Fabienne Kabou était-elle folle le 19 novembre 2013, quand elle est partie de Saint-Mandé pour Berck, noyer sa fille Adélaïde, 15 mois? La question se pose avec d'autant plus d'acuité, depuis lundi, aux assises du Pas-de-Calais, que l'accusée fait montre d'un comportement déroutant: souriante, arrogante, elle ne manifeste aucun regret quand elle évoque ce qu'elle appelle «mon assassinat» - formule très franche ou très ambiguë, au demeurant, car elle se lit dans les deux sens.
Les experts psychiatres sont appelés à témoigner. Plusieurs collèges se sont penchés sur ce cas très singulier de femme infanticide au QI supérieur (135). S'ils concluent tous que son discernement était altéré, et non aboli, au moment des faits, ils ne posent pas un diagnostic identique sur le geste.
Le psychologue Alain Penin représente le premier groupe, car le psychiatre auquel il était associé, le Dr Louis Roure, n'a pas pu venir. Il rappelle que le juge d'instruction avait demandé aux praticiens de rechercher d'éventuelles «références culturelles» propices à éclairer le crime. En clair: Mme Kabou, née au Sénégal, était-elle vraiment persuadée d'être sous la coupe de sorcières, comme elle l'a déclaré au magistrat? Lequel, aux yeux de l'avocat général, lui avait un peu tendu la perche. Ce qui est cocasse, c'est que le juge vient de déposer en tant que témoin. Alors que son ordonnance de mise en accusation retenait, parmi les éléments à décharge, la foi de l'accusée en matière d'occultisme, il retourne sa robe à la barre, laissant entendre qu'il a voulu explorer la piste par conscience professionnelle sans y croire une seule seconde. De même, il répète à l'envi que Fabienne Kabou est «une menteuse invétérée», bien qu'il n'ait pas retenu ce vilain travers parmi les éléments à charge. Peu importe: les jurés n'ont pas lu le document, et tout le monde peut changer d'avis, sauf à être victime d'un envoûtement.
Alain Penin, donc. D'après lui, l'altération du discernement est acquise du fait que la structure psychique de l'accusée est influencée par des «références culturelles et une histoire individuelle liées à la société sénégalaise», ainsi qu'à un «fonctionnement magico-religieux» qui a «modifié radicalement son rapport au monde». Mais MM. Penin et Roure n'ont pas relevé de délire chez cette femme qui leur a déclaré croire aux esprits malfaisants et qui, depuis des années, entendait des bruits dans les murs de sa maison tout en s'imaginant attaquée par des araignées, éléments pour le moins bizarres consignés dans son agenda.
Le Dr Maroussia Wilquin, à présent. Elle a participé à une contre-expertise avec les Drs Roland Coutanceau et Daniel Zagury - ce dernier, arrivé à Saint-Omer vers 16h, doit déposer après elle. Le Dr Wilquin propose une vision plus séduisante, en ce qu'elle colle davantage avec ce que l'audience donne à voir depuis lundi. Pour elle, la sorcellerie constitue pour l'accusée une explication acceptable de son délire, car elle refuse de se considérer comme atteinte d'une pathologie mentale - elle l'a dit elle-même mardi, sur question de son avocate. Très claire, le Dr Wilquin développe: «Fabienne Kabou tient un discours délirant à tonalité persécutive, typique d'un délire chronique paranoïaque inspiré de la magie noire africaine. Même sa préméditation est délirante. Au moment du passage à l'acte, elle attend un signe - pleurs du bébé, lumière de la lune… - mais rien ne fait irruption dans la partie clivée non délirante de son psychisme.» Adélaïde périra noyée dans la Mer du Nord. Pour autant, l'abolition du discernement n'est pas retenue car la pathologie du sujet, qui ne fait aucun doute pour ce collège expertal, n'est pas la cause directe et exclusive du crime, dont l'auteure, très intelligente, avait conservé un epsilon de sens critique. D'où le diagnostic d'«altération très marquée» du discernement.
La présidente, manifestement dubitative, interroge la psychiatre mais le Dr Wilquin tient bon. Une assesseuse pose ensuite quelques très bonnes questions: selon l'expert, Adélaïde n'a pas été mise au monde dans le seul but d'être sacrifiée un jour. Et si sa mère la tue, ce n'est pas pour éliminer sa fille ou s'éliminer elle-même à travers le nourrisson, mais pour «supprimer le danger» supérieur qui, elle en est persuadée, menace l'enfant. Le médecin éclaire aussi l'apparente logique de Fabienne Kabou: «Le délire paranoïaque est structuré, coordonné, on peut y adhérer. Ce que nous appelons ses mensonges n'en sont pas pour elle, car elle n'est pas dans notre réel à nous: elle est encore aujourd'hui dans le sien, dont nous n'avons pas forcément les clés ».
Dr Maroussia Wilquin révèle, en guise de conclusion, une formule de son collègue Coutanceau: lorsque les trois psychiatres se sont réunis pour rédiger leur synthèse, ce dernier a estimé qu'entre abolition et altération du discernement, on était «sur le fil du rasoir». «Et le fil d'un rasoir c'est très mince, rappelle l'expert à la barre. Sans quoi ces messieurs, chaque matin, se feraient très mal.» Mais c'est une femme qui préside les assises, et elle suspend l'audience à cause d'une alerte départementale aux orages violents. Jeudi matin, parole au Dr Zagury, rasé de frais.
Le Figaro
Les experts psychiatres sont appelés à témoigner. Plusieurs collèges se sont penchés sur ce cas très singulier de femme infanticide au QI supérieur (135). S'ils concluent tous que son discernement était altéré, et non aboli, au moment des faits, ils ne posent pas un diagnostic identique sur le geste.
Le psychologue Alain Penin représente le premier groupe, car le psychiatre auquel il était associé, le Dr Louis Roure, n'a pas pu venir. Il rappelle que le juge d'instruction avait demandé aux praticiens de rechercher d'éventuelles «références culturelles» propices à éclairer le crime. En clair: Mme Kabou, née au Sénégal, était-elle vraiment persuadée d'être sous la coupe de sorcières, comme elle l'a déclaré au magistrat? Lequel, aux yeux de l'avocat général, lui avait un peu tendu la perche. Ce qui est cocasse, c'est que le juge vient de déposer en tant que témoin. Alors que son ordonnance de mise en accusation retenait, parmi les éléments à décharge, la foi de l'accusée en matière d'occultisme, il retourne sa robe à la barre, laissant entendre qu'il a voulu explorer la piste par conscience professionnelle sans y croire une seule seconde. De même, il répète à l'envi que Fabienne Kabou est «une menteuse invétérée», bien qu'il n'ait pas retenu ce vilain travers parmi les éléments à charge. Peu importe: les jurés n'ont pas lu le document, et tout le monde peut changer d'avis, sauf à être victime d'un envoûtement.
Alain Penin, donc. D'après lui, l'altération du discernement est acquise du fait que la structure psychique de l'accusée est influencée par des «références culturelles et une histoire individuelle liées à la société sénégalaise», ainsi qu'à un «fonctionnement magico-religieux» qui a «modifié radicalement son rapport au monde». Mais MM. Penin et Roure n'ont pas relevé de délire chez cette femme qui leur a déclaré croire aux esprits malfaisants et qui, depuis des années, entendait des bruits dans les murs de sa maison tout en s'imaginant attaquée par des araignées, éléments pour le moins bizarres consignés dans son agenda.
Le Dr Maroussia Wilquin, à présent. Elle a participé à une contre-expertise avec les Drs Roland Coutanceau et Daniel Zagury - ce dernier, arrivé à Saint-Omer vers 16h, doit déposer après elle. Le Dr Wilquin propose une vision plus séduisante, en ce qu'elle colle davantage avec ce que l'audience donne à voir depuis lundi. Pour elle, la sorcellerie constitue pour l'accusée une explication acceptable de son délire, car elle refuse de se considérer comme atteinte d'une pathologie mentale - elle l'a dit elle-même mardi, sur question de son avocate. Très claire, le Dr Wilquin développe: «Fabienne Kabou tient un discours délirant à tonalité persécutive, typique d'un délire chronique paranoïaque inspiré de la magie noire africaine. Même sa préméditation est délirante. Au moment du passage à l'acte, elle attend un signe - pleurs du bébé, lumière de la lune… - mais rien ne fait irruption dans la partie clivée non délirante de son psychisme.» Adélaïde périra noyée dans la Mer du Nord. Pour autant, l'abolition du discernement n'est pas retenue car la pathologie du sujet, qui ne fait aucun doute pour ce collège expertal, n'est pas la cause directe et exclusive du crime, dont l'auteure, très intelligente, avait conservé un epsilon de sens critique. D'où le diagnostic d'«altération très marquée» du discernement.
La présidente, manifestement dubitative, interroge la psychiatre mais le Dr Wilquin tient bon. Une assesseuse pose ensuite quelques très bonnes questions: selon l'expert, Adélaïde n'a pas été mise au monde dans le seul but d'être sacrifiée un jour. Et si sa mère la tue, ce n'est pas pour éliminer sa fille ou s'éliminer elle-même à travers le nourrisson, mais pour «supprimer le danger» supérieur qui, elle en est persuadée, menace l'enfant. Le médecin éclaire aussi l'apparente logique de Fabienne Kabou: «Le délire paranoïaque est structuré, coordonné, on peut y adhérer. Ce que nous appelons ses mensonges n'en sont pas pour elle, car elle n'est pas dans notre réel à nous: elle est encore aujourd'hui dans le sien, dont nous n'avons pas forcément les clés ».
Dr Maroussia Wilquin révèle, en guise de conclusion, une formule de son collègue Coutanceau: lorsque les trois psychiatres se sont réunis pour rédiger leur synthèse, ce dernier a estimé qu'entre abolition et altération du discernement, on était «sur le fil du rasoir». «Et le fil d'un rasoir c'est très mince, rappelle l'expert à la barre. Sans quoi ces messieurs, chaque matin, se feraient très mal.» Mais c'est une femme qui préside les assises, et elle suspend l'audience à cause d'une alerte départementale aux orages violents. Jeudi matin, parole au Dr Zagury, rasé de frais.
Le Figaro