Et Médina dit oui. Cette fois, c’est possible, Cheikh Assane Cissé peut mourir. Il y a quarante ans, elle avait catégoriquement rejeté cette possibilité pour augurer une vie remplie pour sa progéniture. Etait-elle dans le secret de Dieu pour entrer dans les mystères de la providence quand elle refusait obstinément l’annonce du décès de son futur Imam ? En tout cas, la suite des événements lui avait donné raison.
Assane Cissé vivra 63 ans, après avoir conquis le monde à la cause de l’Islam et ouvrir l’obscure Amérique à la lumière de la Tarikha Tidjaniya. Il fallait qu’il vive. En effet, nous sommes en 1967 et Assane Cissé a 23 ans -il est né en 1945- étudiant au Caire, en Egypte où son grand-père Cheikh al Islam Ibrahima Niass l’a envoyé pour certifier sa science avec un diplôme académique, comme il est de tradition dans le monde moderne. En fait, Assane Cissé est le petit-fils de Baye Niass de par sa mère, Fatoumata Zahra Niass, qui est la fille du fondateur de la cité religieuse de Médina.
PREDICTIONS DE AYE NIASS
Un beau jour, Médina se réveille avec l’annonce de la mort de son enfant qui aurait succombé au Caire des suites d’un accident de voiture. Son père est paralysé par la nouvelle, mais son grand-père, Baye Niass reste zen. On pleure par-ci, on se lamente par-là et on s’interroge sur l’attitude du grand-père.
C’est pendant cet épisode qu’intervint la première prophétie. Au fait, Baye Niass appelle, Serigne Aliou Cissé, le père de Assane et le rassure : «Ton fils ne peut mourir maintenant. Il vivra après ma mort et la tienne et dirigera la mosquée après nous.» Et c’est ce qui fut. Le nuage se dissipa peu après qu’un autre message provenant de l’Egypte informa que c’était une erreur. En réalité, c’était une autre personne du même nom qui avait disparu dans l’accident.
Mais, le jeune Assane Cissé ne restera pas longtemps dans le Maghreb. Sur recommandation de son grand-père, son père le conseilla de quitter Le Caire pour étudier l’anglais en Angleterre. A l’époque, se souvient un proche, Assane Cissé n’était pas séduit par cette proposition. Une importante entreprise de la place lui avait proposé un boulot avec un salaire intéressant. Après avoir longtemps hésité, il finit de s’en ouvrir à Baye Niass par l’intermédiaire d’un de ses oncles. Baye lui rétorqua : «Si tu veux réaliser ce que je veux pour toi, va étudier l’anglais. Mais, si tu veux faire ce que tu veux, restes travailler en Egypte.» D’autres témoignages rapportent que le fondateur de Médina a une fois évoqué la destinée de son petit-fils, un jour, quand une tierce personne lui demandait pourquoi, lui, qui voyage beaucoup dans le monde, n’a jamais foulé le sol des Etats-Unis d’Amérique. «Ne vous inquiétez pas pour cela, l’Amérique est confiée à mon petit-fils, Assane.» Deuxième prophétie.
LETTRE-TESTAMENT
Il poursuit alors ses études dans la capitale anglaise dans les années 60 et décroche un doctorat. Mais, l’Angleterre, c’est aussi le pays où son illustre grand-père a rendu l’âme. En cette malheureuse occasion, Assane Cissé fut un des rares privilégiés à assister le saint homme dans ses dernières heures.
Après le décès de ce dernier en 1975, la vie de Assane Cissé va prendre une autre tournure. L’étudiant en Occident est informé de la lourde responsabilité qui l’attend. En effet, une lettre-testament du Cheikh l’annonce comme le deuxième imam de la grande mosquée de Médina après Serigne Aliou Cissé, son père. Il prend l’information avec philosophie, sachant pour l’instant que son père va s’acquitter convenablement de la tâche.
Il rejoint l’Angleterre, en étudiant modèle, conscient de la lourde tâche qui l’attend. Mais, les mondanités et les jouissances de la grande ville ne l’ont jamais conquis. Au contraire, il vit à Londres comme s’il était à Médina Baye, en respectant les cinq prières et faisant de la récitation du Coran son passe-temps favori. L’anecdote : un jour, durant sa vie estudiantine, il est alité et empêché de se lever pour la prière de l’aurore. Sa voisine, une dame anglaise d’un âge avancé, vient frapper à la porte desa chambre, pour la première fois, pour s’enquérir de ses nouvelles. Elle lui dit : «Je vous entends chaque jour déclamer des versets du Coran. Vous m’avez finalement habitué à ces belles paroles et je ne vous ai pas entendu ce matin ; c’est pourquoi je viens aux nouvelles.» L’Imam raconte souvent cette historiette lors de ses conférences.
En tout cas, il affine son anglais et passe ses vacances en dehors de l’Europe. Une fois qu’il n’est pas venu à Kaolack, il décide d’aller se reposer en Amérique. Mais, son destin le poursuit. En effet, ce qui était supposé être des vacances de repos s’avère comme un voyage de prêche. En effet, rapporte-t-on, c’est un de ses amis Africains résidant aux Etats-Unis qui l’a persuadé de participer à un débat sur l’Islam dans un quartier de New York. Après beaucoup de réticences, il se décide. Mais, le résultat surprendra tout le monde. Sa prestation est tellement pertinente et son propos tellement clair que des Américains, sans religion jusqu’ici, ont décidé sur le champ de se convertir à l’Islam. La porte était ouverte sans qu’il s’en rende compte et ils seront des milliers, plus tard, à le suivre dans la voie tracée par son illustre grand-père.
DEBUT EPROUVANT DE L’IMAMAT
Il revient au pays, définitivement, en 1981 à la mort de son père. Il a à peine 36 ans et a la responsabilité de porter le fardeau de son père et de celui de son grand-père : Baye Niass.
On rapporte qu’il lui a fallu du temps pour s’en accommoder. Il n’est pas simple de replacer dans le cœur et dans l’esprit des fidèles quelqu’un comme Serigne Aliou, qui a su diriger d’une main de maître la Mosquée depuis la disparition de Baye.
Quand le jeune imam se met sur le minbar, les gens pleurent… lui aussi. Mais, il va très vite se surpasser pour entamer l’œuvre de sa vie. Ses voyages se multiplient. D’abord, en Afrique, où il va consolider l’œuvre de son grand-père dans la vulgarisation de la Faydatou Tidjaniya. Ensuite, dans le monde et particulièrement aux Etats-Unis où le nombre de ses disciples est inestimable. D’ailleurs, c’est dans le cadre de la formation islamique de ses disciples occidentaux que l’imam va mettre sur pied l’Institut africain américain à Médina Baye. Une école de l’intégration des cultures où on ne reconnaît pas qui est Américain, Européen, Africain ou Asiatique. En effet, toutes les nationalités s’y retrouvent et se dissolvent dans l’amour, la connaissance de l’Islam, l’amour de Dieu et de son Prophète.
Quand l’Imam franchit le portail de la grande mosquée comme partout ailleurs où on le voit, on est toujours frappé par la présence, à ses côtés, de personnes de nationalités différentes.
Mais, lui sait que le monde compte sur lui et il va essayer, toute sa vie durant, d’honorer ces attentes. Il s’engage pour la cause de l’enfant et s’attaque à l’exploitation et le pire travail des enfants. Milite résolument pour la scolarisation des filles. S’implique activement dans les programmes de santé publique. Et tout cela, il le fait en joignant l’acte à la parole. En plus de son institut, il crée un centre de santé et initie une radio communautaire, Al Fayda Fm et s’engage dans la sensibilisation.
La prouesse dans tout cela, c’est de pouvoir manager tout cela et honorer magnifiquement ses charges d’imam. Jusqu’à son dernier jour, il ne s’est jamais soustrait à cette obligation. C’est pourquoi d’ailleurs, ce sont les habitués de la mosquée qui sont les derniers à le voir. Il est décédé vers 2 h du matin, pourtant il a dirigé, auparavant, la dernière prière vers 21 h. Sur son minbar, sa voie grave et un peu nasale tonnait tous les jours et les fidèles venaient de tous les recoins de la ville pour raffoler de ses serments. Il était agréable à regarder : De beaux yeux avec un regard doux et ferme, un front éclatant comme son teint, des lèvres épaisses. Le tout supporté par un corps moyen souvent sanglé dans un grand boubou blanc auréolé par un turban.
«IL FAUT NOUS REMBOURSER»
Aujourd’hui, Médina Baye a accepté sa disparition et une foule énorme assiège la cité religieuse depuis deux jours. Mais, les gens sont calmes et sereins, malgré la brutalité de son départ. Parce que les gens ont le sentiment que l’homme a bien joué sa partition. Sa mission est accomplie. Seulement, il était encore utile pour la communauté, se lamente-t-on. En effet, quand il est revenu de voyage, des personnes handicapés, à qui il assurait tous les jours la dépense quotidienne et les frais médicaux, l’ont hélé devant la mosquée : «Vous êtes partis en voyage sans nous laisser l’argent pour nos besoins, comme à votre habitude. Maintenant, il faut nous rembourser.» Devant l’humour et la détermination des personnes handicapées, l’Imam répond par une générosité insoupçonnée. Il sourit et les entraîne chez lui. Ensuite, il fait parvenir une enveloppe de 750 mille francs Cfa à ses hôtes pour «rattraper le temps perdu».
Mais, le temps s’est suspendu à jamais pour emporter, à 63 ans, le petit-fils aîné de Baye Niass et le dernier des imams désignés par le fondateur de Médina.
delfa@lequotidien.sn
Assane Cissé vivra 63 ans, après avoir conquis le monde à la cause de l’Islam et ouvrir l’obscure Amérique à la lumière de la Tarikha Tidjaniya. Il fallait qu’il vive. En effet, nous sommes en 1967 et Assane Cissé a 23 ans -il est né en 1945- étudiant au Caire, en Egypte où son grand-père Cheikh al Islam Ibrahima Niass l’a envoyé pour certifier sa science avec un diplôme académique, comme il est de tradition dans le monde moderne. En fait, Assane Cissé est le petit-fils de Baye Niass de par sa mère, Fatoumata Zahra Niass, qui est la fille du fondateur de la cité religieuse de Médina.
PREDICTIONS DE AYE NIASS
Un beau jour, Médina se réveille avec l’annonce de la mort de son enfant qui aurait succombé au Caire des suites d’un accident de voiture. Son père est paralysé par la nouvelle, mais son grand-père, Baye Niass reste zen. On pleure par-ci, on se lamente par-là et on s’interroge sur l’attitude du grand-père.
C’est pendant cet épisode qu’intervint la première prophétie. Au fait, Baye Niass appelle, Serigne Aliou Cissé, le père de Assane et le rassure : «Ton fils ne peut mourir maintenant. Il vivra après ma mort et la tienne et dirigera la mosquée après nous.» Et c’est ce qui fut. Le nuage se dissipa peu après qu’un autre message provenant de l’Egypte informa que c’était une erreur. En réalité, c’était une autre personne du même nom qui avait disparu dans l’accident.
Mais, le jeune Assane Cissé ne restera pas longtemps dans le Maghreb. Sur recommandation de son grand-père, son père le conseilla de quitter Le Caire pour étudier l’anglais en Angleterre. A l’époque, se souvient un proche, Assane Cissé n’était pas séduit par cette proposition. Une importante entreprise de la place lui avait proposé un boulot avec un salaire intéressant. Après avoir longtemps hésité, il finit de s’en ouvrir à Baye Niass par l’intermédiaire d’un de ses oncles. Baye lui rétorqua : «Si tu veux réaliser ce que je veux pour toi, va étudier l’anglais. Mais, si tu veux faire ce que tu veux, restes travailler en Egypte.» D’autres témoignages rapportent que le fondateur de Médina a une fois évoqué la destinée de son petit-fils, un jour, quand une tierce personne lui demandait pourquoi, lui, qui voyage beaucoup dans le monde, n’a jamais foulé le sol des Etats-Unis d’Amérique. «Ne vous inquiétez pas pour cela, l’Amérique est confiée à mon petit-fils, Assane.» Deuxième prophétie.
LETTRE-TESTAMENT
Il poursuit alors ses études dans la capitale anglaise dans les années 60 et décroche un doctorat. Mais, l’Angleterre, c’est aussi le pays où son illustre grand-père a rendu l’âme. En cette malheureuse occasion, Assane Cissé fut un des rares privilégiés à assister le saint homme dans ses dernières heures.
Après le décès de ce dernier en 1975, la vie de Assane Cissé va prendre une autre tournure. L’étudiant en Occident est informé de la lourde responsabilité qui l’attend. En effet, une lettre-testament du Cheikh l’annonce comme le deuxième imam de la grande mosquée de Médina après Serigne Aliou Cissé, son père. Il prend l’information avec philosophie, sachant pour l’instant que son père va s’acquitter convenablement de la tâche.
Il rejoint l’Angleterre, en étudiant modèle, conscient de la lourde tâche qui l’attend. Mais, les mondanités et les jouissances de la grande ville ne l’ont jamais conquis. Au contraire, il vit à Londres comme s’il était à Médina Baye, en respectant les cinq prières et faisant de la récitation du Coran son passe-temps favori. L’anecdote : un jour, durant sa vie estudiantine, il est alité et empêché de se lever pour la prière de l’aurore. Sa voisine, une dame anglaise d’un âge avancé, vient frapper à la porte desa chambre, pour la première fois, pour s’enquérir de ses nouvelles. Elle lui dit : «Je vous entends chaque jour déclamer des versets du Coran. Vous m’avez finalement habitué à ces belles paroles et je ne vous ai pas entendu ce matin ; c’est pourquoi je viens aux nouvelles.» L’Imam raconte souvent cette historiette lors de ses conférences.
En tout cas, il affine son anglais et passe ses vacances en dehors de l’Europe. Une fois qu’il n’est pas venu à Kaolack, il décide d’aller se reposer en Amérique. Mais, son destin le poursuit. En effet, ce qui était supposé être des vacances de repos s’avère comme un voyage de prêche. En effet, rapporte-t-on, c’est un de ses amis Africains résidant aux Etats-Unis qui l’a persuadé de participer à un débat sur l’Islam dans un quartier de New York. Après beaucoup de réticences, il se décide. Mais, le résultat surprendra tout le monde. Sa prestation est tellement pertinente et son propos tellement clair que des Américains, sans religion jusqu’ici, ont décidé sur le champ de se convertir à l’Islam. La porte était ouverte sans qu’il s’en rende compte et ils seront des milliers, plus tard, à le suivre dans la voie tracée par son illustre grand-père.
DEBUT EPROUVANT DE L’IMAMAT
Il revient au pays, définitivement, en 1981 à la mort de son père. Il a à peine 36 ans et a la responsabilité de porter le fardeau de son père et de celui de son grand-père : Baye Niass.
On rapporte qu’il lui a fallu du temps pour s’en accommoder. Il n’est pas simple de replacer dans le cœur et dans l’esprit des fidèles quelqu’un comme Serigne Aliou, qui a su diriger d’une main de maître la Mosquée depuis la disparition de Baye.
Quand le jeune imam se met sur le minbar, les gens pleurent… lui aussi. Mais, il va très vite se surpasser pour entamer l’œuvre de sa vie. Ses voyages se multiplient. D’abord, en Afrique, où il va consolider l’œuvre de son grand-père dans la vulgarisation de la Faydatou Tidjaniya. Ensuite, dans le monde et particulièrement aux Etats-Unis où le nombre de ses disciples est inestimable. D’ailleurs, c’est dans le cadre de la formation islamique de ses disciples occidentaux que l’imam va mettre sur pied l’Institut africain américain à Médina Baye. Une école de l’intégration des cultures où on ne reconnaît pas qui est Américain, Européen, Africain ou Asiatique. En effet, toutes les nationalités s’y retrouvent et se dissolvent dans l’amour, la connaissance de l’Islam, l’amour de Dieu et de son Prophète.
Quand l’Imam franchit le portail de la grande mosquée comme partout ailleurs où on le voit, on est toujours frappé par la présence, à ses côtés, de personnes de nationalités différentes.
Mais, lui sait que le monde compte sur lui et il va essayer, toute sa vie durant, d’honorer ces attentes. Il s’engage pour la cause de l’enfant et s’attaque à l’exploitation et le pire travail des enfants. Milite résolument pour la scolarisation des filles. S’implique activement dans les programmes de santé publique. Et tout cela, il le fait en joignant l’acte à la parole. En plus de son institut, il crée un centre de santé et initie une radio communautaire, Al Fayda Fm et s’engage dans la sensibilisation.
La prouesse dans tout cela, c’est de pouvoir manager tout cela et honorer magnifiquement ses charges d’imam. Jusqu’à son dernier jour, il ne s’est jamais soustrait à cette obligation. C’est pourquoi d’ailleurs, ce sont les habitués de la mosquée qui sont les derniers à le voir. Il est décédé vers 2 h du matin, pourtant il a dirigé, auparavant, la dernière prière vers 21 h. Sur son minbar, sa voie grave et un peu nasale tonnait tous les jours et les fidèles venaient de tous les recoins de la ville pour raffoler de ses serments. Il était agréable à regarder : De beaux yeux avec un regard doux et ferme, un front éclatant comme son teint, des lèvres épaisses. Le tout supporté par un corps moyen souvent sanglé dans un grand boubou blanc auréolé par un turban.
«IL FAUT NOUS REMBOURSER»
Aujourd’hui, Médina Baye a accepté sa disparition et une foule énorme assiège la cité religieuse depuis deux jours. Mais, les gens sont calmes et sereins, malgré la brutalité de son départ. Parce que les gens ont le sentiment que l’homme a bien joué sa partition. Sa mission est accomplie. Seulement, il était encore utile pour la communauté, se lamente-t-on. En effet, quand il est revenu de voyage, des personnes handicapés, à qui il assurait tous les jours la dépense quotidienne et les frais médicaux, l’ont hélé devant la mosquée : «Vous êtes partis en voyage sans nous laisser l’argent pour nos besoins, comme à votre habitude. Maintenant, il faut nous rembourser.» Devant l’humour et la détermination des personnes handicapées, l’Imam répond par une générosité insoupçonnée. Il sourit et les entraîne chez lui. Ensuite, il fait parvenir une enveloppe de 750 mille francs Cfa à ses hôtes pour «rattraper le temps perdu».
Mais, le temps s’est suspendu à jamais pour emporter, à 63 ans, le petit-fils aîné de Baye Niass et le dernier des imams désignés par le fondateur de Médina.
delfa@lequotidien.sn