Cependant, le combat légitime contre ce mur que certains ont qualifié à juste titre de « mur de la honte », ne devrait pas faire oublier que ce mur n’est que la face émergée d’une réalité plus hideuse qui empêchent aux Sénégalais, singulièrement aux Dakarois, d’apprécier la beauté de certains de leurs sites naturels ou de pouvoir s’y divertir. Les Turcs ne sont pas les seuls à occuper illégalement le Domaine public maritime. En 2013, l’ambassade des Etats Unis a été inaugurée en grande pompe à la pointe des Almadies par les autorités sénégalaises et américaines. Qui s’est soucié de savoir que cette ambassade, un véritable bunker (plus sécurisé que le Palais de la République !), construit sur 4 hectares, prenait pied sur l’un des endroits les plus prisés de la capitale, et empêche aux populations riveraines et au public en général, d’accéder à la plage ? Qui a manifesté contre la construction de cette ambassade ? Espérons que les manifestations contre la nouvelle ambassade de Turquie n’est pas un combat uniquement destiné à rappeler à l’ordre les pays dont la puissance est limitée, mais qu’il constitue un éveil, certes tardif, qui n’épargnera désormais plus personne, puissant ou faible.
L’objet de cet article est de rappeler que l’environnement au Sénégal, dans la région de Dakar singulièrement, est dangereusement menacé. La protection du littoral est plus que jamais nécessaire ; nous avons besoin de préserver nos beaux sites contre toutes sortes de prédations. L’Etat a une responsabilité historique face à la défiguration de la capitale. Mais il n’y a pas que la Corniche Ouest, les sites proches du centre-ville et des beaux quartiers qui sont concernés. L’attention doit également se porter sur les sites moins prestigieux, mais tout aussi importants pour les populations et pour l’avenir des écosystèmes. Nous évoquerons ici la forêt classée de Mbao, les Niayes du Technopôle et le Périmètre de reboisement du littoral Nord qui sont la proie d’une destruction systématique.
La forêt classée de Mbao : résister à l’avancée de l’urbanisation
La forêt de Mbao (de 1000 ha à l’origine à moins de 700 ha à l’heure actuelle) a été immatriculée au nom de l’Etat en 1908 et fut l’objet durant la période coloniale et les premières années d’Indépendance d’une attention particulière. De 1917, date du début du reboisement dont l’objectif était de fixer les sols, à sa classification en 1940, elle fut le réceptacle de plusieurs études scientifiques qui ont conduit à l’introduction de nouvelles espèces végétales, souvent d’origine asiatique : le filao en premier après avoir été expérimenté avec succès au parc de Hann, puis l’eucalyptus, l’anacardier, le baobab, etc…
La forêt de Mbao constitue une zone d’exploitation économique pour une partie de la population qui y tire de substantiels revenus. Cependant, avec la pression urbaine, la forêt est menacée par les programmes de constructions immobilières et l’implantation d’infrastructures à haute consommation de foncier. La création par l’Etat du Sénégal d’une Zone d’aménagement concertée (ZAC) en 1992, précipita la transformation des villages à proximité en faisant de Mbao et de Keur Massar la nouvelle zone de prédilection de l’urbanisation dakaroise. Ainsi, de nombreux programmes fonciers et immobiliers empiètent sur le périmètre de la forêt, qui pourtant est un espace non aedificandi, c’est-à-dire non constructible. La construction de l’autoroute à péage est venue sonner le glas, réduisant les surfaces forestières à peau de chagrin. Actuellement, avec le tracé de plusieurs pistes et de routes goudronnées, nous notons dans l’enceinte de l’aire protégée, trois stations essence, un service de redistribution d’électricité, un centre de transfert et de tri des ordures (une déchèterie, devenue un véritable dépotoir), un dépôt de dynamites, un centre des sports équestres. Malgré les efforts du Service des Eaux et Forêt pour limiter la déforestation, la surexploitation des ressources continue, aggravée par l’abattage d’arbres par la population locale qui tire parti de la vente du bois (transformé en charbon ou bois de chauffe). Le fait d’associer les maraîchers, pour une gestion concertée du site, au lieu de préserver la forêt, accentue les problèmes, car on constate une progression, par défrichement et feux plus ou moins provoquées, des espaces agricoles et maraîchers, au détriment des espèces ligneuses.
Au total, on se retrouve en face d’une destruction de la forêt classée de Mbao due à une forte pression urbaine, avec la multiplication des cités et lotissements, à l’implantation d’infrastructures de communication (routes et chemin de fer). Face à cette situation, les services compétents de protection de l’environnement aux moyens déjà limités, sont ignorés par les autorités étatiques qui décident seules d’implanter des infrastructures détruisant la nature et d’octroyer des terrains à des entreprises publiques ou privées. La population locale a aussi sa part de responsabilité, elle qui déverse ses ordures (dont beaucoup très nocives à la régénération des espèces : plastique, verre, ferraille, ciment…) dans la forêt et contribue à l’abattage des arbres. La création d’instruments de préservation (PASDUNE - Programme d’actions pour la sauvegarde et le développement urbain des Niayes et zones vertes de Dakar, PAFCM - Plan d’aménagement de la forêt classée de Mbao) ne sont que des effets d’annonce (mort-nés) et il est nécessaire qu’une véritable volonté politique s’instaure pour redynamiser cet écosystème fragile. Il y va de notre intérêt collectif. Cette forêt, en plus de constituer un poumon vert au cœur d’un milieu de plus en plus urbanisé, en plus de constituer une réserve de biodiversité, est aussi une zone économique qui peut, si on prend les bonnes décisions, être une zone de recréation pour les habitants et de tourisme intégré et responsable, permettant d’engranger les ressources nécessaires à sa préservation.
Les Niayes : le Technopôle ou les aberrations du passé qui se confirment
En plus d’être victime d’une urbanisation forcenée avec la multiplication de cités et autres habitations officielles et irrégulières, l’Etat décide en 1996 d’instituer en plein cœur des Niayes, un espace à vocation de recherche-développement, dénommé « technopôle » Si l’idée en soi était séduisante, le lieu choisi l’était bien moins. L’Université était en crise quasi-structurelle ; au lieu de la réformer et de la renforcer en lui donnant les moyens nécessaires à son développement, l’Etat s’engagea dans une direction qu’il savait sans issue : la création d’un soi-disant technopôle était le voile qui devait masquer les carences du gouvernement dans la gestion de la recherche scientifique et le soutien aux entreprises de hautes technologies. Toujours est-il que la zone du Technopôle (195 ha environ) n’a jamais répondu à cette vocation. Par contre, les quelques établissements qui s’y sont installés (y compris le Club de Golf) ont eu pour effet de porter plus atteinte à cet écosystème unique. Unique, cette niche écologique l’est objectivement, car la bande des Niayes qui regorge d’une importante diversité des espèces végétales, d’oiseaux et de mammifères, disparaît progressivement dans la région de Dakar, sous nos yeux, sans qu’on puisse apporter une réponse adéquate à sa sauvegarde. Pour Dakar, la zone du Technopôle peut d’ailleurs, d’ores et déjà, être considérée comme un vestige de la prestigieuse Grande Niaye qui concernait 180 kilomètres de Dakar à Saint-Louis, intéressant les régions de Thiès et de Louga, où heureusement elle reste encore pour l’essentiel préservée. Mais jusqu’à quand ?
La dernière attaque en règle concerne la volonté depuis 2011 des pouvoirs publics, d’y implanter une « Arène Nationale », dédiée à notre « sport national » La lutte sénégalaise est devenue incontournable et ses conséquences positives dans la redynamisation de nos cultures méritent d’être soulignées, sans omettre ses impacts économiques et sociaux. Le sport en général, la lutte sénégalaise en particulier, a besoin d’infrastructures pour se développer et contribuer à l’épanouissement des populations. Cependant, il doit y avoir des zones plus adaptées que le Technopôle pour son implantation. D’autant plus que ces dernières décennies, les inondations et leurs graves conséquences ont été des préoccupations majeures. Si on construit l’arène au Technopôle, cela nécessitera des espaces de stationnement, des voies de communication, de dégagement, l’enfouissement de réseaux techniques, entre autres. Autant dire que l’infiltration va s’amenuiser, entrainant l’aggravation des risques d’inondation dans les quartiers environnants. Rappelons que les inondations dans la région de Dakar sont causées, non pas spécifiquement par une pluviométrie importante (de l’ordre de 450 à 600 mm / an, irrégulière selon les années), mais par la construction légale et illégale d’habitations sur des zones inondables. L’homme est en effet responsable des dégâts et non la nature comme on le prétend souvent. N’est-il pas enfin temps de retenir les enseignements du passé ? Notre urbanisme, jusqu’ici, a été un urbanisme de rattrapage, qui s’est contenté de proposer de corriger les dysfonctionnements, ceci malgré l’existence depuis la période coloniale, de Plans directeur d’urbanisme et de Plans d’aménagement qui organisent l’affection des sols. Il est grand temps que notre urbanisme s’émancipe des pesanteurs sociales et politiques qui veulent qu’à un problème structurel (le déficit de parcelles à bâtir et de logements), on réponde par des actions à courte vue. L’urbanisme d’aujourd’hui doit être un urbanisme d’abord courageux socialement et politiquement, certes réaliste, mais aussi ambitieux et surtout anticipateur, visionnaire, en adéquation avec les textes et les principes fondamentaux.
Enfin, il est plus qu’urgent de marteler que les Niayes constituent une zone agricole par excellence. Le Technopôle abrite beaucoup de petits exploitants (maraîchers, horticulteurs, floriculteurs, pêcheurs, et même des ouvriers maçons qui confectionnent les pots de fleurs et autres bassins en ciment). Avec la destruction programmée de ce site, c’est autant d’emplois qui vont disparaître. L’agriculture urbaine a toute sa place dans notre environnement de plus en plus minéralisé. Grâce à elle, les citadins Dakarois ont accès à moindres coûts à des produits frais de qualité (tomate, salade, chou, menthe verte…). Grâce à elle, également, de précieux emplois sont préservés au moment où de jeunes agriculteurs sénégalais, faute de perspectives, abandonnent leurs villages pour la capitale et d’autres grandes villes.
Le Périmètre de reboisement du littoral Nord : le béton pour protéger contre la violence du vent et l’avancée de la mer ?!
L’objectif initial du boisement du littoral Nord de Dakar était de fixer les dunes vives qui se déplaçaient à une grande vitesse, menaçant les lacs littoraux (Mbeubeuss, Retba…), ainsi que les espaces pastoraux et agricoles, progressivement envahis par le sable.
A l’instar de la forêt classée de Mbao, le Périmètre de reboisement Nord (400 ha à l’origine sur une distance de 18 km) subit une menace, qui aujourd’hui, remet en question son existence même. La menace est d’ailleurs plus ancienne que celle qui affecte la forêt de Mbao, puisque, dès la fin des années 1970, début des années 1980, de vastes ensembles de programmes immobiliers sont installés en parallèle à la bande de végétation : Cité des Enseignants, les Hamo, puis au début des années 1990, le phénomène s’est accéléré avec la création de nombreuses autres cités clés en main et de quartiers à l’initiative de coopératives. Actuellement, à Guédiawaye par exemple, toute la partie qui se situe entre la bande verte des filaos et ce qui à l’époque (années 1980-1990) était désigné sous l’appellation de « corniche » est occupée par des logements. Les espaces vides, pouvant servir de terrains de jeux ou de rencontres (politiques, culturelles…), se sont amenuisés à tel point que les populations n’ont plus pratiquement que la plage, heureusement toute proche, pour se détendre et pratiquer du sport. Ces quartiers d’habitation ont été installés pour beaucoup sur les dunes vives qui bordaient la bande verte, mais ils ont également énormément empiétés sur les espaces boisés, notamment là où la végétation était clairsemée. Pour les cités les plus récentes, on a même assisté à la destruction systématique du couvert végétal.
En mars 2013, le Président de la République inaugure les travaux de prolongement (du CICES à Tivaouane Peul) de la Voie de dégagement Nord (VDN). Cette route peut s’avérer salutaire pour le désengorgement de la capitale, permettra une liaison rapide avec les localités établies le long du littoral Nord, et favorisera le désenclavement de Tivaouane Peul, Malika, Guédiawaye, Camberène, Parcelles Assainies et Diamaguene. Néanmoins, son implantation entraine également la destruction de pans entiers de la bande verte, d’autant que depuis le début des travaux, succédant à l’abattage amorcé par la société chargée de mener les travaux de terrassement, des individus en profitent pour abattre en continu des filaos au cœur même de la bande verte, occasionnant d’importants vides (clairières) de plus en plus nombreux. La construction de la VDN est d’une nécessité absolue pour les communications dans la région de Dakar, pour rapprocher les périphéries entre elles et du centre-ville.
Cependant, elle aurait dû être accompagnée d’une étude d’impacts environnementaux, sociaux et économiques, voire même sécuritaires (multiplication des agressions physiques et repère de délinquants). Elle aurait pu être l’occasion d’affirmer le rôle de la forêt, en programmant sa sauvegarde et un nouvel reboisement d’envergure.
En effet, compte tenu de l’importance de cette bande forestière, l’Etat, les collectivités locales concernées, ainsi que les populations, doivent montrer plus de détermination, pour d’une part, arrêter sa destruction et d’autre part, envisager de manière dynamique un nouvel reboisement pour la préserver durablement. Les populations en particulier ont une responsabilité historique face à cette situation, car, soit elles laissent faire, soit elles contribuent à la fragilisation de l’écosystème en y déversant des ordures.
On entend dire de la part de certaines populations : « la bande verte servait de protection contre l’avancée des dunes et contre les vents en provenance de l’océan. Il y a un problème d’accès au foncier et au logement. La destruction des filaos et la construction de logements à la place, pourrait non seulement résoudre les problèmes d’accès au toit, mais aussi servir de protection (contre le vent) » D’abord, cette assertion est complètement fausse, les fissures sur les murs des maisons à proximité du littoral le témoignent, ensuite l’arbre et le béton n’ont pas les mêmes fonctions. L’arbre fixe le gaz carbonique (CO²) et rejette dans l’atmosphère l’oxygène (O²), ce qui n’est quand même pas le cas du ciment, qui au contraire, conserve la chaleur pour la restituer le soir. On ne pensait pas qu’on pouvait, encore aujourd’hui, dans ce pays, être aussi inconscient. C’est pourquoi un effort d’éducation s’impose pour expliquer et démontrer l’utilité des espaces boisés.
Depuis des décennies, le littoral Nord est victime du pillage organisé du sable marin et des dunes qui constituent une sorte de digue naturelle de protection contre l’avancée de la mer. Cette protection détruite, le Périmètre de reboisement réduit à sa plus simple expression, il ne faudrait pas s’étonner un jour que l’avancée de la mer ait les mêmes répercussions dévastatrices que dans d’autres localités (Rufisque, Mbao). A quoi nous servent finalement les enseignements du passé, si nous n’y prêtons pas attention et / ou si nous ne nous donnons pas les moyens de remédier aux problèmes ?
La protection des espaces verts, ultime remède à une urbanisation étouffante
La victoire de béton est sans conteste aujourd’hui dans la capitale sénégalaise. Les immeubles poussent comme des champignons. De nouveaux espaces sont appropriés par les promoteurs fonciers et immobiliers. Dakar s’est largement densifié ces dernières décennies, ses périphéries, un moment épargnées par la frénésie, sont rattrapées par la boulimie foncière et immobilière. Une densification en hauteur et en surface s’est imposée. Les espaces qui logiquement auraient dû servir de lieu d’école, de culte, d’espace de loisirs et de détentes, de terrain de sport, de zones d’activités économiques, etc. voient s’implanter des habitations. Les quartiers de Dakar se densifient et les populations finissent par s’étouffer. Cela fait plusieurs décennies déjà, que les jeunes Pikinois (pour ne citer que cet exemple), pour jouer au football ou pratiquer d’autres sports, se rendent sur les plages de Thiaroye ou de Guédiawaye.
La ville de Guédiawaye, qui comptait plusieurs grands espaces vides (bayaal), n’en compte désormais plus que quelques-uns de moindre importance, et comme pour Pikine, ceux qui souhaitent s’aérer ou pratiquer leur sport favori sans troubler la quiétude des voisins, se voient obligés d’aller à la plage. Idem pour les nouvelles zones d’habitation de la capitale (Keur Massar, Mbao…). C’est comme si dans ce pays on n’aime pas voir un terrain vacant, ou plutôt on pense qu’un espace vide doit être nécessairement occupé par des habitations et rien d’autre, et surtout pas servir d’espace de recréation. Nous sommes l’un des rares pays au monde où on détruit des stades et terrains de jeux, pour construire à la place des centres d’affaire ou des cités d’habitations. Cette forme d’urbanisation, où la densification au sol et en hauteur est la règle principale, est porteuse de dangers qui ont pour nom : surpopulation, promiscuité, inondations, problèmes de salubrité et d’hygiène, maladies infectieuses, prostitution, criminalité, etc.
Dans ce contexte, il est important de préserver les espaces libres au niveau des quartiers où les promoteurs sont très actifs. Il est important également que les collectivités locales, avec l’appui de l’Etat, se constituent des réserves foncières et ne pas craindre d’user de leur droit de préemption lorsque le cadre de vie et l’équilibre social et psychologique des habitants est en jeu. Les espaces boisés constituent finalement les derniers lieux où les populations pouvaient se retrancher (hélas ! il semble bien qu’on soit dans une guerre sans pitié !). Où iraient les populations de Malika, Guédiawaye, Mbao, Keur Massar, Boune, etc… lorsque ces espaces verts seront complètement détruits ? Si les seuls endroits où elles pouvaient prendre l’air et échapper à l’emprise du béton et des murs sont transformés en logements ? Les plus optimistes diront que jamais ces forêts ne seront complètement détruites, qu’il en subsistera toujours quelque chose. Mais lorsqu’on regarde l’évolution des zones concernées avec lucidité, on peut craindre le pire. On constate que l’habitat prend le pas sur les zones humides et sur les espaces boisés de manière qui nous semble dramatique.
Conclusion : allier impératifs de développement et protection de l’environnement
Dakar étouffe. On parle beaucoup d’encombrement humain pour désigner l’envahissement sauvage de nos rues et trottoirs par le commerce agressif des marchands ambulants et des étals des marchés. Il est maintenant temps d’évoquer l’encombrement du béton qui obstrue notre vue, grignote nos espaces de jeux, de loisirs et de récréation.
Le développement de Dakar et de sa région est tout simplement spectaculaire. D’après les résultats provisoires du dernier recensement, la région urbaine de Dakar compterait 3 millions d’habitants sur une population sénégalaise estimée à 13 millions. Le nombre d’urbains progresse à un rythme accéléré. Il est important de trouver un logement décent à chaque citoyen, assurer des voies et moyens de transport efficaces pour relier les quartiers et porter la croissance économique. Les infrastructures doivent se développer et vont se développer à coup sûr. Nous avons besoin de centres de recherche et d’entreprises innovantes (technopôle), de stades (« arène nationale »), de routes (autoroute à péage, VDN), de développer notre offre touristique (hôtels), d’avoir de bonnes relations avec nos partenaires (ambassades), etc. Mais une politique responsable d’habitat et de logement, une politique équilibrée de construction d’équipements et d’infrastructures, doit aussi se soucier de la préservation de l’environnement et du cadre de vie.
New York est la première ville globale ; elle compte pourtant plusieurs espaces naturels d’envergure dont le fameux Central Park qui nous fait ravir d’envie. Les autres grandes métropoles mondiales comme Londres (Hyde Parc), Berlin (Tiergarten), Paris (Bois de Vincennes) ont une ambitieuse politique de protection de l’environnement et concentrent en leur sein de nombreux espaces verts, bois, grands parcs et jardins. Sans pour autant nous comparer aux grandes places financières et aux grandes métropoles du monde développé, nous pouvons à notre niveau, même modestement, cultiver notre petit jardin, « baye sunu waar », dirait l’adage. Le parc forestier de Hann, le Technopôle, la forêt classée de Mbao, le Périmètre de reboisement Nord, le lac Rose, les forêts de Sébikhotane, Bambilor, constituent des réserves inestimables pour la biodiversité, l’agriculture urbaine, l’emploi et le bien-être des Dakarois. Il faut les sauver, et avec, tous les autres espaces verts, zones humides, ou espaces à vocation agricole ou de détente (terrains de sport, jardins publics) ou destinés à des équipements publiques (écoles).
Leur protection, voire même leur extension et pourquoi pas la création de nouveaux secteurs protégés, est un impératif de développement. Nous avons la chance dans la région de Dakar que la nappe phréatique soit proche de la surface, affleure même sur une bonne partie du territoire. Les espèces végétales s’épanouissent facilement dans la région. Il ne manque donc que la volonté politique et la conscience citoyenne pour que Dakar redevienne vert. Ne l’oublions pas : c’est en raison de sa nature verdoyante que l’explorateur Portugais, Diniz Dias, en 1444, lui donna le nom de Cap Vert. Dakar peut et doit redevenir vert pour honorer son passé et préparer l’avenir. Cap vert ! Dakar vert !
Docteur Youssouph SANE
Géographe
Contact : youssouph.sane@yahoo.fr
L’objet de cet article est de rappeler que l’environnement au Sénégal, dans la région de Dakar singulièrement, est dangereusement menacé. La protection du littoral est plus que jamais nécessaire ; nous avons besoin de préserver nos beaux sites contre toutes sortes de prédations. L’Etat a une responsabilité historique face à la défiguration de la capitale. Mais il n’y a pas que la Corniche Ouest, les sites proches du centre-ville et des beaux quartiers qui sont concernés. L’attention doit également se porter sur les sites moins prestigieux, mais tout aussi importants pour les populations et pour l’avenir des écosystèmes. Nous évoquerons ici la forêt classée de Mbao, les Niayes du Technopôle et le Périmètre de reboisement du littoral Nord qui sont la proie d’une destruction systématique.
La forêt classée de Mbao : résister à l’avancée de l’urbanisation
La forêt de Mbao (de 1000 ha à l’origine à moins de 700 ha à l’heure actuelle) a été immatriculée au nom de l’Etat en 1908 et fut l’objet durant la période coloniale et les premières années d’Indépendance d’une attention particulière. De 1917, date du début du reboisement dont l’objectif était de fixer les sols, à sa classification en 1940, elle fut le réceptacle de plusieurs études scientifiques qui ont conduit à l’introduction de nouvelles espèces végétales, souvent d’origine asiatique : le filao en premier après avoir été expérimenté avec succès au parc de Hann, puis l’eucalyptus, l’anacardier, le baobab, etc…
La forêt de Mbao constitue une zone d’exploitation économique pour une partie de la population qui y tire de substantiels revenus. Cependant, avec la pression urbaine, la forêt est menacée par les programmes de constructions immobilières et l’implantation d’infrastructures à haute consommation de foncier. La création par l’Etat du Sénégal d’une Zone d’aménagement concertée (ZAC) en 1992, précipita la transformation des villages à proximité en faisant de Mbao et de Keur Massar la nouvelle zone de prédilection de l’urbanisation dakaroise. Ainsi, de nombreux programmes fonciers et immobiliers empiètent sur le périmètre de la forêt, qui pourtant est un espace non aedificandi, c’est-à-dire non constructible. La construction de l’autoroute à péage est venue sonner le glas, réduisant les surfaces forestières à peau de chagrin. Actuellement, avec le tracé de plusieurs pistes et de routes goudronnées, nous notons dans l’enceinte de l’aire protégée, trois stations essence, un service de redistribution d’électricité, un centre de transfert et de tri des ordures (une déchèterie, devenue un véritable dépotoir), un dépôt de dynamites, un centre des sports équestres. Malgré les efforts du Service des Eaux et Forêt pour limiter la déforestation, la surexploitation des ressources continue, aggravée par l’abattage d’arbres par la population locale qui tire parti de la vente du bois (transformé en charbon ou bois de chauffe). Le fait d’associer les maraîchers, pour une gestion concertée du site, au lieu de préserver la forêt, accentue les problèmes, car on constate une progression, par défrichement et feux plus ou moins provoquées, des espaces agricoles et maraîchers, au détriment des espèces ligneuses.
Au total, on se retrouve en face d’une destruction de la forêt classée de Mbao due à une forte pression urbaine, avec la multiplication des cités et lotissements, à l’implantation d’infrastructures de communication (routes et chemin de fer). Face à cette situation, les services compétents de protection de l’environnement aux moyens déjà limités, sont ignorés par les autorités étatiques qui décident seules d’implanter des infrastructures détruisant la nature et d’octroyer des terrains à des entreprises publiques ou privées. La population locale a aussi sa part de responsabilité, elle qui déverse ses ordures (dont beaucoup très nocives à la régénération des espèces : plastique, verre, ferraille, ciment…) dans la forêt et contribue à l’abattage des arbres. La création d’instruments de préservation (PASDUNE - Programme d’actions pour la sauvegarde et le développement urbain des Niayes et zones vertes de Dakar, PAFCM - Plan d’aménagement de la forêt classée de Mbao) ne sont que des effets d’annonce (mort-nés) et il est nécessaire qu’une véritable volonté politique s’instaure pour redynamiser cet écosystème fragile. Il y va de notre intérêt collectif. Cette forêt, en plus de constituer un poumon vert au cœur d’un milieu de plus en plus urbanisé, en plus de constituer une réserve de biodiversité, est aussi une zone économique qui peut, si on prend les bonnes décisions, être une zone de recréation pour les habitants et de tourisme intégré et responsable, permettant d’engranger les ressources nécessaires à sa préservation.
Les Niayes : le Technopôle ou les aberrations du passé qui se confirment
En plus d’être victime d’une urbanisation forcenée avec la multiplication de cités et autres habitations officielles et irrégulières, l’Etat décide en 1996 d’instituer en plein cœur des Niayes, un espace à vocation de recherche-développement, dénommé « technopôle » Si l’idée en soi était séduisante, le lieu choisi l’était bien moins. L’Université était en crise quasi-structurelle ; au lieu de la réformer et de la renforcer en lui donnant les moyens nécessaires à son développement, l’Etat s’engagea dans une direction qu’il savait sans issue : la création d’un soi-disant technopôle était le voile qui devait masquer les carences du gouvernement dans la gestion de la recherche scientifique et le soutien aux entreprises de hautes technologies. Toujours est-il que la zone du Technopôle (195 ha environ) n’a jamais répondu à cette vocation. Par contre, les quelques établissements qui s’y sont installés (y compris le Club de Golf) ont eu pour effet de porter plus atteinte à cet écosystème unique. Unique, cette niche écologique l’est objectivement, car la bande des Niayes qui regorge d’une importante diversité des espèces végétales, d’oiseaux et de mammifères, disparaît progressivement dans la région de Dakar, sous nos yeux, sans qu’on puisse apporter une réponse adéquate à sa sauvegarde. Pour Dakar, la zone du Technopôle peut d’ailleurs, d’ores et déjà, être considérée comme un vestige de la prestigieuse Grande Niaye qui concernait 180 kilomètres de Dakar à Saint-Louis, intéressant les régions de Thiès et de Louga, où heureusement elle reste encore pour l’essentiel préservée. Mais jusqu’à quand ?
La dernière attaque en règle concerne la volonté depuis 2011 des pouvoirs publics, d’y implanter une « Arène Nationale », dédiée à notre « sport national » La lutte sénégalaise est devenue incontournable et ses conséquences positives dans la redynamisation de nos cultures méritent d’être soulignées, sans omettre ses impacts économiques et sociaux. Le sport en général, la lutte sénégalaise en particulier, a besoin d’infrastructures pour se développer et contribuer à l’épanouissement des populations. Cependant, il doit y avoir des zones plus adaptées que le Technopôle pour son implantation. D’autant plus que ces dernières décennies, les inondations et leurs graves conséquences ont été des préoccupations majeures. Si on construit l’arène au Technopôle, cela nécessitera des espaces de stationnement, des voies de communication, de dégagement, l’enfouissement de réseaux techniques, entre autres. Autant dire que l’infiltration va s’amenuiser, entrainant l’aggravation des risques d’inondation dans les quartiers environnants. Rappelons que les inondations dans la région de Dakar sont causées, non pas spécifiquement par une pluviométrie importante (de l’ordre de 450 à 600 mm / an, irrégulière selon les années), mais par la construction légale et illégale d’habitations sur des zones inondables. L’homme est en effet responsable des dégâts et non la nature comme on le prétend souvent. N’est-il pas enfin temps de retenir les enseignements du passé ? Notre urbanisme, jusqu’ici, a été un urbanisme de rattrapage, qui s’est contenté de proposer de corriger les dysfonctionnements, ceci malgré l’existence depuis la période coloniale, de Plans directeur d’urbanisme et de Plans d’aménagement qui organisent l’affection des sols. Il est grand temps que notre urbanisme s’émancipe des pesanteurs sociales et politiques qui veulent qu’à un problème structurel (le déficit de parcelles à bâtir et de logements), on réponde par des actions à courte vue. L’urbanisme d’aujourd’hui doit être un urbanisme d’abord courageux socialement et politiquement, certes réaliste, mais aussi ambitieux et surtout anticipateur, visionnaire, en adéquation avec les textes et les principes fondamentaux.
Enfin, il est plus qu’urgent de marteler que les Niayes constituent une zone agricole par excellence. Le Technopôle abrite beaucoup de petits exploitants (maraîchers, horticulteurs, floriculteurs, pêcheurs, et même des ouvriers maçons qui confectionnent les pots de fleurs et autres bassins en ciment). Avec la destruction programmée de ce site, c’est autant d’emplois qui vont disparaître. L’agriculture urbaine a toute sa place dans notre environnement de plus en plus minéralisé. Grâce à elle, les citadins Dakarois ont accès à moindres coûts à des produits frais de qualité (tomate, salade, chou, menthe verte…). Grâce à elle, également, de précieux emplois sont préservés au moment où de jeunes agriculteurs sénégalais, faute de perspectives, abandonnent leurs villages pour la capitale et d’autres grandes villes.
Le Périmètre de reboisement du littoral Nord : le béton pour protéger contre la violence du vent et l’avancée de la mer ?!
L’objectif initial du boisement du littoral Nord de Dakar était de fixer les dunes vives qui se déplaçaient à une grande vitesse, menaçant les lacs littoraux (Mbeubeuss, Retba…), ainsi que les espaces pastoraux et agricoles, progressivement envahis par le sable.
A l’instar de la forêt classée de Mbao, le Périmètre de reboisement Nord (400 ha à l’origine sur une distance de 18 km) subit une menace, qui aujourd’hui, remet en question son existence même. La menace est d’ailleurs plus ancienne que celle qui affecte la forêt de Mbao, puisque, dès la fin des années 1970, début des années 1980, de vastes ensembles de programmes immobiliers sont installés en parallèle à la bande de végétation : Cité des Enseignants, les Hamo, puis au début des années 1990, le phénomène s’est accéléré avec la création de nombreuses autres cités clés en main et de quartiers à l’initiative de coopératives. Actuellement, à Guédiawaye par exemple, toute la partie qui se situe entre la bande verte des filaos et ce qui à l’époque (années 1980-1990) était désigné sous l’appellation de « corniche » est occupée par des logements. Les espaces vides, pouvant servir de terrains de jeux ou de rencontres (politiques, culturelles…), se sont amenuisés à tel point que les populations n’ont plus pratiquement que la plage, heureusement toute proche, pour se détendre et pratiquer du sport. Ces quartiers d’habitation ont été installés pour beaucoup sur les dunes vives qui bordaient la bande verte, mais ils ont également énormément empiétés sur les espaces boisés, notamment là où la végétation était clairsemée. Pour les cités les plus récentes, on a même assisté à la destruction systématique du couvert végétal.
En mars 2013, le Président de la République inaugure les travaux de prolongement (du CICES à Tivaouane Peul) de la Voie de dégagement Nord (VDN). Cette route peut s’avérer salutaire pour le désengorgement de la capitale, permettra une liaison rapide avec les localités établies le long du littoral Nord, et favorisera le désenclavement de Tivaouane Peul, Malika, Guédiawaye, Camberène, Parcelles Assainies et Diamaguene. Néanmoins, son implantation entraine également la destruction de pans entiers de la bande verte, d’autant que depuis le début des travaux, succédant à l’abattage amorcé par la société chargée de mener les travaux de terrassement, des individus en profitent pour abattre en continu des filaos au cœur même de la bande verte, occasionnant d’importants vides (clairières) de plus en plus nombreux. La construction de la VDN est d’une nécessité absolue pour les communications dans la région de Dakar, pour rapprocher les périphéries entre elles et du centre-ville.
Cependant, elle aurait dû être accompagnée d’une étude d’impacts environnementaux, sociaux et économiques, voire même sécuritaires (multiplication des agressions physiques et repère de délinquants). Elle aurait pu être l’occasion d’affirmer le rôle de la forêt, en programmant sa sauvegarde et un nouvel reboisement d’envergure.
En effet, compte tenu de l’importance de cette bande forestière, l’Etat, les collectivités locales concernées, ainsi que les populations, doivent montrer plus de détermination, pour d’une part, arrêter sa destruction et d’autre part, envisager de manière dynamique un nouvel reboisement pour la préserver durablement. Les populations en particulier ont une responsabilité historique face à cette situation, car, soit elles laissent faire, soit elles contribuent à la fragilisation de l’écosystème en y déversant des ordures.
On entend dire de la part de certaines populations : « la bande verte servait de protection contre l’avancée des dunes et contre les vents en provenance de l’océan. Il y a un problème d’accès au foncier et au logement. La destruction des filaos et la construction de logements à la place, pourrait non seulement résoudre les problèmes d’accès au toit, mais aussi servir de protection (contre le vent) » D’abord, cette assertion est complètement fausse, les fissures sur les murs des maisons à proximité du littoral le témoignent, ensuite l’arbre et le béton n’ont pas les mêmes fonctions. L’arbre fixe le gaz carbonique (CO²) et rejette dans l’atmosphère l’oxygène (O²), ce qui n’est quand même pas le cas du ciment, qui au contraire, conserve la chaleur pour la restituer le soir. On ne pensait pas qu’on pouvait, encore aujourd’hui, dans ce pays, être aussi inconscient. C’est pourquoi un effort d’éducation s’impose pour expliquer et démontrer l’utilité des espaces boisés.
Depuis des décennies, le littoral Nord est victime du pillage organisé du sable marin et des dunes qui constituent une sorte de digue naturelle de protection contre l’avancée de la mer. Cette protection détruite, le Périmètre de reboisement réduit à sa plus simple expression, il ne faudrait pas s’étonner un jour que l’avancée de la mer ait les mêmes répercussions dévastatrices que dans d’autres localités (Rufisque, Mbao). A quoi nous servent finalement les enseignements du passé, si nous n’y prêtons pas attention et / ou si nous ne nous donnons pas les moyens de remédier aux problèmes ?
La protection des espaces verts, ultime remède à une urbanisation étouffante
La victoire de béton est sans conteste aujourd’hui dans la capitale sénégalaise. Les immeubles poussent comme des champignons. De nouveaux espaces sont appropriés par les promoteurs fonciers et immobiliers. Dakar s’est largement densifié ces dernières décennies, ses périphéries, un moment épargnées par la frénésie, sont rattrapées par la boulimie foncière et immobilière. Une densification en hauteur et en surface s’est imposée. Les espaces qui logiquement auraient dû servir de lieu d’école, de culte, d’espace de loisirs et de détentes, de terrain de sport, de zones d’activités économiques, etc. voient s’implanter des habitations. Les quartiers de Dakar se densifient et les populations finissent par s’étouffer. Cela fait plusieurs décennies déjà, que les jeunes Pikinois (pour ne citer que cet exemple), pour jouer au football ou pratiquer d’autres sports, se rendent sur les plages de Thiaroye ou de Guédiawaye.
La ville de Guédiawaye, qui comptait plusieurs grands espaces vides (bayaal), n’en compte désormais plus que quelques-uns de moindre importance, et comme pour Pikine, ceux qui souhaitent s’aérer ou pratiquer leur sport favori sans troubler la quiétude des voisins, se voient obligés d’aller à la plage. Idem pour les nouvelles zones d’habitation de la capitale (Keur Massar, Mbao…). C’est comme si dans ce pays on n’aime pas voir un terrain vacant, ou plutôt on pense qu’un espace vide doit être nécessairement occupé par des habitations et rien d’autre, et surtout pas servir d’espace de recréation. Nous sommes l’un des rares pays au monde où on détruit des stades et terrains de jeux, pour construire à la place des centres d’affaire ou des cités d’habitations. Cette forme d’urbanisation, où la densification au sol et en hauteur est la règle principale, est porteuse de dangers qui ont pour nom : surpopulation, promiscuité, inondations, problèmes de salubrité et d’hygiène, maladies infectieuses, prostitution, criminalité, etc.
Dans ce contexte, il est important de préserver les espaces libres au niveau des quartiers où les promoteurs sont très actifs. Il est important également que les collectivités locales, avec l’appui de l’Etat, se constituent des réserves foncières et ne pas craindre d’user de leur droit de préemption lorsque le cadre de vie et l’équilibre social et psychologique des habitants est en jeu. Les espaces boisés constituent finalement les derniers lieux où les populations pouvaient se retrancher (hélas ! il semble bien qu’on soit dans une guerre sans pitié !). Où iraient les populations de Malika, Guédiawaye, Mbao, Keur Massar, Boune, etc… lorsque ces espaces verts seront complètement détruits ? Si les seuls endroits où elles pouvaient prendre l’air et échapper à l’emprise du béton et des murs sont transformés en logements ? Les plus optimistes diront que jamais ces forêts ne seront complètement détruites, qu’il en subsistera toujours quelque chose. Mais lorsqu’on regarde l’évolution des zones concernées avec lucidité, on peut craindre le pire. On constate que l’habitat prend le pas sur les zones humides et sur les espaces boisés de manière qui nous semble dramatique.
Conclusion : allier impératifs de développement et protection de l’environnement
Dakar étouffe. On parle beaucoup d’encombrement humain pour désigner l’envahissement sauvage de nos rues et trottoirs par le commerce agressif des marchands ambulants et des étals des marchés. Il est maintenant temps d’évoquer l’encombrement du béton qui obstrue notre vue, grignote nos espaces de jeux, de loisirs et de récréation.
Le développement de Dakar et de sa région est tout simplement spectaculaire. D’après les résultats provisoires du dernier recensement, la région urbaine de Dakar compterait 3 millions d’habitants sur une population sénégalaise estimée à 13 millions. Le nombre d’urbains progresse à un rythme accéléré. Il est important de trouver un logement décent à chaque citoyen, assurer des voies et moyens de transport efficaces pour relier les quartiers et porter la croissance économique. Les infrastructures doivent se développer et vont se développer à coup sûr. Nous avons besoin de centres de recherche et d’entreprises innovantes (technopôle), de stades (« arène nationale »), de routes (autoroute à péage, VDN), de développer notre offre touristique (hôtels), d’avoir de bonnes relations avec nos partenaires (ambassades), etc. Mais une politique responsable d’habitat et de logement, une politique équilibrée de construction d’équipements et d’infrastructures, doit aussi se soucier de la préservation de l’environnement et du cadre de vie.
New York est la première ville globale ; elle compte pourtant plusieurs espaces naturels d’envergure dont le fameux Central Park qui nous fait ravir d’envie. Les autres grandes métropoles mondiales comme Londres (Hyde Parc), Berlin (Tiergarten), Paris (Bois de Vincennes) ont une ambitieuse politique de protection de l’environnement et concentrent en leur sein de nombreux espaces verts, bois, grands parcs et jardins. Sans pour autant nous comparer aux grandes places financières et aux grandes métropoles du monde développé, nous pouvons à notre niveau, même modestement, cultiver notre petit jardin, « baye sunu waar », dirait l’adage. Le parc forestier de Hann, le Technopôle, la forêt classée de Mbao, le Périmètre de reboisement Nord, le lac Rose, les forêts de Sébikhotane, Bambilor, constituent des réserves inestimables pour la biodiversité, l’agriculture urbaine, l’emploi et le bien-être des Dakarois. Il faut les sauver, et avec, tous les autres espaces verts, zones humides, ou espaces à vocation agricole ou de détente (terrains de sport, jardins publics) ou destinés à des équipements publiques (écoles).
Leur protection, voire même leur extension et pourquoi pas la création de nouveaux secteurs protégés, est un impératif de développement. Nous avons la chance dans la région de Dakar que la nappe phréatique soit proche de la surface, affleure même sur une bonne partie du territoire. Les espèces végétales s’épanouissent facilement dans la région. Il ne manque donc que la volonté politique et la conscience citoyenne pour que Dakar redevienne vert. Ne l’oublions pas : c’est en raison de sa nature verdoyante que l’explorateur Portugais, Diniz Dias, en 1444, lui donna le nom de Cap Vert. Dakar peut et doit redevenir vert pour honorer son passé et préparer l’avenir. Cap vert ! Dakar vert !
Docteur Youssouph SANE
Géographe
Contact : youssouph.sane@yahoo.fr