Paris Match. Pourquoi êtes-vous en colère depuis que vous n’êtes plus ambassadeur au Sénégal ?
Jean-Christophe Rufin. Nous avons laissé passer une chance historique dans nos relations avec l’Afrique. Nicolas Sarkozy en 2007 avait annoncé une rupture avec le passé. J’y ai cru. En désignant Bernard Kouchner comme ministre des Affaires étrangères, il donnait un signal très fort. A cause de cela, je me suis engagé dans cette aventure. Trois ans plus tard, j’ai l’impression que nous sommes revenus à la case départ.
Pourquoi cette déception ?
Parce que, sur le terrain, le changement est possible et je pense l’avoir prouvé. Je me suis battu pour être indé pendant, ne pas faire de compromis avec le pouvoir en place au Sénégal et renouveler l’image de la France, en particulier auprès des intellectuels. Mais un ambassadeur ne peut rien faire s’il n’est pas pleinement soutenu.
Vous portez des attaques radicales contre la politique du Quai d’Orsay...
J’ai la liberté de dire tout haut ce que beaucoup savent et pensent tout bas. Le ministère des Affaires étrangères est une administration qui souffre. Elle a subi, ces dernières années, de grandes réductions d’effectifs et de moyens. Mais surtout, faute d’un leadership politique fort, le Quai a connu une forte marginalisation. Il pèse de moins en moins sur les décisions importantes et c’est particulièrement vrai pour la politique africaine.
En fait, vos attaques ne sont-elles pas portées contre Bernard Kouchner, votre ancien ministre et ami ?
Ma réaction procède d’un espoir déçu. Il n’y a aucune agressivité dans mes propos, mais seulement l’expression d’une désillusion.
Que peut-il faire s’il n’a pas les moyens de sa politique ?
Reconnaissons que sa tâche n’a pas été facile, dans le sillage d’un président très investi en politique internationale. Pourtant, je vois la cause de son échec ailleurs : dans les relations difficiles qu’il a entretenues avec ses services. Peut-être parce qu’il a gardé le souvenir des années où il était secrétaire d’Etat à l’Humanitaire et où le Quai n’a pas été tendre avec lui, Kouchner s’est toujours méfié des diplomates, se sentant menacé sans cesse par la trahison. Il a réformé la maison en voulant la reconstruire à son image, en en faisant une sorte de super-ONG. Il faut une reprise en main très sérieuse.
Ne pensez-vous pas perdre un ami en attaquant Bernard Kouchner ?
Il a reconnu que nous avions bien travaillé ensemble. La tâche qu’il m’a confiée était lourde. Je l’ai accomplie avec loyauté. Cela dit, je ne suis pas un homme de cour. L’amitié, c’est pouvoir se parler franchement sans se fâcher.
« KOUCHNER VEUT FAIRE DU
QUAI D’ORSAY UNE SUPER-ONG »
Ne voulez-vous pas être calife à la place du calife au cours du prochain remaniement ministériel ?
Si j’avais cette ambition, j’aurais mis en valeur mon bilan et j’aurais dit à chacun ce qu’il voulait entendre... Je ne cherche pas des places mais des défis à relever. Je suis reconnaissant à Bernard Kouchner de m’avoir donné l’occasion de diriger une de nos plus grandes ambassades. En tant que romancier, cette expérience m’a permis de bénéficier d’un nouveau “balcon sur le monde”, d’où j’ai trouvé l’inspiration pour “Katiba”, mon dernier roman. Mais je n’ai pas souhaité prendre la direction de la nouvelle agence culturelle qui m’a été proposée.
Rufin ambassadeur, c’est terminé ?
J’ai repris ma totale liberté le 30 juin 2010. Mon goût de l’engagement et ma passion pour l’Afrique et le développement sont intacts. Nous verrons bien...
Etes-vous en contact avec Sarkozy ?
Je ne l’ai pas revu depuis ma présentation en tant que nouvel académicien. Mais je lui ai écrit un mot, en lui disant que j’avais été honoré de servir la France. Il ne m’a pas encore répondu.
Avez-vous évoqué les visites du fils du président sénégalais Wade à l’Elysée, qui vous déplaisaient fortement lorsque vous étiez en poste à Dakar ?
Ces pratiques participent à l’affaiblissement des ambassadeurs. Les courts-circuits empêchent l’unité de l’action de l’Etat, à partir du moment où existent d’autres accès possibles au plus haut niveau.
Difficile de faire ce reproche à Kouchner qui doit préférer, comme vous, que la politique étrangère de la France se déroule au Quai d’Orsay !
La différence, c’est que moi je ne l’accepte pas, et que lui l’accepte
paris match via politicosn.com
Jean-Christophe Rufin. Nous avons laissé passer une chance historique dans nos relations avec l’Afrique. Nicolas Sarkozy en 2007 avait annoncé une rupture avec le passé. J’y ai cru. En désignant Bernard Kouchner comme ministre des Affaires étrangères, il donnait un signal très fort. A cause de cela, je me suis engagé dans cette aventure. Trois ans plus tard, j’ai l’impression que nous sommes revenus à la case départ.
Pourquoi cette déception ?
Parce que, sur le terrain, le changement est possible et je pense l’avoir prouvé. Je me suis battu pour être indé pendant, ne pas faire de compromis avec le pouvoir en place au Sénégal et renouveler l’image de la France, en particulier auprès des intellectuels. Mais un ambassadeur ne peut rien faire s’il n’est pas pleinement soutenu.
Vous portez des attaques radicales contre la politique du Quai d’Orsay...
J’ai la liberté de dire tout haut ce que beaucoup savent et pensent tout bas. Le ministère des Affaires étrangères est une administration qui souffre. Elle a subi, ces dernières années, de grandes réductions d’effectifs et de moyens. Mais surtout, faute d’un leadership politique fort, le Quai a connu une forte marginalisation. Il pèse de moins en moins sur les décisions importantes et c’est particulièrement vrai pour la politique africaine.
En fait, vos attaques ne sont-elles pas portées contre Bernard Kouchner, votre ancien ministre et ami ?
Ma réaction procède d’un espoir déçu. Il n’y a aucune agressivité dans mes propos, mais seulement l’expression d’une désillusion.
Que peut-il faire s’il n’a pas les moyens de sa politique ?
Reconnaissons que sa tâche n’a pas été facile, dans le sillage d’un président très investi en politique internationale. Pourtant, je vois la cause de son échec ailleurs : dans les relations difficiles qu’il a entretenues avec ses services. Peut-être parce qu’il a gardé le souvenir des années où il était secrétaire d’Etat à l’Humanitaire et où le Quai n’a pas été tendre avec lui, Kouchner s’est toujours méfié des diplomates, se sentant menacé sans cesse par la trahison. Il a réformé la maison en voulant la reconstruire à son image, en en faisant une sorte de super-ONG. Il faut une reprise en main très sérieuse.
Ne pensez-vous pas perdre un ami en attaquant Bernard Kouchner ?
Il a reconnu que nous avions bien travaillé ensemble. La tâche qu’il m’a confiée était lourde. Je l’ai accomplie avec loyauté. Cela dit, je ne suis pas un homme de cour. L’amitié, c’est pouvoir se parler franchement sans se fâcher.
« KOUCHNER VEUT FAIRE DU
QUAI D’ORSAY UNE SUPER-ONG »
Ne voulez-vous pas être calife à la place du calife au cours du prochain remaniement ministériel ?
Si j’avais cette ambition, j’aurais mis en valeur mon bilan et j’aurais dit à chacun ce qu’il voulait entendre... Je ne cherche pas des places mais des défis à relever. Je suis reconnaissant à Bernard Kouchner de m’avoir donné l’occasion de diriger une de nos plus grandes ambassades. En tant que romancier, cette expérience m’a permis de bénéficier d’un nouveau “balcon sur le monde”, d’où j’ai trouvé l’inspiration pour “Katiba”, mon dernier roman. Mais je n’ai pas souhaité prendre la direction de la nouvelle agence culturelle qui m’a été proposée.
Rufin ambassadeur, c’est terminé ?
J’ai repris ma totale liberté le 30 juin 2010. Mon goût de l’engagement et ma passion pour l’Afrique et le développement sont intacts. Nous verrons bien...
Etes-vous en contact avec Sarkozy ?
Je ne l’ai pas revu depuis ma présentation en tant que nouvel académicien. Mais je lui ai écrit un mot, en lui disant que j’avais été honoré de servir la France. Il ne m’a pas encore répondu.
Avez-vous évoqué les visites du fils du président sénégalais Wade à l’Elysée, qui vous déplaisaient fortement lorsque vous étiez en poste à Dakar ?
Ces pratiques participent à l’affaiblissement des ambassadeurs. Les courts-circuits empêchent l’unité de l’action de l’Etat, à partir du moment où existent d’autres accès possibles au plus haut niveau.
Difficile de faire ce reproche à Kouchner qui doit préférer, comme vous, que la politique étrangère de la France se déroule au Quai d’Orsay !
La différence, c’est que moi je ne l’accepte pas, et que lui l’accepte
paris match via politicosn.com