, c’est une lutte pour le pouvoir », estimait mardi le quotidien Chourouk.

Saluée lors de son adoption en 2014 comme une avancée majeure sur le chemin de la démocratie, la Constitution tunisienne a donné naissance à un régime hybride, ni parlementaire ni présidentiel, prompt à ce type de blocage. Et si Ennahda a obtenu sept ministères dans la nouvelle proposition du gouvernement, il n’a pas eu ceux escomptés, notamment l’intérieur et la justice.

Espérant mieux, la formation d’inspiration islamiste avait durant le week-end évoqué une démission de M. Fakhfakh ou une motion de censure contre le gouvernement sortant, deux options lui permettant de proposer une autre figure au poste de premier ministre. Mais Kaïs Saïed a coupé court lundi soir à ces plans, qu’il a qualifiés d’inconstitutionnels, en assénant devant les caméras un cours de droit à un Rached Ghannouchi peu à l’aise.

Ennahda s’est plié à cette interprétation de la Constitution. Le parti a justifié mercredi soir sa décision de soutenir ce gouvernement par la nécessité de prendre « en considération la situation économique et sociale » du pays et le conflit en Libye voisine, nécessitant de former un gouvernement rapidement.

Le Parlement doit fixer d’ici à quelques jours une date pour le vote de confiance, qui devrait mettre fin à quatre mois de crise politique. Le président a martelé que l’unique alternative à l’octroi de la confiance au gouvernement Fakhfakh était de se préparer à une dissolution de l’Assemblée élue le 6 octobre 2019, ce que le président pourra ordonner à partir du 15 mars.

Ces incertitudes politiques pénalisent une économie déjà fragile et laissent de nombreux dossiers en suspens, dont celui des négociations avec les bailleurs de fonds, qui ont jusque-là maintenu la Tunisie à flots. Lancé en 2016, le programme d’aide du Fonds monétaire international (FMI) s’achève en avril. Les Tunisiens, eux, attendent encore un gouvernement susceptible de s’attaquer à l’inflation et au chômage.