Pas besoin d’être grand voyageur ou chamane pour savoir que Haïti, la première République noire, née au monde en 1804, est sortie du ventre bouillant de l’Afrique. Ça tombe sous le coup du bon sens, mieux, ça se voit à l’œil nu. On peut avancer que la patrie du nouvel académicien Dany Laferrière est sans doute le seul cas de figure où le terme de diaspora s’applique proprement à cause de sa population d’ascendance très largement africaine.
Hier, les relations culturelles entre l’Afrique et l’ancienne « perle des Antilles » étaient synonymes d’attraction et de répulsion, de mémoire ravivée et d’oubli savamment entretenu. Qui d’autre que le grand poète Aimé Césaire pour nous faire sentir leurs cœurs jumeaux battre de conserve : « Haïti, c’est un pays qui, avec l’Afrique, tient dans mon esprit, dans mon âme, dans mon cœur une place particulière. »
Racines historiques et spirituelles
A l’orée des années 1960, le Martiniquais va tresser les racines historiques et spirituelles communes de part et d’autre de l’océan Atlantique, puis lire l’histoire neuve de l’Afrique à l’aune de celle de l’ancienne Saint-Domingue : « Il était normal, par conséquent, que j’écrive une pièce sur Haïti… D’abord, il y a l’impulsion intérieure, à savoir le besoin que j’ai de parler de Haïti ; et, en même temps, ça coïncidait avec l’accès à l’indépendance des pays africains… Alors j’ai eu l’idée de situer en Haïti le problème de l’homme noir assailli par l’indépendance. Parce que c’est le premier pays noir à avoir été confronté avec ces questions. Ce que le Congo, la Guinée, le Mali ont connu vers 1956-1960, Haïti l’a connu dès 1801. Et le roi Christophe, c’est l’homme noir aux prises avec la nécessité qu’il y a de bâtir un pays, de bâtir un Etat. »
Dès les années 1940, la diplomatie haïtienne multiplie les actions auprès des Nations unies pour protester contre l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini et pour hâter le mouvement de la décolonisation. Les indépendances acquises, une partie de l’intelligentsia se rend en Afrique pour contribuer à l’édification des jeunes nations, notamment au Sénégal, en Guinée ou encore au Congo-Kinshasa. Ils sont nombreux les enseignants, médecins et ingénieurs haïtiens à se retrousser les manches du côté de Dakar, Conakry ou Léopoldville. Si le cinéaste Raoul Peck, natif de Port-au-Prince, a consacré trois de ses films importants au continent (deux sur le héros tragique Lumumba et le dernier au génocide des Tutsis du Rwanda), c’est qu’il connaît intimement cette partie de l’Afrique qui a bercé toute son enfance.
En janvier 2014, en marge du 22e sommet de l’Union africaine, le gouvernement du président Martelly affiche clairement la volonté de son pays de rejoindre cette dernière. Deux ans plus tôt, Haïti a été admis comme pays observateur avant de devenir, quelques mois plus tard, membre associé de l’organisation. Si la demande est portée par Gary Conille, le premier ministre de l’époque, son successeur Laurent Lamothe a touché au cœur l’institution panafricaine en déclarant que « Haïti, c’est l’Afrique dans la Caraïbe » et en soulignant que ses compatriotes restent « des Africains dans leurs âmes, dans leurs cœurs et dans leurs mœurs ». Il aurait pu ajouter le rôle de lien que la langue française a toujours joué dans leur culture et que les petits-enfants de Toussaint Louverture partagent avec beaucoup d’Africains.
L’Afrique dans la Caraïbe
Le retour de Port-au-Prince dans le giron africain est un symbole très significatif. D’autres nations diasporiques comme la Jamaïque, Trinidad, la Grenade ou Cuba, pourraient suivre l’exemple haïtien. Les Etats-Unis d’Afrique seraient ainsi en marche sur le contient et dans ses avant-postes transatlantiques, tout près de la zone d’influence de l’Oncle Sam. Le vieux rêve panafricain verrait le jour. Et l’empereur Hailé Sélassié aurait de fervents adeptes d’Addis-Abeba à Kingston la rebelle.
Dans moins de deux mois, Haïti sera officiellement accueilli comme Etat membre de l’UA en marge du sommet régional qui se tiendra au Malawi. Si l’adhésion se concrétise, elle représentera un avantage diplomatique non négligeable pour Port-au-Prince. Enfin, elle mettra du baume dans les cœurs meurtris des deux côtés de l’Atlantique. Les dieux des panthéons africains et caribéens reprendront, cette fois officiellement, leur souverain dialogue mystique qui n’avait pas pu être interrompu par la distance et par le passage des siècles. A leurs yeux, l’Afrique et Haïti où, selon la formule de Césaire, « la négritude s’est mis debout pour la première fois », ont toujours été une seule et même terre.
Ndlr : L’auteur de cette chronique, Abdourahman A. Waberi, né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti produit sa réflexion dans les colonnes du quotidien français Le Monde. Il vit entre Paris et les Etats-Unis où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, de Aux Etats-Unis d’Afrique (JC Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (Zulma).
Hier, les relations culturelles entre l’Afrique et l’ancienne « perle des Antilles » étaient synonymes d’attraction et de répulsion, de mémoire ravivée et d’oubli savamment entretenu. Qui d’autre que le grand poète Aimé Césaire pour nous faire sentir leurs cœurs jumeaux battre de conserve : « Haïti, c’est un pays qui, avec l’Afrique, tient dans mon esprit, dans mon âme, dans mon cœur une place particulière. »
Racines historiques et spirituelles
A l’orée des années 1960, le Martiniquais va tresser les racines historiques et spirituelles communes de part et d’autre de l’océan Atlantique, puis lire l’histoire neuve de l’Afrique à l’aune de celle de l’ancienne Saint-Domingue : « Il était normal, par conséquent, que j’écrive une pièce sur Haïti… D’abord, il y a l’impulsion intérieure, à savoir le besoin que j’ai de parler de Haïti ; et, en même temps, ça coïncidait avec l’accès à l’indépendance des pays africains… Alors j’ai eu l’idée de situer en Haïti le problème de l’homme noir assailli par l’indépendance. Parce que c’est le premier pays noir à avoir été confronté avec ces questions. Ce que le Congo, la Guinée, le Mali ont connu vers 1956-1960, Haïti l’a connu dès 1801. Et le roi Christophe, c’est l’homme noir aux prises avec la nécessité qu’il y a de bâtir un pays, de bâtir un Etat. »
Dès les années 1940, la diplomatie haïtienne multiplie les actions auprès des Nations unies pour protester contre l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini et pour hâter le mouvement de la décolonisation. Les indépendances acquises, une partie de l’intelligentsia se rend en Afrique pour contribuer à l’édification des jeunes nations, notamment au Sénégal, en Guinée ou encore au Congo-Kinshasa. Ils sont nombreux les enseignants, médecins et ingénieurs haïtiens à se retrousser les manches du côté de Dakar, Conakry ou Léopoldville. Si le cinéaste Raoul Peck, natif de Port-au-Prince, a consacré trois de ses films importants au continent (deux sur le héros tragique Lumumba et le dernier au génocide des Tutsis du Rwanda), c’est qu’il connaît intimement cette partie de l’Afrique qui a bercé toute son enfance.
En janvier 2014, en marge du 22e sommet de l’Union africaine, le gouvernement du président Martelly affiche clairement la volonté de son pays de rejoindre cette dernière. Deux ans plus tôt, Haïti a été admis comme pays observateur avant de devenir, quelques mois plus tard, membre associé de l’organisation. Si la demande est portée par Gary Conille, le premier ministre de l’époque, son successeur Laurent Lamothe a touché au cœur l’institution panafricaine en déclarant que « Haïti, c’est l’Afrique dans la Caraïbe » et en soulignant que ses compatriotes restent « des Africains dans leurs âmes, dans leurs cœurs et dans leurs mœurs ». Il aurait pu ajouter le rôle de lien que la langue française a toujours joué dans leur culture et que les petits-enfants de Toussaint Louverture partagent avec beaucoup d’Africains.
L’Afrique dans la Caraïbe
Le retour de Port-au-Prince dans le giron africain est un symbole très significatif. D’autres nations diasporiques comme la Jamaïque, Trinidad, la Grenade ou Cuba, pourraient suivre l’exemple haïtien. Les Etats-Unis d’Afrique seraient ainsi en marche sur le contient et dans ses avant-postes transatlantiques, tout près de la zone d’influence de l’Oncle Sam. Le vieux rêve panafricain verrait le jour. Et l’empereur Hailé Sélassié aurait de fervents adeptes d’Addis-Abeba à Kingston la rebelle.
Dans moins de deux mois, Haïti sera officiellement accueilli comme Etat membre de l’UA en marge du sommet régional qui se tiendra au Malawi. Si l’adhésion se concrétise, elle représentera un avantage diplomatique non négligeable pour Port-au-Prince. Enfin, elle mettra du baume dans les cœurs meurtris des deux côtés de l’Atlantique. Les dieux des panthéons africains et caribéens reprendront, cette fois officiellement, leur souverain dialogue mystique qui n’avait pas pu être interrompu par la distance et par le passage des siècles. A leurs yeux, l’Afrique et Haïti où, selon la formule de Césaire, « la négritude s’est mis debout pour la première fois », ont toujours été une seule et même terre.
Ndlr : L’auteur de cette chronique, Abdourahman A. Waberi, né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti produit sa réflexion dans les colonnes du quotidien français Le Monde. Il vit entre Paris et les Etats-Unis où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, de Aux Etats-Unis d’Afrique (JC Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (Zulma).