La religion du Prophète a mis plus de mille ans, en empruntant des chemins très divers, à s'installer durablement en Afrique subsaharienne, pour finir par toucher majoritairement les populations. C'est ce que révèle une exposition présentée actuellement à l'Institut du Monde Arabe. Cours d'histoire express en compagnie de Nala Aloudat, co-commissaire de ce rendez-vous très éclectique, qui mêle judicieusement traditions et art contemporain.
L’Hégire, évènement fondateur de l’islam
« En 622, Mahomet quitte La Mecque pour Médine. C'est l'Hégire. La légende raconte que dès cette époque, des compagnons du Prophète, persécutés en Arabie, se seraient réfugiés en Ethiopie. Il n’existe cependant pas de traces de cet épisode rapporté par la tradition.
Les premiers témoignages archéologiques attestant d’une présence de la religion musulmane au sud du Sahara datent du 8e siècle, à Shanga sur la côte swahilie, où l'on a mis au jour les vestiges d’une mosquée. De fait, dés les débuts de l’islam, des marchands musulmans se sont installés sur la côte est de l’Afrique, le long de la mer Rouge, et plus au sud, de Mogadiscio jusqu’à Zanzibar et Kilwa. Ils y resteront pour toujours, concluant des mariages, se mélangeant à la population locale. On assiste ainsi à l’émergence d’une culture dite « swahilie », différente des cultures locales « africaines » et différente de leur culture arabe originelle.»
Le Sahara comme frontière
« Pendant ce temps-là, dés le début de l'Hégire, le califat des Omeyyades, qui a pour capitale Damas, s’étend rapidement sur toute l’Afrique du Nord, gagne la péninsule ibérique (ses armées remontent même jusqu’à Poitiers, où Charles Martel les arrête), mais aussi vers l'est, où il va quasiment jusqu’en Inde ! Mais il ne passe pas le Sahara. Les seuls échanges avec le sud reposent sur les marchands de la côte est, et sur un traité entre l’Egypte et le royaume chrétien de Makuria (Nubie).
Cet accord bilatéral, négocié en 652, communément désigné sous le nom de baqt, garantissait la fin des hostilités et permettait la libre circulation des biens et des personnes de part et d’autre de la frontière égypto-nubienne. Plus inhabituel, l’accord prévoyait également la livraison annuelle par les Nubiens, d’un nombre déterminé d’esclaves (entre 360 et 400 selon les sources) en échange du versement par les musulmans de denrées alimentaires (céréales, vin…) et de produits manufacturés, notamment textiles. »
La route de l'or
« Pendant ce temps, sur la côte ouest, la situation est plus confuse. Les Arabes installés au Maghreb veulent faire du commerce avec les pays qui ont des ressources en or, mais le désert à traverser est vraiment hostile. Ils sous-traitent donc les transactions et le transport aux nomades qui connaissent les routes et leurs pièges. Ces populations berbérophones converties vont néanmoins, servir de relais de la religion, mais sans prosélytisme ni djihad. Parfois, la foi prend corps. Aux royaumes du Ghana, du Tekrour, du Kanem, (entre les actuels Sénégal, Mali et Burkina), des souverains adoptent ainsi l’islam.
Au-delà du salut de leurs âmes, cette conversion leur permet surtout de s’installer dans un réseau mondialisé où les contacts sont facilités. Par rebond, elle leur donne aussi sur leurs propres terres, prestige et pouvoir auprès de la population. Parallèlement, les Almoravides qui règnent au XIIe siècle sur le Maroc, la Mauritanie et le sud de la péninsule ibérique décident de contrôler la route de l’or. Ils occupent bientôt la côte ouest jusqu’au royaume du Ghana. Même s’ils n’arrivent pas à soumettre toute la région, ils apportent un islam sunnite, alors qu’avant, l’islam arrivé par les berbères était, plutôt chiite.»
“L'Islam noir” n'existe pas
« Mais cet islam, s’il entend fédérer les populations, tolère les traditions locales et autres croyances magiques. Il en intègre parfois, mais avec, comme on peut le voir dans d'autres régions du monde sous influence musulmane, une infinité de pratiques différentes. Voilà pourquoi cette idée qu'il existerait un “islam noir” soi-disant teinté de fétichisme et spécifique à toute l'Afrique sub-saharienne, est erronée. L'islam se définit par ses cinq piliers : la profession de foi, la prière, l'aumône, le jeûne du ramadan, et si possible, le pèlerinage à La Mecque.
Après... Les cérémonies masquées qui luttaient contre la sorcellerie perdurent, parce que l’islam ne se préoccupe pas de ces questions-là : la magie opère là où la religion n’a que faire. Comme n’importe quel bon chrétien s’abstiendra peut-être de passer sous une échelle… C’est pour montrer ces traditions, ces frottements, ces influences toujours vivaces que nous avons imaginé l’exposition Trésors de l’islam en Afrique.
Aujourd’hui, hélas, la situation est plus tendue, les gens ont peur. Face aux injonctions rigoristes de quelques prédicateurs salafistes, certaines confréries se montrent plus orthodoxes, d'autres se cachent. Un collectionneur-ethnologue qui nous prête des objets, très implanté en Côte d’Ivoire, dans la région où justement se pratiquaient depuis des lustres les cérémonies masquées, y est allé récemment, et n’a, tout d’abord, rien retrouvé. A ses questions, tout le monde lui répondait : “Non, nous on est des bons musulmans, tout ça c’est fini.” Finalement, il a vu que ça continuait mais, loin des regards, en toute discrétion…»
Jusqu'au 30 juillet 2017 - Institut du Monde Arabe
Telerama
L’Hégire, évènement fondateur de l’islam
« En 622, Mahomet quitte La Mecque pour Médine. C'est l'Hégire. La légende raconte que dès cette époque, des compagnons du Prophète, persécutés en Arabie, se seraient réfugiés en Ethiopie. Il n’existe cependant pas de traces de cet épisode rapporté par la tradition.
Les premiers témoignages archéologiques attestant d’une présence de la religion musulmane au sud du Sahara datent du 8e siècle, à Shanga sur la côte swahilie, où l'on a mis au jour les vestiges d’une mosquée. De fait, dés les débuts de l’islam, des marchands musulmans se sont installés sur la côte est de l’Afrique, le long de la mer Rouge, et plus au sud, de Mogadiscio jusqu’à Zanzibar et Kilwa. Ils y resteront pour toujours, concluant des mariages, se mélangeant à la population locale. On assiste ainsi à l’émergence d’une culture dite « swahilie », différente des cultures locales « africaines » et différente de leur culture arabe originelle.»
Le Sahara comme frontière
« Pendant ce temps-là, dés le début de l'Hégire, le califat des Omeyyades, qui a pour capitale Damas, s’étend rapidement sur toute l’Afrique du Nord, gagne la péninsule ibérique (ses armées remontent même jusqu’à Poitiers, où Charles Martel les arrête), mais aussi vers l'est, où il va quasiment jusqu’en Inde ! Mais il ne passe pas le Sahara. Les seuls échanges avec le sud reposent sur les marchands de la côte est, et sur un traité entre l’Egypte et le royaume chrétien de Makuria (Nubie).
Cet accord bilatéral, négocié en 652, communément désigné sous le nom de baqt, garantissait la fin des hostilités et permettait la libre circulation des biens et des personnes de part et d’autre de la frontière égypto-nubienne. Plus inhabituel, l’accord prévoyait également la livraison annuelle par les Nubiens, d’un nombre déterminé d’esclaves (entre 360 et 400 selon les sources) en échange du versement par les musulmans de denrées alimentaires (céréales, vin…) et de produits manufacturés, notamment textiles. »
La route de l'or
« Pendant ce temps, sur la côte ouest, la situation est plus confuse. Les Arabes installés au Maghreb veulent faire du commerce avec les pays qui ont des ressources en or, mais le désert à traverser est vraiment hostile. Ils sous-traitent donc les transactions et le transport aux nomades qui connaissent les routes et leurs pièges. Ces populations berbérophones converties vont néanmoins, servir de relais de la religion, mais sans prosélytisme ni djihad. Parfois, la foi prend corps. Aux royaumes du Ghana, du Tekrour, du Kanem, (entre les actuels Sénégal, Mali et Burkina), des souverains adoptent ainsi l’islam.
Au-delà du salut de leurs âmes, cette conversion leur permet surtout de s’installer dans un réseau mondialisé où les contacts sont facilités. Par rebond, elle leur donne aussi sur leurs propres terres, prestige et pouvoir auprès de la population. Parallèlement, les Almoravides qui règnent au XIIe siècle sur le Maroc, la Mauritanie et le sud de la péninsule ibérique décident de contrôler la route de l’or. Ils occupent bientôt la côte ouest jusqu’au royaume du Ghana. Même s’ils n’arrivent pas à soumettre toute la région, ils apportent un islam sunnite, alors qu’avant, l’islam arrivé par les berbères était, plutôt chiite.»
“L'Islam noir” n'existe pas
« Mais cet islam, s’il entend fédérer les populations, tolère les traditions locales et autres croyances magiques. Il en intègre parfois, mais avec, comme on peut le voir dans d'autres régions du monde sous influence musulmane, une infinité de pratiques différentes. Voilà pourquoi cette idée qu'il existerait un “islam noir” soi-disant teinté de fétichisme et spécifique à toute l'Afrique sub-saharienne, est erronée. L'islam se définit par ses cinq piliers : la profession de foi, la prière, l'aumône, le jeûne du ramadan, et si possible, le pèlerinage à La Mecque.
Après... Les cérémonies masquées qui luttaient contre la sorcellerie perdurent, parce que l’islam ne se préoccupe pas de ces questions-là : la magie opère là où la religion n’a que faire. Comme n’importe quel bon chrétien s’abstiendra peut-être de passer sous une échelle… C’est pour montrer ces traditions, ces frottements, ces influences toujours vivaces que nous avons imaginé l’exposition Trésors de l’islam en Afrique.
Aujourd’hui, hélas, la situation est plus tendue, les gens ont peur. Face aux injonctions rigoristes de quelques prédicateurs salafistes, certaines confréries se montrent plus orthodoxes, d'autres se cachent. Un collectionneur-ethnologue qui nous prête des objets, très implanté en Côte d’Ivoire, dans la région où justement se pratiquaient depuis des lustres les cérémonies masquées, y est allé récemment, et n’a, tout d’abord, rien retrouvé. A ses questions, tout le monde lui répondait : “Non, nous on est des bons musulmans, tout ça c’est fini.” Finalement, il a vu que ça continuait mais, loin des regards, en toute discrétion…»
Jusqu'au 30 juillet 2017 - Institut du Monde Arabe
Telerama