Coups de théâtre, drame, négociations et rebondissements. Rien ne s'est passé comme prévu à ce sommet européen, présenté une nouvelle fois comme un «rendez-vous de la dernière chance». Tout sur le papier devait s'enchaîner. Jeudi, session de travail sur la croissance, dîner sur l'intégration budgétaire et le lendemain, déjeuner à dix-sept pour terminer de caler les sujets ne concernant que la zone euro.
Las… La première réunion s'est avérée un tunnel de bavardages sur le budget européen. Mais aussi sur l'agence des brevets européens, dont les chefs d'État se sont entendus jeudi sur la localisation du siège. Le scénario la situant à Paris, avec deux antennes (une à Londres et une à Munich), s'est heurté à un refus de David Cameron. «Je ne peux pas accepter ça!», aurait lâché le Britannique. S'est ensuivie plus d'une heure de discussion sur le sujet! Mais Paris l'a finalement emporté.
C'est à 23 heures, avec près de quatre heures de retard, que les Vingt-Sept se sont mis à table pour commencer à parler des vrais sujets. Au menu: lamelles d'artichaut, bar de ligne et duo de fraises. Très vite, les indiscrétions des délégations font état d'un blocage de Rajoy et Monti sur le pacte de croissance. Les deux pays ne l'approuveront que si des mesures de court terme sont adoptées pour les banques et les taux d'intérêt. Bref, c'est le blocage. Angela Merkel est prise en étau. «Cela fait une semaine qu'elle sentait le scénario se construire», raconte un familier des coulisses de sommets.
Une tactique bien rodée
Pendant que les cris retentissent au rez-de-chaussée du Conseil européen, devant les écrans de télévision qui retransmettent le match Italie-Allemagne, la discussion est tendue dans la salle de réunion. Le président du Conseil, Herman Van Rompuy - connu pour rester stoïque en toutes circonstances - aurait même haussé la voix pour débloquer les négociations. De l'autre côté des Alpes, les journalistes commencent à se réjouir de la tactique du président du Conseil italien… Une tactique bien rodée. Et de fait, lors d'une conférence de presse de mi-parcours vers 1 heure du matin, le président français François Hollande confirme avoir été prévenu de la position de l'Espagne et de l'Italie. «Rajoy et Monti ne font pas du chantage, assure-t-il. Je connais leurs difficultés et je les comprends.» Monti parle de son côté de «moments difficiles» et de «tensions». Angela Merkel, elle, ne se montre pas en salle de presse…
C'est alors que dix chefs d'État partent se coucher. Mais la séquence nocturne n'est pas terminée pour autant! Les chefs d'État de la zone euro annoncent qu'ils commencent immédiatement - il est alors plus de 2 heures du matin - une réunion. Pas au programme? Qu'à cela ne tienne! «Il y a quelques sujets qui ne peuvent avancer qu'entre nous», confie un négociateur.
Il est près de 5 heures, au petit matin, quand Herman van Rompuy annonce qu'un accord a été trouvé sur la croissance et la stabilisation du système financier. C'est parti pour quelques heures de sommeil… La délégation française - certains en son sein parlent de «victoire», d'autres de «simples avancées» - regagne l'hôtel Amigo, près de la Grand-Place de Bruxelles.
Mais Angela Merkel, qui a dû plier sur plusieurs points dans cette négociation (la recapitalisation en direct des banques en tête), n'a pas dit son dernier mot. La chancelière supporte mal de s'être fait forcer la main. Vendredi matin, alors que la déclaration commune est publiée, elle tente d'imposer de nouvelles conditions. Pour bénéficier du programme d'aide d'achat d'obligations, les pays devront remplir des conditions que la troïka devra vérifier, exige-t-elle notamment. «Ça chauffe», murmure un négociateur alors que le sommet était sur le point de s'achever, un peu avant le déjeuner.
Par Marie Visot