Des cardinaux sont-ils impliqués dans la fuite de documents confidentiels, des correspondances privées destinées à Benoît XVI, qui secoue depuis une semaine le monde du Vatican? Deux quotidiens italiens, plutôt sérieux en matière de couverture du Saint-Siège - Il Messagero et Il Corriere della Sera -, l'affirmaient lundi matin en donnant la parole à des sources vaticanes de hauts rangs, sous couvert toutefois d'anonymat mais avec des discours visiblement bien informés et, surtout, très cohérents.
Affirmations en revanche démenties, lundi en début d'après midi, par le père Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège. «Une pure fantaisie», a-t-il affirmé. Il a reconnu que la commission - formée à la demande de Benoît XVI - pour établir la vérité sur ces fuites, interrogeait actuellement des cardinaux, chefs de dicastères (de ministères de la curie romaine) et une série de responsables à tous les niveaux de cette administration de l'Église catholique, mais il a formellement démenti le fait qu'un cardinal ou plusieurs d'entre eux puissent être les cerveaux de l'affaire.
La semaine dernière, un livre publié en Italie, Sua Santita, le carte segrete di Benedetto XVI, rédigé par le journaliste Gianluigi Nuzzi, a provoqué un véritable séisme car la matière de l'ouvrage est composée d'authentiques lettres, très personnelles, écrites directement à Benoît XVI par les plus hauts responsables de l'Église. Tous ces documents finissent par critiquer le dysfonctionnement actuel de la curie romaine. Et ils accusent implicitement le numéro 2 du Pape, le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d'État, de ne pas être à la hauteur de la situation. Depuis, c'est la chasse à l'homme pour savoir qui a subtilisé ces pièces confidentielles et qui a orchestré l'opération.
«Nous sommes un groupe», affirme, dans le livre, celui qui a remis les textes au journaliste. Mercredi dernier, le majordome du Pape, Paolo Gabriele, a été arrêté par la gendarmerie vaticane. Soupçonné d'avoir reproduit ces documents secrets, il est en cours d'interrogatoire par un juge dépêché par la justice du Saint-Siège. Son avocat, Carlo Fusco, le dit «très serein et tranquille». Jeudi dernier, c'est le président de la banque du Vatican, Ettore Gotti Tedeschi, pourtant très proche du Pape, qui a été limogé. Hier, le père Lombardi a assuré que ces deux faits n'avaient pourtant rien à voir entre eux, même si la lecture du livre de Nuzzi démontre le contraire: il est très largement question, dans ces pages, du rôle joué par ce banquier.
Une absence remarquée
Autre indice à interpréter toutefois avec prudence: l'absence, dimanche, lors de la messe de Pentecôte qui réunit à Rome autour du Pape tous les cardinaux résidant dans la Ville éternelle, de deux cardinaux réputés pour être en froid avec le cardinal Bertone: son prédécesseur immédiat à ce poste de secrétaire d'État et actuel doyen du sacré collège, le cardinal Angelo Sodano. Et le cardinal Re, ancien responsable de la nomination des évêques. Tous les deux furent des hommes clés du pontificat de Jean-Paul II.
En attendant, Benoît XVI est affecté par cette crise. Il ne l'a pas caché, dimanche, lors de cette cérémonie publique. Lundi, le père Lombardi a assuré que le Pape suivait avec une grande attention le déroulement de cette enquête «très conscient de la situation délicate» traversée par l'Église et de «l'image négative» qu'elle génère. Assurant toutefois que Benoît XVI démontrait «toujours» une «supériorité morale et de foi» dans l'épreuve.
Mais un autre témoignage, issu de son entourage proche au Vatican, repris, lundi matin dans la presse italienne, indique que Benoît XVI aurait «pleuré» en apprenant le limogeage de son ami, Ettor Gotti Tedeschi. Il se serait même mis «en colère» en lançant, selon cette source: «La vérité sortira au grand jour.»
Par Jean-Marie Guénois