En ce début janvier, la circulation sur la route nationale I, entre Rufisque et Dakar, est très dense. Le flux entrant déverse banlieusards et gens de province dans la capitale. La fumée s’échappant des véhicules et le vrombissement de ces machines de tout âge créent une pollution qui va crescendo, aggravée par l’air acariâtre et la poussière omniprésente. De son véhicule, le passager peut découvrir des parcelles aménagées cédant la place à des constructions en béton, de plus en plus nombreuses et de plus en plus hautes. Quelques fabriques se détachent du paysage si elles n’y sont pas carrément fondues. La route de Rufisque accueille l’ancienne zone franche autonome, mais aussi plusieurs autres usines qui, en majorité, polluent l’atmosphère. À la sortie du quartier de Keur Mbaye Fall, la route enjambe un petit bras de mer qui termine sa course dans une forêt d’eucalyptus et d’anacardiers. Nous sommes à la forêt de Mbao, « le seul poumon vert de Dakar » ! Cette forêt, selon le premier adjoint de la commune d’arrondissement de Mbao Modou Diop, faisait « environ 1.000 hectares ». A présent, elle fait « à peu près 600 et quelques hectares ; moins de 700 hectares en tout cas », informe Bruno Koupaki, chef de la brigade forestière de Mbao.
Après le croisement Keur Massar, à Mbao Villeneuve qui faisait jadis partie de la forêt classée, des bâtiments flambant neufs et des terres débroussaillées sont visibles. Juste en face, se trouvent les locaux du secteur forestier du département de Pikine. Une modeste bâtisse, à peine visible derrière un rideau d’arbres et devant laquelle sont stationnés un squad, une moto et une double cabine de couleur verte. Plus près, les écriteaux renseignent sur le degré de conscience des agents de la nécessité absolue de préserver cette forêt menacée de toutes parts. Sur un tableau, collé au mur et situant la forêt, est mentionné le message suivant : « la forêt de Mbao, le seul poumon vert de Dakar : ensemble préservons-la ». Sur un autre, l’on peut voir la position géographique de la forêt, mais aussi ce qui reste de deux autres forêts de Dakar, à savoir Sébikotane et la bande des filaos. En bas du tableau, quelques menaces sont listées : « envahissement du béton ; avancée de la mer ; urbanisation sauvage ». Une affiche revient sur la campagne de reboisement 2009. Elle parle des bienfaits du « Kad » (Faidherbia albida), l’arbre choisi pour cette campagne. En 2006, une coopération entre les conseils régionaux de Dakar et de l’Ile de France et le ministère de l’Environnement a permis de clôturer les hectares qui restent de cette forêt ceinturée par les communes d’arrondissement de Mbao, Diamaguène-Sicap Mbao et Keur Massar. Cette clôture doit aider à arrêter les agressions qu’elle ne cesse de subir. Bruno Koupaki, témoigne : « Avant la construction de la clôture, les gens grignotaient le périmètre ; on y trouvait souvent des bornes puis des habitations. Maintenant, le mur constitue la barrière à ne pas franchir pour les habitations en tout cas ». « La mairie n’est jamais consultée quand un promoteur vient s’implanter dans cette forêt classée », se désole Modou Diop. Si le mur freine les habitations, il ne parvient guère à arrêter les nombreuses agressions que subit cet espace où vivent divers espèces comme les oiseaux, les râtelles, les lièvres, les singes et même les chacals...
Une dizaine de structures à l’intérieur de la forêt
Se référant au Code forestier, Bruno Koupaki mesure l’importance du travail de sauvegarde de cette forêt où les riverains cueillent une importante quantité de pommes et de noix d’anacardiers. Certains même s’adonnent à la pêche dans le marigot de Mbao. A hauteur du croisement Keur Massar, des vendeuses à la criée profitent des bouchons en amont et des arrêts en aval pour proposer, entre autres produits, des noix d’anacardiers grillés.
Anta Fall, une d’elles, témoigne : « Nous sommes toutes de Thiénaba. Les noix nous viennent de la Casamance. Nous les transformons pour venir les écouler ici ». A en croire sa voisine Khady Niang, c’est seulement en période de récolte de la noix que des vendeuses des environs de la forêt leur mènent une concurrence. Si à Thiénaba, les groupements féminins explorent le créneau, dans les agglomérations environnantes la forêt, l’exploitation de la noix d’anacardier est faite en fonction des saisons.
Selon le chef de la brigade de contrôle, le Code forestier interdit formellement la coupe de bois, le dépôt d’ordures, la chasse, l’exploitation du sol et du sous-sol. Ainsi, seul ou en collaboration avec les éléments de la Légion de gendarmerie d’intervention (Lgi) de Mbao, leur brigade, qui est forte d’une demi-douzaine d’agents, fait des patrouilles inopinées en dépit des moyens dérisoires dont ils disposent.
Un tour à l’intérieur de la forêt permet de se rendre compte de l’ampleur des agressions dont ce domaine fait l’objet. Pas moins d’une dizaine de structures se sont déjà implantées dans cette forêt qui sera bientôt traversée par l’autoroute à péage. « Ce sera sur une emprise de cent mètres de large », précise Koupaki qui annonce aussi une surface plus importante pour des échangeurs. D’ailleurs, deux autres pistes à savoir le chemin de fer et la route dite de la Sde traversent aussi la forêt classée. Parmi ces structures, il y a le centre de transit de Veolia, le centre de dispatching de la Senelec, un dépôt de dynamite. Il y a aussi des sites comme le cimetière des naufragés du bateau « Le Joola », un centre horticole, une pépinière, un racing club appartenant à la fédération équestre du Sénégal...
Au niveau du village traditionnel de Kamb, des ménagères collectent du bois mort, des champs de mil, de « niébé » et de « bissap » se substituent aux espaces vides, des maraîchers exploitent quelques périmètres çà et là. « Il y a une certaine symbiose avec les populations. On leur délivre des autorisations d’agriculture. Elles reboisent les zones attribuées et nous préviennent en cas de feu ou d’autres menaces », souligne Koupaki. « C’est une façon pour nous de les impliquer dans la surveillance de la forêt », précise-t-il. Pourtant, dans ces zones de culture, les jeunes plantes sont rares, voire inexistantes.
Béton, ordures, coupe de bois, agriculture... menacent la forêt
Au cœur de la forêt, aux abords d’une piste sinueuse, un eucalyptus abattu récemment jonche encore sur le sol avec ses feuilles relativement fraîches. « Ils viennent nuitamment abattre les arbres », fait remarquer Koupaki faisant référence à ces personnes qui agressent la forêt. D’ailleurs, la coupe de bois inquiète au plus haut sommet de l’Etat. Défendant récemment son projet de budget 2010, face aux parlementaires, le ministre de l’Environnement, annonçait des mesures sévères contre les contrevenants. « Le projet de décret est dans le circuit. Des sanctions sévères seront prises à l’encontre des coupables », annonçait Djibo Leïty Kâ.
Dans cette forêt, des malfrats venaient d’habitude s’y replier après les forfaits commis dans les agglomérations des environs. Ce qui faisait de ce lieu, une zone d’insécurité jusqu’à un passé récent. « Plusieurs agressions, vols et meurtres avaient été enregistrés dans la zone, mais on a noté quand même une régression de ces délits cette année », révèle Koupaki.
Si l’insécurité a diminué, la menace des ordures a augmenté. Un peu partout dans les environs immédiats des agglomérations, les riverains déposent des déchets ménagers. Ce qui enlaidit davantage le visage de cet espace. On note le plus de dépôts d’ordures au Nord Est de la forêt, à l’entrée de Boune. Ici, le mur de clôture s’est totalement affaissé, des tuyaux évacuent de l’eau de pluie à l’intérieur de la forêt. Bruno Koupaki, le chef de la brigade forestière de Mbao fait remarquer : « Ils le font souvent sans notre accord. L’eau asphyxie les racines et tue les arbres ».
A l’entrée de Keur Massar où une bonne partie de la forêt sert de gare routière de fortune, de la latérite est déversée. D’après les responsables de la brigade forestière, une société de la place a obtenu deux parcelles de 7.000 mètres carrés pour y construire deux stations d’essence. Une agression de plus pour cette forêt ! Les promoteurs privés sont, eux aussi, à l’affût. Ils font tout pour disposer encore d’espace. Selon les responsables de la brigade, chaque jour des gens s’adressent à eux pour des demandes d’autorisation. La dernière en date est relative à la construction d’une station d’essence au croissement de Petit Mbao. Mais, la réponse est toujours la même ; invariable : « Nous n’avons pas le droit ; c’est une forêt classée ». Malgré tout, les occupations se poursuivent et les menaces continuent de peser sur le seul poumon vert de la capitale.
Reportage de Aly DIOUF et Maguette NDONG
Après le croisement Keur Massar, à Mbao Villeneuve qui faisait jadis partie de la forêt classée, des bâtiments flambant neufs et des terres débroussaillées sont visibles. Juste en face, se trouvent les locaux du secteur forestier du département de Pikine. Une modeste bâtisse, à peine visible derrière un rideau d’arbres et devant laquelle sont stationnés un squad, une moto et une double cabine de couleur verte. Plus près, les écriteaux renseignent sur le degré de conscience des agents de la nécessité absolue de préserver cette forêt menacée de toutes parts. Sur un tableau, collé au mur et situant la forêt, est mentionné le message suivant : « la forêt de Mbao, le seul poumon vert de Dakar : ensemble préservons-la ». Sur un autre, l’on peut voir la position géographique de la forêt, mais aussi ce qui reste de deux autres forêts de Dakar, à savoir Sébikotane et la bande des filaos. En bas du tableau, quelques menaces sont listées : « envahissement du béton ; avancée de la mer ; urbanisation sauvage ». Une affiche revient sur la campagne de reboisement 2009. Elle parle des bienfaits du « Kad » (Faidherbia albida), l’arbre choisi pour cette campagne. En 2006, une coopération entre les conseils régionaux de Dakar et de l’Ile de France et le ministère de l’Environnement a permis de clôturer les hectares qui restent de cette forêt ceinturée par les communes d’arrondissement de Mbao, Diamaguène-Sicap Mbao et Keur Massar. Cette clôture doit aider à arrêter les agressions qu’elle ne cesse de subir. Bruno Koupaki, témoigne : « Avant la construction de la clôture, les gens grignotaient le périmètre ; on y trouvait souvent des bornes puis des habitations. Maintenant, le mur constitue la barrière à ne pas franchir pour les habitations en tout cas ». « La mairie n’est jamais consultée quand un promoteur vient s’implanter dans cette forêt classée », se désole Modou Diop. Si le mur freine les habitations, il ne parvient guère à arrêter les nombreuses agressions que subit cet espace où vivent divers espèces comme les oiseaux, les râtelles, les lièvres, les singes et même les chacals...
Une dizaine de structures à l’intérieur de la forêt
Se référant au Code forestier, Bruno Koupaki mesure l’importance du travail de sauvegarde de cette forêt où les riverains cueillent une importante quantité de pommes et de noix d’anacardiers. Certains même s’adonnent à la pêche dans le marigot de Mbao. A hauteur du croisement Keur Massar, des vendeuses à la criée profitent des bouchons en amont et des arrêts en aval pour proposer, entre autres produits, des noix d’anacardiers grillés.
Anta Fall, une d’elles, témoigne : « Nous sommes toutes de Thiénaba. Les noix nous viennent de la Casamance. Nous les transformons pour venir les écouler ici ». A en croire sa voisine Khady Niang, c’est seulement en période de récolte de la noix que des vendeuses des environs de la forêt leur mènent une concurrence. Si à Thiénaba, les groupements féminins explorent le créneau, dans les agglomérations environnantes la forêt, l’exploitation de la noix d’anacardier est faite en fonction des saisons.
Selon le chef de la brigade de contrôle, le Code forestier interdit formellement la coupe de bois, le dépôt d’ordures, la chasse, l’exploitation du sol et du sous-sol. Ainsi, seul ou en collaboration avec les éléments de la Légion de gendarmerie d’intervention (Lgi) de Mbao, leur brigade, qui est forte d’une demi-douzaine d’agents, fait des patrouilles inopinées en dépit des moyens dérisoires dont ils disposent.
Un tour à l’intérieur de la forêt permet de se rendre compte de l’ampleur des agressions dont ce domaine fait l’objet. Pas moins d’une dizaine de structures se sont déjà implantées dans cette forêt qui sera bientôt traversée par l’autoroute à péage. « Ce sera sur une emprise de cent mètres de large », précise Koupaki qui annonce aussi une surface plus importante pour des échangeurs. D’ailleurs, deux autres pistes à savoir le chemin de fer et la route dite de la Sde traversent aussi la forêt classée. Parmi ces structures, il y a le centre de transit de Veolia, le centre de dispatching de la Senelec, un dépôt de dynamite. Il y a aussi des sites comme le cimetière des naufragés du bateau « Le Joola », un centre horticole, une pépinière, un racing club appartenant à la fédération équestre du Sénégal...
Au niveau du village traditionnel de Kamb, des ménagères collectent du bois mort, des champs de mil, de « niébé » et de « bissap » se substituent aux espaces vides, des maraîchers exploitent quelques périmètres çà et là. « Il y a une certaine symbiose avec les populations. On leur délivre des autorisations d’agriculture. Elles reboisent les zones attribuées et nous préviennent en cas de feu ou d’autres menaces », souligne Koupaki. « C’est une façon pour nous de les impliquer dans la surveillance de la forêt », précise-t-il. Pourtant, dans ces zones de culture, les jeunes plantes sont rares, voire inexistantes.
Béton, ordures, coupe de bois, agriculture... menacent la forêt
Au cœur de la forêt, aux abords d’une piste sinueuse, un eucalyptus abattu récemment jonche encore sur le sol avec ses feuilles relativement fraîches. « Ils viennent nuitamment abattre les arbres », fait remarquer Koupaki faisant référence à ces personnes qui agressent la forêt. D’ailleurs, la coupe de bois inquiète au plus haut sommet de l’Etat. Défendant récemment son projet de budget 2010, face aux parlementaires, le ministre de l’Environnement, annonçait des mesures sévères contre les contrevenants. « Le projet de décret est dans le circuit. Des sanctions sévères seront prises à l’encontre des coupables », annonçait Djibo Leïty Kâ.
Dans cette forêt, des malfrats venaient d’habitude s’y replier après les forfaits commis dans les agglomérations des environs. Ce qui faisait de ce lieu, une zone d’insécurité jusqu’à un passé récent. « Plusieurs agressions, vols et meurtres avaient été enregistrés dans la zone, mais on a noté quand même une régression de ces délits cette année », révèle Koupaki.
Si l’insécurité a diminué, la menace des ordures a augmenté. Un peu partout dans les environs immédiats des agglomérations, les riverains déposent des déchets ménagers. Ce qui enlaidit davantage le visage de cet espace. On note le plus de dépôts d’ordures au Nord Est de la forêt, à l’entrée de Boune. Ici, le mur de clôture s’est totalement affaissé, des tuyaux évacuent de l’eau de pluie à l’intérieur de la forêt. Bruno Koupaki, le chef de la brigade forestière de Mbao fait remarquer : « Ils le font souvent sans notre accord. L’eau asphyxie les racines et tue les arbres ».
A l’entrée de Keur Massar où une bonne partie de la forêt sert de gare routière de fortune, de la latérite est déversée. D’après les responsables de la brigade forestière, une société de la place a obtenu deux parcelles de 7.000 mètres carrés pour y construire deux stations d’essence. Une agression de plus pour cette forêt ! Les promoteurs privés sont, eux aussi, à l’affût. Ils font tout pour disposer encore d’espace. Selon les responsables de la brigade, chaque jour des gens s’adressent à eux pour des demandes d’autorisation. La dernière en date est relative à la construction d’une station d’essence au croissement de Petit Mbao. Mais, la réponse est toujours la même ; invariable : « Nous n’avons pas le droit ; c’est une forêt classée ». Malgré tout, les occupations se poursuivent et les menaces continuent de peser sur le seul poumon vert de la capitale.
Reportage de Aly DIOUF et Maguette NDONG