Viviane WADE : J’ai vu qu’à travers la presse, on se posait des questions normales. Mais je pense que le processus de retrait est tout à fait déclenché, parce que je commençais à donner petit à petit… (elle ne termine pas sa phrase). Tout d’abord, je voudrais préciser que, on confond l’Association Education Santé, créée en 2000, avec la Fondation Agir pour l’Education et la Santé. Aujourd’hui, je me contenterai simplement de parler de l’Association, parce que la Fondation est pendante.
Pendante, c’est-à-dire ?
C’est-à-dire qu’elle est pendante devant la Justice. Je suis obligée, étant donné mon âge, de remettre l’hôpital (Ninéfesha) entre les mains du ministère de la Santé. J’ai été très troublée par le fait qu’on dise que j’allais mettre les clefs sous la porte’. C’est impossible pour moi de mettre les clefs sous la porte. Etant donné que j’ai travaillé pendant douze ans dans cette région. Je peux vous citer un exemple : autrefois quand j’arrivais à Ninéfésha, on (les populations locales) me disait ‘ah, tu viens du Sénégal’. Quand je repartais, on disait ‘ah, tu pars au Sénégal’. Et je leur disais qu’ils étaient Sénégalais, mais ils n’en croyaient pas. Les premières réunions que nous avons tenues pour discuter avec les populations de ce projet et l’administration sénégalaise, notamment le préfet de Kédougou et sous-préfet de Ninéfésha, c’était sous un arbre à palabres. Et le sous-préfet me dit : ‘pourtant Bandafassi est à quarante cinq kilomètres de piste’. Mais c’était très difficile à l’époque. Et je ne connaissais pas ces populations. C’est vrai, je les ai connues grâce au Père Xavier, qui était devenu un ami ayant passé dix-sept ans dans cette région.
Pour moi, faire quelque chose d’utile -je ne peux pas m’enorgueillir d’avoir une association- cela a toujours été l’éducation et la santé. Il ne peut pas y avoir d’éducation sans santé et une santé sans éducation. C’est peut-être naïf comme définition, mais c’est le cas. (…) Une école est plus difficile à s’approprier par les populations. Il faut s’occuper des mères pour qu’elles puissent comprendre l’importance de l’école. Ce qui nous amène à faire une petite ferme avec un immense jardin maraîcher. Et comme je suis très portée sur les produits bio… On peut y faire une quantité de choses comme, par exemple, lutter contre la mouche tsé-tsé qui sévit là-bas. Par exemple, lorsque les paysans voulaient préparer un hectare de fonio ou de maïs, ils étaient obligés de travailler à la Daaba. Le village étant très peu peuplé et le terrain étant très difficile à pratiquer, il était nécessaire de faire appel à la solidarité villageoise. C’est merveilleux la solidarité villageoise. Mais elle a un coût énorme. Cela veut dire que, chaque soir, il faut inviter les travailleurs à faire un dîner de fête. Et les femmes de ces paysans, qui sont privées de tout, généreusement, viennent pour préparer avec les autres femmes du village. Et donc les enfants arrivent aussi. Et ils ne s’en sortent pas. Alors, supprimer la mouche tsé-tsé, afin supprimer, c’est un gros mot, mais nous avions réussi à la réduire chaque année à 97,5 %. Ce n’était pas mal. Cela permettait aux animaux de progresser, d’avoir des vaches, des veaux et de reconstituer un petit cheptel.
Aujourd’hui, de quoi se retire Mme Wade ?
Petit à petit, je suis en train d’en finir avec cette association. Je n’ai vu personne qui soit attirée par cette région difficile. C’est éloigné pour y aller. Donc, la première chose, j’ai rendu déjà les écoles, pas officiellement, mais cela est en voie d’être fait. Les instituteurs provenaient de la Fonction publique, donc, c’est plus facile. On va remettre officiellement toutes les constructions que nous avons faites. Nous en avions construit quatre, dont une à Mbissao qui comporte des logements pour les instituteurs, des toilettes,… pour faciliter aux enfants l’acquisition de la première année de l’école primaire. On travaillait aussi dans le jardin pour les enfants. Nous en avons trois à Ninéfésha avec un pensionnat et des logements pour les instituteurs. Nous en avons aussi à Kikiryressu et à Metchou à 60 mètres de la Guinée Conakry. L’école de Metchou a été plus difficile parce qu’elle est trop à proximité des frontières. Les maris partaient d’un sens à l’autre et leurs femmes les suivaient de temps en temps et revenaient. Mais nous avons eu de petites filles qui se sont vraiment accrochées au travail. Nous avons fait un excellent travail avec l’Inéade de feu Cheikh Aw, notamment. On formait les instituteurs dans leur classe. C’était une expérience. Je n’ai pas la prétention de dire qu’il fallait faire une expérience pour que le ministère s’en empare dans la mesure de ses possibilités. A mon avis, c’était assez positif.
Ce qu’on pourrait me reprocher, c’est une architecture toujours très belle. Mais je pense que quand on va chez une population très pauvre, les cases, c’est très beau. Les gens s’approprient la beauté. On ne fait pas aux populations un cadeau vulgaire, et ça prend de l’importance. Et les mères viennent nettoyer les classes. Spontanément. Nous avons amené les mères à participer et à accrocher leurs filles à travers la ferme-école. Donc, je suis passionnée. Je me suis tellement passionnée qu’un jour l’ambassadeur (de France au Sénégal) André Parant m’a dite ‘oui nous aimerions bien aller à Ninéfésha’. Il avait dit que c’était un véritable pôle de développement. A sa suite, l’ambassadeur Ruffin a dit exactement les mêmes mots. Donc, aujourd’hui, il faut que la population sénégalaise soit mieux informée… Mais vouloir faire croire que ‘Mme Wade se venge’ de je ne sais pas qui. Non, je ne me venge pas. On ne peut pas se venger de quelque chose qui était pendant douze ans votre vie.
Aujourd’hui, est-ce que la gestion du plateau technique de Ninéfésha est en cause ?
Ah, non ! Non ! Elle est remise. Je pense que ce qui a déclenché la peur, l’Association avait recruté son propre petit personnel et l’hôpital ne peut pas supporter ce personnel qui ne travaille pas de manière gratuite. Il fallait que je le fasse régler. C’est ce qu’il a fallu. Actuellement, c’est l’armée qui est là-bas. Et ça marche très bien. A mon avis, l’armée est plus apte que les civils à s’adapter à des régions un peu isolées. Dernièrement, il y a une société sénégalaise qui a offert un très beau réfectoire pour le médecin. Il n’en avait pas et il logeait dans une case (…). Et je voulais faire une bibliothèque et je ferais une bibliothèque.
Vous l’avez notifié officiellement à l’Etat du Sénégal ?
Je vais le faire incessamment. Nous avons parlé à Awa Marie Coll-Seck (Mme le ministre de la Santé et de l’Action sociale). Nous allons lui dire que ‘voilà, nous vous remettons les clefs’. Je vais faire la lettre que je vais lui remettre. Elle me répondra et on va suivre la procédure.
Vous avez parlé de cette cession à Mme le ministre exactement quand ?
Je lui ai téléphoné aujourd’hui (hier mardi, ndlr) pour être précise.
Et l’Etat du Sénégal est dans les dispositions d’accepter la reprise de l’hôpital ?
Bien sûr. D’ailleurs, il l’a dit dans un journal.
Apparemment vous avez un peu mal vécu toutes ces révélations…
Mais, non ! On est habitué. (Elle répète). Je vous disais au début : ‘cette population frontalière ne sait pas où elle est. Si elle est au Mali ou au Sénégal comme dans le couloir de la Falémé. Elle ne sait pas bien où elle est à Ninéfésha. Même peut-être à Kédougou parfois, si elle est de l’autre côté de la frontière ou d’un autre. Un jour (en visite dans cette partie du pays) lorsque je repartais, je me suis faite arrêtée par des gens qui chantaient et dansaient. Ensuite, ils ont pris la parole pour dire ‘Viviane, on te doit beaucoup, mais’. Je me suis dite qu’est-ce qu’ils veulent me dire avec ce ‘mais’. Ah ! Ils ont continué. ‘Mais, ce qui compte le plus pour nous, c’est que tu nous as redonné notre dignité’. Alors, comment pourrais-je abandonner une région comme ça après un tel compliment.
Il ne vous est jamais venu à l’esprit de baisser les bras…
Ah, non! Tant que je pourrais, si le ministère de la Santé me le permet, je pourrais y amener des Fondations avec des chirurgiens. Ils y sont allés. Je pourrais dans la logique de mes moyens ou dans les circonstances faire quelque chose pour eux. Mais je ne peux plus diriger.
Donc, l’Association va se retirer définitivement.
Oui, officiellement du point de vue légal. Mais sentimentalement, je ferai toujours quelque chose pour eux.
Est-ce que ces activités ne vous manquent pas ?
Ecoutez, je ne peux dire que cela me manque, parce que ma vie a changé, en bien. Car j’ai retrouvé les gestes habituels d’une femme. Par exemple, pendant douze ans, quand on vous porte votre valise, vous êtes ankylosé. On est ankylosé, quand vous ne montez pas, on raccroche votre rideau que vous avez décroché… Maintenant, je le fais, mais il m’arrive que je me pince le pouce (éclats de rires), avec l’escabeau que je referme. Il ne m’arrivait jamais ces petites maladresses. Voilà, je reprends la vie d’une femme normale.
Le Sénégal vous manque ?
Beaucoup. (Elle le répète trois fois).
Vous comptez revenir ?
Bien sûr !
Quel message avez-vous adressé à ces populations pour qu’elles se sentent sénégalaises ?
Rien. Rien. Etre soi-même, agir et dire voilà, moi, je suis Sénégalaise. Voilà des médecins sénégalais, et qu’ils s’en approprient. Mais quand les gens sont abandonnés… Moi, ce que je n’ai pas pu faire par manque de moyens, c’est le trou de la Falémé. Alors, ce trou de la Falémé, on y était allé quand on avait fait cette tentative de médecine par Internet. Et puis, cela est tombé en panne, et ce relais par Internet n’a pas pu continuer. Mais nous étions allés avec une ambulance dans un village de la Falémé très montagneux. On voyait les femmes enceintes descendre, l’une derrière l’autre, faire la queue. Le docteur Goumbala avait installé son ordinateur, et la sage femme examinait la patiente et à côté un spécialiste pouvait joindre l’hôpital Le Dantec en cas d’urgence pour dire ce qu’on voit.
Les hommes étaient parqués derrière, et les enfants naturellement plus loin. Tout d’un coup, quand vous voyez le bébé, la tête, les jambes, tout son corps. Je dis au Dr Goumbala parlez aux hommes ; dites leur ce qu’on voit. Il m’a répondu : ‘C’est bien déjà beau qu’on ne soit pas jeté dans la rue pour avoir dévoilé des choses prénatales’. (…) Si vous aviez vu le regard des hommes de 30 ou 35 ans souvent édentés. Ils affichaient un sourire d’enfant devant le premier arbre de Noël. C’est l’effet que cela m’a faite. Alors, moi, je suis un peu naïve. Je préfère faire des recommandations plutôt que de donner des leçons. Je préfère d’ailleurs les recommandations. Quand, on a consulté beaucoup de femmes et communiqué avec l’hôpital Le Dantec, il n’y a pas de problèmes graves à signaler. Alors j’ai dit aux hommes : ‘ne faites plus travailler vos femmes dans les champs. D’ailleurs, je leur ai dit que ce n’est pas vous, mais c’est votre mère qui fait travailler sa belle fille sous prétexte qu’elle accouchera plus facilement. Et c’est là qu’arrivent tous les problèmes de fausse-couche, de césarienne, etc. Mais surtout, ne battez plus votre femme sous prétexte que vous êtes un bon mari. Ils n’ont pas retenu cela. Je ne crois pas.
Mais, quand presque dix mois après, à Ninéfésha arrive une équipe de médecins du Canada, j’ai fait tout le parcours que nous avions fait sur la télémédecine. Ils m’ont dit qu’ils ont un message pour moi. ‘On dit que depuis que vous êtes passés, les femmes ne vont plus travailler dans les champs. Vous voyez que ce n’est pas difficile quand quelqu’un n’a pas fait ses études, n’a pas vu d’image, ni lu un livre, il ne peut imaginer ce qui se passe dans le ventre de son épouse. Mais, une simple photo a suffi pour tout faire comprendre.
Et qu’en est-il de l’argent, notamment des 835 millions de francs Cfa, réclamés sur la Fondation suisse Antenna ?
Ah! Pendant (elle répète). Je n’ai pas le droit d’en parler. Parce que je n’ai pas oublié. Et je n’ai pas le droit. Alors laissez-moi cette liberté, et j’en parlerai plus tard.
Comment va le président Wade ?
Il va très bien. Très, très bien. Très bonne santé, plein de gymnastique et beaucoup de travail. Il travaille toujours. On n’a jamais pris de vacances parce qu’il travaille toujours.
Il travaille avec qui ?
Il écrit et il a de jeunes sénégalais, habitant la France, qui travaillent avec lui. Il reçoit des visites.
Il fait aujourd’hui de l’encadrement au profit des jeunes, donc…
Non, pas forcément. Non. Là, je pense qu’il écrit un peu ses mémoires et des expériences qu’il voudrait continuer, et peut-être sur l’Afrique future. Autrefois, c’est moi qui tapais avec la machine à écrire, mais maintenant, c’est lui qui écrit.
Il doit avoir des contacts avec des organismes internationaux…
Ah oui, bien sûr. Il travaille beaucoup. Il est en très grande forme.
Le Sénégal lui manque ?
Forcément. Forcément. On n’a pas pu faire 50 ans ici, afin comme couple... Mais on sent que le Sénégal nous manque.
Pensez-vous écrire sur votre vécu au Sénégal ?
On m’a souvent proposé d’écrire sur moi, sur mon expérience, je n’ai pas envie.
On, c’est qui ?
C’est des éditeurs français. Et j’avais essayé par mégarde, et j’ai arrêté, parce que je me suis aperçue qu’ils ne pouvaient pas comprendre ce que je ressentais. Ils l’exprimaient mal. Je ne peux pas en dire long, parce que je veux être sereine. Pour vous faire comprendre, je vais me résumer : un jour, je vais au marché Kermel ; au début, j’y allais souvent et puis c’était plus difficile, et un jeune homme m’interpelle en me disant : ‘Viviane, tu sais que tu nous connais plus qu’on se connaît’. Voilà ! Et donc un étranger ne pouvait pas comprendre ce que je ressentais dans mon travail avec les paysans ou paysannes ou les enfants. J’ai travaillé aussi pour la banlieue dans la nutrition. On a fait une expérience sur 1200 femmes enceintes. Pour moi, la population est très importante. Le développement passe par l’enfant. Durant, sa gestation, si la maman est en malnutrition, elle ne peut pas lui transmettre ses gênes et celles de son mari. L’enfant va souffrir dans ce cas. Figurez-vous que le cerveau se développe à 75% les six derniers mois de la grossesse et à 25% les six premiers mois de l’allaitement... Il y a un professeur de l’Université Cheikh Anta Diop qui dit que je conseillerai à toutes les femmes enceintes de prendre de la spiruline. Je rappelle qu’on a «re-nutri» dix mille enfants du Cp.
Pourquoi cet amour envers les enfants et les femmes ?
J’ai toujours aussi eu de la sensibilité pour les enfants. J’avais huit ans quand la deuxième Guerre mondiale s’est déclarée. Donc, cela m’a beaucoup frappée. La malnutrition aussi. J’avais eu des parents qui ont préparé cette guerre. Déjà dès 1939, mon père avait fait des provisions. Figurez-vous que ma maman usait encore en 1963 du savon qu’elle avait acheté en 1939 (éclats de rires). A l’époque, en bicyclette, on allait chercher du ravitaillement ou des légumes à la campagne. Mon père me parlait de Jacques Le Croquant, qui a fait la première révolte paysanne chez les nobles, les Cerfs.
Comment vous avez vécu le départ du Sénégal marqué par un matraquage médiatique ?
C’est normal. N’oubliez pas qu’avant le départ, il y a l’avant. Le président (Wade) était en prison. Et c’est aussi cette période qui m’a fait sentir le problème des paysans. Parce que pendant 26 ans dans l’opposition, j’étais en contact permanent avec tous ces gens qui fréquentaient la maison. Et je parlais avec eux, je les entendais. Donc, c’est pour cela que je suis très attirée par le monde paysan.
Comment le président vit ces sorties médiatiques sur sa famille ?
On ne dit rien (elle répète). Moi, j’aurais préféré que Jeune Afrique (magazine) titre en mettant en exergue l’image des quatre membres de ma famille : ‘Une famille dans la tourmente’. Peut-être qu’il le sortira, quand il aura compris. Mais c’est un journaliste. Il a des données.
Vous aviez reçu un journaliste de Jeune Afrique ?
Non. J’avais lu dans Jeune Afrique en première page, il y a quelques mois, il y était écrit : ‘Une famille dans le scandale’. Mais cela n’a pas troublé le voisinage, ni les amis.
Comment se porte Karim à qui vous avez rendu visite ?
Il se porte bien. Il se porte très bien. Je l’aime beaucoup.
Il supporte les rigueurs d’un séjour carcéral ?
Ah, écoutez, je ne parlerais pas de Karim. Affaire pendante aussi (rires).
Qu’entendez-vous par ‘il se porte bien’ ?
Cela veut dire qu’il est en bonne santé. Il fait du sport. Il a toujours le moral. Je vais vous dire une chose, je parviens souvent à lire dans les yeux des gens. Même si je ne suis pas apparentée ou amie, quand quelqu’un est troublé je le vois dans ses yeux. Je suis très sensible au regard. Aujourd’hui, je regarde mon fils, mais je ne vois pas un désarroi dans ses yeux.
Etes-vous convaincu qu’il est innocent ?
Elle observe un silence
Votre fils vous manque-t-il ?
Oui, il me manque comme, il manque aussi à ses filles qui ont perdu leur maman.
Comment vivez-vous cette situation en tant que mère de famille ?
Je fais toujours face. Le grand-père (Me Wade, Ndlr) a appris l’art d’être grand-père. Dimanche dernier, il était sorti avec ses petites filles, et ils ont déjeuné ensemble. Il les a amenées partout, y compris là où il a passé sa première année parisienne. Notamment, au lycée Condorcet. Les petites filles étaient heureuses, parce que tous les Sénégalais qu’il croisait - ils sont nombreux à Paris - disaient : ‘Ah, Monsieur le président, moi je suis de telle famille, de telle localité du Sénégal, etc. Ah ! Ce sont vos petites filles. Ah, vous avez un grand-père qui a fait beaucoup de choses’. Bref. Donc, les petites filles ont eu un bain de rue.
Les amis d’hier sont-ils restés des amis ?
Ah oui ! On a de bonnes relations. Les amis sont les amis. On a de bonnes relations. Il n’ y a pas de problème. Même au marché de Versailles où - ils sont tous sur Internet - j’ai retrouvé mes marchands de 1999 (rires).
On a beaucoup entendu parler de votre amitié avec Pape Diop…
(L’air surprise) Quel Pape Diop ?
L’ex- président du Sénat.
Ah, oui ! Pape Diop a été mon ami. Mais chacun change, hein. Mais il n’a pas été un ami intime. Il était membre du Pds et il venait souvent me voir, je l’accompagnais aussi dans ses campagnes. C’était une excellente relation. Et après, il faut de la liberté ; et les gens qui adhérent à un parti, sont libres de le quitter. Je ne l’appelle pas de la trahison.
Depuis quand n’avez-vous pas vu Macky Sall ?
Nous avions quitté les lieux de façon très amicale ; et quand nous, nous partions, eux, ils rentraient.
Quand exactement, l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
C’était la seule fois. Afin, pas la seule fois, mais la dernière fois.
Il n’a pas eu de contacts téléphoniques avec Wade ?
Jamais !
Il n’appelle pas le président ?
Ah, ça, je ne le sais pas. En tout cas, le président ne me l’a jamais dit. Le président ne dit pas tout, hein.
Quel est votre regard sur le Sénégal après être restée pendant longtemps à l’étranger ?
Ecoutez, ce n’est pas le moment d’en parler. Je crois que cela serait déplacé. Pour le moment, vous amorcez une transition. L’Europe ne va pas très bien ; les populations ne vont pas très bien. Les Sénégalais ne vont pas très bien. Ils sont surtout en chômage.
Vous aviez dit tantôt que vous allez revenir…
Oui, je l’ai bien dit. Je vais revenir. C’est notre pays-là.
Revenir pour reconquérir le pouvoir ?
Ah! Ecoutez , on revient chez soi. On revient chez soi. Ce n’est pas pour qu’on ait le pouvoir (éclats de rires).
Par exemple, le retour du président Wade a été annoncé plusieurs fois…
Mais le président reviendra quand, il sentira le moment de revenir. (Elle marque une pause) Non ! Ne cherchons pas à interpréter ma présence ici. Je suis tranquille pour mon fils, c’est pour cela que je ne suis pas venue plus tôt. Mais je suis venue surtout pour régler ce problème avec la population sénégalaise. Cela m’a choquée qu’on dise que je vais fermer l’hôpital de Ninéfésha, parce que je voulais me venger des populations. Cela n’a rien à voir. Cela n’a rien à voir. Chaque chose doit être mise dans son contexte.
Comment voyez-vous l’avenir du Pds ?
Ecoutez, cela n’est pas mon problème. Je reviendrais ici en tant que citoyenne sénégalaise.
Comment va Sindiély ?
Elle va bien. Vous savez qu’elle a gagné le Rally des gazelles.
Elle vit toujours cette passion donc…
Elle la vit d’une très belle façon, d’ailleurs. Il était écrit dans un journal français que l’équipe de Sindiély a gagné le Rally des gazelles d’une très belle façon. J’ai dit ‘qu’est-ce qu’il veut dire par ça ?’. Expliquez-moi. On me dira ben, ‘votre fille ne cherche pas à gagner. Elle s’arrête quand il y a une voiture enlisée. Elle l’aide à reprendre la course. Quand une jeune débutante a perdu sa route, elle la remet en place. Elle s’arrête partout. Elle a simplement gagné parce que celle qui était en première a descendu trop rapidement, s’est cassée et donc, elle a gagné’ (rires). C’est bien le hasard. Mais ça, c’est Sindiély. Propos recueillis par
Mbagnick NGOM *Photos : Mamadou GOMIS
AMBIANCE D’UN ENTRETIEN : Quand une «bénévole» se sent blessée dans son amour-propre
Il est un peu plus de 11h, ce mardi, quand l’équipe du quotidien Wal Fadjri se présente à la résidence de Me Madické Niang à Fann Résidence aux fins d’un entretien avec l’ancienne Première Dame du Sénégal, Mme Viviane Wade. Le temps des présentations passé, le protocole nous installe dans l’espace séjour, qui semble servir de salle d’attente aux visiteurs. Un cadre bien convivial avec vue superbe sur une piscine. On se croirait dans un hôtel.
Visiblement prête à accueillir ses hôtes, Mme Wade, l’air décontracté, vêtue d’un pantalon noir et d’une veste à l’Africaine avec un joli collier, ne tarde pas à nous rejoindre pour une première prise de contact, avant de nous inviter à s’installer dans le salon. Avant que vos serviteurs ne se tiennent prêts pour entamer la discussion, elle définit le timing : «Bon, ce sera pas long hein ! J’ai une journée chargée. Je dois aller voir les avocats. J’espère que vous n’allez pas me torturer (rires)». Et c’est parti pour des explications sur l’avenir de l’hôpital Ninéfécha (une structure -ouverte dans la région de Kédougou- issue d’un don du Conseil général des Hauts-de-Seine en France et de son Président Charles Pasqua à la Fondation Education Santé, inaugurée en 2002).
Les échanges laissent paraître en filigrane ce souci majeur de clarifier le débat autour de la fermeture ou non de l’hôpital Ninéfécha. Il faut donc communiquer pour lever les équivoques et surtout arriver à convaincre du fait que ceux qui s’agitent se trompent de bonne foi. Parce qu’ils ne sont pas forcément imprégnés du processus enclenché. Mais malgré ces assurances, des aveux sortent : certaines déductions auront «troublé» Mme Wade. La passion avec laquelle elle parle de ce projet laisse penser à la préoccupation d’assurer une survie à cette initiative déroulée au fin fond du pays. Tout dans le discours de l’ex-Première Dame conduit à cette interrogation : Comment peut-on une seule fois imaginer que la Fondation Education Santé puisse s’inscrire dans une logique de «vengeance» en privant des populations démunies du strict minimum ? Une vengeance qui sortirait de la déconvenue de mars 2012, sur fond de perte du pouvoir, mais aussi et surtout des démêlés judiciaires de Wade-fils. «Mais cela n’a rien à voir». Parole de Viviane Wade, visiblement meurtrie par la confusion entretenue autour de Ninéfécha.
Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, la perte du pouvoir semble être un fardeau de moins pour Mme Wade. Qui ne se prive pas de petites anecdotes : «Maintenant, j’ai retrouvé les gestes ordinaires de la vie…, le fait de porter parfois sa valise ou d’attacher un rideau, par exemple. Et il arrive même que je me pince un peu le pouce (rires)». Elle semble prendre la vie d’aujourd’hui avec philosophie «pour avoir vécu des moments beaucoup plus durs, avec notamment les 26 ans d’opposition». Cette expérience à Kédougou traduit la volonté de cette «Sénégalaise d’ethnie toubab» d’assurer le prolongement d’une vie centrée sur l’envie folle d’amener son prochain à s’apprécier, à se donner soi-même les raisons de croire en la vie, grâce à une solidarité agissante. Cela sonne comme une leçon de vie, bouclant ainsi une entrevue d’une demie heure avec en toile de fond une séance de photos, (rythmée par des directives de l’ex-Première Dame au photographe, notamment sur les angles de prises de vue) tout en balade dans le spacieux salon de la résidence.
Mbagnick NGOM walf
Pendante, c’est-à-dire ?
C’est-à-dire qu’elle est pendante devant la Justice. Je suis obligée, étant donné mon âge, de remettre l’hôpital (Ninéfesha) entre les mains du ministère de la Santé. J’ai été très troublée par le fait qu’on dise que j’allais mettre les clefs sous la porte’. C’est impossible pour moi de mettre les clefs sous la porte. Etant donné que j’ai travaillé pendant douze ans dans cette région. Je peux vous citer un exemple : autrefois quand j’arrivais à Ninéfésha, on (les populations locales) me disait ‘ah, tu viens du Sénégal’. Quand je repartais, on disait ‘ah, tu pars au Sénégal’. Et je leur disais qu’ils étaient Sénégalais, mais ils n’en croyaient pas. Les premières réunions que nous avons tenues pour discuter avec les populations de ce projet et l’administration sénégalaise, notamment le préfet de Kédougou et sous-préfet de Ninéfésha, c’était sous un arbre à palabres. Et le sous-préfet me dit : ‘pourtant Bandafassi est à quarante cinq kilomètres de piste’. Mais c’était très difficile à l’époque. Et je ne connaissais pas ces populations. C’est vrai, je les ai connues grâce au Père Xavier, qui était devenu un ami ayant passé dix-sept ans dans cette région.
Pour moi, faire quelque chose d’utile -je ne peux pas m’enorgueillir d’avoir une association- cela a toujours été l’éducation et la santé. Il ne peut pas y avoir d’éducation sans santé et une santé sans éducation. C’est peut-être naïf comme définition, mais c’est le cas. (…) Une école est plus difficile à s’approprier par les populations. Il faut s’occuper des mères pour qu’elles puissent comprendre l’importance de l’école. Ce qui nous amène à faire une petite ferme avec un immense jardin maraîcher. Et comme je suis très portée sur les produits bio… On peut y faire une quantité de choses comme, par exemple, lutter contre la mouche tsé-tsé qui sévit là-bas. Par exemple, lorsque les paysans voulaient préparer un hectare de fonio ou de maïs, ils étaient obligés de travailler à la Daaba. Le village étant très peu peuplé et le terrain étant très difficile à pratiquer, il était nécessaire de faire appel à la solidarité villageoise. C’est merveilleux la solidarité villageoise. Mais elle a un coût énorme. Cela veut dire que, chaque soir, il faut inviter les travailleurs à faire un dîner de fête. Et les femmes de ces paysans, qui sont privées de tout, généreusement, viennent pour préparer avec les autres femmes du village. Et donc les enfants arrivent aussi. Et ils ne s’en sortent pas. Alors, supprimer la mouche tsé-tsé, afin supprimer, c’est un gros mot, mais nous avions réussi à la réduire chaque année à 97,5 %. Ce n’était pas mal. Cela permettait aux animaux de progresser, d’avoir des vaches, des veaux et de reconstituer un petit cheptel.
Aujourd’hui, de quoi se retire Mme Wade ?
Petit à petit, je suis en train d’en finir avec cette association. Je n’ai vu personne qui soit attirée par cette région difficile. C’est éloigné pour y aller. Donc, la première chose, j’ai rendu déjà les écoles, pas officiellement, mais cela est en voie d’être fait. Les instituteurs provenaient de la Fonction publique, donc, c’est plus facile. On va remettre officiellement toutes les constructions que nous avons faites. Nous en avions construit quatre, dont une à Mbissao qui comporte des logements pour les instituteurs, des toilettes,… pour faciliter aux enfants l’acquisition de la première année de l’école primaire. On travaillait aussi dans le jardin pour les enfants. Nous en avons trois à Ninéfésha avec un pensionnat et des logements pour les instituteurs. Nous en avons aussi à Kikiryressu et à Metchou à 60 mètres de la Guinée Conakry. L’école de Metchou a été plus difficile parce qu’elle est trop à proximité des frontières. Les maris partaient d’un sens à l’autre et leurs femmes les suivaient de temps en temps et revenaient. Mais nous avons eu de petites filles qui se sont vraiment accrochées au travail. Nous avons fait un excellent travail avec l’Inéade de feu Cheikh Aw, notamment. On formait les instituteurs dans leur classe. C’était une expérience. Je n’ai pas la prétention de dire qu’il fallait faire une expérience pour que le ministère s’en empare dans la mesure de ses possibilités. A mon avis, c’était assez positif.
Ce qu’on pourrait me reprocher, c’est une architecture toujours très belle. Mais je pense que quand on va chez une population très pauvre, les cases, c’est très beau. Les gens s’approprient la beauté. On ne fait pas aux populations un cadeau vulgaire, et ça prend de l’importance. Et les mères viennent nettoyer les classes. Spontanément. Nous avons amené les mères à participer et à accrocher leurs filles à travers la ferme-école. Donc, je suis passionnée. Je me suis tellement passionnée qu’un jour l’ambassadeur (de France au Sénégal) André Parant m’a dite ‘oui nous aimerions bien aller à Ninéfésha’. Il avait dit que c’était un véritable pôle de développement. A sa suite, l’ambassadeur Ruffin a dit exactement les mêmes mots. Donc, aujourd’hui, il faut que la population sénégalaise soit mieux informée… Mais vouloir faire croire que ‘Mme Wade se venge’ de je ne sais pas qui. Non, je ne me venge pas. On ne peut pas se venger de quelque chose qui était pendant douze ans votre vie.
Aujourd’hui, est-ce que la gestion du plateau technique de Ninéfésha est en cause ?
Ah, non ! Non ! Elle est remise. Je pense que ce qui a déclenché la peur, l’Association avait recruté son propre petit personnel et l’hôpital ne peut pas supporter ce personnel qui ne travaille pas de manière gratuite. Il fallait que je le fasse régler. C’est ce qu’il a fallu. Actuellement, c’est l’armée qui est là-bas. Et ça marche très bien. A mon avis, l’armée est plus apte que les civils à s’adapter à des régions un peu isolées. Dernièrement, il y a une société sénégalaise qui a offert un très beau réfectoire pour le médecin. Il n’en avait pas et il logeait dans une case (…). Et je voulais faire une bibliothèque et je ferais une bibliothèque.
Vous l’avez notifié officiellement à l’Etat du Sénégal ?
Je vais le faire incessamment. Nous avons parlé à Awa Marie Coll-Seck (Mme le ministre de la Santé et de l’Action sociale). Nous allons lui dire que ‘voilà, nous vous remettons les clefs’. Je vais faire la lettre que je vais lui remettre. Elle me répondra et on va suivre la procédure.
Vous avez parlé de cette cession à Mme le ministre exactement quand ?
Je lui ai téléphoné aujourd’hui (hier mardi, ndlr) pour être précise.
Et l’Etat du Sénégal est dans les dispositions d’accepter la reprise de l’hôpital ?
Bien sûr. D’ailleurs, il l’a dit dans un journal.
Apparemment vous avez un peu mal vécu toutes ces révélations…
Mais, non ! On est habitué. (Elle répète). Je vous disais au début : ‘cette population frontalière ne sait pas où elle est. Si elle est au Mali ou au Sénégal comme dans le couloir de la Falémé. Elle ne sait pas bien où elle est à Ninéfésha. Même peut-être à Kédougou parfois, si elle est de l’autre côté de la frontière ou d’un autre. Un jour (en visite dans cette partie du pays) lorsque je repartais, je me suis faite arrêtée par des gens qui chantaient et dansaient. Ensuite, ils ont pris la parole pour dire ‘Viviane, on te doit beaucoup, mais’. Je me suis dite qu’est-ce qu’ils veulent me dire avec ce ‘mais’. Ah ! Ils ont continué. ‘Mais, ce qui compte le plus pour nous, c’est que tu nous as redonné notre dignité’. Alors, comment pourrais-je abandonner une région comme ça après un tel compliment.
Il ne vous est jamais venu à l’esprit de baisser les bras…
Ah, non! Tant que je pourrais, si le ministère de la Santé me le permet, je pourrais y amener des Fondations avec des chirurgiens. Ils y sont allés. Je pourrais dans la logique de mes moyens ou dans les circonstances faire quelque chose pour eux. Mais je ne peux plus diriger.
Donc, l’Association va se retirer définitivement.
Oui, officiellement du point de vue légal. Mais sentimentalement, je ferai toujours quelque chose pour eux.
Est-ce que ces activités ne vous manquent pas ?
Ecoutez, je ne peux dire que cela me manque, parce que ma vie a changé, en bien. Car j’ai retrouvé les gestes habituels d’une femme. Par exemple, pendant douze ans, quand on vous porte votre valise, vous êtes ankylosé. On est ankylosé, quand vous ne montez pas, on raccroche votre rideau que vous avez décroché… Maintenant, je le fais, mais il m’arrive que je me pince le pouce (éclats de rires), avec l’escabeau que je referme. Il ne m’arrivait jamais ces petites maladresses. Voilà, je reprends la vie d’une femme normale.
Le Sénégal vous manque ?
Beaucoup. (Elle le répète trois fois).
Vous comptez revenir ?
Bien sûr !
Quel message avez-vous adressé à ces populations pour qu’elles se sentent sénégalaises ?
Rien. Rien. Etre soi-même, agir et dire voilà, moi, je suis Sénégalaise. Voilà des médecins sénégalais, et qu’ils s’en approprient. Mais quand les gens sont abandonnés… Moi, ce que je n’ai pas pu faire par manque de moyens, c’est le trou de la Falémé. Alors, ce trou de la Falémé, on y était allé quand on avait fait cette tentative de médecine par Internet. Et puis, cela est tombé en panne, et ce relais par Internet n’a pas pu continuer. Mais nous étions allés avec une ambulance dans un village de la Falémé très montagneux. On voyait les femmes enceintes descendre, l’une derrière l’autre, faire la queue. Le docteur Goumbala avait installé son ordinateur, et la sage femme examinait la patiente et à côté un spécialiste pouvait joindre l’hôpital Le Dantec en cas d’urgence pour dire ce qu’on voit.
Les hommes étaient parqués derrière, et les enfants naturellement plus loin. Tout d’un coup, quand vous voyez le bébé, la tête, les jambes, tout son corps. Je dis au Dr Goumbala parlez aux hommes ; dites leur ce qu’on voit. Il m’a répondu : ‘C’est bien déjà beau qu’on ne soit pas jeté dans la rue pour avoir dévoilé des choses prénatales’. (…) Si vous aviez vu le regard des hommes de 30 ou 35 ans souvent édentés. Ils affichaient un sourire d’enfant devant le premier arbre de Noël. C’est l’effet que cela m’a faite. Alors, moi, je suis un peu naïve. Je préfère faire des recommandations plutôt que de donner des leçons. Je préfère d’ailleurs les recommandations. Quand, on a consulté beaucoup de femmes et communiqué avec l’hôpital Le Dantec, il n’y a pas de problèmes graves à signaler. Alors j’ai dit aux hommes : ‘ne faites plus travailler vos femmes dans les champs. D’ailleurs, je leur ai dit que ce n’est pas vous, mais c’est votre mère qui fait travailler sa belle fille sous prétexte qu’elle accouchera plus facilement. Et c’est là qu’arrivent tous les problèmes de fausse-couche, de césarienne, etc. Mais surtout, ne battez plus votre femme sous prétexte que vous êtes un bon mari. Ils n’ont pas retenu cela. Je ne crois pas.
Mais, quand presque dix mois après, à Ninéfésha arrive une équipe de médecins du Canada, j’ai fait tout le parcours que nous avions fait sur la télémédecine. Ils m’ont dit qu’ils ont un message pour moi. ‘On dit que depuis que vous êtes passés, les femmes ne vont plus travailler dans les champs. Vous voyez que ce n’est pas difficile quand quelqu’un n’a pas fait ses études, n’a pas vu d’image, ni lu un livre, il ne peut imaginer ce qui se passe dans le ventre de son épouse. Mais, une simple photo a suffi pour tout faire comprendre.
Et qu’en est-il de l’argent, notamment des 835 millions de francs Cfa, réclamés sur la Fondation suisse Antenna ?
Ah! Pendant (elle répète). Je n’ai pas le droit d’en parler. Parce que je n’ai pas oublié. Et je n’ai pas le droit. Alors laissez-moi cette liberté, et j’en parlerai plus tard.
Comment va le président Wade ?
Il va très bien. Très, très bien. Très bonne santé, plein de gymnastique et beaucoup de travail. Il travaille toujours. On n’a jamais pris de vacances parce qu’il travaille toujours.
Il travaille avec qui ?
Il écrit et il a de jeunes sénégalais, habitant la France, qui travaillent avec lui. Il reçoit des visites.
Il fait aujourd’hui de l’encadrement au profit des jeunes, donc…
Non, pas forcément. Non. Là, je pense qu’il écrit un peu ses mémoires et des expériences qu’il voudrait continuer, et peut-être sur l’Afrique future. Autrefois, c’est moi qui tapais avec la machine à écrire, mais maintenant, c’est lui qui écrit.
Il doit avoir des contacts avec des organismes internationaux…
Ah oui, bien sûr. Il travaille beaucoup. Il est en très grande forme.
Le Sénégal lui manque ?
Forcément. Forcément. On n’a pas pu faire 50 ans ici, afin comme couple... Mais on sent que le Sénégal nous manque.
Pensez-vous écrire sur votre vécu au Sénégal ?
On m’a souvent proposé d’écrire sur moi, sur mon expérience, je n’ai pas envie.
On, c’est qui ?
C’est des éditeurs français. Et j’avais essayé par mégarde, et j’ai arrêté, parce que je me suis aperçue qu’ils ne pouvaient pas comprendre ce que je ressentais. Ils l’exprimaient mal. Je ne peux pas en dire long, parce que je veux être sereine. Pour vous faire comprendre, je vais me résumer : un jour, je vais au marché Kermel ; au début, j’y allais souvent et puis c’était plus difficile, et un jeune homme m’interpelle en me disant : ‘Viviane, tu sais que tu nous connais plus qu’on se connaît’. Voilà ! Et donc un étranger ne pouvait pas comprendre ce que je ressentais dans mon travail avec les paysans ou paysannes ou les enfants. J’ai travaillé aussi pour la banlieue dans la nutrition. On a fait une expérience sur 1200 femmes enceintes. Pour moi, la population est très importante. Le développement passe par l’enfant. Durant, sa gestation, si la maman est en malnutrition, elle ne peut pas lui transmettre ses gênes et celles de son mari. L’enfant va souffrir dans ce cas. Figurez-vous que le cerveau se développe à 75% les six derniers mois de la grossesse et à 25% les six premiers mois de l’allaitement... Il y a un professeur de l’Université Cheikh Anta Diop qui dit que je conseillerai à toutes les femmes enceintes de prendre de la spiruline. Je rappelle qu’on a «re-nutri» dix mille enfants du Cp.
Pourquoi cet amour envers les enfants et les femmes ?
J’ai toujours aussi eu de la sensibilité pour les enfants. J’avais huit ans quand la deuxième Guerre mondiale s’est déclarée. Donc, cela m’a beaucoup frappée. La malnutrition aussi. J’avais eu des parents qui ont préparé cette guerre. Déjà dès 1939, mon père avait fait des provisions. Figurez-vous que ma maman usait encore en 1963 du savon qu’elle avait acheté en 1939 (éclats de rires). A l’époque, en bicyclette, on allait chercher du ravitaillement ou des légumes à la campagne. Mon père me parlait de Jacques Le Croquant, qui a fait la première révolte paysanne chez les nobles, les Cerfs.
Comment vous avez vécu le départ du Sénégal marqué par un matraquage médiatique ?
C’est normal. N’oubliez pas qu’avant le départ, il y a l’avant. Le président (Wade) était en prison. Et c’est aussi cette période qui m’a fait sentir le problème des paysans. Parce que pendant 26 ans dans l’opposition, j’étais en contact permanent avec tous ces gens qui fréquentaient la maison. Et je parlais avec eux, je les entendais. Donc, c’est pour cela que je suis très attirée par le monde paysan.
Comment le président vit ces sorties médiatiques sur sa famille ?
On ne dit rien (elle répète). Moi, j’aurais préféré que Jeune Afrique (magazine) titre en mettant en exergue l’image des quatre membres de ma famille : ‘Une famille dans la tourmente’. Peut-être qu’il le sortira, quand il aura compris. Mais c’est un journaliste. Il a des données.
Vous aviez reçu un journaliste de Jeune Afrique ?
Non. J’avais lu dans Jeune Afrique en première page, il y a quelques mois, il y était écrit : ‘Une famille dans le scandale’. Mais cela n’a pas troublé le voisinage, ni les amis.
Comment se porte Karim à qui vous avez rendu visite ?
Il se porte bien. Il se porte très bien. Je l’aime beaucoup.
Il supporte les rigueurs d’un séjour carcéral ?
Ah, écoutez, je ne parlerais pas de Karim. Affaire pendante aussi (rires).
Qu’entendez-vous par ‘il se porte bien’ ?
Cela veut dire qu’il est en bonne santé. Il fait du sport. Il a toujours le moral. Je vais vous dire une chose, je parviens souvent à lire dans les yeux des gens. Même si je ne suis pas apparentée ou amie, quand quelqu’un est troublé je le vois dans ses yeux. Je suis très sensible au regard. Aujourd’hui, je regarde mon fils, mais je ne vois pas un désarroi dans ses yeux.
Etes-vous convaincu qu’il est innocent ?
Elle observe un silence
Votre fils vous manque-t-il ?
Oui, il me manque comme, il manque aussi à ses filles qui ont perdu leur maman.
Comment vivez-vous cette situation en tant que mère de famille ?
Je fais toujours face. Le grand-père (Me Wade, Ndlr) a appris l’art d’être grand-père. Dimanche dernier, il était sorti avec ses petites filles, et ils ont déjeuné ensemble. Il les a amenées partout, y compris là où il a passé sa première année parisienne. Notamment, au lycée Condorcet. Les petites filles étaient heureuses, parce que tous les Sénégalais qu’il croisait - ils sont nombreux à Paris - disaient : ‘Ah, Monsieur le président, moi je suis de telle famille, de telle localité du Sénégal, etc. Ah ! Ce sont vos petites filles. Ah, vous avez un grand-père qui a fait beaucoup de choses’. Bref. Donc, les petites filles ont eu un bain de rue.
Les amis d’hier sont-ils restés des amis ?
Ah oui ! On a de bonnes relations. Les amis sont les amis. On a de bonnes relations. Il n’ y a pas de problème. Même au marché de Versailles où - ils sont tous sur Internet - j’ai retrouvé mes marchands de 1999 (rires).
On a beaucoup entendu parler de votre amitié avec Pape Diop…
(L’air surprise) Quel Pape Diop ?
L’ex- président du Sénat.
Ah, oui ! Pape Diop a été mon ami. Mais chacun change, hein. Mais il n’a pas été un ami intime. Il était membre du Pds et il venait souvent me voir, je l’accompagnais aussi dans ses campagnes. C’était une excellente relation. Et après, il faut de la liberté ; et les gens qui adhérent à un parti, sont libres de le quitter. Je ne l’appelle pas de la trahison.
Depuis quand n’avez-vous pas vu Macky Sall ?
Nous avions quitté les lieux de façon très amicale ; et quand nous, nous partions, eux, ils rentraient.
Quand exactement, l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
C’était la seule fois. Afin, pas la seule fois, mais la dernière fois.
Il n’a pas eu de contacts téléphoniques avec Wade ?
Jamais !
Il n’appelle pas le président ?
Ah, ça, je ne le sais pas. En tout cas, le président ne me l’a jamais dit. Le président ne dit pas tout, hein.
Quel est votre regard sur le Sénégal après être restée pendant longtemps à l’étranger ?
Ecoutez, ce n’est pas le moment d’en parler. Je crois que cela serait déplacé. Pour le moment, vous amorcez une transition. L’Europe ne va pas très bien ; les populations ne vont pas très bien. Les Sénégalais ne vont pas très bien. Ils sont surtout en chômage.
Vous aviez dit tantôt que vous allez revenir…
Oui, je l’ai bien dit. Je vais revenir. C’est notre pays-là.
Revenir pour reconquérir le pouvoir ?
Ah! Ecoutez , on revient chez soi. On revient chez soi. Ce n’est pas pour qu’on ait le pouvoir (éclats de rires).
Par exemple, le retour du président Wade a été annoncé plusieurs fois…
Mais le président reviendra quand, il sentira le moment de revenir. (Elle marque une pause) Non ! Ne cherchons pas à interpréter ma présence ici. Je suis tranquille pour mon fils, c’est pour cela que je ne suis pas venue plus tôt. Mais je suis venue surtout pour régler ce problème avec la population sénégalaise. Cela m’a choquée qu’on dise que je vais fermer l’hôpital de Ninéfésha, parce que je voulais me venger des populations. Cela n’a rien à voir. Cela n’a rien à voir. Chaque chose doit être mise dans son contexte.
Comment voyez-vous l’avenir du Pds ?
Ecoutez, cela n’est pas mon problème. Je reviendrais ici en tant que citoyenne sénégalaise.
Comment va Sindiély ?
Elle va bien. Vous savez qu’elle a gagné le Rally des gazelles.
Elle vit toujours cette passion donc…
Elle la vit d’une très belle façon, d’ailleurs. Il était écrit dans un journal français que l’équipe de Sindiély a gagné le Rally des gazelles d’une très belle façon. J’ai dit ‘qu’est-ce qu’il veut dire par ça ?’. Expliquez-moi. On me dira ben, ‘votre fille ne cherche pas à gagner. Elle s’arrête quand il y a une voiture enlisée. Elle l’aide à reprendre la course. Quand une jeune débutante a perdu sa route, elle la remet en place. Elle s’arrête partout. Elle a simplement gagné parce que celle qui était en première a descendu trop rapidement, s’est cassée et donc, elle a gagné’ (rires). C’est bien le hasard. Mais ça, c’est Sindiély. Propos recueillis par
Mbagnick NGOM *Photos : Mamadou GOMIS
AMBIANCE D’UN ENTRETIEN : Quand une «bénévole» se sent blessée dans son amour-propre
Il est un peu plus de 11h, ce mardi, quand l’équipe du quotidien Wal Fadjri se présente à la résidence de Me Madické Niang à Fann Résidence aux fins d’un entretien avec l’ancienne Première Dame du Sénégal, Mme Viviane Wade. Le temps des présentations passé, le protocole nous installe dans l’espace séjour, qui semble servir de salle d’attente aux visiteurs. Un cadre bien convivial avec vue superbe sur une piscine. On se croirait dans un hôtel.
Visiblement prête à accueillir ses hôtes, Mme Wade, l’air décontracté, vêtue d’un pantalon noir et d’une veste à l’Africaine avec un joli collier, ne tarde pas à nous rejoindre pour une première prise de contact, avant de nous inviter à s’installer dans le salon. Avant que vos serviteurs ne se tiennent prêts pour entamer la discussion, elle définit le timing : «Bon, ce sera pas long hein ! J’ai une journée chargée. Je dois aller voir les avocats. J’espère que vous n’allez pas me torturer (rires)». Et c’est parti pour des explications sur l’avenir de l’hôpital Ninéfécha (une structure -ouverte dans la région de Kédougou- issue d’un don du Conseil général des Hauts-de-Seine en France et de son Président Charles Pasqua à la Fondation Education Santé, inaugurée en 2002).
Les échanges laissent paraître en filigrane ce souci majeur de clarifier le débat autour de la fermeture ou non de l’hôpital Ninéfécha. Il faut donc communiquer pour lever les équivoques et surtout arriver à convaincre du fait que ceux qui s’agitent se trompent de bonne foi. Parce qu’ils ne sont pas forcément imprégnés du processus enclenché. Mais malgré ces assurances, des aveux sortent : certaines déductions auront «troublé» Mme Wade. La passion avec laquelle elle parle de ce projet laisse penser à la préoccupation d’assurer une survie à cette initiative déroulée au fin fond du pays. Tout dans le discours de l’ex-Première Dame conduit à cette interrogation : Comment peut-on une seule fois imaginer que la Fondation Education Santé puisse s’inscrire dans une logique de «vengeance» en privant des populations démunies du strict minimum ? Une vengeance qui sortirait de la déconvenue de mars 2012, sur fond de perte du pouvoir, mais aussi et surtout des démêlés judiciaires de Wade-fils. «Mais cela n’a rien à voir». Parole de Viviane Wade, visiblement meurtrie par la confusion entretenue autour de Ninéfécha.
Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, la perte du pouvoir semble être un fardeau de moins pour Mme Wade. Qui ne se prive pas de petites anecdotes : «Maintenant, j’ai retrouvé les gestes ordinaires de la vie…, le fait de porter parfois sa valise ou d’attacher un rideau, par exemple. Et il arrive même que je me pince un peu le pouce (rires)». Elle semble prendre la vie d’aujourd’hui avec philosophie «pour avoir vécu des moments beaucoup plus durs, avec notamment les 26 ans d’opposition». Cette expérience à Kédougou traduit la volonté de cette «Sénégalaise d’ethnie toubab» d’assurer le prolongement d’une vie centrée sur l’envie folle d’amener son prochain à s’apprécier, à se donner soi-même les raisons de croire en la vie, grâce à une solidarité agissante. Cela sonne comme une leçon de vie, bouclant ainsi une entrevue d’une demie heure avec en toile de fond une séance de photos, (rythmée par des directives de l’ex-Première Dame au photographe, notamment sur les angles de prises de vue) tout en balade dans le spacieux salon de la résidence.
Mbagnick NGOM walf