L’homme qui depuis 2005, coiffe l’hôtel le plus coté de Mbour, a pour nom Eric Philibert. Des mesures sécuritaires mis en place, au système managérial de l’établissement, des coulisses des cuisines avec « mise à niveau de nos pâtisseries-maison avec la venue de la chef Sanaa, formatrice, issue des pâtisseries réputées comme fauchon, Le Nôtre…» en passant par les effets des lois sur le tourisme sans oublier ses propositions pour une meilleure attractivité de la destination Sénégal, Eric Philibert nous parle de son bijou : le Lamantin Beach et de sa passion : « cette noble profession qu’est l’hôtellerie-restauration » et son pendant, le tourisme.
Concurrencer les hôtels mauriciens, ceux des Maldives ou encore les 5 étoiles du Maroc
Comment vous définiriez-vous en un seul mot ?
Passionné d’hôtellerie-restauration et de Tourisme.
Cela fait six je crois. Comment présenteriez-vous l’établissement que vous dirigez ?
Un véritable Resort aux normes internationales, qui malgré son nombre important de chambres, se gère comme une famille gère sa maison. Au Lamantin, un client n’est pas un numéro, il est notre hôte, un salarié n’est pas qu’un employé, il est le maillon fort d’une équipe qui gagne.
C’est comme conduire une Ferrari pour un passionné de voitures
Après tant de temps passé à la tête du Lamantin - depuis 2005 - commencez-vous à ressentir une certaine lassitude quant à votre travail ?
Non, car Le Lamantin est sans cesse en évolution tant dans ses principes de fonctionnement que de produits ou encore de commercialisation. Le Lamantin est en constante rénovation pour rester au niveau international et avec une infrastructure capable de satisfaire les nouveaux besoins de nos clients.
De plus, mes missions de consulting à Dakar, Bamako, Abidjan et en Gambie me permettent aussi de me ressourcer. Au Lamantin, tout est fait maison, il y a donc tout le temps un travail de réflexion, d’organisation et de création même en travaillant 15H par jour, on ne s’ennuie jamais !
A l’aune de votre expérience, diriez-vous que vos conditions de travail se sont améliorées ou au contraire, considérablement dégradées ?
Quand on compare à mes débuts, bien sûr que oui, nos conditions se sont améliorées, car plus votre équipe se professionnalise - et je dois reconnaître que pour la nôtre, c’est le cas - plus les conditions de travail de la direction s’améliorent. Au contraire, diriger le Lamantin est passionnant, c’est comme conduire une Ferrari pour un passionné de voitures.
Sénégal et tourisme : le constat
Enregistrez-vous tout de même une baisse dans la fréquentation des touristes à Mbour en général ?
Non, au contraire. Depuis deux années, nous enregistrons une croissance de la fréquentation touristique sur la zone de Mbour et sur notre hôtel, mais il reste encore un long chemin avant de retrouver les chiffres du Tourisme des années 1990.
Les raisons, selon vous ?
Pour le Tourisme en général, le fait déjà de l’abandon des visas touristiques, la légère baisse du prix de l’aérien, le côté laïque de la destination, le travail de communication de l’ASPT, les difficultés liées au terrorisme de certaines destination : Egypte, Tunisie, Turquie… ?
Le fait que Saly soit en zone verte dans les conseils aux voyageurs des principaux pays émetteurs de touristes. En ce qui concerne le Lamantin, la diversité des provenances de clientèle, la réputation de l’hôtel auprès des voyagistes qui font du Lamantin la référence en ce qui concerne le segment hôtellerie de Loisirs sur la destination, la stratégie multi-clientèle : individuels, loisirs, familles et affaires. Nos nouvelles installations dédiées aux enfants et famille : Le Mini Beach et sa piscine avec 12 jets d’eau.
N’oublions pas aussi le tourisme « local », nos clients résidents qui aujourd’hui, représentent plus de 50% de notre chiffre d’affaire. L’autoroute Dakar-Popenguine nous aide beaucoup, Dakar est à moins d’une heure de Saly et bon nombre de Dakarois viennent plus souvent en week-end ou simplement, passer les dimanches ou jours fériés en « journée-détente » chez nous.
Réchauffement climatique et sa réponse : le Programme Coast. Mission ? Protection de l’environnement
Comment le réchauffement climatique influe t-il sur vos activités d’hôtelier ? Son impact réel sur votre environnement immédiat et comment vous palliez ces aléas ?
On doit reconnaitre que le tourisme Balnéaire est parfaitement affecté par le réchauffement climatique qui est entre autres, un des facteurs responsables de l’érosion côtière et des inondations marines. Nous avons dû nous protéger il y a 15 ans par une digue qui a eu un coût et qui provoque des problèmes d’ensablement dans notre port. Mais nous n’avions pas le choix et c’est ainsi que nous avons pu protéger notre plage, qui aujourd’hui, est la plus belle de la Petite Côte.
Par rapport au réchauffement climatique, sujet d’actualité mondial depuis les accords de Paris, il apparaît que les touristes potentiels modifient leurs préférences beaucoup plus rapidement et ils exigent dés à présent, des formules de vacances nuisant moins au climat et résistant à son changement.
Les professionnels du secteur doivent commencer à créer des produits touristiques à faibles émissions de carbone. Les destinations doivent accentuer la diversification de leur offre touristique avec un grand choix d’activités en salle et en plein air, pour pallier les caprices de la météo.
L’OMT pense que, grâce aux techniques - notamment de rendement énergétique - beaucoup peut être fait pour réduire les émissions de carbone du secteur sans bouleverser les habitudes actuelles de voyage. En général, les solutions consistent à économiser l’énergie, à améliorer le rendement énergétique, à utiliser des carburants de remplacement et à compenser les émissions de carbone.
Au Lamantin, à travers le programme « Coast », nous avons reçu une formation et en avons accepté les termes afin de mieux protéger l’environnement et plusieurs actions ont été mises en place.
- Installation de certains chauffe-eau solaires principalement pour les cuisines et le spa.
- L’énergie des bureaux est fournie par des panneaux solaires.
- L’ensemble des ampoules sont remplacées au fur et à mesure par des ampoules de très faible consommation, il en est de même pour les spots.
- Un plan d’allumage des équipements de cuisine permettant de rationaliser la consommation énergétique.
- Les nouveaux climatiseurs installés sont des systèmes « inverter » de chez LG, permettant 30% d’économie d’énergie par rapport à un split classique.
- L’arrosage des jardins ne se fait que la nuit, cela permet une économie d’eau non négligeable.
- Des économiseurs d’eau ont été installés dans tous les robinets de l’hôtel, ils réduisent considérablement nos consommations en eau.
- Aussi un système de contacteurs a été mis en place dans toutes les chambres afin d’éteindre systématiquement toutes les lumières de la chambre quand le client sort de sa chambre.
- Le tri des déchets permet aussi de revendre les bouteilles plastiques qui seront réutilisées. Ceci a deux atouts, l’un, clairement, est le recyclage, l’autre, un revenu pour notre « caisse sociale », il y aussi le recyclage des déchets organiques et des huiles.
Le gouvernement du Sénégal a établi un véritable plan Marshall en faveur du tourisme avec pour objectif : 3 millions de touristes d’ici peu. Croyez-vous ce chiffre atteignable ?
Attention à ne pas confonde tourisme de loisir et tourisme d’affaire. Dans les chiffres du tourisme, il faudrait savoir ce qui est pris en compte. Pour réaliser 3 000 000 de touristes, il n’y a simplement pas assez d’hôtels. Les mesures ont été prises mais sont-elles effectives ? Et efficaces ? Combien d’hôteliers ont déjà bénéficié du Crédit hôtelier dont on parle tant ? Combien de dossiers ont abouti ? Quelles agences de voyage en France recommandent systématiquement la destination quand un client leur demande du farniente en moyen-courrier ? J’ai fait personnellement le test et bien, c’est le Cap-Vert qui est recommandé !
Percevez-vous tout de même les effets des mesures ?
Pour certaines oui, effectivement, par exemple la levée du visa, la légère baisse des tarifs de l’aérien, les progrès dans les infrastructures.
Il faudrait penser à l’ouverture du ciel
Parmi lesdites mesures dont vous avez dû avoir connaissance, de par votre expertise sur le terrain, quelles sont celles qui boosteront de façon immédiate votre secteur d’activité et en quel sens ?
Il faudrait penser à l’ouverture du ciel, comme l’ont fait déjà fait les grandes destinations et cela a parfaitement fonctionné. Il suffit de regarder le cas du Maroc qui malgré les crises, les attentats etc., peut se vanter de dépasser les 10 000 000 de touristes.
Il faudrait aussi former et informer les agences de voyage sur les principaux marchés émetteurs sur l’évolution positive de la destination. En France, le Sénégal, dans la tête des agences de voyage, est une destination ringarde. Il suffirait d’un peu plus d’évènementiel pendant le salon du Tourisme pour changer cela : invitation des agents de voyage à un concert de Youssou Ndour avec une soirée sénégalaise, etc… La E-Communication est quasi inexistante pour la destination alors qu’aujourd’hui, c’est incontournable.
La fermeture de l’aéroport Sédar Senghor fait couler beaucoup d’encre. La construction du nouveau : AIBD également. Ce dernier constitue t-il une aubaine pour les hôteliers de votre zone, vous y compris ?
Une aubaine est un mot un peu fort mais effectivement, cela va faciliter les choses.
Dans quel sens ?
Les équipages des compagnies aériennes représentent déjà un vrai volume d’affaire pour les hôteliers de Saly. Cela nous aidera sans doute à mieux travailler en basse saison. Nos clients bénéficieront d’un temps de trajet bien moins long, ce qui fera de Saly une véritable destination moyen-courrier.
Lesdits hôteliers - dont vous faites partie- ont-ils pris des mesures en fonction de ce nouveau paradigme, le nouvel aéroport ?
Pour mes collègues, je ne sais pas, en tous cas pour Le Lamantin, oui.
Pour vous, l’AIBD équivaut-il à un magnifique cadeau de Noël fait avant l’heure ? En la matière, quelques semaines. Et de fait, générateur de revenus sur le court, moyen et long terme ?
Oui.
De par le climat mondial se répercutant sur le local, la sécurité se pose comme une donnée essentielle. Les hôteliers l’ont-ils décrété élément primordial de tout établissement qui se respecte ?
Oui, parfaitement, nous sommes responsables de la sécurité de nos clients mais aussi de nos équipes. Les hôteliers, l’Etat, dont tous les organes sécuritaires : gendarmerie, police et armée en ont sérieusement discuté, des simulations ont même déjà été faites dans certains établissements afin de mieux appréhender le phénomène.
Concrètement, au Lamantin avez-vous et, ou, envisagez vous un renforcement de la sécurité afin de garantir à vos clients une relative paix de l’esprit ? En ce sens, avez-vous débloqué un budget à cet effet
Depuis l’attentat de Tunis, où nous avons tous pu découvrir des images terribles de touristes tués sur une plage d’hôtels, nous avons pris de sérieuses mesures. Notre équipe de sécurité est armée, elle est complétée par trois maîtres-chiens avec des chiens entraînés spécialement à la gestion des voitures béliers, et à intervenir contre des hommes en armes.
Il y a aussi la gendarmerie qui dispose d’éléments 24H/24 au sein de l’hôtel et le GIGN qui protège Saly en général et qui peut intervenir en quelques minutes. Nous bénéficions aussi d’un barrage à 200 mètres de l’hôtel pouvant aussi très rapidement intervenir. D’autres outils ont aussi été mis en place mais je préfère rester discret sur cela.
90% de nos cadres aujourd’hui sont des anciens employés de l’hôtel ou dans certains cas, même des anciens stagiaires
Pouvez- vous nous parler de votre versant social ?
Notre métier est un métier qui repose totalement sur les ressources humaines. Je le précise toujours, un hôtel peut être équipé de toilettes en or s’il n’a pas la bonne équipe motivée et parfaitement formée aux techniques d’accueil, de service et de gestion, cela ne pourra pas fonctionner correctement.
Les Ressources humaines sont donc une priorité chez nous. Nous effectuons nous même les formations pour nos équipes ou avec l’aide de prestataires extérieurs issus de l’hôtellerie haut de gamme sur l’international. Le volet formation est très important.
Des outils de motivation sont en place et efficaces : employés du mois primés, employés de l’année primés, fêtes du personnel à gros budget, médecine de qualité dans la meilleure clinique de Saly, primes pouvant aller jusqu’à deux mois de salaire, caisse sociale pour aider lors des décès, naissances, mariage ou simplement situation difficile. Cette année, un employé est parti au pèlerinage du Hadj à La Mecque, et bien d’autres actions sont entreprises dans ce sens.
Le plus important est notre management qui a permis en 10 années, de mettre en place un dispositif de promotion interne et nous pouvons confirmer que 90% de nos cadres aujourd’hui, sont des anciens employés de l’hôtel ou dans certains cas même, des anciens stagiaires.
Pour ne citer que quelques exemples : la directrice de l’hébergement était une réceptionniste, le chef de réception aussi, notre chef comptable était un stagiaire à ses débuts, notre 1er maître d’hôtel a commencé stagiaire, notre chef de cuisine était un commis de cuisine etc…
Conscient que le tourisme doit être bénéfique pour tous, nous soutenons très périodiquement les artisans, les détenus de la Mac de Thiès… Le Lamantin scolarise quelques 20 jeunes nécessiteux qui n’auraient pas été scolarisés sans cela. Avec l’aide des mosquées et de l’église de notre zone, nous faisons des dons aux familles dans les difficultés.
Chaque année, nous invitons traditionnellement deux classes de jeunes entre 08 ans et 12 ans afin de leur faire découvrir nos métiers et intéresser la jeunesse à cette noble profession qu’est l’hôtellerie-restauration.
Comment voyez-vous le Lamantin dans dix ans ?
Si on regarde 10 avant et aujourd’hui, il y a un hôtel plus grand, plus beau, plus sécuritaire et qui fonctionne mieux. Nos résultats tant comptables que qualitatifs - retour des clients - démontrent une belle progression. Je ne peux que souhaiter la même chose pour les 10 prochaines années et surtout, espérer qu’un de mes assistants d’aujourd’hui, occupera mon fauteuil et bien évidemment, fera mieux que moi.
Nous avons de beaux projets au Sénégal
Quels sont les autres projets en cours de votre structure?
Nous avons de beaux projets au Sénégal allant de la boutique à l’hôtel de ville, au lodge en brousse en passant par le Resort sportif de bord de mer, tout cela sur un segment haut de gamme ( mini 4 étoiles). Comme à ce jour, il ne s’agit que de projets, je ne peux vous donner plus de détails. Mais il est certain que devant le succès du Lamantin, des petits Lamantins verront le jour dans les prochaines années.
Vous vivez et travaillez au Sénégal, que représente ce pays pour vous ?
Mon pays d’adoption et de cœur.
Que lui souhaitez-vous ?
Une croissance économique maximale et tant méritée pour le bien-être de cette merveilleuse population. De l’emploi pour tous ces jeunes dont les parents se sacrifient souvent pour financer les études.
Concurrencer les hôtels mauriciens, ceux des Maldives ou encore les 5 étoiles du Maroc
La réputation du Lamantin n’est plus à faire. Vous lancez- vous encore des challenges ?
Il faut toujours faire attention quand on est devant, souvenez- vous de la tortue et du lièvre… Il n’est pas question pour nous de nous endormir sur nos lauriers, rien n’est jamais parfait dans notre profession, nous faisons comme tout le monde des erreurs mais nous tentons de les corriger immédiatement et c’est le rôle de notre responsable qualité.
Nous nous remettons tout le temps en question. Chaque jour, un brainstorming qualité est organisé avec les cadres mais aussi avec un membre de notre équipe différent. Nous nous lançons quasiment tous les jours de nouveaux challenges, nous ne regardons pas nos concurrents sur place mais cherchons tous les jours à concurrencer les hôtels mauriciens, ceux des Maldives ou encore les 5 étoiles du Maroc.
Actuellement, après avoir travaillé sur un produit enfant « intelligent » non pas basé sur des activités basiques mais plutôt sur des activités culturelles - cours de chant, de peinture sur sable et sur verre… et aussi sur l’apprentissage du respect de l’environnement - nous sommes aujourd’hui sur la mise à niveau de nos pâtisseries maison avec la venue de la chef Sanaa, formatrice issue des pâtisseries réputées comme Fauchon, Le Nôtre, et la mise en place d’un nouveau concept révolutionnaire au spa: le « watermass » qui associe les bienfaits millénaires de l’eau chaude, des huiles essentielles, à un modelage performant et agréable.
Ma conception du management est que quand tout va bien c’est grâce à nos équipes et quand les choses vont moins bien, c’est la responsabilité de la direction
Enfin, le fait d’être depuis tant d’années et à la tête, et actionnaire de l’hôtel le plus côté de Mbour ne vous expose t-il à l’effet « King of the world » et toutes les dérives égocentrées allant avec ?
King ? Of What ? Dans notre métier, les seuls rois sont les clients et je suis le chef de leurs serviteurs et donc, serviteur moi-même. On me donnerait un grand bureau avec 25 assistants que j’en serai malheureux, j’ai un réel besoin de servir et de voir des visages heureux dans notre clientèle. Encore une fois, notre objectif n’est pas d’être le Resort le plus coté de la petite côte, notre objectif est simplement de satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante et de permettre au sein de l’entreprise, une progression sociale et professionnelle à chacun. Ma conception du management est que quand tout va bien, c’est grâce à nos équipes et quand les choses vont moins bien, c’est la responsabilité de la direction.
Un dernier mot ?
L’hôtellerie est une véritable profession à part entière qui exige un certain niveau de formation et d’expérience. Nous devons, au Sénégal, dans le domaine du tourisme en général, être encore plus professionnels et rigoureux. Le Sénégal mérite une véritable croissance touristique, qui servira forcément de levier au développement et à l’économie. Cette merveilleuse population le mérite tant.
Contacts :
dg@lelamantin.com
Propos recueillis par Irène Idrisse (lepetitjournal.com/dakar)