Les «modernistes», qui préfèrent ce vocable à celui de laïcs ou de républicains, commencent à s'organiser en Tunisie afin de présenter une alternative aux islamistes d'Ennahda, à la tête du pays. Au sortir de plusieurs jours de troubles fomentés par les milieux radicaux salafistes, l'ancien premier ministre de la transition post-révolutionnaire, Beji Caïd Essebsi, a lancé le week-end dernier son parti, «l'Appel de la Tunisie», en invitant partis et responsables de la société civile à bâtir un rassemblement le plus large possible.
Préparée depuis des mois, cette initiative suscite certes des interrogations, mais elle a manifestement ragaillardi une opposition consciente que sa division pourrait à nouveau causer sa perte, quand viendra le moment des élections présidentielle et législatives en 2013.
À 84 ans, Beji Caïd Essebsi, l'ancien compagnon de route de Bourguiba, plusieurs fois ministre des années 1960 à la fin des années 1980, a effectué samedi un véritable show politique devant plus de 3 000 supporteurs réunis dans la salle du Palais des congrès de Tunis. À ses côtés se tenait Taïeb Baccouche, l'ancien secrétaire général de l'UGTT, puissant syndicat qui fut la matrice de la «révolution de Jasmin». Les partis de l'opposition avaient dépêché leurs émissaires. La salle, à laquelle on n'accédait que sur invitation, réunissait les représentants de la bourgeoisie tunisoise et ceux de la riche côte de Monastir et Sousse, berceau du bourguibisme. Mais aussi des personnalités du RCD, l'ex-parti du président déchu Ben Ali, auquel l'Appel de la Tunisie ouvre officiellement les bras.
«Arrêter la chasse aux sorcières»
Devant un immense drapeau tunisien, Beji Caïd Essebsi, qui a commencé et clos son discours en citant le Coran, est revenu sur les récentes agressions commises contre des peintres dont les toiles portaient «atteinte au sacré», selon les islamistes salafistes et ceux d'Ennahda. «Une société sans création n'a pas d'avenir», a plaidé l'orateur, avant de rappeler qu'«il n'y a pas de clergé en islam» et que le peuple tunisien, musulman, n'avait pas besoin d'un gouvernement qui se comporte en «tuteur» et délivre «un discours de mosquée».
L'ancien premier ministre a ensuite instruit le procès en incompétence du gouvernement, fustigeant «ces gens qui ne croient pas en l'État tunisien» et qui «n'ont pas digéré la modernité tunisienne de ces cinquante dernières années». «Les acquis de la société tunisienne doivent être maintenus», a-t-il martelé, appelant toutes les bonnes volontés à le rejoindre, car «on aura besoin de tous pour sortir le pays de l'ornière».
Maya Jribi, secrétaire générale du Parti républicain, salue la personnalité de Beji Caïd Essebsi, sa «capacité de fédération» et sa «légitimité consensuelle». Pour autant, explique-t-elle, «maintenant que l'Appel de la Tunisie s'est transformé en parti politique, nous ne pouvons plus en être partie prenante. Nous aurons des relations étroites, mais en restant autonomes», précise Mme Jribi, qui affirme «la nécessité historique» des républicains à s'unir. «Nous avons fait un bout du chemin», rappelle-t-elle (le Parti républicain est né de la fusion de plusieurs partis, dont le PDP), «il faut poursuivre les fusions et les accords électoraux».
La cinéaste Selma Baccar, élue députée à la Constituante du «pôle démocratique et moderniste», plus orienté à gauche, confirme de son côté que des rapprochements sont à l'œuvre avec le Parti républicain. «Notre seule chance de survie, c'est d'être l'alternative à Ennahda.» Pour apurer les comptes du passé, «si des RCDistes (membres du parti de Ben Ali) ont commis des délits, il faut qu'ils passent en justice. Mais, affirme Selma Baccar, il faut arrêter la chasse aux sorcières. Deux millions de Tunisiens avaient pris la carte du RCD pour survivre», sous l'ère Ben Ali.
Par Thierry Portes
Préparée depuis des mois, cette initiative suscite certes des interrogations, mais elle a manifestement ragaillardi une opposition consciente que sa division pourrait à nouveau causer sa perte, quand viendra le moment des élections présidentielle et législatives en 2013.
À 84 ans, Beji Caïd Essebsi, l'ancien compagnon de route de Bourguiba, plusieurs fois ministre des années 1960 à la fin des années 1980, a effectué samedi un véritable show politique devant plus de 3 000 supporteurs réunis dans la salle du Palais des congrès de Tunis. À ses côtés se tenait Taïeb Baccouche, l'ancien secrétaire général de l'UGTT, puissant syndicat qui fut la matrice de la «révolution de Jasmin». Les partis de l'opposition avaient dépêché leurs émissaires. La salle, à laquelle on n'accédait que sur invitation, réunissait les représentants de la bourgeoisie tunisoise et ceux de la riche côte de Monastir et Sousse, berceau du bourguibisme. Mais aussi des personnalités du RCD, l'ex-parti du président déchu Ben Ali, auquel l'Appel de la Tunisie ouvre officiellement les bras.
«Arrêter la chasse aux sorcières»
Devant un immense drapeau tunisien, Beji Caïd Essebsi, qui a commencé et clos son discours en citant le Coran, est revenu sur les récentes agressions commises contre des peintres dont les toiles portaient «atteinte au sacré», selon les islamistes salafistes et ceux d'Ennahda. «Une société sans création n'a pas d'avenir», a plaidé l'orateur, avant de rappeler qu'«il n'y a pas de clergé en islam» et que le peuple tunisien, musulman, n'avait pas besoin d'un gouvernement qui se comporte en «tuteur» et délivre «un discours de mosquée».
L'ancien premier ministre a ensuite instruit le procès en incompétence du gouvernement, fustigeant «ces gens qui ne croient pas en l'État tunisien» et qui «n'ont pas digéré la modernité tunisienne de ces cinquante dernières années». «Les acquis de la société tunisienne doivent être maintenus», a-t-il martelé, appelant toutes les bonnes volontés à le rejoindre, car «on aura besoin de tous pour sortir le pays de l'ornière».
Maya Jribi, secrétaire générale du Parti républicain, salue la personnalité de Beji Caïd Essebsi, sa «capacité de fédération» et sa «légitimité consensuelle». Pour autant, explique-t-elle, «maintenant que l'Appel de la Tunisie s'est transformé en parti politique, nous ne pouvons plus en être partie prenante. Nous aurons des relations étroites, mais en restant autonomes», précise Mme Jribi, qui affirme «la nécessité historique» des républicains à s'unir. «Nous avons fait un bout du chemin», rappelle-t-elle (le Parti républicain est né de la fusion de plusieurs partis, dont le PDP), «il faut poursuivre les fusions et les accords électoraux».
La cinéaste Selma Baccar, élue députée à la Constituante du «pôle démocratique et moderniste», plus orienté à gauche, confirme de son côté que des rapprochements sont à l'œuvre avec le Parti républicain. «Notre seule chance de survie, c'est d'être l'alternative à Ennahda.» Pour apurer les comptes du passé, «si des RCDistes (membres du parti de Ben Ali) ont commis des délits, il faut qu'ils passent en justice. Mais, affirme Selma Baccar, il faut arrêter la chasse aux sorcières. Deux millions de Tunisiens avaient pris la carte du RCD pour survivre», sous l'ère Ben Ali.
Par Thierry Portes