"Le Monde", cahier "Eco & entreprise" du mardi 12 février 2013. | DRLe président François Hollande va se rendre en Inde à la mi-février. On sait que de nombreux chefs d'entreprises françaises l'accompagneront et il est vrai que la coopération économique entre les deux pays a pris de l'ampleur ces dernières années dans le cadre d'un partenariat stratégique signé en 1998.
Beaucoup d'observateurs auront, bien sûr, les yeux rivés sur le contrat des avions Rafale, en cours de négociation. Mais c'est une vue étroite. Le partenariat stratégique couvre des volets diplomatiques essentiels pour un grand pays comme l'Inde, qui aspire à devenir membre du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies.
Il couvre également une coopération technique ancienne dans des domaines aussi importants que le spatial, le nucléaire civil ou encore la sécurité. Enfin, il couvre une coopération culturelle essentielle entre deux pays qui ont fait du "soft power" un attribut des puissances de demain.
Mais il convient d'insister sur le volet économique de la relation. Car nous avons tendance, dans ce domaine, à surestimer la Chine et à sous-estimer le mouvement silencieux de l'Inde qui, à terme, pourrait bien rééquilibrer la puissance chinoise.
TRÈS DÉFICITAIRES AVEC LA CHINE
Si les échanges commerciaux totaux entre la France et chacun de ces deux pays sont dans un rapport de 1 à 7 en volume, c'est d'abord parce que nous sommes très déficitaires avec la Chine. C'est ensuite parce que l'Inde ne poursuit pas une politique mercantiliste et qu'elle a toujours donné la priorité au développement de son marché intérieur.
En revanche, on note, depuis quelques années, un mouvement important de relocalisation et de diversification des investissements français vis-à-vis de la Chine, qui se traduit par des implantations françaises en Inde de plus en plus solides.
Une étude récente de notre mission économique à New Delhi fait état de 700 filiales, dont des noms prestigieux qui réussissent parfaitement, comme Lafarge, Saint-Gobain, Air Liquide, Capgemini, Faurecia et bien d'autres ; ou encore dans des secteurs essentiels pour la soutenabilité du développement comme l'eau, le solaire, l'agriculture, etc.
Mais il est un domaine où la coopération avec l'Inde peut apporter aux entreprises françaises une expertise décisive dans le monde fini et complexe où nous vivons : l'innovation.
L'Inde compte, en effet, des millions d'ingénieurs et de scientifiques hautement qualifiés dans les secteurs de l'informatique, des sciences du vivant et des technologies de pointe. Comme la France, elle fourmille d'entrepreneurs innovants dans des industries à forte valeur ajoutée. Venkat Rangan a fondé INXS Technologies, qui a développé une des plus grandes plates-formes de trading mobile aux Etats-Unis.
LES CERVEAUX DES "INDOVATIONS"
Ravi Pandit, qui dirige la société KPIT Cummins, a dévoilé la technologie Revolo, qui permet une réduction draconienne des émissions carbonées sur plusieurs gammes de véhicules.
Ces entrepreneurs sont les cerveaux des "indovations", c'est-à-dire ces innovations indiennes accessibles et durables, qui forment un moteur puissant pour la croissance de demain.
Ce sont aussi ce qu'on appelle des innovations "frugales", fruits du "jugaad", cette ingéniosité pratique que les Indiens démontrent au quotidien pour surmonter l'adversité.
La France bénéficierait d'une rénovation de son modèle de coopération avec l'Inde en l'abordant sous l'angle d'un "partenariat de connaissance", en complément des échanges commerciaux classiques. Ce modèle se rapprocherait de ce que Warren Buffett appelle le "vrai commerce", fondé sur un échange non seulement de biens, mais aussi d'idées.
"ALLIANCE COMPÉTITIVE"
Ce partenariat dans certains secteurs n'exclut évidemment pas une concurrence avérée dans d'autres - on peut parler d'"alliance compétitive" pour refléter cette réalité.
Dans l'économie mondialisée, et qui le restera, développer au sein d'un pays des centres internationaux d'excellence est certes nécessaire mais ne suffit plus. Il sera bientôt vital de se positionner au centre de véritables réseaux d'innovations transnationaux. Ces écosystèmes fluides et collaboratifs reliant concepts, talents et capitaux de plusieurs pays constitueront les matrices de l'innovation mondialisée de demain.
Leurs "noeuds" stratégiques se consolideront autour des grands campus universitaires, centres de recherches et pôles de compétitivité internationaux, de Lyon à San Francisco en passant par Milan et Stuttgart, mais aussi Shanghaï ou Bangalore.
L'Inde offre de ce point de vue un terrain fertile pour découvrir des innovations non seulement technologiques, mais aussi sociales, ainsi que des modèles de développement économique durable (cet article est également publié en anglais dans le quotidien économique indien The Economic Times).
Jean-Joseph Boillot et Navi Radjou, Euro-India Group et université de Cambridge
Beaucoup d'observateurs auront, bien sûr, les yeux rivés sur le contrat des avions Rafale, en cours de négociation. Mais c'est une vue étroite. Le partenariat stratégique couvre des volets diplomatiques essentiels pour un grand pays comme l'Inde, qui aspire à devenir membre du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies.
Il couvre également une coopération technique ancienne dans des domaines aussi importants que le spatial, le nucléaire civil ou encore la sécurité. Enfin, il couvre une coopération culturelle essentielle entre deux pays qui ont fait du "soft power" un attribut des puissances de demain.
Mais il convient d'insister sur le volet économique de la relation. Car nous avons tendance, dans ce domaine, à surestimer la Chine et à sous-estimer le mouvement silencieux de l'Inde qui, à terme, pourrait bien rééquilibrer la puissance chinoise.
TRÈS DÉFICITAIRES AVEC LA CHINE
Si les échanges commerciaux totaux entre la France et chacun de ces deux pays sont dans un rapport de 1 à 7 en volume, c'est d'abord parce que nous sommes très déficitaires avec la Chine. C'est ensuite parce que l'Inde ne poursuit pas une politique mercantiliste et qu'elle a toujours donné la priorité au développement de son marché intérieur.
En revanche, on note, depuis quelques années, un mouvement important de relocalisation et de diversification des investissements français vis-à-vis de la Chine, qui se traduit par des implantations françaises en Inde de plus en plus solides.
Une étude récente de notre mission économique à New Delhi fait état de 700 filiales, dont des noms prestigieux qui réussissent parfaitement, comme Lafarge, Saint-Gobain, Air Liquide, Capgemini, Faurecia et bien d'autres ; ou encore dans des secteurs essentiels pour la soutenabilité du développement comme l'eau, le solaire, l'agriculture, etc.
Mais il est un domaine où la coopération avec l'Inde peut apporter aux entreprises françaises une expertise décisive dans le monde fini et complexe où nous vivons : l'innovation.
L'Inde compte, en effet, des millions d'ingénieurs et de scientifiques hautement qualifiés dans les secteurs de l'informatique, des sciences du vivant et des technologies de pointe. Comme la France, elle fourmille d'entrepreneurs innovants dans des industries à forte valeur ajoutée. Venkat Rangan a fondé INXS Technologies, qui a développé une des plus grandes plates-formes de trading mobile aux Etats-Unis.
LES CERVEAUX DES "INDOVATIONS"
Ravi Pandit, qui dirige la société KPIT Cummins, a dévoilé la technologie Revolo, qui permet une réduction draconienne des émissions carbonées sur plusieurs gammes de véhicules.
Ces entrepreneurs sont les cerveaux des "indovations", c'est-à-dire ces innovations indiennes accessibles et durables, qui forment un moteur puissant pour la croissance de demain.
Ce sont aussi ce qu'on appelle des innovations "frugales", fruits du "jugaad", cette ingéniosité pratique que les Indiens démontrent au quotidien pour surmonter l'adversité.
La France bénéficierait d'une rénovation de son modèle de coopération avec l'Inde en l'abordant sous l'angle d'un "partenariat de connaissance", en complément des échanges commerciaux classiques. Ce modèle se rapprocherait de ce que Warren Buffett appelle le "vrai commerce", fondé sur un échange non seulement de biens, mais aussi d'idées.
"ALLIANCE COMPÉTITIVE"
Ce partenariat dans certains secteurs n'exclut évidemment pas une concurrence avérée dans d'autres - on peut parler d'"alliance compétitive" pour refléter cette réalité.
Dans l'économie mondialisée, et qui le restera, développer au sein d'un pays des centres internationaux d'excellence est certes nécessaire mais ne suffit plus. Il sera bientôt vital de se positionner au centre de véritables réseaux d'innovations transnationaux. Ces écosystèmes fluides et collaboratifs reliant concepts, talents et capitaux de plusieurs pays constitueront les matrices de l'innovation mondialisée de demain.
Leurs "noeuds" stratégiques se consolideront autour des grands campus universitaires, centres de recherches et pôles de compétitivité internationaux, de Lyon à San Francisco en passant par Milan et Stuttgart, mais aussi Shanghaï ou Bangalore.
L'Inde offre de ce point de vue un terrain fertile pour découvrir des innovations non seulement technologiques, mais aussi sociales, ainsi que des modèles de développement économique durable (cet article est également publié en anglais dans le quotidien économique indien The Economic Times).
Jean-Joseph Boillot et Navi Radjou, Euro-India Group et université de Cambridge