Alger
L'année du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie est fatale aux anciens présidents du pays. Après Ahmed Ben Bella, en avril dernier, Chadli Bendjedid, 83 ans, est décédé samedi à Alger des suites d'un cancer. Soit vingt-quatre ans, presque jour pour jour, après ce que l'histoire retiendra surtout de ses deux mandats: le soulèvement populaire d'octobre 88.
Un épisode tragique dans l'histoire de l'Algérie qui marque aussi le début de ce qu'on appellerait aujourd'hui le «printemps algérien». Une ouverture politique impulsée par la promulgation d'une Constitution pluraliste en février 1989 et la renonciation à la présidence de l'ancien parti unique, le Front de libération nationale (FLN), en juillet 1991. «Dire pour autant que Chadli était le président de l'ouverture serait un peu rapide, nuance Amazit Boukhalfa, qui fut l'un des rares journalistes à l'interviewer. Il y a été contraint par la société civile en ébullition après le printemps berbère de 1980 et les classes moyennes laminées par de nouveaux modes de consommation. Lui n'avait pas de projet de société, ni même de convictions.»
Malgré des mesures très populaires - il supprime par exemple l'autorisation de sortie de territoire pour tout Algérien souhaitant se rendre à l'étranger - la rue ne le soutient pas. «Les années 1980 ont été des années de répression, souligne l'historienne Malika Rahal. Les statuts du FLN interdisant quiconque d'être responsable d'une organisation de masse s'il n'est pas militant du parti.» Un ancien militant trotskiste clandestin confirme: «Les choses n'étaient pas si différentes de l'ère Boumediene: nous vivions dans la peur de la sécurité militaire, de la torture. L'impression que les choses étaient plus faciles tenait à l'émergence d'une certaine bourgeoisie.»
«Programme antipénurie»
Car l'histoire retiendra aussi de cet ancien colonel, chef de la 2e région militaire (Oran), sa politique économique libérale et son célèbre «programme antipénurie» qui permit aux Algériens de consommer de manière effrénée bananes, électroménager, chaussures de sports… «Persuadé que le prix du pétrole allait continuer à monter, il a aussi stoppé les programmes d'investissement dans le secteur. Il est pleinement responsable du choc de 1988. Alors que la transition aurait pu se faire en douceur, nous l'avons vécue dans le sang», relève Ihsane el-Kadi, directeur du site économique Maghreb Emergent.
Fin 1991, quand les islamistes du Front islamique du salut remportent le premier tour des élections législatives, après les municipales de juin 1990, il est trop tard. L'armée interrompt le processus électoral et en janvier 1992, Chadli Bendjedid, forcé à la démission par l'armée, se retrouve assigné à résidence à Oran. Il ne retrouvera la liberté qu'après l'élection d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence en 1999. Toute la vérité n'ayant pas été dite sur cette période, les mémoires de l'ancien président, héros de la guerre d'indépendance, annoncées pour le 1er novembre prochain, sont très attendues. «Finalement, Chadli n'a jamais eu les moyens de sa politique, résume un cadre de l'armée. Gêné par des résistances à l'intérieur de son parti et parmi les militaires, il fut victime d'une règle qui n'a toujours pas changé en 2012: la présidence à elle seule n'incarne pas le pouvoir.»
Par Mélanie Matarese
L'année du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie est fatale aux anciens présidents du pays. Après Ahmed Ben Bella, en avril dernier, Chadli Bendjedid, 83 ans, est décédé samedi à Alger des suites d'un cancer. Soit vingt-quatre ans, presque jour pour jour, après ce que l'histoire retiendra surtout de ses deux mandats: le soulèvement populaire d'octobre 88.
Un épisode tragique dans l'histoire de l'Algérie qui marque aussi le début de ce qu'on appellerait aujourd'hui le «printemps algérien». Une ouverture politique impulsée par la promulgation d'une Constitution pluraliste en février 1989 et la renonciation à la présidence de l'ancien parti unique, le Front de libération nationale (FLN), en juillet 1991. «Dire pour autant que Chadli était le président de l'ouverture serait un peu rapide, nuance Amazit Boukhalfa, qui fut l'un des rares journalistes à l'interviewer. Il y a été contraint par la société civile en ébullition après le printemps berbère de 1980 et les classes moyennes laminées par de nouveaux modes de consommation. Lui n'avait pas de projet de société, ni même de convictions.»
Malgré des mesures très populaires - il supprime par exemple l'autorisation de sortie de territoire pour tout Algérien souhaitant se rendre à l'étranger - la rue ne le soutient pas. «Les années 1980 ont été des années de répression, souligne l'historienne Malika Rahal. Les statuts du FLN interdisant quiconque d'être responsable d'une organisation de masse s'il n'est pas militant du parti.» Un ancien militant trotskiste clandestin confirme: «Les choses n'étaient pas si différentes de l'ère Boumediene: nous vivions dans la peur de la sécurité militaire, de la torture. L'impression que les choses étaient plus faciles tenait à l'émergence d'une certaine bourgeoisie.»
«Programme antipénurie»
Car l'histoire retiendra aussi de cet ancien colonel, chef de la 2e région militaire (Oran), sa politique économique libérale et son célèbre «programme antipénurie» qui permit aux Algériens de consommer de manière effrénée bananes, électroménager, chaussures de sports… «Persuadé que le prix du pétrole allait continuer à monter, il a aussi stoppé les programmes d'investissement dans le secteur. Il est pleinement responsable du choc de 1988. Alors que la transition aurait pu se faire en douceur, nous l'avons vécue dans le sang», relève Ihsane el-Kadi, directeur du site économique Maghreb Emergent.
Fin 1991, quand les islamistes du Front islamique du salut remportent le premier tour des élections législatives, après les municipales de juin 1990, il est trop tard. L'armée interrompt le processus électoral et en janvier 1992, Chadli Bendjedid, forcé à la démission par l'armée, se retrouve assigné à résidence à Oran. Il ne retrouvera la liberté qu'après l'élection d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence en 1999. Toute la vérité n'ayant pas été dite sur cette période, les mémoires de l'ancien président, héros de la guerre d'indépendance, annoncées pour le 1er novembre prochain, sont très attendues. «Finalement, Chadli n'a jamais eu les moyens de sa politique, résume un cadre de l'armée. Gêné par des résistances à l'intérieur de son parti et parmi les militaires, il fut victime d'une règle qui n'a toujours pas changé en 2012: la présidence à elle seule n'incarne pas le pouvoir.»
Par Mélanie Matarese