De notre correspondant à Bruxelles
À Bruxelles, mais surtout à Paris et à Londres, c'est le terme qui fâche et dont on ne parle qu'à couvert, parce qu'il préfigure tous les abandons de souveraineté: le fameux «mot F», comme fédéralisme. Par culot ou par inconscience, José Manuel Barroso en a fait mercredi l'horizon politique de l'Europe devant le Parlement européen à Strasbourg. «N'ayons pas peur des mots, a dit le chef de la Commission en déclinant un programme qui s'étend bien au-delà des élections européennes de 2014. Nous devons aller vers une fédération d'États-nations. Non pas vers un super-État. Mais vers un partage de souveraineté par les États nationaux». Pour l'heure, le président Barroso veut simplement «lancer le débat». Mais comme Angela Merkel, il annonce la révision des traités fondateurs comme inéluctable.
L'accueil de l'Hémicycle a été plutôt tiède. La réaction hostile des eurosceptiques britanniques et tchèques contre «l'Eurocrate-en-chef» était prévisible. Ce qui l'était moins, c'est la méfiance ouverte de partis traditionnellement ouverts à davantage d'intégration. Pour les conservateurs du PPE (l'UMP en France), Joseph Daul a invité à remettre tout changement des traités à une époque «où nous aurons le temps». L'écologiste Daniel Cohn-Bendit a ironiquement évoqué les vieilles lunes de Jacques Delors. Champion du fédéralisme, l'ex-premier ministre belge Guy Verhofstadt a répliqué que l'UE «n'a pas besoin d'une fédération d'États-nations», mais de donner la parole à ses 500 millions de citoyens.
Fédéralisme européen et révision des traités ressemblent à une potion électorale suicidaire pour beaucoup de partis et de gouvernements, à l'heure où les opinions publiques, lasses de payer pour la Grèce ou l'Espagne, sont tentées par le repli sur soi. En France, Alain Juppé à droite, Pierre Moscovici à gauche et le commissaire européen Michel Barnier sont parmi les rares à prononcer ouvertement le «mot F». Le président Hollande et le gouvernement Ayrault, déjà menacés d'impopularité, ne suivront sans doute pas sur ce terrain. Le souvenir du non des Français et des Néerlandais en 2005 au projet de Constitution européenne hante les esprits.
José Manuel Barroso, président appointé et donc dénué de soucis électoraux, peut se permettre la franchise. Et son discours n'est pas étranger à la vérité. Les Européens font la moue contre les institutions de l'UE, chargées de tous les maux de la crise, de la dette et de l'euro. Pour une majorité d'entre eux, pas question de transférer davantage de compétences à Bruxelles. Mais, dans leur dos, presque subrepticement, leurs dirigeants font du fédéralisme sans le dire. Parce qu'ils n'ont pas trouvé mieux pour sortir l'Europe de l'ornière et rassurer les investisseurs.
Un arsenal de pouvoirs
En dix-huit mois, Bruxelles a décroché tout un arsenal de pouvoirs nouveaux pour contraindre les gouvernements à discipliner leurs finances. Depuis décembre, la Commission peut infliger des amendes allant jusqu'à 0,2 % du PNB aux États qui ne respectent pas les objectifs assignés au déficit et à l'endettement, un vrai casse-tête pour Paris. Depuis mars, le «pacte budgétaire» poussé par Angela Merkel les oblige tous à graver le retour à l'équilibre dans le marbre - à l'exception du Royaume-Uni et de la République tchèque. Dernier en date, Bruxelles a proposé mercredi de placer les 6000 banques de la zone euro sous la responsabilité de la BCE, abandon de souveraineté formellement accepté par les dix-sept pays à leur sommet de juin.
Ce n'est pas fini. L'Allemagne, déjà fédérale à tous les étages, a imposé la règle du jeu grâce à une puissance économique qui résiste mieux que les autres à la crise: en Europe, la solidarité budgétaire et financière passera nécessairement par une centralisation accrue du contrôle politique. Et, comme les textes existants n'autorisent ni l'une ni l'autre, il faudra bien changer les traités européens en profondeur, plaide depuis deux ans la chancelière Angela Merkel. Son bras droit, Wolfgang Schäuble, rêve déjà d'un ministère européen des Finances…
La dynamique sera relancée dès l'automne, avec le rapport que rendra le président du Conseil, Herman Van Rompuy, sur l'«approfondissement de l'union économique et monétaire», là encore à la demande des dix-sept États de l'euro. Il doit en offrir, confidentiellement, une première esquisse cette semaine aux capitales. Le mot fédéralisme n'apparaît pas noir sur blanc dans la feuille de route qu'il a publiée au début de l'été, mais la direction est claire: c'est au niveau européen que se trouverait sous peu le pouvoir budgétaire «d'exiger des changements aux enveloppes si elles se trouvent en violation des règles» établies en commun. C'est la ligne rouge, hors du contrôle des élus nationaux, sur laquelle ont buté jusqu'ici tous les transferts de souveraineté nationale.
Par Jean-Jacques Mevel
À Bruxelles, mais surtout à Paris et à Londres, c'est le terme qui fâche et dont on ne parle qu'à couvert, parce qu'il préfigure tous les abandons de souveraineté: le fameux «mot F», comme fédéralisme. Par culot ou par inconscience, José Manuel Barroso en a fait mercredi l'horizon politique de l'Europe devant le Parlement européen à Strasbourg. «N'ayons pas peur des mots, a dit le chef de la Commission en déclinant un programme qui s'étend bien au-delà des élections européennes de 2014. Nous devons aller vers une fédération d'États-nations. Non pas vers un super-État. Mais vers un partage de souveraineté par les États nationaux». Pour l'heure, le président Barroso veut simplement «lancer le débat». Mais comme Angela Merkel, il annonce la révision des traités fondateurs comme inéluctable.
L'accueil de l'Hémicycle a été plutôt tiède. La réaction hostile des eurosceptiques britanniques et tchèques contre «l'Eurocrate-en-chef» était prévisible. Ce qui l'était moins, c'est la méfiance ouverte de partis traditionnellement ouverts à davantage d'intégration. Pour les conservateurs du PPE (l'UMP en France), Joseph Daul a invité à remettre tout changement des traités à une époque «où nous aurons le temps». L'écologiste Daniel Cohn-Bendit a ironiquement évoqué les vieilles lunes de Jacques Delors. Champion du fédéralisme, l'ex-premier ministre belge Guy Verhofstadt a répliqué que l'UE «n'a pas besoin d'une fédération d'États-nations», mais de donner la parole à ses 500 millions de citoyens.
Fédéralisme européen et révision des traités ressemblent à une potion électorale suicidaire pour beaucoup de partis et de gouvernements, à l'heure où les opinions publiques, lasses de payer pour la Grèce ou l'Espagne, sont tentées par le repli sur soi. En France, Alain Juppé à droite, Pierre Moscovici à gauche et le commissaire européen Michel Barnier sont parmi les rares à prononcer ouvertement le «mot F». Le président Hollande et le gouvernement Ayrault, déjà menacés d'impopularité, ne suivront sans doute pas sur ce terrain. Le souvenir du non des Français et des Néerlandais en 2005 au projet de Constitution européenne hante les esprits.
José Manuel Barroso, président appointé et donc dénué de soucis électoraux, peut se permettre la franchise. Et son discours n'est pas étranger à la vérité. Les Européens font la moue contre les institutions de l'UE, chargées de tous les maux de la crise, de la dette et de l'euro. Pour une majorité d'entre eux, pas question de transférer davantage de compétences à Bruxelles. Mais, dans leur dos, presque subrepticement, leurs dirigeants font du fédéralisme sans le dire. Parce qu'ils n'ont pas trouvé mieux pour sortir l'Europe de l'ornière et rassurer les investisseurs.
Un arsenal de pouvoirs
En dix-huit mois, Bruxelles a décroché tout un arsenal de pouvoirs nouveaux pour contraindre les gouvernements à discipliner leurs finances. Depuis décembre, la Commission peut infliger des amendes allant jusqu'à 0,2 % du PNB aux États qui ne respectent pas les objectifs assignés au déficit et à l'endettement, un vrai casse-tête pour Paris. Depuis mars, le «pacte budgétaire» poussé par Angela Merkel les oblige tous à graver le retour à l'équilibre dans le marbre - à l'exception du Royaume-Uni et de la République tchèque. Dernier en date, Bruxelles a proposé mercredi de placer les 6000 banques de la zone euro sous la responsabilité de la BCE, abandon de souveraineté formellement accepté par les dix-sept pays à leur sommet de juin.
Ce n'est pas fini. L'Allemagne, déjà fédérale à tous les étages, a imposé la règle du jeu grâce à une puissance économique qui résiste mieux que les autres à la crise: en Europe, la solidarité budgétaire et financière passera nécessairement par une centralisation accrue du contrôle politique. Et, comme les textes existants n'autorisent ni l'une ni l'autre, il faudra bien changer les traités européens en profondeur, plaide depuis deux ans la chancelière Angela Merkel. Son bras droit, Wolfgang Schäuble, rêve déjà d'un ministère européen des Finances…
La dynamique sera relancée dès l'automne, avec le rapport que rendra le président du Conseil, Herman Van Rompuy, sur l'«approfondissement de l'union économique et monétaire», là encore à la demande des dix-sept États de l'euro. Il doit en offrir, confidentiellement, une première esquisse cette semaine aux capitales. Le mot fédéralisme n'apparaît pas noir sur blanc dans la feuille de route qu'il a publiée au début de l'été, mais la direction est claire: c'est au niveau européen que se trouverait sous peu le pouvoir budgétaire «d'exiger des changements aux enveloppes si elles se trouvent en violation des règles» établies en commun. C'est la ligne rouge, hors du contrôle des élus nationaux, sur laquelle ont buté jusqu'ici tous les transferts de souveraineté nationale.
Par Jean-Jacques Mevel