Selon le chercheur israélien - un des « nouveaux historiens » israéliens auteur du livre Le nettoyage ethnique de la Palestine, notre pays « joue un rôle important dans la façon dont se décline la position du Vieux continent. Et s’il continue dans cette position, les prochaines générations se souviendront de ses élites actuelles comme celles qui auront joué un rôle très négatif, en contribuant à la destruction du peuple palestinien et en déstabilisant la sécurité internationale ».
(Je souhaite faire un commentaire préliminaire à cette traduction, ayant rencontré Ilan Pappé l’an dernier à Rome, et M. Cocco, l’auteur de cette interview, après la mort de Stefano Chiarini, journaliste en charge pendant une vingtaine d’années du dossier du Proche-Orient au journal il manifesto.
Stefano avait une très grande connaissance du terrain - non seulement géographique mais humain, en particulier des composantes multiples des mouvements de la Résistance au Liban et en Palestine - et une analyse clairement anti-impérialiste et antisioniste qui le marginalisait à l’intérieur de la rédaction majoritaire au journal (depuis les 8 années de lecture quotidienne attentive que j’en ai, en tout cas). Après la mort brutale de Stefano en février 2007, c’est M. Cocco qui a pris la suite d’une grande partie de ces dossiers. Michele Giorgio restant correspondant sur le terrain, à Jérusalem (pas Ramallah ou ailleurs). On remarquera le choix non seulement des questions mais des termes de l’auteur, dans le récit de cet entretien : en particulier la persistance - bien conforme à la ligne éditoriale - des efforts, même après le massacre de Gaza, pour ramener encore la solution à deux Etats.
Ilan Pappé tient le cap de sa dénonciation sans ambiguïté, sans l’ambiguïté et la tromperie d’un « nouvel historien » comme Schlomo Sand, par exemple, très diffusé et encensé ici par des groupes qui ont le même engagement idéologique que il manifesto : et sont ces « élites » qu’Ilan Pappé interpelle tout au long de cet entretien. Rappelons aussi, puisque l’auteur ne le fait pas, qu’Ilan Pappé a quitté Israël début 2007, à cause des très grandes difficultés qu’il avait à continuer à travailler et, pour sa famille, à vivre dans le climat d’hostilité ouverte à leur encontre (cf. rencontre à Rome en décembre 2007).
La présence de cet entretien dans les pages de il manifesto indique cependant que le travail de Stefano Chiarini n’y est pas totalement enterré, ou qu’il est de plus en plus difficile de marginaliser certaines voix ; ou bien, dernière mais non la moindre possibilité, qu’il faut bien se démarquer beaucoup plus nettement de l’assaut de mensonges ces jours-ci dans les médias dominants (par exemple en Italie les saloperies du Corriere della Sera).
Excusez-moi de ce long préliminaire dû à la lecture navrée et choquée (et non traduction) de la plupart des articles du manifesto depuis des mois, sur ce thème. L’opposition, majoritaire dans ce journal, au boycott culturel, universitaire et commercial réclamé pourtant par les Palestiniens, n’est qu’un petit exemple de la ligne éditoriale sur le Proche-Orient : sioniste de « gauche » errante, ou égarée (avec réelles et justes indignation quand les massacres deviennent insupportables). Voir la suite de l’entretien, pour nos responsabilités là dedans.
M-A Patrizio, 28 janvier 2009).
L’exécutif israélien soutient qu’il a atteint la majorité des objectifs de « Plomb durci », mais le gouvernement du Hamas contrôle encore Gaza, et les Palestiniens sont en train de reconstruire les tunnels qui relient Rafah à l’Egypte. Quels étaient alors les objectifs de l’offensive militaire ?
Se remettre de la défaite subie il y a deux ans au Liban, et rétablir le pouvoir de dissuasion de l’armée. Vaincre militairement le Hamas qui, avec le Hezbollah, représente la seule véritable opposition à Israël. En outre, il n’y a pas de véritable politique à l’égard de la Bande de Gaza : les Israéliens veulent la contrôler indirectement, mais ne savent pas comment se comporter avec ses habitants. Et quand les Palestiniens résistent, ils mettent en acte des punitions collectives de plus en plus extrêmes. Les trois semaines de massacre ont mis à nu ce dernier élément aussi.
Quelle est la différence entre « Plomb durci » et les précédentes campagnes militaires d’Israël contre les Palestiniens ?
La stratégie est la même, mais cette fois il y a eu une escalade dans la force utilisée, dans la licence de tuer accordée aux troupes. La prochaine opération pourrait être encore plus lourde.
96% de la population juive d’Israël a soutenu cette opération militaire. Comment expliquez-vous cette attitude ?
Nous parlons de la même société qui, en 1948 et en 1967, a expulsé les Palestiniens de leurs terres. Après 60 années d’endoctrinement, de déshumanisation des Palestiniens, de diabolisation des Palestiniens, en tuer un millier en trois semaines n’a pas représenté un gros problème. Les médias, la culture politique ont préparé la société à accepter ces massacres comme un « acte d’autodéfense ». Tant que la société ne commencera pas à se libérer de l’idéologie sioniste, il ne pourra y avoir aucune opposition sérieuse face aux opérations comme « Plomb durci ».
Pourtant les accusations de « crime de guerre » (guillemets de l’auteur de l’article, NdT) pleuvent, alors que même des groupes de juifs israéliens demandent le boycott de l’Etat d’Israël pour la façon dont il traite les Palestiniens (pas de précision sur ces « groupes », NdT). Ne croyez-vous pas qu’un des effets de cette tragédie (souci récurrent à la rédaction du manifesto, NdT) sera l’isolement de l’Etat juif ?
Je l’espère, mais je ne crois pas qu’Israël soit arrêté dans des initiatives de ce genre. La Cour internationale de justice a condamné le Mur de l’apartheid mais cela n’a pas changé d’un pouce les politiques israéliennes. Peut-être cependant, un processus est-il en train de se mettre en marche, je veux l’espérer.
Vous êtes favorable au boycott, même universitaire et culturel. De quelle façon pensez-vous que de telles mesures peuvent favoriser le processus de paix ?
Si le boycott avait du succès, l’élite culturelle et intellectuelle israélienne sentirait qu’elle n’est pas acceptée, à cause de sa complicité ou de son indifférence à l’égard des politiques gouvernementales. Elle serait obligée d’agir parce qu’elle ne peut pas vivre sans faire partie du monde occidental. Cette mesure, seule, ne serait pas suffisante : pour un vrai changement il faut une politique générale qui pousse pour le réaliser. Mais ce serait un bon début, parce que ces intellectuels ont un rôle central dans la façon dont ils créent, en Israël, l’image d’un Etat juif soutenu par tout l’occident dans sa bataille contre les Palestiniens.
De la Nakba en 48-49 à l’opération « Plomb Durci » 60 ans après : le mouvement national palestinien semble mort (national = Fatah ? mais pas à Gaza quand même ! NdT).
Il n’est pas mort mais en crise profonde : d’unité, d’objectifs, de stratégie. Le mouvement de libération palestinien, cependant, n’a jamais été en bonnes conditions. Je crois toutefois qu’il a les potentialités pour arriver à une leadership et une stratégie meilleures. Mais une grosse partie de la responsabilité de l’état dans lequel il se trouve revient au monde occidental, ce problème n’a jamais été créé par les Palestiniens mais par l’Europe. Le fait que les Palestiniens méritaient une meilleure direction ne nous exempte pas, ici en Europe, de faire de notre mieux pour les soutenir.
Dans votre dernier livre, vous déclarez qu’à partir des années 30 du siècle dernier, le mouvement sioniste élabora un plan pour réaliser la purification ethnique des Palestiniens. Aujourd’hui de semblables opérations sont inimaginables : les deux peuples sont destinés à vivre ensemble. Mais sous quelle forme ? (Nous y voilà, NdT)
Il y a quelques années il semblait impossible qu’Israël assassinat 400 enfants palestiniens en quelques jours. Et pourtant il l’a fait, sans que le monde ne bouge le petit doigt. Ceci signifie qu’il pourrait, par exemple, expulser des milliers de personnes et qu’en Italie, ou en Grande-Bretagne, les gouvernements ne s’y opposeraient pas. Je crois que les Israéliens n’ont pas besoin d’une épuration ethnique comme ce qu’ils ont fait en 48. La stratégie est différente : garder « en prison » Gaza et la moitié de la Cisjordanie, et du coup nombreux sont ceux qui quitteront le pays. S’ils en ont besoin, ils lanceront une nouvelle épuration ethnique, ou un génocide, ou l’occupation (traduction littérale, NdT). Ça, ce sont les outils. Ce qui compte c’est que la stratégie n’a pas changé et, si l’on en juge aux réactions internationales, Israël sait qu’il a vraiment peu de limites à ce qu’il peut faire, épuration ethnique comprise.
Donc vous pensez, vous, que la stratégie est celle de l’épuration ethnique, et pas la création d’un régime d’apartheid ?
Il s’agit de deux éléments qui, comme dans le cas du régime ségrégationniste d’Afrique du Sud, ne peuvent pas être séparés : apartheid signifie création de zones réservées seulement à un peuple. Vous pouvez l’obtenir par la séparation ou par l’expulsion d’un des peuples, ou par l’assassinat. Ce ne sont que des moyens, qui font partie de la même idéologie.
(Je souhaite faire un commentaire préliminaire à cette traduction, ayant rencontré Ilan Pappé l’an dernier à Rome, et M. Cocco, l’auteur de cette interview, après la mort de Stefano Chiarini, journaliste en charge pendant une vingtaine d’années du dossier du Proche-Orient au journal il manifesto.
Stefano avait une très grande connaissance du terrain - non seulement géographique mais humain, en particulier des composantes multiples des mouvements de la Résistance au Liban et en Palestine - et une analyse clairement anti-impérialiste et antisioniste qui le marginalisait à l’intérieur de la rédaction majoritaire au journal (depuis les 8 années de lecture quotidienne attentive que j’en ai, en tout cas). Après la mort brutale de Stefano en février 2007, c’est M. Cocco qui a pris la suite d’une grande partie de ces dossiers. Michele Giorgio restant correspondant sur le terrain, à Jérusalem (pas Ramallah ou ailleurs). On remarquera le choix non seulement des questions mais des termes de l’auteur, dans le récit de cet entretien : en particulier la persistance - bien conforme à la ligne éditoriale - des efforts, même après le massacre de Gaza, pour ramener encore la solution à deux Etats.
Ilan Pappé tient le cap de sa dénonciation sans ambiguïté, sans l’ambiguïté et la tromperie d’un « nouvel historien » comme Schlomo Sand, par exemple, très diffusé et encensé ici par des groupes qui ont le même engagement idéologique que il manifesto : et sont ces « élites » qu’Ilan Pappé interpelle tout au long de cet entretien. Rappelons aussi, puisque l’auteur ne le fait pas, qu’Ilan Pappé a quitté Israël début 2007, à cause des très grandes difficultés qu’il avait à continuer à travailler et, pour sa famille, à vivre dans le climat d’hostilité ouverte à leur encontre (cf. rencontre à Rome en décembre 2007).
La présence de cet entretien dans les pages de il manifesto indique cependant que le travail de Stefano Chiarini n’y est pas totalement enterré, ou qu’il est de plus en plus difficile de marginaliser certaines voix ; ou bien, dernière mais non la moindre possibilité, qu’il faut bien se démarquer beaucoup plus nettement de l’assaut de mensonges ces jours-ci dans les médias dominants (par exemple en Italie les saloperies du Corriere della Sera).
Excusez-moi de ce long préliminaire dû à la lecture navrée et choquée (et non traduction) de la plupart des articles du manifesto depuis des mois, sur ce thème. L’opposition, majoritaire dans ce journal, au boycott culturel, universitaire et commercial réclamé pourtant par les Palestiniens, n’est qu’un petit exemple de la ligne éditoriale sur le Proche-Orient : sioniste de « gauche » errante, ou égarée (avec réelles et justes indignation quand les massacres deviennent insupportables). Voir la suite de l’entretien, pour nos responsabilités là dedans.
M-A Patrizio, 28 janvier 2009).
L’exécutif israélien soutient qu’il a atteint la majorité des objectifs de « Plomb durci », mais le gouvernement du Hamas contrôle encore Gaza, et les Palestiniens sont en train de reconstruire les tunnels qui relient Rafah à l’Egypte. Quels étaient alors les objectifs de l’offensive militaire ?
Se remettre de la défaite subie il y a deux ans au Liban, et rétablir le pouvoir de dissuasion de l’armée. Vaincre militairement le Hamas qui, avec le Hezbollah, représente la seule véritable opposition à Israël. En outre, il n’y a pas de véritable politique à l’égard de la Bande de Gaza : les Israéliens veulent la contrôler indirectement, mais ne savent pas comment se comporter avec ses habitants. Et quand les Palestiniens résistent, ils mettent en acte des punitions collectives de plus en plus extrêmes. Les trois semaines de massacre ont mis à nu ce dernier élément aussi.
Quelle est la différence entre « Plomb durci » et les précédentes campagnes militaires d’Israël contre les Palestiniens ?
La stratégie est la même, mais cette fois il y a eu une escalade dans la force utilisée, dans la licence de tuer accordée aux troupes. La prochaine opération pourrait être encore plus lourde.
96% de la population juive d’Israël a soutenu cette opération militaire. Comment expliquez-vous cette attitude ?
Nous parlons de la même société qui, en 1948 et en 1967, a expulsé les Palestiniens de leurs terres. Après 60 années d’endoctrinement, de déshumanisation des Palestiniens, de diabolisation des Palestiniens, en tuer un millier en trois semaines n’a pas représenté un gros problème. Les médias, la culture politique ont préparé la société à accepter ces massacres comme un « acte d’autodéfense ». Tant que la société ne commencera pas à se libérer de l’idéologie sioniste, il ne pourra y avoir aucune opposition sérieuse face aux opérations comme « Plomb durci ».
Pourtant les accusations de « crime de guerre » (guillemets de l’auteur de l’article, NdT) pleuvent, alors que même des groupes de juifs israéliens demandent le boycott de l’Etat d’Israël pour la façon dont il traite les Palestiniens (pas de précision sur ces « groupes », NdT). Ne croyez-vous pas qu’un des effets de cette tragédie (souci récurrent à la rédaction du manifesto, NdT) sera l’isolement de l’Etat juif ?
Je l’espère, mais je ne crois pas qu’Israël soit arrêté dans des initiatives de ce genre. La Cour internationale de justice a condamné le Mur de l’apartheid mais cela n’a pas changé d’un pouce les politiques israéliennes. Peut-être cependant, un processus est-il en train de se mettre en marche, je veux l’espérer.
Vous êtes favorable au boycott, même universitaire et culturel. De quelle façon pensez-vous que de telles mesures peuvent favoriser le processus de paix ?
Si le boycott avait du succès, l’élite culturelle et intellectuelle israélienne sentirait qu’elle n’est pas acceptée, à cause de sa complicité ou de son indifférence à l’égard des politiques gouvernementales. Elle serait obligée d’agir parce qu’elle ne peut pas vivre sans faire partie du monde occidental. Cette mesure, seule, ne serait pas suffisante : pour un vrai changement il faut une politique générale qui pousse pour le réaliser. Mais ce serait un bon début, parce que ces intellectuels ont un rôle central dans la façon dont ils créent, en Israël, l’image d’un Etat juif soutenu par tout l’occident dans sa bataille contre les Palestiniens.
De la Nakba en 48-49 à l’opération « Plomb Durci » 60 ans après : le mouvement national palestinien semble mort (national = Fatah ? mais pas à Gaza quand même ! NdT).
Il n’est pas mort mais en crise profonde : d’unité, d’objectifs, de stratégie. Le mouvement de libération palestinien, cependant, n’a jamais été en bonnes conditions. Je crois toutefois qu’il a les potentialités pour arriver à une leadership et une stratégie meilleures. Mais une grosse partie de la responsabilité de l’état dans lequel il se trouve revient au monde occidental, ce problème n’a jamais été créé par les Palestiniens mais par l’Europe. Le fait que les Palestiniens méritaient une meilleure direction ne nous exempte pas, ici en Europe, de faire de notre mieux pour les soutenir.
Dans votre dernier livre, vous déclarez qu’à partir des années 30 du siècle dernier, le mouvement sioniste élabora un plan pour réaliser la purification ethnique des Palestiniens. Aujourd’hui de semblables opérations sont inimaginables : les deux peuples sont destinés à vivre ensemble. Mais sous quelle forme ? (Nous y voilà, NdT)
Il y a quelques années il semblait impossible qu’Israël assassinat 400 enfants palestiniens en quelques jours. Et pourtant il l’a fait, sans que le monde ne bouge le petit doigt. Ceci signifie qu’il pourrait, par exemple, expulser des milliers de personnes et qu’en Italie, ou en Grande-Bretagne, les gouvernements ne s’y opposeraient pas. Je crois que les Israéliens n’ont pas besoin d’une épuration ethnique comme ce qu’ils ont fait en 48. La stratégie est différente : garder « en prison » Gaza et la moitié de la Cisjordanie, et du coup nombreux sont ceux qui quitteront le pays. S’ils en ont besoin, ils lanceront une nouvelle épuration ethnique, ou un génocide, ou l’occupation (traduction littérale, NdT). Ça, ce sont les outils. Ce qui compte c’est que la stratégie n’a pas changé et, si l’on en juge aux réactions internationales, Israël sait qu’il a vraiment peu de limites à ce qu’il peut faire, épuration ethnique comprise.
Donc vous pensez, vous, que la stratégie est celle de l’épuration ethnique, et pas la création d’un régime d’apartheid ?
Il s’agit de deux éléments qui, comme dans le cas du régime ségrégationniste d’Afrique du Sud, ne peuvent pas être séparés : apartheid signifie création de zones réservées seulement à un peuple. Vous pouvez l’obtenir par la séparation ou par l’expulsion d’un des peuples, ou par l’assassinat. Ce ne sont que des moyens, qui font partie de la même idéologie.