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Ibrahima Sarr, directeur du Cesti: ‘‘Il nous faut opérer un repositionnement stratégique'

« Repositionnement stratégique » : c’est l’expression- phare du projet du Centre d’études des sciences et techniques de l’Information (Cesti). Cette formule traduit les orientations fondamentales du directeur, Ibrahima Sarr, reconduit à la tête de l’institut universitaire pour 3 ans. Cette vision se décline, au plan pédagogique, en la création de nouvelles filières dans des domaines adaptés aux préoccupations actuelles : le développement du Web 2.0 et avec l’émergence du journalisme en ligne ; le rôle des sciences et techniques dans la construction d’une société du savoir ; la place de l’information économique dans les décisions d’investisse- ment et de gestion. Les licences professionnelles permettront à l’établissement d’être en me- sure d’accueillir 200 bacheliers par an à l’horizon 2020.


Rédigé par leral.net le Lundi 6 Octobre 2014 à 19:32 | | 0 commentaire(s)|

Ibrahima Sarr, directeur du Cesti: ‘‘Il nous faut opérer un repositionnement stratégique'
Quelles orientations comptez-vous donner à votre second mandat que vous venez juste d’entamer ?

Ce sera le mandat de la consolidation. Au cours du premier mandat, nous avons engrangé d’importants acquis dans les domaines des finances, de la pédagogie et de la recherche. Au plan financier, le Cesti compte sur la subvention de l’État du Sénégal, qui est faible. Elle ne nous permet pas de prendre en charge toutes les dépenses d’investissement et de fonctionnement de l’établissement.

Les frais de reportage, les stages ruraux, la session intensive coûtent cher, sans compter la nécessité de renforcer, chaque année, les équipements pédagogiques. Il s’y ajoute que le Cesti ne reçoit plus, depuis 2004, la contribution des États africains dont il forme les étudiants. L’institution est obligée de développer des partenariats avec des institutions onusiennes, des Ong, des représentations diplomatiques et des fondations dans le cadre de projets pédagogiques.

Cette stratégie a été mise en œuvre depuis 2005. En arrivant à la direction, nous nous sommes inscrits dans cette dynamique. Nous arrivons, chaque année, à mobiliser près de 100 millions de FCfa en ressources additionnelles. Même si cette externalisation des sources de financement rend aléatoire la situation financière du Cesti, elle nous permet d’améliorer les conditions d’études des étudiants et de travail des collègues.

Au plan pédagogique, nous avons créé de nouvelles filières : un Master en Communication des organisations, essentiellement professionnel, pour répondre aux besoins en communication de l’administration, du secteur privé et des Organisations non gouvernementales ; un Master en journalisme économique, en partenariat avec la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg).

L’objectif est d’offrir aux journalistes et aux étudiants une spécialisation pointue afin de renforcer la diffusion d’une information économique de qualité. Ce sont des projets adoptés par nos instances de délibération. Mais, il nous faudra l’aval de la commission de la réforme, de l’Assemblée de l’université et de l’Anaq-Sup (Autorité nationale d'assurance qualité de l'enseignement supérieur) avant leur mise en œuvre.

Aussi, nous avons mis en place, depuis janvier 2012, un site d’information en ligne (www.cesti- info.net), actuellement en maintenance, qui sert de cadre d’expérimentation aux étudiants de notre établissement. Nous avons intégré les Tic dans notre offre de formation afin de donner aux futurs journalistes les outils nécessaires pour affronter le cyberspace.

En effet, avec le développement du Web 2.0 et avec l’émergence du journalisme en ligne, nous ne pouvons plus former les journalistes comme il y a une dizaine d’années. Ce site d’information enregistre plus de 200.000 visites uniques par mois et certaines de ses productions sont reprises par les médias professionnels, les journaux en ligne notamment.

Les services qu’il offre portent sur des articles de presse, des photos et illustrations, des reportages audio et des vidéos (reportages Tv). Il s’y ajoute le renforcement des équipements pédagogiques et le retour aux « carrefours d’actualité » pour favoriser le dialogue entre des universitaires, des experts, des diplomates et les étudiants du Cesti sur des questions qui font l’actualité.

Dans le domaine de la recherche, nous avons relancé la « Revue africaine de communication », après douze ans de léthargie, et organisé des rencontres scientifiques. Nous avons à cœur de redynamiser le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les médias et la communication (Girmec) du Cesti, qui a comme axes de recherche : Médias et Tic ; Journalisme : acteurs, pratiques, évolution ; Médias, communication et langages : acteurs, enjeux, publics.

Je peux citer d’autres acquis comme des accords de partenariat avec l’Insti- tut français de presse de l’université Paris 2 Assas, le Département de travail social et de sciences sociales de l’université du Québec en Outaouais. Nous allons renouer avec le Département information-communication de l’université Jean-Moulin Lyon 3.

Nous avons aussi un partenariat avec « Le Monde diplomatique », qui nous a offert des abonnements en versions papier et électronique, avec accès à ses archives depuis 1954. Nous recevons également et gratuitement « Manière de voir », une des publications du « Monde diplomatique ». Nous recevrons régulièrement, à partir de novembre 2014, des journalistes du « Monde diplomatique ».

Enfin, je pense que notre plus belle réalisation est la mise en place d’une ambiance de travail sereine, propice à la recherche et aux échanges. Nous formons une vraie équipe, qui évolue dans une ambiance sereine. Notre école se porte bien. Nous travaillons sans tambour, ni trompette. Nous n’avons pas besoin d’acheter des parts de publicité dans les médias pour lustrer notre image. Notre credo, c’est l’efficacité dans la discrétion. Il faudra donc consolider tous ces acquis.

Sur le plan pédagogique, est-ce que vous pouvez nous expliquer les nouvelles perspectives envisagées dans les trois ans à venir ?

D’abord, il nous faut opérer un repositionnement stratégique. Juste après les indépendances, Dakar et Yaoundé ont été, pendant longtemps, les places fortes de la formation au journalisme en Afrique francophone. Aujourd’hui, les temps ont bien changé. Les écoles africaines de formation au journalisme sont passées de 36 en 1986 à 96 en 2007 dont 30 en Afrique francophone.

Nous ne pouvons plus continuer à for- mer des journalistes généralistes. Puisque notre ambition est de consolider notre position de leader, il nous faudra de la plus-value ou de la valeur ajoutée en créant de nouvelles filières. C’est cela qui nous permettra de nous repositionner au plan stratégique, face à la concurrence d’écoles privées et publiques au plan national et à l’échelle sous-régionale.

Ensuite, il faut contribuer à la politique de développement de formations professionnelles courtes, conformément aux recommandations de la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur au Sénégal (Cnaes) et aux décisions présidentielles relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Le projet de relance du Cesti, que nous avons remis au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le professeur Mary Teuw Niane, s’adosse à ces deux axes. Vous me permettrez de ne pas entrer dans les détails concernant la création de certaines filières.

L’année dernière, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le professeur Mary Teuw Niane, avait émis le vœu de voir le Cesti recevoir davantage d’étudiants. Que pensez-vous de cette proposition ?

C’est une proposition réaliste. C’est la raison pour laquelle nous avons pensé à créer de nouvelles filières comme des licences professionnelles. Le Cesti sera en mesure d’accueillir 200 bacheliers par an à l’horizon 2020. Ce qui est indiqué dans le projet de relance de notre école. Pour ce faire, l’État doit nous aider à acquérir de l’espace, du matériel pédagogique et à recruter des enseignants.

Toutefois, je dois préciser que pour ce qui est de la formation des journalistes, nous ne pouvons pas aller au-delà de 30 étudiants par promotion. Dans les pays développés, la norme est de 22 étudiants par promotion. On ne forme pas un journaliste comme on forme un mathématicien, un historien ou un juriste. La pratique occupe une place importante. Il nous faut des effectifs limités pour que l’encadrement soit de qualité. C’est cela qui a permis au Cesti de garder son rang.

Nous avons obtenu la certification du Réseau Théophraste, le réseau mondial des écoles franco- phones de journalisme. Nous faisons partie des centres d’excellence de formation au journalisme en Afrique identifiés par l’Unesco. Nous sommes dans le top 10 des meilleures écoles pour l’ensemble du continent africain et la première école en Afrique francophone.

La plupart des écoles qui nous devancent sont celles de l’Afrique centrale et australe, notamment sud-africaines, qui ont plus de moyens que nous. Le jour où l’on formera les journalistes dans des amphithéâtres, ce sera la mort du métier.

Vous aviez annoncé, lors d’un séminaire organisé à la case foyer du Cesti sur l’environnement, l’ouverture d’un Master en journalisme scientifique. Où en êtes-vous avec ce projet ? Qu’en est-il du contenu de ce Master ?

Nous travaillons sur ce projet depuis 2012. Nous en sommes toujours au stade de la réflexion. Nous sommes partis de l’idée que les sciences et les techniques sont à l’origine de bouleversements politiques, économiques et sociaux d’une ampleur considérable et participent, de nos jours, à la construction d’une véritable société du savoir.

Pourtant, dans cette dynamique d’un monde globalisé qui doit souscrire aux impératifs de l’économie du savoir, au Sénégal voire en Afrique de l’Ouest, la diffusion de l’information scientifique apparaît comme le parent pauvre des médias qui lui consacrent une portion congrue en raison du manque d’autorité, de formation et de culture générale des journalistes.

C’est l’une des raisons pour lesquelles nous voulons mettre sur pied ce Master. Il faut préciser que dans le cadre de cette formation, l’information scientifique pure et dure telle que traitée dans les médias du Nord ne nous intéresse pas. Nous voulons des journalistes scientifiques qui abordent des questions en rapport avec les préoccupations quotidiennes de nos populations.

Nous militons donc pour un journalisme scientifique portant sur une gamme de sujets axés sur l’énergie, le changement climatique, les questions agricoles, les politiques en matière de santé et les progrès technologiques. Un journalisme scientifique qui reste le ferment du développement économique tout en étant un cadre d’expression des enjeux majeurs auxquels nos sociétés doivent faire face, et de mise en perspective des impacts de la science sur la vie quotidienne de nos populations.

Qu’en est-il du projet de Master en journalisme économique avec la Faseg ?

C’est un projet ficelé, adopté par le comité pédagogique du Cesti et par l’Assemblée de faculté de la Faseg. Dans le domaine aussi névralgique que celui de l’économie, l’information est un facteur incontournable de facilitation des décisions d’investissement et de gestion, tant pour les acteurs du secteur privé que pour l’Etat, dans les choix de politique publique et économique. L’accès à l’information économique, en tant que baromètre de la bonne gouvernance, est également un droit du citoyen.

C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la centralité du journalisme économique dans une démocratie, en tant que facteur de développement. En outre, beaucoup de journalistes traitant des questions économiques ne sont pas formés en économie, ce qui peut être une limite dans la production d’une information de qualité. Le président Wade disait souvent que quand il évoquait les questions économiques, les journalistes pensaient qu’il leur parlait chinois ! C’est parce que dans les offres des écoles de journalisme de la place, il n’y a pas une formation spécifique en journalisme économique. L’économie reste un simple module dans l’offre de formation.

Ce qui fait que la plupart des diplômés affectés aux services « Economie » des journaux ont du mal à identifier les experts et à poser les bonnes questions. Les diplômés en économie aussi, qui s’intéressent à ces questions dans les médias, sont handicapés par leur manque de maîtrise des techniques rédactionnelles et de vulgarisation des informations. Je suis tombé sur un brillant universitaire doté d’une ouverture d’esprit remarquable, le professeur Ahmadou Aly Mbaye, ancien Doyen de la Faseg.

C’est sous son décanat que nous avons monté ce Master. Son successeur, le professeur Birahim Bouna Niang, a fait montre d’une grande disponibilité et d’un bel engagement pour ce projet. Nous espérons démarrer prochainement ce Master.

Depuis quelques années, les sortants du Cesti sont confrontés à un problème d’insertion. Qu’est-ce qui est fait à ce niveau pour leur faciliter l’obtention d’un emploi ?

Le problème d’insertion des diplômés du Cesti date de très longtemps, depuis la fin de la planification des ressources humaines au niveau de la tutelle. Le quota du Sénégal dépendait des besoins exprimés par Le Soleil, l’Aps et l’Orts. Depuis quelques décennies, les diplômés du Cesti évoluent dans la précarité avant d’être recrutés. Aujourd’hui, nous sommes tristes de voir des jeunes bien formés rester sur le carreau ou vivre dans la précarité avec des cachets dérisoires.

De mon point de vue, la concurrence des écoles privées de la place ne saurait être une explication valable. Pour des raisons économiques, certains patrons de presse préfèrent recruter des « déscolarisés » plutôt que les jeunes diplômés. C’est ainsi que le journalisme est devenu, dans ce pays, le bassin versant de tous ceux qui ont échoué dans la vie. Tous ceux qui ratent leur vie se reconvertissent dans le journalisme, ce qui explique en partie la médiocrité des productions des médias sénégalais.

Pour aider nos diplômés à trouver du travail, nous sommes parfois obligés de jouer sur nos relations personnelles avec certains patrons de presse, qui ont le souci de faire dans la qualité. Nous avons signé également une convention de partenariat avec la Rts, qui doit permettre à nos meilleurs étudiants en télévision d’être recrutés par le service public. Malheureusement, les choses tardent à se mettre en place.

Votre établissement est-il prêt à relancer ses anciens partenariats qui lui permettaient d’envoyer des étudiants faire des stages à l’étranger ?

Nous devons arrêter de rêver. Ce n’est plus possible. En revanche, nous avons besoin de bourses d’études pour nos meilleurs étudiants. En 2018, près de 40% des enseignants permanents vont jouir de leur droit à la retraite. En outre, avec la création de nouvelles filières, le Cesti aura besoin non seulement de renouveler ses ressources humaines, mais aussi de les renforcer.

La meilleure stratégie pour assurer la relève est de chercher des bourses d’études à l’étranger à nos meilleurs étudiants. Cela permettra au Cesti non seulement d’assurer la relève, mais aussi de combler ses manques en ressources humaines dans certains domaines de la formation : géopolitique des médias, économie des médias, médiation culturelle, gestion des entreprises de presse, études des audiences, etc.

L’argument que nos partenaires brandissent souvent est que rien ne leur garantit que les boursiers vont revenir et qu’ils n’ont pas envie de former les ressources humaines des pays du Nord. C’est un vrai casse-tête.

Pouvez-vous nous parler un peu plus de la « Revue africaine de communication » ?

La relance de la « Revue africaine de communication » est l’une des recommandations de notre séminaire de 2008 sur la gouvernance institutionnelle du Cesti. En 2011, j’avais pris l’engagement de la matérialiser. C’est chose faite. Le plus dur est de s’inscrire dans la durée. J’appelle les collègues à s’approprier cet outil de vulgarisation de la recherche en communication en proposant régulièrement des articles.

Le Soleil