La Justice est la « limite » de l’existence, sa borne, quand l’abri (habitat), le travail (production), la pensée (abstraction) et la mort (néant) en sont des fondamentaux. La Justice, c’est la Dikè des Grecs. De telle sorte que si la justice est parodique, elle n’est plus elle-même. Les deux termes, en effet, s’excluent. Quand l’un est vrai, il ruine l’autre. Cependant, les rassembler dans une seule expression, c’est accorder primauté à la « parodie » et, de facto, douter de la Justice. Ce faisant, ce serait supposer que la CPI ne serait composée que de parodistes. Si tel était le cas, alors la force et le règne du Droit s’effondrerait. La quête que pose Frédéric Taddeï est donc grave, même en sa formulation interrogative. Mais elle, dans la mesure où elle voudrait entendre les deux parties : pro-Ouattara et pro-Gbagbo. Les pro-Bédié ne semblent pas être directement concernés.
Nul ne peut fonder en raison une sortie-de-soi pour entrer dans la question posée, s’il n’éclaire pas au préalable ce qu’est une parodie. Nous tenons le vocable du grec parôdia, composé de para (pour) et odê (chant). Une parodie désigne une imitation burlesque. En l’occurrence, et dans sa formulation interrogative, la question pro-voque pour savoir si la justice de la CPI ne serait pas une injustice. Au sens où, dans sa forme, elle respecterait la forme (procédure et caractéristiques générales) d’un procès, mais sans égard à la vérité des faits et des intentions qui seule peut établir les responsabilités d’un prévenu. Une « parodie de justice » ou une justice de parodie est un procès qui, d’avance, a son « bouc-émissaire », pharmacon et pharmacos, comme disaient les Grecs anciens. S’agissant de « Gbagbo », Frédéric Taddeï voudrait donc savoir si la CPI n’entame pas une « ode », un « chant » dont l’air connu aurait d’avance désigné un coupable ? A propos de cette affaire, Jeune Afrique risque un titre : « Présumé coupable ». La titrologie, dont les Ivoiriens sont des spécialistes, rajoute à la suspicion. Mais deux autres faits peuvent être allégués, qui renforcent la thèse de l’éventuelle « parodie ». Analysons-les.
La «raison d’état» n’est pas un motif juridique ni de droit pénal
Tout d’abord, une prédiction. En 2002, onze ans avant la terrible crise postélectorale, le président Blaise Compaoré, ami politique puis adversaire acharné de Laurent Gbagbo, affirma avec une troublante assurance : Gbagbo finira au Tribunal Pénal International, comme Milosevic. Parole prémonitoire, qui peut être entendue par deux paires d’oreilles différentes. Selon la première paire, le jugement de Blaise Compaoré donne à penser qu’un plan de transfèrement à la Haye est prémédité de longue date, avec pour objectif un bannissement politique ou un éloignement. C’est la thèse du complot qui explique et conforte celle de la « parodie ». D’après la deuxième paire d’oreilles, l’appréciation du « beau Blaise » ne serait qu’une juste anticipation sur le cours ou la mécanique des événements. C’est la thèse de la prophétie, aussi répandue que celle du complot.
Ensuite, une condamnation anticipée. En effet, dans un texte récent, alors que la procédure n’en est qu’au stade de la confirmation ou non des charges contre Laurent Gbagbo, le professeur d’anthropologie Jean-Pierre Dozon recommande à la Cour pénale internationale de rendre un verdict de condamnation. Jean-Pierre Dozon est comme le journal Le Monde, il paraît toujours avec un jour d’avance. Il est déjà dans le procès, alors que celui-ci n’a pas encore débuté. Relisons ce qu’il en dit :
«Hypothèse, Gbagbo est libéré, il retourne donc au pays. Pour son camp, c’est une victoire totale et même un retour à la case départ. Car, beaucoup le considéreront comme le Président ! Le foutoir total, les conséquences pires que si Gbagbo est finalement condamné. Il sera considéré comme un héros, un vainqueur et un président ; le pays, lui, deviendra ingouvernable.
Voilà pourquoi Gbagbo doit être condamné…»
Si l’on en croit l’éminent professeur, Gbagbo ne devrait pas être condamné pour crimes, mais pour « raison d’état », c’est-à-dire pour cause de stabilité politique et financière de la Côte d’Ivoire, ce qui n’est pas un motif juridique ni de droit pénal. Quelle belle idiotie ! Il reste tout de même étonnant qu’un si grand professeur écrive de tels propos, qui sont hors de tout bon sens et tendent jeter un sérieux discrédit sur une institution aussi remarquable que la CPI. En outre, il commet une lourde faute d’appréciation et dévoile une étrange conception de la séparation des pouvoirs, car il remet en cause l’autonomie du « pouvoir judiciaire ». Le professeur ne semble pas avoir lu Montesquieu et encore moins Mably. Par ailleurs, il innove, en matière institutionnelle. Car, si jusqu’ici l’on a vu des pouvoirs politiques fouler au pied la séparation des pouvoirs et dicter des verdicts à la Justice, jamais de mémoire de républicain et de démocrate, nous n’avions vu l’université le faire. C’est une première dans les annales de l’histoire judiciaire et politique.
Au fond, Jean-Pierre Dozon croit affaiblir Gbagbo, en prônant comme argument premier principal la stabilité politique d’un pays, ce qui n’entre pas dans le champ des compétences de la CPI. En fait, il renforce les tenants de l’hypothèse contraire selon laquelle il ne s’agirait de rien de plus qu’une « parodie de justice », autrement dit d’un procès politique qui n’ose pas dire son nom. Il n’est pas besoin d’être grand clerc, pour s’apercevoir des fadaises de Jean-Pierre Dozon qui jettent un doute sur l’indépendance et l’impartialité la CPI.
Le droit doit être rendu
Après avoir retenu et analyser, de façon brève, deux points de vue relatifs au prédictible procès (Blaise Compaoré) et à l’indispensable condamnation de Laurent Gbagbo par la CPI (Jean-Pierre Dozon), portons attention à l’idée selon laquelle la CPI n’est pas une instance neutre. Sur cette partialité, mille opinions se sont exprimées. Nous n’en retiendrons qu’une seule, parce qu’elle est à la fois une synthèse, la formulation la plus complète et la mieux argumentée. Elle est exprimée par Ahmed Ibrahim El-Tahir, président de l’Assemblée nationale du Soudan, lors d’une interview dans le numéro de janvier 2013 d'Hommes d’Afrique Magazine : «Nous, le Soudan, dit-il, ne sommes pas membre de la CPI et nous rejetons toutes les procédures de la CPI […] parce que la CPI n’est pas une cour de justice […] Une cour de justice doit être indépendante, rationnelle et impartiale. Mais la CPI est sous la dépendance du Conseil de sécurité des Nations Unies. En outre, la CPI a convenu avec l’Union européenne de garantir l’immunité de poursuite aux citoyens européens».
Il formule d’autres réserves : «La CPI n’est pas une cour officielle ; elle n’appartient pas au système des Nations Unies. […] La CPI ne peut pas être qualifiée de cour « internationale » […] Il ne devrait pas y avoir de lien de dépendance de la CPI par rapport au Conseil de sécurité de l’ONU puisque ce Conseil est un organe politique.»
Le lecteur l’aura compris, Ahmed Ibrahim El-Tahir concentre sa critique sur le « statut » même de la CPI, à l’aide quatre arguments : elle n’est pas une cour de justice, encore moins une cour officielle, surtout pas une cour internationale et elle est sous dépendance politique. Il en déduit que le fonctionnement de la CPI ne se fonde pas sur le droit qu’elle est pourtant censée appliquer. Somme toute, la CPI est une aporie, une contradiction insurmontable entre, d’un côté, le principe juridique qui la fonde, et, d’un autre côté, son statut et son fonctionnement. Hegel eût fait un festin de telles contradictions. La CPI, in fine, ne serait qu’un outil supplémentaire au service des Puissants.
Après avoir passé au tour les points de vue des deux camps, et sans aller plus avant, force est de constater qu’ils ne sont opposés qu’en apparence, et pas sur le fond. En effet, Jean-Pierre Dozon et Ahmed Ibrahim El-Tahir s’accordent au moins sur un point : la CPI n’est pas une institution indépendante. Le premier, à ce titre, suggère à la CPI de ne pas respecter les règles et la procédure du droit. Le second, lui, estime que la CPI ne peut respecter les règles et la procédure du droit. Ces deux points de vue décrédibilise la CPI.
La thèse de la « parodie de justice » l’emporte donc. Elle est dominante. Et pourtant, il y a eu plus de cinq mille (5.000) morts en Côte d’Ivoire, le droit doit être rendu : équilibre des parties, présomption d’innocence et recherche de la vérité. Comme l’a dit un jour Lamartine, ce réel ami des Noirs : «Je suis concitoyen de toute âme qui pense : La vérité, c’est mon pays».
Dans ce procès, l'avenir de la Côte d'ivoire est en jeu
Dans une procédure de confirmation ou non des charges, peut-être est-il instructif de rappeler ce mot si apaisant d’Andromaque dans la tragédie d'Euripide :
«Voici la règle que je loue et que je me prescris :
Ni dans ma cité ni dans mon ménage,
Nul pouvoir où ne soit le droit.»
Ainsi, aussi dures qu’en soient les conditions, être en prison comme l’est Laurent Gbagbo n’est pas une infamie. Lui, qui a souvent séjourné en prison pour des raisons politiques, semble l’avoir admis. Il lui arrive d’en plaisanter. Un jour, mon père dit à ma sœur Marie-Françoise : La prison n’est pas faite pour les chiens. Et il n’avait pas tort. Car la nature n’offre aucun spectacle de prison. Hegel dit autrement cette haute vérité dans sa Philosophie du droit : Seul peut être contraint à quelque chose celui qui veut se laisser contraindre.
Au terme de cette première partie de notre article, nous voudrions rappeler deux vérités : le Droit est une conquête. Et nous devons postuler, contre Jean-Pierre Dozon et Ahmed Ibrahim El-Tahir, que la Cour pénale internationale est libre et, de droit, rendra librement sa décision. La CPI ne saurait être réduite à l’activité d’une procureure qui, de surcroît, n’a manifestement pas bien préparé son dossier.
Nous devons, dans le prolongement de cette idée, atténuer les alarmes du brillant maître Emmanuel Altit, avocat de Laurent Gbagbo, et selon lesquelles, dans cette procédure, c’est l’avenir de la Côte d’Ivoire qui est en jeu. Bien étrangement, maître Altit use du même type d’argumentaire que Jean-Pierre Dozon : la dramatisation certaine qui résulterait du verdict, s’il était défavorable à son client. Ce sont des faux contraires, ou pour parler comme Hegel, c’est l’unité des contraires. Mais avec à la différence près, que pour Jean-Pierre Dozon, de la libération de Laurent Gbagbo il résulterait un effroyable chaos.
Dussions-nous le rappeler, la CPI n’a été instituée que pour rendre le droit et la justice, et rien d’autre. L’unité nationale ivoirienne ne dépend pas d’elle, mais « uniquement » des Ivoiriens#, notamment de sa classe politique, lorsque celle-ci se décidera à devenir intelligente. La Cour pénale internationale n’est pas habilitée à faire de la politologie. Elle n’a pas vocation à devenir une institution ivoirienne, qui serait - et on le comprendrait alors - dans la recherche d’un consensus national. Le droit ne peut dépendre des « circonstances », aussi difficiles et pénibles soit-elles. Sinon, elle serait tout, sauf un corps de principe et une procédure.
Deux autres articles suivront. Le prochain constituera le second volet de nos réflexions, dans lequel nous étudierons l’actuel contexte politique ivoirien, pour montrer en quoi il revient aux Ivoiriens d’aimer leur pays-État, sans tenir compte de la Cour pénale Internationale.
Un dernier article, le troisième et dernier, sera consacré à quelques propositions pour aider le « beau pays » à sortir de sa crise post-électorale.
Tavares Pierre Franklin
Nul ne peut fonder en raison une sortie-de-soi pour entrer dans la question posée, s’il n’éclaire pas au préalable ce qu’est une parodie. Nous tenons le vocable du grec parôdia, composé de para (pour) et odê (chant). Une parodie désigne une imitation burlesque. En l’occurrence, et dans sa formulation interrogative, la question pro-voque pour savoir si la justice de la CPI ne serait pas une injustice. Au sens où, dans sa forme, elle respecterait la forme (procédure et caractéristiques générales) d’un procès, mais sans égard à la vérité des faits et des intentions qui seule peut établir les responsabilités d’un prévenu. Une « parodie de justice » ou une justice de parodie est un procès qui, d’avance, a son « bouc-émissaire », pharmacon et pharmacos, comme disaient les Grecs anciens. S’agissant de « Gbagbo », Frédéric Taddeï voudrait donc savoir si la CPI n’entame pas une « ode », un « chant » dont l’air connu aurait d’avance désigné un coupable ? A propos de cette affaire, Jeune Afrique risque un titre : « Présumé coupable ». La titrologie, dont les Ivoiriens sont des spécialistes, rajoute à la suspicion. Mais deux autres faits peuvent être allégués, qui renforcent la thèse de l’éventuelle « parodie ». Analysons-les.
La «raison d’état» n’est pas un motif juridique ni de droit pénal
Tout d’abord, une prédiction. En 2002, onze ans avant la terrible crise postélectorale, le président Blaise Compaoré, ami politique puis adversaire acharné de Laurent Gbagbo, affirma avec une troublante assurance : Gbagbo finira au Tribunal Pénal International, comme Milosevic. Parole prémonitoire, qui peut être entendue par deux paires d’oreilles différentes. Selon la première paire, le jugement de Blaise Compaoré donne à penser qu’un plan de transfèrement à la Haye est prémédité de longue date, avec pour objectif un bannissement politique ou un éloignement. C’est la thèse du complot qui explique et conforte celle de la « parodie ». D’après la deuxième paire d’oreilles, l’appréciation du « beau Blaise » ne serait qu’une juste anticipation sur le cours ou la mécanique des événements. C’est la thèse de la prophétie, aussi répandue que celle du complot.
Ensuite, une condamnation anticipée. En effet, dans un texte récent, alors que la procédure n’en est qu’au stade de la confirmation ou non des charges contre Laurent Gbagbo, le professeur d’anthropologie Jean-Pierre Dozon recommande à la Cour pénale internationale de rendre un verdict de condamnation. Jean-Pierre Dozon est comme le journal Le Monde, il paraît toujours avec un jour d’avance. Il est déjà dans le procès, alors que celui-ci n’a pas encore débuté. Relisons ce qu’il en dit :
«Hypothèse, Gbagbo est libéré, il retourne donc au pays. Pour son camp, c’est une victoire totale et même un retour à la case départ. Car, beaucoup le considéreront comme le Président ! Le foutoir total, les conséquences pires que si Gbagbo est finalement condamné. Il sera considéré comme un héros, un vainqueur et un président ; le pays, lui, deviendra ingouvernable.
Voilà pourquoi Gbagbo doit être condamné…»
Si l’on en croit l’éminent professeur, Gbagbo ne devrait pas être condamné pour crimes, mais pour « raison d’état », c’est-à-dire pour cause de stabilité politique et financière de la Côte d’Ivoire, ce qui n’est pas un motif juridique ni de droit pénal. Quelle belle idiotie ! Il reste tout de même étonnant qu’un si grand professeur écrive de tels propos, qui sont hors de tout bon sens et tendent jeter un sérieux discrédit sur une institution aussi remarquable que la CPI. En outre, il commet une lourde faute d’appréciation et dévoile une étrange conception de la séparation des pouvoirs, car il remet en cause l’autonomie du « pouvoir judiciaire ». Le professeur ne semble pas avoir lu Montesquieu et encore moins Mably. Par ailleurs, il innove, en matière institutionnelle. Car, si jusqu’ici l’on a vu des pouvoirs politiques fouler au pied la séparation des pouvoirs et dicter des verdicts à la Justice, jamais de mémoire de républicain et de démocrate, nous n’avions vu l’université le faire. C’est une première dans les annales de l’histoire judiciaire et politique.
Au fond, Jean-Pierre Dozon croit affaiblir Gbagbo, en prônant comme argument premier principal la stabilité politique d’un pays, ce qui n’entre pas dans le champ des compétences de la CPI. En fait, il renforce les tenants de l’hypothèse contraire selon laquelle il ne s’agirait de rien de plus qu’une « parodie de justice », autrement dit d’un procès politique qui n’ose pas dire son nom. Il n’est pas besoin d’être grand clerc, pour s’apercevoir des fadaises de Jean-Pierre Dozon qui jettent un doute sur l’indépendance et l’impartialité la CPI.
Le droit doit être rendu
Après avoir retenu et analyser, de façon brève, deux points de vue relatifs au prédictible procès (Blaise Compaoré) et à l’indispensable condamnation de Laurent Gbagbo par la CPI (Jean-Pierre Dozon), portons attention à l’idée selon laquelle la CPI n’est pas une instance neutre. Sur cette partialité, mille opinions se sont exprimées. Nous n’en retiendrons qu’une seule, parce qu’elle est à la fois une synthèse, la formulation la plus complète et la mieux argumentée. Elle est exprimée par Ahmed Ibrahim El-Tahir, président de l’Assemblée nationale du Soudan, lors d’une interview dans le numéro de janvier 2013 d'Hommes d’Afrique Magazine : «Nous, le Soudan, dit-il, ne sommes pas membre de la CPI et nous rejetons toutes les procédures de la CPI […] parce que la CPI n’est pas une cour de justice […] Une cour de justice doit être indépendante, rationnelle et impartiale. Mais la CPI est sous la dépendance du Conseil de sécurité des Nations Unies. En outre, la CPI a convenu avec l’Union européenne de garantir l’immunité de poursuite aux citoyens européens».
Il formule d’autres réserves : «La CPI n’est pas une cour officielle ; elle n’appartient pas au système des Nations Unies. […] La CPI ne peut pas être qualifiée de cour « internationale » […] Il ne devrait pas y avoir de lien de dépendance de la CPI par rapport au Conseil de sécurité de l’ONU puisque ce Conseil est un organe politique.»
Le lecteur l’aura compris, Ahmed Ibrahim El-Tahir concentre sa critique sur le « statut » même de la CPI, à l’aide quatre arguments : elle n’est pas une cour de justice, encore moins une cour officielle, surtout pas une cour internationale et elle est sous dépendance politique. Il en déduit que le fonctionnement de la CPI ne se fonde pas sur le droit qu’elle est pourtant censée appliquer. Somme toute, la CPI est une aporie, une contradiction insurmontable entre, d’un côté, le principe juridique qui la fonde, et, d’un autre côté, son statut et son fonctionnement. Hegel eût fait un festin de telles contradictions. La CPI, in fine, ne serait qu’un outil supplémentaire au service des Puissants.
Après avoir passé au tour les points de vue des deux camps, et sans aller plus avant, force est de constater qu’ils ne sont opposés qu’en apparence, et pas sur le fond. En effet, Jean-Pierre Dozon et Ahmed Ibrahim El-Tahir s’accordent au moins sur un point : la CPI n’est pas une institution indépendante. Le premier, à ce titre, suggère à la CPI de ne pas respecter les règles et la procédure du droit. Le second, lui, estime que la CPI ne peut respecter les règles et la procédure du droit. Ces deux points de vue décrédibilise la CPI.
La thèse de la « parodie de justice » l’emporte donc. Elle est dominante. Et pourtant, il y a eu plus de cinq mille (5.000) morts en Côte d’Ivoire, le droit doit être rendu : équilibre des parties, présomption d’innocence et recherche de la vérité. Comme l’a dit un jour Lamartine, ce réel ami des Noirs : «Je suis concitoyen de toute âme qui pense : La vérité, c’est mon pays».
Dans ce procès, l'avenir de la Côte d'ivoire est en jeu
Dans une procédure de confirmation ou non des charges, peut-être est-il instructif de rappeler ce mot si apaisant d’Andromaque dans la tragédie d'Euripide :
«Voici la règle que je loue et que je me prescris :
Ni dans ma cité ni dans mon ménage,
Nul pouvoir où ne soit le droit.»
Ainsi, aussi dures qu’en soient les conditions, être en prison comme l’est Laurent Gbagbo n’est pas une infamie. Lui, qui a souvent séjourné en prison pour des raisons politiques, semble l’avoir admis. Il lui arrive d’en plaisanter. Un jour, mon père dit à ma sœur Marie-Françoise : La prison n’est pas faite pour les chiens. Et il n’avait pas tort. Car la nature n’offre aucun spectacle de prison. Hegel dit autrement cette haute vérité dans sa Philosophie du droit : Seul peut être contraint à quelque chose celui qui veut se laisser contraindre.
Au terme de cette première partie de notre article, nous voudrions rappeler deux vérités : le Droit est une conquête. Et nous devons postuler, contre Jean-Pierre Dozon et Ahmed Ibrahim El-Tahir, que la Cour pénale internationale est libre et, de droit, rendra librement sa décision. La CPI ne saurait être réduite à l’activité d’une procureure qui, de surcroît, n’a manifestement pas bien préparé son dossier.
Nous devons, dans le prolongement de cette idée, atténuer les alarmes du brillant maître Emmanuel Altit, avocat de Laurent Gbagbo, et selon lesquelles, dans cette procédure, c’est l’avenir de la Côte d’Ivoire qui est en jeu. Bien étrangement, maître Altit use du même type d’argumentaire que Jean-Pierre Dozon : la dramatisation certaine qui résulterait du verdict, s’il était défavorable à son client. Ce sont des faux contraires, ou pour parler comme Hegel, c’est l’unité des contraires. Mais avec à la différence près, que pour Jean-Pierre Dozon, de la libération de Laurent Gbagbo il résulterait un effroyable chaos.
Dussions-nous le rappeler, la CPI n’a été instituée que pour rendre le droit et la justice, et rien d’autre. L’unité nationale ivoirienne ne dépend pas d’elle, mais « uniquement » des Ivoiriens#, notamment de sa classe politique, lorsque celle-ci se décidera à devenir intelligente. La Cour pénale internationale n’est pas habilitée à faire de la politologie. Elle n’a pas vocation à devenir une institution ivoirienne, qui serait - et on le comprendrait alors - dans la recherche d’un consensus national. Le droit ne peut dépendre des « circonstances », aussi difficiles et pénibles soit-elles. Sinon, elle serait tout, sauf un corps de principe et une procédure.
Deux autres articles suivront. Le prochain constituera le second volet de nos réflexions, dans lequel nous étudierons l’actuel contexte politique ivoirien, pour montrer en quoi il revient aux Ivoiriens d’aimer leur pays-État, sans tenir compte de la Cour pénale Internationale.
Un dernier article, le troisième et dernier, sera consacré à quelques propositions pour aider le « beau pays » à sortir de sa crise post-électorale.
Tavares Pierre Franklin