Le Président Macky Sall a déclaré la semaine dernière, jeudi 27 juin, lors de sa conférence de presse conjointe avec le Président américain Barack Obama, que le Sénégal n'est pas prêt à légaliser l'homosexualité. Etes-vous rassuré par ses propos?
D’abord, nous pouvons constater, pour nous en réjouir, que ceux qui mettaient en doute le bien fondé des signaux d’alerte que Jamra n’a eu de cesse de lancer, relativement aux manœuvres souterraines de lobbies, persistant dans leur volonté de faire dépénaliser les unions contre-nature au Sénégal, ont beaucoup mis de d’eau dans leur "bissap", suite à la tournure prise par les derniers événements. Il faut être naïf pour croire que la question posée par la presse américaine au Président Macky Sall, sur l’éventualité de la dépénalisation de l’homosexualité au Sénégal, est fortuite. Les Américains, champion du renseignement politique, économique, technologique et militaire, savaient très bien que le Président Macky Sall avait déjà nettement tranché la question, lors d’un récent Conseil des ministres (ndlr : celui du jeudi 11 avril 2013). Il était plutôt question, pour l’Administration Obama, de saisir l’opportunité de la visite officielle du plus puissant chef d’Etat du monde, détenteur de surcroît des cordons de la bourse mondiale, pour procéder à une ultime « évaluation » de la position du Sénégal, classé parmi les pays récalcitrants, qui font encore de la résistance, en refusant de rejoindre le "Club des 66" (ndlr : du nom des Etats signataires de l’avant-projet, destiné aux Nations-Unies, pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité). Mais voilà que, contre toutes attentes, Macky Sall réitère courageusement la position que le Sénégal a toujours souverainement déclamée, à savoir que nos valeurs culturelles de base ne s’accommodent pas d’une légalisation des unions contre-nature.
Pourtant certains pensent que Macky Sall n'a pas été clair dans ses déclarations. Vous partagez cet avis?
Certains lui ont effectivement reproché d’avoir émis un propos nuancé. Il n’en demeure pas moins que c’est toujours une position de refus, officiellement dégagée par la voix la plus autorisée du pays. La formulation importe peu. Ce qui compte c’est qu’il a opposé, poliment certes, une fin de non-recevoir à la requête américaine. C’est une question de style et de tempérament. Là où le bouillant Président zimbabwéen Robert Mugabé a répliqué de la manière que l’on sait au Premier ministre David Cameron (ndlr : qui avait publiquement agité la même question, lors du dernier Sommet du Commonwealth, de février 2012) en lui disant : "Allez en Enfer !", le Président Macky Sall a préféré opposer un refus poli, mais tout de même public et officiel. La finalité est la même. Aussitôt, l’Organisation islamique Jamra et l’ensemble des structures de l’Observatoire de Veille et de Défense des Valeurs Culturelles et Religieuses, "Mbañ Gacce", ont publié une déclaration pour inviter nos compatriotes à mettre temporairement, entre-parenthèses nos querelles politiciennes, pour faire bloc autour de cette posture héroïque du chef de l’Etat. Les enjeux sont tellement importants que Macky Sall ne doit pas se sentir seul dans cette affaire. Toutes considérations politiques mises à part, il est vital que le chef de l’Etat se sente soutenu par l’écrasante majorité des croyants, aussi bien chrétiens que musulmans, dont les religions révélées rejettent catégorique ces unions dégradantes. Car, il est maintenant avéré que les lobbies homosexuels n’agissent plus seuls. Les puissances occidentales se font volontiers leurs porte-paroles, allant même jusqu’à conditionner les fameuses aides au développement à la reconnaissance des droits des homosexuels, des lesbiennes, et des transsexuels. C’est écrit noir sur blanc dans le site officiel de la Maison Blanche. Et c’est une voix aussi autorisée que celle de Samantha Power, la conseillère spéciale du Président Obama, qui y fait l’apologie de cette nouvelle option de la politique étrangère des États-Unis, envers surtout les pays en développement.
Pensez-vous maintenant que le débat sur l'homosexualité est clos ?
Les lobbies ne s’avouent jamais facilement vaincus ! Face à la récurrence de leurs manœuvres tous azimuts, le Président Macky Sall, après sa sortie de l’autre jour, relayée par toutes les chaînes de télé occidentales, a plus que jamais besoin – au moins sur cette question cruciale - de sentir l’adhésion du peuple. Sinon il restera toujours fragile. Le Président François Bozizé de la Centrafrique en sait quelque chose, lui qui s’était frappé la poitrine en disant qu’il ne dépénaliserait jamais ! Le résultat tout le monde le connaît : la Centrafrique – à la suite du Gabon et de l’ile Maurice - est récemment tombée dans l’escarcelle des lobbies. L’homosexualité y est légalisée. Il faut donc se garder de crier trop vite "victoire" !
L’Observatoire de Veille et de Défense des Valeurs Culturelles et Religieuses, dit "Mban Gacce" (refus de l’opprobre, en wolof) a été porté sur les fonts baptismaux, le 25 mai dernier au Cices, par Jamra et une trentaines d’organisations sociales, avez-vous déjà rencontré les autorités ?
Nous avions donné la primeur de nos premières visites aux autorités religieuses. N’oubliez pas que l’idée est venue de l’une d’elles, qui en avait fait la proposition au président exécutif de Jamra, Imam Massamba Diop lors de notre tournée nationale de sensibilisation et d’alerte. Ce, après que votre confrère, Jacques Ngor Sarr, eut soulevé un gros lièvre, dans la livraison du journal "Le Populaire" du jeudi 28 mars 2013, relativement à des manœuvres souterraines, sous-couvert d’un séminaire, tenu dans un hôtel de la place, aux fins de concocter un avant-projet de texte, destiné à la représentation nationale, pour ouvrir la porte à la dépénalisation des unions contre-nature. Mais le tollé que ce conclave a suscité fut à la mesure du secret qui l’avait entouré. Fortement relayé par Jamra, cette levée de bouclier a fini par faire capoter (sans de jeu de mots !) ce projet. Je crois même pouvoir dire que cette énième manœuvre déguisée des lobbies a eu un effet d’accélération, dans l’installation de l’Observatoire de Veille "Mban Gacce". L’idée étant que désormais, chaque fois que nos valeurs culturelles ou religieuses sont agressées, que ce ne soit plus seulement JAMRA qui aille au front. Mais tout un collectif, regroupant des dizaines de mouvements sociaux, alliant aussi bien des religieux que des personnalités indépendantes, en passant par des organisations socio-éducatives, des acteurs culturels, etc., Bref un large front social, une force de frappe éminemment dissuasive, représentative de tous les segments sociaux qui rejettent toutes formes d’aliénation culturelle, de perversion de la jeunesse, cible favorite des trafiquants de drogue, et de dégradation des mœurs d’une manière générale. Afin surtout de se dresser systématiquement contre toute velléité de projet dépénalisation des unions contre-natures, rejetées aussi bien par l’Islam que le Christianisme. Il est prévu qu’au terme de notre tournée nationale d’implantation des antennes régionales de l’Observatoire "Mbañ Gacce" de rencontrer certaines autorités publiques, comme le Président de l’Assemblée nationale, du Conseil économique social et environnementale et le chef de l’Exécutif.
Tout autre chose à présent. Une partie de la communauté léboue vient d’installer son nouveau Grand Serigne de Dakar, en la personne de Pape Ibrahima Diagne, dont vous êtes très proche. Pourquoi vous avez choisi Pape Ibrahima Diagne et non Abdoulaye Makhtar Diop?
Je ne répéterai jamais assez que je n’ai pas choisi. Il serait plus conforme à la vérité de dire que j’ai été choisi. Le même degré de parenté me lie à ces deux personnes. Le père de Abdoulaye Diop Makhtar (El Hadji Doudou Diop Moussé), le père de Pape Ibrahima Diagne (El Hadji Bassirou Diagne) et ma propre mamam (Adja Fatou Binetou Diagne) ont la même mère : Adja Marième Diop Makhtar, qui est notre grand-mère à tous les trois ! C’est le même sang qui coule dans nos veines. Par pur hasard, je suis tombé l’autre jour sur une conversation entre deux de vos confrères, à la fin de la cérémonie traditionnelle d’intronisation, à Diécko. L’un plaisantait avec son collègue, en disant : "Ces querelles de Lébous, nous de la Presse avons intérêt à y aller mollo. Car, le jour qu’ils décideront de se retrouver autour de leur traditionnel bol de "tiébou dieun" (riz au poisson) ils ne demanderont l’aval de personne. Ils sont tous parents" ! Il a parfaitement raison, les Lébous se retrouvent souvent entre-eux, après la tempête de leurs querelles intestines! J’en ai personnellement vécu des séquences émouvantes, dans les rapports secrets qu’entretenaient le trio des défunts "Serigne Ndakaaru" El Hadji Ibrahima Diop, Massamba Coki Diop et El Hadji Bassirou Diagne, avec la complicité active du chef religieux Layène Chérif Ousseynou Laye, qui en assura plusieurs facilitations.
Pouvez-vous être plus explicite ?
J’en fournis quelques confidences dans l’ouvrage biographique que je suis en train d’écrire sur la vie de mon défunt oncle El Hadji Bassirou Diagne. Je l’avais déjà entamé de son vivant. Mais en raison de l’enchaînement des événements que vous savez, le temps m’a un peu fait défaut. Je souhaite saisir l’occasion de la naissance de la « Fondation El Hadji Bassirou Diagne Marème Diop » pour procéder à la cérémonie de dédicace. C’est d’ailleurs l’occasion de féliciter notre oncle El Hadji Moustapha Diagne (ndlr : dit "Yves", frère cadet d’El Hadji Bassirou Diagne) d’avoir lancé l’idée de cette fondation que nous comptons porter sur les fonts baptismaux vers le mois de décembre, si tout va bien, pour que la mémoire de ce grand patriote, qui a beaucoup fait pour ce pays, se perpétue à jamais.
Quelles étaient vos relations avec le Grand Serigne El Hadji Bassirou Diagne ?
Comme chez nos cousins Sérères, les Lébous sont très attachés à la filiation matrilinéaire. C’est ce qui explique peut-être qu’un neveu soit souvent plus proche de son oncle que le propre fils de ce dernier. C’est parfois pesant, mais on n’y peut rien, c’est la Tradition. Mais c’est surtout une question de confiance. Les Anciens, quand ils vous font confiance, et que vous faites l’effort de la mériter, vous apprenez beaucoup d’eux. Quand la maladie a commencé à le visiter, j’ai soumis à son appréciation, pour validation, un listing des sujets que je compte aborder dans l’ouvrage en question. Il les a validés, excepté deux, qu’il a tout bonnement censurés !
Pourquoi ?
N’est-ce pas vous les journalistes qui l’affublaient généreusement du surnom de « Médiateur social » ? C’est vrai qu’il était le défenseur des faibles, des opprimés, l’avocat de la veuve et de l’orphelin. Il se dévouait à toutes les bonnes causes. Dans sa jeunesse, fervent militant du Bds (Bloc démocratique sénégalais, fondé par Senghor, en 1948), il a participé à de nombreux combats politiques qui ont fini par lui forger une âme de mécène. Aucun aspect de la vie nationale ne le laissait indifférent. Il était prompt à offrir ses bons offices partout pour contribuer à apaiser les conflits sociaux. Le secret de la réussite de ses multiples médiations, en sus de ses talents de fin diplomate, reposait surtout dans le fait qu’il s’interdisait – tout en me l’interdisant à moi aussi, qui lui gérais sa communication – de rendre publics les pourparlers, tant que tous les clignotants n’étaient pas au vert, entre les protagonistes. En fait, il veillait d’abord à obtenir des garanties fermes des parties en conflit avant de faire la moindre communication à la Presse. L’inverse étant la meilleure garantie d’échec, comme c’est malheureusement le sort de ces médiations mortes-nées, conduites dans la précipitation, et dont on ne retient que l’aspect show médiatique ! Sur les 426 correspondances que j’ai eu à lui rédiger, durant les 17 ans qu’il m’est revenu l’honneur de gérer sa communication, la presque totalité de ses missives était constituée d’intercessions bienveillantes auprès d’autorités administratives, au profit de gens soit victimes d’injustice, ou pour le compte d’individualités en situation sensible. Bien qu’il fut notoirement connu comme chef coutumier lébou, il n’en volait pas moins au secours du Sarakolé, du Manding, du Sérère, du Toucouleur ou du Cap-verdien dans le besoin. Sans compter les multiples bisbilles, crypto personnelles, entre politiques, qu’il aura résolus dans des "guissé" (tractations) qui s’éternisaient parfois jusqu’à trois heures ou quatre heure du matin. Le tout dans la sutura la plus absolue (discrétion) et le désintéressement le plus total. D’où les passages du manuscrit de mon ouvrage sur sa biographie qu’il a lui-même personnellement censurés.
Mais vous n’avez toujours pas expliqué comment vous vous êtes retrouvé du coté de l’autre Grand Serigne Pape Ibrahima Diagne ?
J’y viens. Au lendemain du double rappel à Dieu de mon oncle maternel, El Hadji Bassirou Diagne Marème Diop et de Massamba Coki Diop, j’avais lancé un appel, largement reprise d’ailleurs par la Presse, à toutes les composantes de la Collectivité Léboue, sur la nécessité vitale de la réunification. De nombreux dignitaires et notables s’en étaient positivement fait l’écho dans leurs différents discours, lors des funérailles. Il a été finalement suggéré de saisir l’opportunité de cette situation inédite, qu’était la disparition quasi-simultanée de ces deux icônes de la Collectivité Léboue (que Dieu ait pitié de leurs âmes), pour réunifier la famille et nous acheminer résolument vers l’élection d’un seul et unique Grand Serigne de Dakar. Mais le Comité des Sages, qui a été mandaté à cet effet, par le Collectif des Grands Dignitaires élargis au Notables, auprès des ténors de l’autre camp, a finalement prêché dans le désert. Le constat amer a été que nos amis d’en face n’avaient pas varié d’un iota dans leurs positions classiques, consistant à s’arquebouter sur leur fameuse thèse exclusiviste considérant les "Diop" comme seuls prétendants légitimes au titre de Grand Serigne de Dakar. Il n’en fallut pas plus pour que les démons de la division reprennent le dessus ! On ne peut pas être plus royaliste que le roi. Il ne faut pas se faire d’illusion, pour faire la paix il faut au moins être deux !
Il n’y a rien de plus paradoxale que de se réclamer fièrement d’une "République léboue", et de vouloir en même temps confiner celle-ci dans la prétendue préséance d’un patronyme, simplement, parce que le premier "Serigne Ndakaaru" était un "Diop" ! Et si les descendants de Léopold Sedar Senghor se levaient un beau jour pour dire que désormais quiconque voudrait briguer la magistrature suprême du Sénégal, devait forcément avoir comme nom de famille "Senghor", sous prétexte que c’était le patronyme du premier président du Sénégal indépendant, ça nous mènerait où ? C’est une thèse à la limite dangereuse pour la stabilité de la Collectivité Léboue. Il n’y a rien de plus périlleux que de vouloir transposer la mentalité seigneuriale des anciens notables lébous et le contexte sociologique dans lequel ils évoluaient au 18e siècle, à celui du 21e, une époque moderne, marquée par la libération des énergies créatrices, la lutte contre les inégalité sociales, le dépassement des castes et des préjugés sociaux. La transmission héréditaire du pouvoir est révolue.
Pourtant les tenants de cette thèse disent qu’il en a toujours été ainsi…
C’est écrit où ? Qu’ils le disent et en apportent les preuves ! Les Lébous ont signé beaucoup de protocoles avec la puissance coloniale, conclu pas mal de pactes et d’accords avec les différents Damels du Cayor, mais où ont-ils consigné que, pour diriger la Collectivité, il fallait impérativement être un "Diop" ? Nulle part ! La fonction de Grand Serigne de Dakar ne s’hérite pas d’un géniteur, d’un quelconque ancêtre, encore moins d’un patronyme. C’est une malheureuse mystification de l’histoire qui a dû faire prospérer une telle thèse. Et si on n’y prend garde, le risque est grand de laisser sous-entendre que les Lébous qui ne sont pas des "Diop" sont des Lébous au rabais, dans la mesure où une prétendue dynastie de notre collectivité leur dénie le droit de briguer la fonction de Grand Serigne de Dakar ! Ça rappelle de triste mémoire ce Sénégal d’avant indépendance, dont les habitants des localités autres que celles des quatre communes (Dakar, Gorée, Rufisque, Saint-Louis) n’avaient pas le droit de vote, parce que considérés par l’Administration coloniale française, non pas comme des "citoyens" à part entière, mais comme de simples "sujets" ! Les Lébous sont socialement assez évolués pour ne pas prêter main-forte à de tels travers ethnicistes. Sinon, ils n’auraient pas choisi le fils d’un Cayorien pur jus - même si sa mère, Kheury Mbengue, est Léboue - pour en faire leur premier Grand Serigne. Je veux parler de Dial Diop, intronisé en 1795. Les Lébous ont toujours confié à qui ils veulent la charge de "Serigne Ndakaaru", dès lors que son profil et son cursus les agréent. La preuve, lorsque le Grand Serigne Matar Diop, fils et premier successeur de Dial Diop, a été destitué en 1831, en plein mandat, il s’est fait remplacer par Elimane Diol, d’ascendance toucouleur ! Sur toute la lignée, on ne compte pas moins de cinq (5) autorités coutumières à avoir dignement occupé la fonction de "Serigne Ndakaaru", sans être forcément des "Diop". Il y a eu un Sylla, deux Diol et deux Diagne. Le cas de Alpha Diol est le plus sidérant. Il a régné de 1896 à 1942, soit 46 ans, sur tous les Lébous de la Presqu’ile du Cap-Vert, de Dakar à Diender, tout en étant d’ascendance paternelle toucouleur ! Bref, comme le disent si pertinemment les anciens Lébous : "Ap Serigne Ndakaaru ndinkaané-la" (c’est une charge que l’on vous confie simplement). Elle n’est donc l’apanage d’aucune coterie, d’aucun lignage. C’est le lieu de saluer la vision du fondateur de la confrérie Layène, le vénéré Seydina Limamou Laye. Il a su prévenir très tôt toutes formes de stigmatisations sociales basées sur le patronyme, en reléguant en arrière-plan tous les noms de familles des disciples de sa confrérie, au profit de l’unique patronyme béni, "Laye", que s’échangent mutuellement, dans la bonne humeur, nos coreligionnaires Layènes lors de leurs salutations d’usage. J’ai vécu dix ans dans le village traditionnel de Yoff-Layène sans jamais connaître le véritable nom de famille de mes voisins immédiats que je côtoie quotidiennement. Chez les Layènes, on ne se risque jamais, lors des salamalecs d’usage, à la question-réflexe du genre : "Sant-wi ?" (C’est quoi votre nom de famille, s’il vous plaît ?). Les labels socio-culturels sont simplement démystifiés chez les vaillants disciples de Seydina Limamou Laye.
Est-ce que l’autre camp était réellement bien informé de votre volonté d’œuvrer à la réunification, pour déboucher sur l’élection d’un seul Grand Serigne?
Absolument ! Les proches de Abdoulaye Diop Makhtar (Momar Diop, Dial Diop, Doudou Diop), qui sont ses oncles, frères et cousins peuvent largement en témoigner. Alors que rien n’était encore joué, ils ont eu la gentillesse de me rendre, à domicile, une visite de courtoisie non sans m’exprimer leur souhait de voir Abdoulaye Diop Makhtar porté à la tête de la Collectivité Léboue. A leur grande surprise, je leur ai répondu, les yeux dans les yeux, qu’ils enfonçaient une porte déjà ouverte. Et que si notre grand frère Abdoulaye Makhtar acceptait de venir postuler ici, pour assurer la continuité de l’œuvre du défunt Grand Serigne de Dakar El Hadji Bassirou Diagne, par ailleurs frère cadet de son père, non seulement Pape Ibrahima Diagne, fils aîné du défunt, retirerait sa candidature, mais que personnellement je m’engageais à lui gérer gracieusement sa communication. Et lors d’une autre réunion, tenue cette fois-ci chez Pape Diagne, ce dernier leur confirma son engagement solennel à se retirer de la compétition et, mieux, à faciliter au candidat Abdoulaye Diop ses visites de proximité dans les "Penc", en se faisant volontiers son directeur de campagne. Nos interlocuteurs n’en revenaient visiblement pas de nous entendre faire une offre aussi séduisante. Et pourtant, Dieu sait que c’était sincère en nous. Mais quand ils sont revenus le lendemain pour nous rendre compte de la réaction de l’autre camp, rien qu’à voir la mine qu’ils affichaient on sentait nettement qu’ils avaient, en dépit de leur bonne volonté, essuyé un revers. Mais, que voulez-vous, on ne peut pas passer son temps à mendier une réconciliation! Les Lébous sont tous mus par le même orgueil, la même fibre protestataire. Tout Lébou bon teint sait que la meilleure manière de pousser un Lébou à se radicaliser c’est de le snober. Les Lébous ont horreur de cela. Ils sont ainsi faits. Sur ce registre, ils sont particulièrement teigneux. Le Lébou est entier dans tout ce qu’il fait. Il ne connaît pas la demi-mesure.
Quelle fut la conséquence de cette fin de non-recevoir que Abdoulaye Diop Makhtar a réservé à votre main tendue?
La conséquence a été qu’une bonne frange de notre grande famille s’est sentie écornée dans sa dignité, quand la nouvelle du refus de Abdoulaye Makhtar s’est répandue. Sa posture a été perçue comme un défi voire une volonté de réduire à néant le legs coutumier d’El Hadji Bassirou Diagne. D’autres parents avaient même interprété cela comme un ultime coup de grâce visant à radier, historiquement, El Hadji Bassirou Diagne de la lignée du "Serignat". C’est-à-dire à l’enterrer une seconde fois alors qu’il est loin de mériter ce sort injuste après avoir élevé, durant les 27 ans de son magistère, cette fonction coutumière à un niveau de dignité et de respectabilité jamais égalé. Bref, ce fut donc bien malgré lui que Pape Ibrahima Diagne se résolu finalement à confirmer sa candidature. Naturellement, j’ai partagé cette honorable position de principe, pour ensuite librement m’engager à relever avec lui le défi. La suite vous la connaissez !
Deux Grand Serigne pour Dakar, n’est-ce pas là un beau désordre pour une communauté léboue exposée aux valeurs contemporaines?
C’est loin d’être un drame pour un Grand Serigne de Dakar d’être contesté. Cela fait même partie du décor de notre communauté ! Sans reculer loin dans l’histoire, il est loisible à quiconque de constater que depuis l’indépendance du Sénégal, il n’y a presque jamais eu d’élection d’un "Serigne Ndakaaru" qui n’ait souffert d’une fronde. Je n’en connais aucune d’exception. Après le décès, en 1969, du Grand Serigne de Dakar El Hadji Ibrahima Diop, quand Momar Marème Diop a été intronisé, son rival, Doudou Diop Moussé, s’en était allé animer une dissidence, en se réclamant lui-aussi Grand Serigne de Dakar. Idem lorsque le poste est redevenu vacant après le décès, en 1985, de Momar Marème. Bassirou Diagne Marème Diop, qui avait été plébiscité, n’en fut pas moins successivement contesté par Mame Youssou Diop, Libasse Diop, Ibrahima Diop et Massamba Coki Diop. Le record de la dissidence aura été battu en 1933, lorsque la Collectivité Léboue s’était retrouvée avec trois Grand Serigne de Dakar : Alpha Diol, El Hadji Moussé Diop et le neveu de celui-ci, Ibrahima Diop ! Il n’y a jamais eu d’unanimité parfaite autour de l’élection d’un Grand Serigne de Dakar. Mais, en positivant cela, on peut dire que c’est la preuve éloquente de la vitalité démocratique de cette communauté traditionnelle multiséculaire, où le "Serigne Ndakaaru" est loin d’être le régent omnipotent, autoritaire que l’on imagine. Il peut être critiqué, contesté et même destitué en plein mandat, comme nous l’avons vu tout à l’heure dans le cas du propre fils et premier successeur de Dial, le Grand Serigne Matar Diop. Traduit devant la juridiction des "Ndiambour" pour "faute lourde", (son fils avait été accusé d’avoir compromis le pacte de non-agression conclu entre la Presqu’île du Cap-Vert et le Cayor, en assassinant le principal griot du Damel du Cayor Biram Fatim Thioub), il a été jugé puis destitué par cette assemblée souveraine, en 1831.
Personnellement qu’est ce qui oppose Mame Mactar Guèye à Abdoulaye Makhtar Diop, malgré le sang qui vous lie?
Absolument rien du tout ! Une situation nous a été imposée à tous par le Destin, à travers la disparition quasi-simultanée de deux grandes figures de la Collectivité, qu’étaient Massamba Coki et Bassirou Diagne. Aux cotés d’autres bonnes volonté, nous avons fait des pieds et des mains pour que cette situation inédite puisse être exploitée pour permettre un nouveau départ devant réunifier la grande famille Léboue et d’élire un seul porte-étendard, parlant et agissant au nom de tous les Lébous. Mais, que voulez-vous, nous n’avons que notre "yééné" (volonté de bien faire). "L’Homme propose, et Dieu qui dispose". Mais ce n’est pas la fin du monde ! La parenté qui nous lie est plus forte que toute autres considérations. Je continuerais de me faire le devoir de lui réserver tous les égards dus à sa position d’aîné, comme nous l’enseigne un vieil adage lébou : "Rakeu toppeu mak, doom toppeu baye" (Que le cadet concède à l’aîné sa position, et qu’ensemble ils suivent leur père).
Il vous a pourtant traité de tous les noms d’oiseau, récemment, à l’émission « Sortie », sur Walf-Tv…
(Il coupe) Ce n’est pas grave ! Il reste l’aîné de tous les petits-fils de Adja Marème Diop Makhtar, notre grand’mère à tous. C’est donc son droit le plus absolu de rabrouer son cadet. Je le pardonne.
Vous êtes le Secrétaire général du Rassemblement démocratique sénégalais (Rds), que vous inspire le débat sur la question du mandat du président de l’Assemblée nationale ?
J’ai entendu pas mal de députés, membres du parti du chef de l’Etat, donner des appréciations positives sur le management du Président de l’Assemblée nationale. Ils ont souligné la rigueur et l’impartialité avec lesquelles il conduit les travaux de l’Hémicycle, tant en plénière que lors des réunions du bureau. Par conséquent, rien ne devrait s’opposer à ce que ses collègues députés le reconduise, au terme de son mandat, en juillet. C’est une question de confiance et je n’ai pas encore entendu de notes discordantes quant à la possibilité de lui renouveler son mandat. La durée de celui-ci importe peu. A mon avis, c’est la pérennisation du pacte de confiance qui est sensé le lier à ses collègues députés, toutes obédiences confondues, qui est primordiale.
Un mot sur votre avenir politique, peut-on s’attendre à voir le secrétaire général du Rds aux côtés de Macky Sall, si ce dernier le sollicitait ?
Mon éducation et mes références religieuses m’ont habitué à ne jamais placer mon destin entre des mains mortelles. Mais uniquement entre celles de Dieu, Unique Pourvoyeur de Savoir et de Pouvoir, Maître de toutes les destinées.
Entretien réalisé par la rédaction de Leral
D’abord, nous pouvons constater, pour nous en réjouir, que ceux qui mettaient en doute le bien fondé des signaux d’alerte que Jamra n’a eu de cesse de lancer, relativement aux manœuvres souterraines de lobbies, persistant dans leur volonté de faire dépénaliser les unions contre-nature au Sénégal, ont beaucoup mis de d’eau dans leur "bissap", suite à la tournure prise par les derniers événements. Il faut être naïf pour croire que la question posée par la presse américaine au Président Macky Sall, sur l’éventualité de la dépénalisation de l’homosexualité au Sénégal, est fortuite. Les Américains, champion du renseignement politique, économique, technologique et militaire, savaient très bien que le Président Macky Sall avait déjà nettement tranché la question, lors d’un récent Conseil des ministres (ndlr : celui du jeudi 11 avril 2013). Il était plutôt question, pour l’Administration Obama, de saisir l’opportunité de la visite officielle du plus puissant chef d’Etat du monde, détenteur de surcroît des cordons de la bourse mondiale, pour procéder à une ultime « évaluation » de la position du Sénégal, classé parmi les pays récalcitrants, qui font encore de la résistance, en refusant de rejoindre le "Club des 66" (ndlr : du nom des Etats signataires de l’avant-projet, destiné aux Nations-Unies, pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité). Mais voilà que, contre toutes attentes, Macky Sall réitère courageusement la position que le Sénégal a toujours souverainement déclamée, à savoir que nos valeurs culturelles de base ne s’accommodent pas d’une légalisation des unions contre-nature.
Pourtant certains pensent que Macky Sall n'a pas été clair dans ses déclarations. Vous partagez cet avis?
Certains lui ont effectivement reproché d’avoir émis un propos nuancé. Il n’en demeure pas moins que c’est toujours une position de refus, officiellement dégagée par la voix la plus autorisée du pays. La formulation importe peu. Ce qui compte c’est qu’il a opposé, poliment certes, une fin de non-recevoir à la requête américaine. C’est une question de style et de tempérament. Là où le bouillant Président zimbabwéen Robert Mugabé a répliqué de la manière que l’on sait au Premier ministre David Cameron (ndlr : qui avait publiquement agité la même question, lors du dernier Sommet du Commonwealth, de février 2012) en lui disant : "Allez en Enfer !", le Président Macky Sall a préféré opposer un refus poli, mais tout de même public et officiel. La finalité est la même. Aussitôt, l’Organisation islamique Jamra et l’ensemble des structures de l’Observatoire de Veille et de Défense des Valeurs Culturelles et Religieuses, "Mbañ Gacce", ont publié une déclaration pour inviter nos compatriotes à mettre temporairement, entre-parenthèses nos querelles politiciennes, pour faire bloc autour de cette posture héroïque du chef de l’Etat. Les enjeux sont tellement importants que Macky Sall ne doit pas se sentir seul dans cette affaire. Toutes considérations politiques mises à part, il est vital que le chef de l’Etat se sente soutenu par l’écrasante majorité des croyants, aussi bien chrétiens que musulmans, dont les religions révélées rejettent catégorique ces unions dégradantes. Car, il est maintenant avéré que les lobbies homosexuels n’agissent plus seuls. Les puissances occidentales se font volontiers leurs porte-paroles, allant même jusqu’à conditionner les fameuses aides au développement à la reconnaissance des droits des homosexuels, des lesbiennes, et des transsexuels. C’est écrit noir sur blanc dans le site officiel de la Maison Blanche. Et c’est une voix aussi autorisée que celle de Samantha Power, la conseillère spéciale du Président Obama, qui y fait l’apologie de cette nouvelle option de la politique étrangère des États-Unis, envers surtout les pays en développement.
Pensez-vous maintenant que le débat sur l'homosexualité est clos ?
Les lobbies ne s’avouent jamais facilement vaincus ! Face à la récurrence de leurs manœuvres tous azimuts, le Président Macky Sall, après sa sortie de l’autre jour, relayée par toutes les chaînes de télé occidentales, a plus que jamais besoin – au moins sur cette question cruciale - de sentir l’adhésion du peuple. Sinon il restera toujours fragile. Le Président François Bozizé de la Centrafrique en sait quelque chose, lui qui s’était frappé la poitrine en disant qu’il ne dépénaliserait jamais ! Le résultat tout le monde le connaît : la Centrafrique – à la suite du Gabon et de l’ile Maurice - est récemment tombée dans l’escarcelle des lobbies. L’homosexualité y est légalisée. Il faut donc se garder de crier trop vite "victoire" !
L’Observatoire de Veille et de Défense des Valeurs Culturelles et Religieuses, dit "Mban Gacce" (refus de l’opprobre, en wolof) a été porté sur les fonts baptismaux, le 25 mai dernier au Cices, par Jamra et une trentaines d’organisations sociales, avez-vous déjà rencontré les autorités ?
Nous avions donné la primeur de nos premières visites aux autorités religieuses. N’oubliez pas que l’idée est venue de l’une d’elles, qui en avait fait la proposition au président exécutif de Jamra, Imam Massamba Diop lors de notre tournée nationale de sensibilisation et d’alerte. Ce, après que votre confrère, Jacques Ngor Sarr, eut soulevé un gros lièvre, dans la livraison du journal "Le Populaire" du jeudi 28 mars 2013, relativement à des manœuvres souterraines, sous-couvert d’un séminaire, tenu dans un hôtel de la place, aux fins de concocter un avant-projet de texte, destiné à la représentation nationale, pour ouvrir la porte à la dépénalisation des unions contre-nature. Mais le tollé que ce conclave a suscité fut à la mesure du secret qui l’avait entouré. Fortement relayé par Jamra, cette levée de bouclier a fini par faire capoter (sans de jeu de mots !) ce projet. Je crois même pouvoir dire que cette énième manœuvre déguisée des lobbies a eu un effet d’accélération, dans l’installation de l’Observatoire de Veille "Mban Gacce". L’idée étant que désormais, chaque fois que nos valeurs culturelles ou religieuses sont agressées, que ce ne soit plus seulement JAMRA qui aille au front. Mais tout un collectif, regroupant des dizaines de mouvements sociaux, alliant aussi bien des religieux que des personnalités indépendantes, en passant par des organisations socio-éducatives, des acteurs culturels, etc., Bref un large front social, une force de frappe éminemment dissuasive, représentative de tous les segments sociaux qui rejettent toutes formes d’aliénation culturelle, de perversion de la jeunesse, cible favorite des trafiquants de drogue, et de dégradation des mœurs d’une manière générale. Afin surtout de se dresser systématiquement contre toute velléité de projet dépénalisation des unions contre-natures, rejetées aussi bien par l’Islam que le Christianisme. Il est prévu qu’au terme de notre tournée nationale d’implantation des antennes régionales de l’Observatoire "Mbañ Gacce" de rencontrer certaines autorités publiques, comme le Président de l’Assemblée nationale, du Conseil économique social et environnementale et le chef de l’Exécutif.
Tout autre chose à présent. Une partie de la communauté léboue vient d’installer son nouveau Grand Serigne de Dakar, en la personne de Pape Ibrahima Diagne, dont vous êtes très proche. Pourquoi vous avez choisi Pape Ibrahima Diagne et non Abdoulaye Makhtar Diop?
Je ne répéterai jamais assez que je n’ai pas choisi. Il serait plus conforme à la vérité de dire que j’ai été choisi. Le même degré de parenté me lie à ces deux personnes. Le père de Abdoulaye Diop Makhtar (El Hadji Doudou Diop Moussé), le père de Pape Ibrahima Diagne (El Hadji Bassirou Diagne) et ma propre mamam (Adja Fatou Binetou Diagne) ont la même mère : Adja Marième Diop Makhtar, qui est notre grand-mère à tous les trois ! C’est le même sang qui coule dans nos veines. Par pur hasard, je suis tombé l’autre jour sur une conversation entre deux de vos confrères, à la fin de la cérémonie traditionnelle d’intronisation, à Diécko. L’un plaisantait avec son collègue, en disant : "Ces querelles de Lébous, nous de la Presse avons intérêt à y aller mollo. Car, le jour qu’ils décideront de se retrouver autour de leur traditionnel bol de "tiébou dieun" (riz au poisson) ils ne demanderont l’aval de personne. Ils sont tous parents" ! Il a parfaitement raison, les Lébous se retrouvent souvent entre-eux, après la tempête de leurs querelles intestines! J’en ai personnellement vécu des séquences émouvantes, dans les rapports secrets qu’entretenaient le trio des défunts "Serigne Ndakaaru" El Hadji Ibrahima Diop, Massamba Coki Diop et El Hadji Bassirou Diagne, avec la complicité active du chef religieux Layène Chérif Ousseynou Laye, qui en assura plusieurs facilitations.
Pouvez-vous être plus explicite ?
J’en fournis quelques confidences dans l’ouvrage biographique que je suis en train d’écrire sur la vie de mon défunt oncle El Hadji Bassirou Diagne. Je l’avais déjà entamé de son vivant. Mais en raison de l’enchaînement des événements que vous savez, le temps m’a un peu fait défaut. Je souhaite saisir l’occasion de la naissance de la « Fondation El Hadji Bassirou Diagne Marème Diop » pour procéder à la cérémonie de dédicace. C’est d’ailleurs l’occasion de féliciter notre oncle El Hadji Moustapha Diagne (ndlr : dit "Yves", frère cadet d’El Hadji Bassirou Diagne) d’avoir lancé l’idée de cette fondation que nous comptons porter sur les fonts baptismaux vers le mois de décembre, si tout va bien, pour que la mémoire de ce grand patriote, qui a beaucoup fait pour ce pays, se perpétue à jamais.
Quelles étaient vos relations avec le Grand Serigne El Hadji Bassirou Diagne ?
Comme chez nos cousins Sérères, les Lébous sont très attachés à la filiation matrilinéaire. C’est ce qui explique peut-être qu’un neveu soit souvent plus proche de son oncle que le propre fils de ce dernier. C’est parfois pesant, mais on n’y peut rien, c’est la Tradition. Mais c’est surtout une question de confiance. Les Anciens, quand ils vous font confiance, et que vous faites l’effort de la mériter, vous apprenez beaucoup d’eux. Quand la maladie a commencé à le visiter, j’ai soumis à son appréciation, pour validation, un listing des sujets que je compte aborder dans l’ouvrage en question. Il les a validés, excepté deux, qu’il a tout bonnement censurés !
Pourquoi ?
N’est-ce pas vous les journalistes qui l’affublaient généreusement du surnom de « Médiateur social » ? C’est vrai qu’il était le défenseur des faibles, des opprimés, l’avocat de la veuve et de l’orphelin. Il se dévouait à toutes les bonnes causes. Dans sa jeunesse, fervent militant du Bds (Bloc démocratique sénégalais, fondé par Senghor, en 1948), il a participé à de nombreux combats politiques qui ont fini par lui forger une âme de mécène. Aucun aspect de la vie nationale ne le laissait indifférent. Il était prompt à offrir ses bons offices partout pour contribuer à apaiser les conflits sociaux. Le secret de la réussite de ses multiples médiations, en sus de ses talents de fin diplomate, reposait surtout dans le fait qu’il s’interdisait – tout en me l’interdisant à moi aussi, qui lui gérais sa communication – de rendre publics les pourparlers, tant que tous les clignotants n’étaient pas au vert, entre les protagonistes. En fait, il veillait d’abord à obtenir des garanties fermes des parties en conflit avant de faire la moindre communication à la Presse. L’inverse étant la meilleure garantie d’échec, comme c’est malheureusement le sort de ces médiations mortes-nées, conduites dans la précipitation, et dont on ne retient que l’aspect show médiatique ! Sur les 426 correspondances que j’ai eu à lui rédiger, durant les 17 ans qu’il m’est revenu l’honneur de gérer sa communication, la presque totalité de ses missives était constituée d’intercessions bienveillantes auprès d’autorités administratives, au profit de gens soit victimes d’injustice, ou pour le compte d’individualités en situation sensible. Bien qu’il fut notoirement connu comme chef coutumier lébou, il n’en volait pas moins au secours du Sarakolé, du Manding, du Sérère, du Toucouleur ou du Cap-verdien dans le besoin. Sans compter les multiples bisbilles, crypto personnelles, entre politiques, qu’il aura résolus dans des "guissé" (tractations) qui s’éternisaient parfois jusqu’à trois heures ou quatre heure du matin. Le tout dans la sutura la plus absolue (discrétion) et le désintéressement le plus total. D’où les passages du manuscrit de mon ouvrage sur sa biographie qu’il a lui-même personnellement censurés.
Mais vous n’avez toujours pas expliqué comment vous vous êtes retrouvé du coté de l’autre Grand Serigne Pape Ibrahima Diagne ?
J’y viens. Au lendemain du double rappel à Dieu de mon oncle maternel, El Hadji Bassirou Diagne Marème Diop et de Massamba Coki Diop, j’avais lancé un appel, largement reprise d’ailleurs par la Presse, à toutes les composantes de la Collectivité Léboue, sur la nécessité vitale de la réunification. De nombreux dignitaires et notables s’en étaient positivement fait l’écho dans leurs différents discours, lors des funérailles. Il a été finalement suggéré de saisir l’opportunité de cette situation inédite, qu’était la disparition quasi-simultanée de ces deux icônes de la Collectivité Léboue (que Dieu ait pitié de leurs âmes), pour réunifier la famille et nous acheminer résolument vers l’élection d’un seul et unique Grand Serigne de Dakar. Mais le Comité des Sages, qui a été mandaté à cet effet, par le Collectif des Grands Dignitaires élargis au Notables, auprès des ténors de l’autre camp, a finalement prêché dans le désert. Le constat amer a été que nos amis d’en face n’avaient pas varié d’un iota dans leurs positions classiques, consistant à s’arquebouter sur leur fameuse thèse exclusiviste considérant les "Diop" comme seuls prétendants légitimes au titre de Grand Serigne de Dakar. Il n’en fallut pas plus pour que les démons de la division reprennent le dessus ! On ne peut pas être plus royaliste que le roi. Il ne faut pas se faire d’illusion, pour faire la paix il faut au moins être deux !
Il n’y a rien de plus paradoxale que de se réclamer fièrement d’une "République léboue", et de vouloir en même temps confiner celle-ci dans la prétendue préséance d’un patronyme, simplement, parce que le premier "Serigne Ndakaaru" était un "Diop" ! Et si les descendants de Léopold Sedar Senghor se levaient un beau jour pour dire que désormais quiconque voudrait briguer la magistrature suprême du Sénégal, devait forcément avoir comme nom de famille "Senghor", sous prétexte que c’était le patronyme du premier président du Sénégal indépendant, ça nous mènerait où ? C’est une thèse à la limite dangereuse pour la stabilité de la Collectivité Léboue. Il n’y a rien de plus périlleux que de vouloir transposer la mentalité seigneuriale des anciens notables lébous et le contexte sociologique dans lequel ils évoluaient au 18e siècle, à celui du 21e, une époque moderne, marquée par la libération des énergies créatrices, la lutte contre les inégalité sociales, le dépassement des castes et des préjugés sociaux. La transmission héréditaire du pouvoir est révolue.
Pourtant les tenants de cette thèse disent qu’il en a toujours été ainsi…
C’est écrit où ? Qu’ils le disent et en apportent les preuves ! Les Lébous ont signé beaucoup de protocoles avec la puissance coloniale, conclu pas mal de pactes et d’accords avec les différents Damels du Cayor, mais où ont-ils consigné que, pour diriger la Collectivité, il fallait impérativement être un "Diop" ? Nulle part ! La fonction de Grand Serigne de Dakar ne s’hérite pas d’un géniteur, d’un quelconque ancêtre, encore moins d’un patronyme. C’est une malheureuse mystification de l’histoire qui a dû faire prospérer une telle thèse. Et si on n’y prend garde, le risque est grand de laisser sous-entendre que les Lébous qui ne sont pas des "Diop" sont des Lébous au rabais, dans la mesure où une prétendue dynastie de notre collectivité leur dénie le droit de briguer la fonction de Grand Serigne de Dakar ! Ça rappelle de triste mémoire ce Sénégal d’avant indépendance, dont les habitants des localités autres que celles des quatre communes (Dakar, Gorée, Rufisque, Saint-Louis) n’avaient pas le droit de vote, parce que considérés par l’Administration coloniale française, non pas comme des "citoyens" à part entière, mais comme de simples "sujets" ! Les Lébous sont socialement assez évolués pour ne pas prêter main-forte à de tels travers ethnicistes. Sinon, ils n’auraient pas choisi le fils d’un Cayorien pur jus - même si sa mère, Kheury Mbengue, est Léboue - pour en faire leur premier Grand Serigne. Je veux parler de Dial Diop, intronisé en 1795. Les Lébous ont toujours confié à qui ils veulent la charge de "Serigne Ndakaaru", dès lors que son profil et son cursus les agréent. La preuve, lorsque le Grand Serigne Matar Diop, fils et premier successeur de Dial Diop, a été destitué en 1831, en plein mandat, il s’est fait remplacer par Elimane Diol, d’ascendance toucouleur ! Sur toute la lignée, on ne compte pas moins de cinq (5) autorités coutumières à avoir dignement occupé la fonction de "Serigne Ndakaaru", sans être forcément des "Diop". Il y a eu un Sylla, deux Diol et deux Diagne. Le cas de Alpha Diol est le plus sidérant. Il a régné de 1896 à 1942, soit 46 ans, sur tous les Lébous de la Presqu’ile du Cap-Vert, de Dakar à Diender, tout en étant d’ascendance paternelle toucouleur ! Bref, comme le disent si pertinemment les anciens Lébous : "Ap Serigne Ndakaaru ndinkaané-la" (c’est une charge que l’on vous confie simplement). Elle n’est donc l’apanage d’aucune coterie, d’aucun lignage. C’est le lieu de saluer la vision du fondateur de la confrérie Layène, le vénéré Seydina Limamou Laye. Il a su prévenir très tôt toutes formes de stigmatisations sociales basées sur le patronyme, en reléguant en arrière-plan tous les noms de familles des disciples de sa confrérie, au profit de l’unique patronyme béni, "Laye", que s’échangent mutuellement, dans la bonne humeur, nos coreligionnaires Layènes lors de leurs salutations d’usage. J’ai vécu dix ans dans le village traditionnel de Yoff-Layène sans jamais connaître le véritable nom de famille de mes voisins immédiats que je côtoie quotidiennement. Chez les Layènes, on ne se risque jamais, lors des salamalecs d’usage, à la question-réflexe du genre : "Sant-wi ?" (C’est quoi votre nom de famille, s’il vous plaît ?). Les labels socio-culturels sont simplement démystifiés chez les vaillants disciples de Seydina Limamou Laye.
Est-ce que l’autre camp était réellement bien informé de votre volonté d’œuvrer à la réunification, pour déboucher sur l’élection d’un seul Grand Serigne?
Absolument ! Les proches de Abdoulaye Diop Makhtar (Momar Diop, Dial Diop, Doudou Diop), qui sont ses oncles, frères et cousins peuvent largement en témoigner. Alors que rien n’était encore joué, ils ont eu la gentillesse de me rendre, à domicile, une visite de courtoisie non sans m’exprimer leur souhait de voir Abdoulaye Diop Makhtar porté à la tête de la Collectivité Léboue. A leur grande surprise, je leur ai répondu, les yeux dans les yeux, qu’ils enfonçaient une porte déjà ouverte. Et que si notre grand frère Abdoulaye Makhtar acceptait de venir postuler ici, pour assurer la continuité de l’œuvre du défunt Grand Serigne de Dakar El Hadji Bassirou Diagne, par ailleurs frère cadet de son père, non seulement Pape Ibrahima Diagne, fils aîné du défunt, retirerait sa candidature, mais que personnellement je m’engageais à lui gérer gracieusement sa communication. Et lors d’une autre réunion, tenue cette fois-ci chez Pape Diagne, ce dernier leur confirma son engagement solennel à se retirer de la compétition et, mieux, à faciliter au candidat Abdoulaye Diop ses visites de proximité dans les "Penc", en se faisant volontiers son directeur de campagne. Nos interlocuteurs n’en revenaient visiblement pas de nous entendre faire une offre aussi séduisante. Et pourtant, Dieu sait que c’était sincère en nous. Mais quand ils sont revenus le lendemain pour nous rendre compte de la réaction de l’autre camp, rien qu’à voir la mine qu’ils affichaient on sentait nettement qu’ils avaient, en dépit de leur bonne volonté, essuyé un revers. Mais, que voulez-vous, on ne peut pas passer son temps à mendier une réconciliation! Les Lébous sont tous mus par le même orgueil, la même fibre protestataire. Tout Lébou bon teint sait que la meilleure manière de pousser un Lébou à se radicaliser c’est de le snober. Les Lébous ont horreur de cela. Ils sont ainsi faits. Sur ce registre, ils sont particulièrement teigneux. Le Lébou est entier dans tout ce qu’il fait. Il ne connaît pas la demi-mesure.
Quelle fut la conséquence de cette fin de non-recevoir que Abdoulaye Diop Makhtar a réservé à votre main tendue?
La conséquence a été qu’une bonne frange de notre grande famille s’est sentie écornée dans sa dignité, quand la nouvelle du refus de Abdoulaye Makhtar s’est répandue. Sa posture a été perçue comme un défi voire une volonté de réduire à néant le legs coutumier d’El Hadji Bassirou Diagne. D’autres parents avaient même interprété cela comme un ultime coup de grâce visant à radier, historiquement, El Hadji Bassirou Diagne de la lignée du "Serignat". C’est-à-dire à l’enterrer une seconde fois alors qu’il est loin de mériter ce sort injuste après avoir élevé, durant les 27 ans de son magistère, cette fonction coutumière à un niveau de dignité et de respectabilité jamais égalé. Bref, ce fut donc bien malgré lui que Pape Ibrahima Diagne se résolu finalement à confirmer sa candidature. Naturellement, j’ai partagé cette honorable position de principe, pour ensuite librement m’engager à relever avec lui le défi. La suite vous la connaissez !
Deux Grand Serigne pour Dakar, n’est-ce pas là un beau désordre pour une communauté léboue exposée aux valeurs contemporaines?
C’est loin d’être un drame pour un Grand Serigne de Dakar d’être contesté. Cela fait même partie du décor de notre communauté ! Sans reculer loin dans l’histoire, il est loisible à quiconque de constater que depuis l’indépendance du Sénégal, il n’y a presque jamais eu d’élection d’un "Serigne Ndakaaru" qui n’ait souffert d’une fronde. Je n’en connais aucune d’exception. Après le décès, en 1969, du Grand Serigne de Dakar El Hadji Ibrahima Diop, quand Momar Marème Diop a été intronisé, son rival, Doudou Diop Moussé, s’en était allé animer une dissidence, en se réclamant lui-aussi Grand Serigne de Dakar. Idem lorsque le poste est redevenu vacant après le décès, en 1985, de Momar Marème. Bassirou Diagne Marème Diop, qui avait été plébiscité, n’en fut pas moins successivement contesté par Mame Youssou Diop, Libasse Diop, Ibrahima Diop et Massamba Coki Diop. Le record de la dissidence aura été battu en 1933, lorsque la Collectivité Léboue s’était retrouvée avec trois Grand Serigne de Dakar : Alpha Diol, El Hadji Moussé Diop et le neveu de celui-ci, Ibrahima Diop ! Il n’y a jamais eu d’unanimité parfaite autour de l’élection d’un Grand Serigne de Dakar. Mais, en positivant cela, on peut dire que c’est la preuve éloquente de la vitalité démocratique de cette communauté traditionnelle multiséculaire, où le "Serigne Ndakaaru" est loin d’être le régent omnipotent, autoritaire que l’on imagine. Il peut être critiqué, contesté et même destitué en plein mandat, comme nous l’avons vu tout à l’heure dans le cas du propre fils et premier successeur de Dial, le Grand Serigne Matar Diop. Traduit devant la juridiction des "Ndiambour" pour "faute lourde", (son fils avait été accusé d’avoir compromis le pacte de non-agression conclu entre la Presqu’île du Cap-Vert et le Cayor, en assassinant le principal griot du Damel du Cayor Biram Fatim Thioub), il a été jugé puis destitué par cette assemblée souveraine, en 1831.
Personnellement qu’est ce qui oppose Mame Mactar Guèye à Abdoulaye Makhtar Diop, malgré le sang qui vous lie?
Absolument rien du tout ! Une situation nous a été imposée à tous par le Destin, à travers la disparition quasi-simultanée de deux grandes figures de la Collectivité, qu’étaient Massamba Coki et Bassirou Diagne. Aux cotés d’autres bonnes volonté, nous avons fait des pieds et des mains pour que cette situation inédite puisse être exploitée pour permettre un nouveau départ devant réunifier la grande famille Léboue et d’élire un seul porte-étendard, parlant et agissant au nom de tous les Lébous. Mais, que voulez-vous, nous n’avons que notre "yééné" (volonté de bien faire). "L’Homme propose, et Dieu qui dispose". Mais ce n’est pas la fin du monde ! La parenté qui nous lie est plus forte que toute autres considérations. Je continuerais de me faire le devoir de lui réserver tous les égards dus à sa position d’aîné, comme nous l’enseigne un vieil adage lébou : "Rakeu toppeu mak, doom toppeu baye" (Que le cadet concède à l’aîné sa position, et qu’ensemble ils suivent leur père).
Il vous a pourtant traité de tous les noms d’oiseau, récemment, à l’émission « Sortie », sur Walf-Tv…
(Il coupe) Ce n’est pas grave ! Il reste l’aîné de tous les petits-fils de Adja Marème Diop Makhtar, notre grand’mère à tous. C’est donc son droit le plus absolu de rabrouer son cadet. Je le pardonne.
Vous êtes le Secrétaire général du Rassemblement démocratique sénégalais (Rds), que vous inspire le débat sur la question du mandat du président de l’Assemblée nationale ?
J’ai entendu pas mal de députés, membres du parti du chef de l’Etat, donner des appréciations positives sur le management du Président de l’Assemblée nationale. Ils ont souligné la rigueur et l’impartialité avec lesquelles il conduit les travaux de l’Hémicycle, tant en plénière que lors des réunions du bureau. Par conséquent, rien ne devrait s’opposer à ce que ses collègues députés le reconduise, au terme de son mandat, en juillet. C’est une question de confiance et je n’ai pas encore entendu de notes discordantes quant à la possibilité de lui renouveler son mandat. La durée de celui-ci importe peu. A mon avis, c’est la pérennisation du pacte de confiance qui est sensé le lier à ses collègues députés, toutes obédiences confondues, qui est primordiale.
Un mot sur votre avenir politique, peut-on s’attendre à voir le secrétaire général du Rds aux côtés de Macky Sall, si ce dernier le sollicitait ?
Mon éducation et mes références religieuses m’ont habitué à ne jamais placer mon destin entre des mains mortelles. Mais uniquement entre celles de Dieu, Unique Pourvoyeur de Savoir et de Pouvoir, Maître de toutes les destinées.
Entretien réalisé par la rédaction de Leral