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Indépendance de la justice : ce que le juge Dème n’a pas dit


Rédigé par leral.net le Mercredi 4 Avril 2018 à 22:41 | | 0 commentaire(s)|

Indépendance de la justice : ce que le juge Dème n’a pas dit
La démission annoncée avec fracas du juge DEME et sa probable entrée en politique, l’affaire khalifa SALL et l’arrestation de Bartelemy DIAS posent une fois de plus le débat sur l’indépendance de notre justice. A suivre les interventions très médiatisées du juge DEME, on constate que le magistrat à axé ses interventions sur les quelques faiblesses que connait notre système judicaire plutôt que sur les énormes progrès qu’elle a connus depuis 2012, pour améliorer son fonctionnement tant du point de vue de son accès que de son indépendance. En fait, une analyse objective et dépassionnée de la situation de notre système judiciaire, montre que son fonctionnement s’est fortement amélioré.

Pour mesurer les efforts consentis, il faut revenir sur certains faits qui ont marqué notre justice avant 2012. Cette période fut marquée par des violations manifestes et répétées du principe de la séparation des pouvoirs.

Rappelons par exemple, cette correspondance en date du 1er avril 2001 adressée au Conseil constitutionnel par le chef de l’Etat d’alors. Celui-ci demandait aux juges constitutionnels des explications relatives à leur décision de donner suite à la requête de l’opposition qui contestait l’utilisation des photos et acronymes du Président Abdoulaye WADE sur la liste du PDS. Un autre exemple est celui où il prit un décret de renvoi du refugié Rwandais Paul MAYERE dans son pays d’origine, alors que celui-ci s’était pourvu en cassation pour contester l’avis favorable rendu par la Cour d’appel. La signature de décret devait intervenir uniquement après la décision de la Cour de cassation. Le chef de l’Etat d’alors s’était montré en de nombreuses circonstances, peu soucieux de la légalité. Ce qui a conduit aux manifestations du 23 juin 2011.

Depuis 2012, les nouvelles autorités, conscientes des attentes des populations en matière de gouvernance judiciaire, ont fourni beaucoup d’efforts pour moderniser le service public de la justice aussi bien du point de vue de son accès que de son indépendance. Ainsi, l’axe 3 du plan Sénégal émergent s’articule autour de la protection des droits et libertés et de la consolidation de l’Etat de Droit. La bonne gouvernance judiciaire, l’égal accès de tous au service public de la justice et la connaissance de chacun et de chacune de ses droits et libertés sont consacrées dans cette vision comme les conditions indispensables au renforcement d’un Etat de Droit. La justice, aujourd’hui, est plus proche des citoyens et l’indépendance des magistrats s’est fortement renforcée.

Une justice plus proche du citoyen

Dans cette perspective, plusieurs actes ont été posés pour améliorer le fonctionnement de la justice. Les maisons de justices, les bureaux d’accueil et d’orientation du justiciable(BAOJ) et les bureaux d’information du justiciables (BIJ) sont des structures qui permettent aujourd’hui de rapprocher la justice du justiciable .Aujourd’hui, le Sénégal compte 16 maisons de justice, 4BIJ et 14 BAOJ..

Les lois 2014-22 et 2014-26 du 03 novembre 2014 portant organisation judiciaire du Sénégal ont changé la carte judicaire du Sénégal. Les tribunaux d’instance et de grandes instance ont remplacé respectivement les tribunaux départementaux et les tribunaux régionaux. Le nouveau statut des magistrats consacre en ses articles 76 et 78 la revalorisation de certains emplois judiciaires.

En effet, il existe aujourd’hui six cours d’appel (Dakar, Kaolack, Saint-Louis, Thiès, Ziguinchor et Tambacounda). Celle de Ziguinchor a été installée le 29 septembre 2016. Aussi a-t-il paru nécessaire à l’exécutif d’accroître le nombre des emplois judiciaires. Il en est ainsi des fonctions : d’Inspecteur général adjoint de l’Administration de la Justice, de Premier avocat général près une Cour d’Appel, de Premier substitut général près une Cour d’Appel, de Conseiller référendaire à la Cour suprême, de Premier vice-président dans les tribunaux de grande instance, les tribunaux du travail et les tribunaux d’instance, de Procureur de la République adjoint et premier substitut dans les tribunaux de grande instance.

Il s’y ajoute la mise en place d’une commission d’indemnisation, compétente pour statuer sur les demandes d’indemnisation présentées par des personnes ayant subi une longue détention et qui bénéficient d’une décision définitive de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Aujourd’hui la présence de l’avocat aux premières heures de l’interpellation, est devenue une réalité. La dernière réforme constitutionnelle a permis de renforcer les droits et libertés des populations en octroyant aux citoyens de nouveaux droits sur leur patrimoine foncier sur les ressources naturelles En plus de cette volonté de faciliter aux citoyens l’accès à la justice, on note d’énormes progrès dans le renforcement de l’indépendance de la magistrature.

Une indépendance des magistrats renforcée

Cette volonté s’est exprimée à travers les réformes liées d’une part au Conseil constitutionnel et d’autre part au Conseil Supérieur de la Magistrature (Csm).

Depuis le référendum de 2016, le Conseil constitutionnel comprend désormais sept membres nommés par le Président de la République dont deux désignés par le Président de l’Assemblée nationale. Cette innovation met fin au pouvoir exclusif de nomination des juges constitutionnels par le Président de la République et associe la deuxième personnalité de l’Etat à la composition de la juridiction constitutionnelle.

En outre, celle-ci peut donner des avis et voit son champ de compétences élargi au contrôle de constitutionnalité des lois organiques avant leur promulgation, et à la connaissance des exceptions d’inconstitutionnalité pouvant désormais être soulevées devant la Cour d’appel.

A travers la loi organique n°2017-10 du 17 janvier 2017 portant statuts des magistrats, l’Etat a renforcé le fonctionnement du Csm. D’abord, on note une augmentation du nombre de membres élus au sein du Csm : Les représentants des magistrats au Conseil supérieur de la magistrature passent de trois (3) à quatre (4). Désormais, les membres élus le seront pour un mandat de 3 ans, renouvelable une fois, et non plus pour un mandat de 4 ans sans limitation pour le renouvellement. Il est, en plus, instauré une majorité qualifiée (2/3) pour les décisions de révocation ou de mise à la retraite d’office prononcées par le CSM.

La loi consacre également l’encadrement de la délibération, en ce sens que les décisions du Conseil supérieur de la magistrature doivent obéir à un quorum. Jusqu’ici, les sanctions disciplinaires décidées par le Conseil supérieur de la magistrature n’étaient pas susceptibles de recours. Désormais, le nouveau statut des magistrats consacre un droit de recours contre les sanctions disciplinaires prononcées par le Csm. Un droit exercé devant la chambre administrative de la Cour suprême.

L’âge de la retraite des magistrats est maintenu à 65 ans avec, toutefois, la fixation à 68 ans de la limite d’âge des magistrats occupant les fonctions de premier président, de procureur général et de président de chambre à la Cour suprême. Cette mesure a été élargie aux magistrats exerçant les fonctions de premier président et de procureur général d’une Cour d’appel. Ceci est la nouvelle disposition de l’article 65 du statut des magistrats.

La volonté de renforcer l’indépendance de la justice se traduit également par l’encadrement de la notion de «nécessité de service» : Cette notion de «nécessité de service» était beaucoup utilisée par l’Exécutif pour muter des magistrats qui bénéficiaient pourtant du principe de l’inamovibilité. Désormais, le magistrat du siège ne peut être déplacé provisoirement pour nécessité de service qu’après une caractérisation de ces nécessités par le Conseil supérieur de la Magistrature et uniquement pour un emploi supérieur ou équivalent et pour une durée ne pouvant excéder 3 ans.

Enfin, l’article 90 du nouveau statut soutient que «nul ne peut exercer sans interruption plus de six (06) années la fonction de premier président ou de procureur général d’une même cour d’appel, cinq (05) années la fonction de président d’un même tribunal du travail, de président ou de procureur de la République d’un même tribunal de grande instance, quatre (04) années la fonction de président ou de délégué du Procureur d’un même tribunal d’instance».

Aujourd’hui, les consultations à domiciles sont parfaitement régulées et, les nouvelles autorités ont mis en place, avec l’Union des magistrats du Sénégal (UMS), un comité chargé de travailler sur le renforcement de la gouvernance judicaire. Mais, comme l’a souligné le Président de l’Union des magistrats sénégalais. «Faire des propositions ne veut pas dire que ce qui existe n’a pas de valeur ». Ce qui semble constituer une reconnaissance des efforts accompli par le chef de l’Etat pour doter notre pays d’une justice efficace et efficiente.

. Tabouré AGNE
Censeur Lycée Mixte Maurice Delafosse
DELAFOSSE
Doctorant en Droit public
agnetaboure@yahoo.fr