Tunis
Deux véhicules garés sous ses fenêtres affichent des plaques d'immatriculation de la Djamahiriyya, la Libye de Kadhafi. Signe souvent peu trompeur, d'une nostalgie de l'ancien régime. Nous sommes dans un quartier moderne de la banlieue de Tunis pour retrouver un homme dont nous ne devrons donner qu'un faux prénom, Hussam, un âge, 32 ans, et rester vague sur sa région d'origine, le Djebel Nefousa, dans l'ouest de la Libye. «Ce que je fais est risqué, je dois rester prudent.» «Nettoyeur», c'est ainsi qu'il se qualifie. «Nettoyeur» de pro-kadhafistes venus trouver refuge en Tunisie et qui profitent de l'aide allouée par la Libye aux blessés de la révolution et des combats qui se poursuivent dans certaines régions.
Pour sa sécurité, il a choisi une résidence protégée. Deux entrées qui ferment le soir, un portail avec barrière et code pour les voitures. «Quand je prends l'ascenseur, j'appuie sur les boutons 2 et 4 pour brouiller les pistes. Et si quelqu'un est avec moi, je fais mine en sortant de tourner à gauche sur le palier». Son appartement bien sûr est à droite. Des volets qui restent fermés, une télévision en fond branchée sur la chaîne Libya al-Hurra et son téléphone portable qui ne cesse de sonner: «Des Libyens qui réclament de l'argent».
Car officiellement, Hussam travaille pour une de ces structures qui financent les soins médicaux des blessés (la sienne verse également jusqu'à l'équivalent de 1000 euros mensuels). Sous cette couverture en fait, il traque les kadhafistes qui «sont là sans être blessés, viennent récupérer de l'argent et vivre dans des hôtels 5 étoiles». Quand il en découvre, Hussam livre leurs noms au Conseil national de transition libyen. «Après je ne sais pas ce qu'il advient d'eux, ça ne me regarde pas.»
Être «nettoyeur», c'est passer sa journée sur Internet. «J'ai plusieurs listes à ma disposition, fournies par mes supérieurs, des proches, des connaissances. Sur ces listes, j'ai les noms de Libyens qui ont soutenu Kadhafi. Je vérifie que ceux qui se sont inscrits auprès de ma structure sont ou non de ceux-là.»
Listes noires
Le processus est long et les moyens à l'image de ceux dont disposaient les rebelles durant la guerre. Les «thuwars» pouvaient parfois tirer des roquettes à l'aide de canons fabriqués avec des tuyaux en PVC pour irriguer les champs. Hussam, lui, doit également se contenter de moyens du bord: deux PC portables connectés à Internet et deux iPad. L'appli indispensable iLocator lui permet de traquer des personnes via leur numéro de téléphone. «Je peux voir ainsi si elles retournent souvent en Libye ou non, ce qui peut être louche.»
Environ 1300 noms à vérifier. Hussam les prend un à un dans la liste des blessés - ou soi-disant blessés - accueillis en Tunisie, vérifie s'ils ne sont pas déjà dans une de celles qu'il s'est procurées: volontaires de Kadhafi - via leurs numéros de téléphone ou de passeport et leur ville d'origine - ou soldats de la brigade 32, celle de Khamis, l'un des fils Kadhafi, la mieux formée et la plus redoutée alors.
Hussam accepte de nous accompagner dans un palace de la côte. Auparavant le bâtiment accueillait certains des fils et des proches de Kadhafi. Aujourd'hui, autour de 300 Libyens, le bras en écharpe ou claudiquant, y passent leur journée, entre soins thalasso, baignade et match de l'Euro 2012 accompagnés de bière. «On comprend qu'ils n'aient pas envie de partir», glisse Hussam, qui n'a pas peur d'être repéré puisque le seul contact qu'il a avec les blessés se fait par téléphone. Il se fait donc passer pour notre traducteur.
Un homme en béquille nous assure avoir eu un accident dans un véhicule militaire alors qu'il sortait d'une opération médicale. Il ne saura dire précisément où ni à quelle date. Son numéro de téléphone fera réagir Hussam: «Ce gars a essayé de m'appeler toute la journée, explique-t-il plus tard. Il réclame son argent, mais je sais qu'il n'est pas blessé.» Nouvelle piste, nouvelles heures à fouiller sur Internet. Sur le parking en sortant, des voitures garées dont les propriétaires n'ont pas choisi d'adopter la nouvelle plaque d'immatriculation libyenne.
Par Thibaut Cavaillès
Deux véhicules garés sous ses fenêtres affichent des plaques d'immatriculation de la Djamahiriyya, la Libye de Kadhafi. Signe souvent peu trompeur, d'une nostalgie de l'ancien régime. Nous sommes dans un quartier moderne de la banlieue de Tunis pour retrouver un homme dont nous ne devrons donner qu'un faux prénom, Hussam, un âge, 32 ans, et rester vague sur sa région d'origine, le Djebel Nefousa, dans l'ouest de la Libye. «Ce que je fais est risqué, je dois rester prudent.» «Nettoyeur», c'est ainsi qu'il se qualifie. «Nettoyeur» de pro-kadhafistes venus trouver refuge en Tunisie et qui profitent de l'aide allouée par la Libye aux blessés de la révolution et des combats qui se poursuivent dans certaines régions.
Pour sa sécurité, il a choisi une résidence protégée. Deux entrées qui ferment le soir, un portail avec barrière et code pour les voitures. «Quand je prends l'ascenseur, j'appuie sur les boutons 2 et 4 pour brouiller les pistes. Et si quelqu'un est avec moi, je fais mine en sortant de tourner à gauche sur le palier». Son appartement bien sûr est à droite. Des volets qui restent fermés, une télévision en fond branchée sur la chaîne Libya al-Hurra et son téléphone portable qui ne cesse de sonner: «Des Libyens qui réclament de l'argent».
Car officiellement, Hussam travaille pour une de ces structures qui financent les soins médicaux des blessés (la sienne verse également jusqu'à l'équivalent de 1000 euros mensuels). Sous cette couverture en fait, il traque les kadhafistes qui «sont là sans être blessés, viennent récupérer de l'argent et vivre dans des hôtels 5 étoiles». Quand il en découvre, Hussam livre leurs noms au Conseil national de transition libyen. «Après je ne sais pas ce qu'il advient d'eux, ça ne me regarde pas.»
Être «nettoyeur», c'est passer sa journée sur Internet. «J'ai plusieurs listes à ma disposition, fournies par mes supérieurs, des proches, des connaissances. Sur ces listes, j'ai les noms de Libyens qui ont soutenu Kadhafi. Je vérifie que ceux qui se sont inscrits auprès de ma structure sont ou non de ceux-là.»
Listes noires
Le processus est long et les moyens à l'image de ceux dont disposaient les rebelles durant la guerre. Les «thuwars» pouvaient parfois tirer des roquettes à l'aide de canons fabriqués avec des tuyaux en PVC pour irriguer les champs. Hussam, lui, doit également se contenter de moyens du bord: deux PC portables connectés à Internet et deux iPad. L'appli indispensable iLocator lui permet de traquer des personnes via leur numéro de téléphone. «Je peux voir ainsi si elles retournent souvent en Libye ou non, ce qui peut être louche.»
Environ 1300 noms à vérifier. Hussam les prend un à un dans la liste des blessés - ou soi-disant blessés - accueillis en Tunisie, vérifie s'ils ne sont pas déjà dans une de celles qu'il s'est procurées: volontaires de Kadhafi - via leurs numéros de téléphone ou de passeport et leur ville d'origine - ou soldats de la brigade 32, celle de Khamis, l'un des fils Kadhafi, la mieux formée et la plus redoutée alors.
Hussam accepte de nous accompagner dans un palace de la côte. Auparavant le bâtiment accueillait certains des fils et des proches de Kadhafi. Aujourd'hui, autour de 300 Libyens, le bras en écharpe ou claudiquant, y passent leur journée, entre soins thalasso, baignade et match de l'Euro 2012 accompagnés de bière. «On comprend qu'ils n'aient pas envie de partir», glisse Hussam, qui n'a pas peur d'être repéré puisque le seul contact qu'il a avec les blessés se fait par téléphone. Il se fait donc passer pour notre traducteur.
Un homme en béquille nous assure avoir eu un accident dans un véhicule militaire alors qu'il sortait d'une opération médicale. Il ne saura dire précisément où ni à quelle date. Son numéro de téléphone fera réagir Hussam: «Ce gars a essayé de m'appeler toute la journée, explique-t-il plus tard. Il réclame son argent, mais je sais qu'il n'est pas blessé.» Nouvelle piste, nouvelles heures à fouiller sur Internet. Sur le parking en sortant, des voitures garées dont les propriétaires n'ont pas choisi d'adopter la nouvelle plaque d'immatriculation libyenne.
Par Thibaut Cavaillès